Jean-Louis Michel et l’escrime montpelliéraine

Docteur en sociologie

Portrait de Jean-Louis par Donnadieu. Années 1860
Fig. 1 - Portrait de Jean-Louis par Donnadieu. Années 1860. Figure dans la plaquette de Louis Surdun : Notice biographique sur Jean-Louis et son école. BM de Montpellier.

Le XIXe siècle passe pour l’âge d’or de l’escrime. À cela plusieurs raisons : d’abord parce que l’art – ou la science – des armes a alors atteint un certain point de perfection et d’équilibre ; mais aussi parce que le siècle, en particulier à ses deux extrémités chronologiques, s’est montré une période querelleuse qui a fait du duel un moyen privilégié de règlement des conflits privés. Deux armes, et deux types d’hommes qui leur sont associés, incarnent une passion française qui s’est pleinement illustrée entre le Premier Empire et la IIIe République naissante. D’un côté le fleuret et l’art des « belles armes » pratiquées en salle par des escrimeurs esthètes, de l’autre l’épée et les duellistes toujours disposés à en découdre sur le pré. Deux mondes pas nécessairement si proches que l’on pourrait croire, mais qui font de la pratique de l’escrime une préoccupation omniprésente, tout au moins dans certains milieux 1.

Il se trouve que Montpellier a occupé alors, parmi les villes de province, une place privilégiée assez singulière. La structure sociale de la capitale languedocienne favorise la présence de toute une population pour qui le duel est une éventualité toujours présente. Ville de garnison emplie d’officiers désœuvrés et de traîneurs de sabre cultivant le « point d’honneur », ville intellectuelle et universitaire où s’entrechoquent les opinions politiques violemment affirmées, ville de rentiers, aristocrates et bourgeois, en quête de passe-temps à leur mesure. Mais aussi, de manière inopinée, ville où pendant quelques quarante ans a exercé son art l’un des plus célèbres escrimeurs du siècle, Jean-Louis Michel, qui a formé des générations de fleurettistes de talent, et qui a laissé son empreinte sur la ville comme figure mythique tutélaire de l’escrime sportive née avec le XXe siècle. D’avoir vécu la moitié de son existence à Montpellier en fait le père de l’escrime languedocienne, ce qui mérite bien un article !

Les pages qui suivent font un point d’étape dans des recherches en cours. Telles quelles, elles devraient cependant permettre au lecteur de découvrir des aspects oubliés ou peu connus de la vie montpelliéraine, et ambitionnent de trouver leur place dans la construction d’une histoire culturelle et sociale toujours renouvelée.

Une société de duellistes

La Révolution et surtout l’Empire, par la conscription de masse, ont suscité une « culture des armes » et une brutalisation de la société civile, qui ont banalisé l’usage des armes blanches dans les querelles innombrables entre particuliers. D’art de Cour sous l’Ancien Régime, à côté de l’équitation et de la danse, l’escrime s’est démocratisée sous des formes élémentaires. L’initiation à l’épée ou au sabre a été le lot d’innombrables soldats ayant participé aux guerres de l’Empire. Au sein de l’armée, le duel fut alors un rite de passage contraignant les recrues à faire la preuve de leur courage. En même temps, avec l’abolition des privilèges de la noblesse, dont son droit de défendre son honneur par les armes, la Révolution a nationalisé l’honneur, et fait du duel une conquête révolutionnaire. Le point d’honneur se répand dans toute la société, et la moindre querelle est susceptible de se vider dans le sang. Ce qui, en période de guerre, se cantonne surtout à la société militaire, s’élargit, la paix revenue, à l’ensemble du corps social. François Guillet rapporte de multiples cas de querelles insignifiantes, que la susceptibilité exacerbée des protagonistes mène sur le pré au petit matin. Le phénomène inquiète suffisamment les autorités sous la Restauration pour que des enquêtes soient diligentées dans chaque département. En 1819, le Ministre de la Justice réclame des rapports aux procureurs du roi sur les affaires de duels survenues dans leur ressort. Les résultats en sont médiocres, et disparates d’un département à l’autre. Cependant, le Procureur de Montpellier fait état de 47 duels. Mais ils montrent aussi la « démocratisation » du duel : « La sociabilité masculine domine largement l’espace public mais possède ses lieux spécifiques. Le cabaret, où l’on s’enivre, en est un des principaux. Les rixes qui y éclatent, avec celles qui se produisent dans les bals et dans ces lieux plus distingués que sont les cafés, constituent la grande majorité des affaires de duel signalées par les procureurs en 1819. Sur les quatorze cas recensés par le procureur général de Montpellier, huit ont pris naissance dans ce cadre 2. »

Le flou statistique reflète les embarras de la Justice, qui hésite à criminaliser les affaires d’honneur. Le meilleur exemple en est donné par l’affaire Cazelles qui, en 1818-1819, mobilise plusieurs tribunaux pour juger un duel mortel survenu à Montpellier durant l’été 1818 3. La jurisprudence Cazelles aura force de loi jusqu’à la décision de la Cour de Cassation de 1837 de renvoyer les affaires mortelles aux Assises (ce qui n’empêchera pas les jurys populaires de se montrer souvent cléments pour les affaires d’honneur).

Avant 1837 et la pénalisation du duel, les duels liés à de simples querelles ne font pas l’objet de poursuites systématiques, et sont difficiles à comptabiliser. Au delà, la difficulté peut résider dans les précautions que prennent les duellistes pour éviter une publicité qui pourrait leur valoir des poursuites en correctionnelle ou aux assises. Très certainement, des rencontres sont restées connues des seuls protagonistes si elles n’ont pas débouché sur des blessures sérieuses ou mortelles.

Il faudrait inventorier systématiquement les archives policières, et procéder à un dépouillement de la presse locale tout au long du siècle pour parvenir à une évaluation du nombre des affaires qui se terminent les armes à la main. Mais deux cas, trouvés au hasard d’un rapide sondage en Archives illustrent la banalité des duels, tant pour la minceur des prétextes, que par la place qu’ils occupent dans l’imaginaire collectif.

Le Courrier du Midi du 28 juin 1832 publie l’entrefilet suivant : « Depuis quelques jours il n’était bruit dans Montpellier que d’un duel, pour opinion politique, qui aurait eu lieu entre un étudiant en médecine et un ex-sergent de la garde royale, maître d’armes. L’étudiant aurait été, (lisait-on, grièvement blessé ; un coup d’épée l’avait percé de part en part : c’est là ce que l’ex-sergent a déclaré lui-même à plusieurs étudiants qui se sont présentés chez lui ; il leur a narré toutes les circonstances du duel.

Cependant, aucun étudiant n’était blessé, le nom de celui que l’on disait s’être battu n’était nullement connu dans la faculté. Des renseignements exacts ont été obtenus enfin, et l’on a pu se convaincre que ce n’était là qu’une vaine forfanterie du parti carliste. L’ex-sergent de la garde royale a, dit-on, pris la fuite ».

Trente ans plus tard, en 1865, le Messager du Midi est plus laconique pour rapporter l’affaire suivante : « Un duel a eu lieu ce matin entre le premier maître d’armes du 28e et celui des dragons ; ce dernier a été grièvement blessé. Il paraît que leur combat a été provoqué par une querelle à la suite d’un repas. »

Ces deux affaires font intervenir des militaires, qui plus est escrimeurs de métier. Mais les civils sans expérience ne sont pas absents de la scène de duel. Roland Jolivet a fait le récit de deux combats 4 dont l’un est resté assez célèbre en raison de la personnalité des protagonistes.

En juin 1851, un duel politique oppose, sur les hauteurs de Lavalette, à la périphérie de la ville, le jeune Aristide Ollivier, 22 ans et tout nouveau rédacteur en chef de la feuille républicaine Le Suffrage universel, à Fernand de Ginestous, 28 ans, qui avait publiquement défendu l’Écho du Midi, journal royaliste, contre les attaques virulentes du premier. L’arme choisie est le sabre d’infanterie, les deux adversaires ayant déclaré sur l’honneur ne rien connaître de son maniement. C’est probablement pourquoi, dès le premier assaut, Ollivier est tué net alors que Ginestous est grièvement blessé. Cette mort fera d’Aristide Ollivier un martyr de la gauche locale : foule immense lors de ses obsèques, statue sur sa tombe à Saint Lazare, une rue à son nom. Quant à Ginestous, rétabli de ses blessures, il sera acquitté aux Assises où il comparaîtra en compagnie des quatre témoins.

La tombe d'Aristide Ollivier au cimetière Saint Lazare de Montpellier
Fig. 2 - La tombe d'Aristide Ollivier au cimetière Saint Lazare de Montpellier. Statue en bronze de Préault.
Coll. de l'auteur.

En comparaison de cet assaut tragique, celui qui opposa en 1897 deux journalistes, Paul Pujol, rédacteur à la Dépêche, et Jules Gariel, directeur du Petit Méridional, relève plutôt de la comédie. L’affrontement au pistolet eut lieu dans le parc Monplaisir, à Castelnau, devant un parterre nombreux et le photographe convoqué pour immortaliser la scène. Le duel ne donna aucun résultat, les adversaires ayant probablement pris soin de se manquer, jugeant qu’il n’était plus de mise de mourir pour ses idées. Mais cette affaire est tout à fait représentative de la pratique du duel à la fin du siècle. Les milieux de la politique, de la presse, de la littérature ou du barreau sortent l’épée ou le pistolet à tout propos, d’autant plus facilement que la convention alors acceptée de tous est d’arrêter le combat « au premier sang », ou au premier coup de feu.

Les épéistes ont ainsi développé une technique élémentaire, facilement acquise auprès d’un maître d’armes, qui permet d’espérer atteindre l’adversaire à la main ou au bras, tout en protégeant efficacement les parties vitales du corps. Les duels meurtriers du début du siècle ont ainsi fait place à des parodies de combat, mais qui permettent de « défendre son honneur » sans grand risque.

L’un des points intéressants qu’il faut retenir de ces divers combats, c’est la dissociation potentielle entre le monde des escrimeurs, amateurs ou professionnels, et celui des duellistes qui peuvent être dépourvus de toute expérience des armes. Il faut donc penser que le duel est la forme quasi obligée de résolution des conflits personnels, dès lors que sont mis en jeu des questions d’honneur. Dans une phase historique qui se révèle très chatouilleuse sur le « point d’honneur » et qui n’envisage pas de se tourner vers la Justice, c’est-à-dire l’État, pour jouer les arbitres, le duel est une pratique légitime aux yeux de la majorité de l’opinion. Et l’éventualité d’un duel, une menace constante. C’est ici qu’interviennent les salles d’armes. Leur multiplication tout au long du siècle répond à cette nécessité pour les professions exposées d’acquérir les rudiments de savoir-faire qui pourront leur permettre de ne pas finir comme le jeune Ollivier. Pour autant, les meilleures d’entre elles continuent de perpétuer un art des belles armes qui vaut pour lui-même, indépendamment de son utilité pratique.

À Montpellier, la salle de Jean-Louis Michel fut, pendant quarante ans, à la croisée de ces deux conceptions de l’escrime.

Arsène Vigeant, maître d'armes et historien de l'escrime
Fig. 3 - Arsène Vigeant, maître d'armes et historien de l'escrime, par John S. Sargent. Droits réservés.

Jean-Louis Michel, dit Jean-Louis

Ce personnage hautement romanesque mérite une monographie, et je me permettrai de renvoyer le lecteur à une ébauche de biographie 5 qui tente de percer le mystère de cette vie silencieuse, sur laquelle on ne sait que fort peu de choses, mais qui a donné lieu à toute une légende.

Dans les limites de cet article, je me contenterai de récapituler les conclusions temporaires auxquelles je suis parvenu, en laissant de côté les pièces justificatives utilisées.

Jean-Louis, puisque c’est sous son seul prénom qu’il est universellement connu du monde de l’escrime, est considéré comme l’un des tous premiers escrimeurs de son siècle, c’est-à-dire d’une époque qui place au sommet les professeurs ou maîtres d’armes, et ne concède aux « amateurs » que la capacité de parfois les approcher. Bien qu’ayant fait toute sa carrière en province, loin du foyer incontesté de l’escrime qu’étaient les salles parisiennes, il est reconnu comme le grand mainteneur de la tradition classique, telle qu’elle s’est développée en France tout au long de l’Ancien Régime. Cette réputation est d’autant plus singulière que Jean-Louis n’a laissé aucune trace de son enseignement. Alors que la plupart des grandes figures de l’escrime subsistent aujourd’hui par la grâce des traités techniques publiés de leur vivant, la réputation de Jean-Louis tient largement à la qualité des élèves qu’il a formés, et surtout à ce qu’en ont dit quelques admirateurs passionnés. C’est près de vingt ans après sa mort en 1865, que s’est construite cette figure quelque peu légendaire, sur laquelle les chroniqueurs de l’escrime continuent de se pencher avec révérence. Le fondateur du « mythe Jean-Louis » est le maître d’armes de la fin du XIXe siècle, Arsène Vigeant 6, figure centrale du monde de l’escrime parisienne sous la IIIe République, qui publia, parmi d’autres ouvrages consacrés à l’histoire de son art, une monographie intitulée : Un Maître d’Armes sous la Restauration7. Vigeant, dont un de ses confrères a pu dire qu’il « maniait très élégamment la plume, mais dans ses récits, il sacrifiait vraiment trop l’exactitude à la fantaisie » 8 a imaginé un personnage à partir de souvenirs, anecdotes entendues ici ou là, supputations diverses, qui, faute de mieux est devenu vérité historique.

Mais à côté de Vigeant, on trouve aussi des récits « locaux » dus à des auteurs montpelliérains, qui se sont naturellement intéressés au personnage, à qui ils consacrent quelques lignes ou quelques pages dans leurs études d’histoire locale.

C’est en particulier le cas de Louis-H. Escuret dans son ouvrage Autour de la place de la Comédie publié en 1950 à Montpellier (pp 59-62). La même évocation de l’escrimeur se retrouve dans le livre beaucoup plus récent de Roland Jolivet, Montpellier secrète et dévoilée (Montpellier 2003), ou encore sur le site Internet des membres de l’Association héraultaise des anciens enfants de troupe qui y saluent l’un de leurs grands « anciens » 9.

Ces récits locaux font plutôt référence à une mince plaquette publiée au lendemain de la mort de Jean-Louis, hommage d’un disciple à son maître disparu. La Notice biographique sur Jean-Louis et son école, publiée anonymement à Montpellier dès 1866, a cependant été connue de Vigeant qui la cite élogieusement et en recopie des extraits à plusieurs reprises. Ce dernier a été en relation directe avec son auteur. Il s’agit du docteur Louis Surdun, né en 1828, médecin installé à Montpellier et qui fréquentait la salle d’armes dans les dernières années de la vie du Maître. Vigeant le présente comme celui qui « pendant de longues années a été à la fois le médecin, l’élève et l’ami de Jean-Louis », ce qui est probablement excessif. En comparant les deux textes, il apparaît que Vigeant a repris certains points significatifs de la biographie de Jean-Louis déjà traités par Surdun, tout en en ajoutant d’autres de son cru, tout particulièrement ceux concernant sa fille escrimeuse.

Sur ces différents éléments, il est raisonnable de penser que Vigeant n’a fait que reprendre les données de Surdun, quitte à les enjoliver ou les romancer à sa sauce personnelle. Mais si Surdun (1866) devient la source de Vigeant (1883), qui l’a informé lui-même ? Certains détails de la biographie peuvent provenir de confidences au long des rencontres entre un professeur et son élève. Quelques uns des plus importants, tels que la date de naissance, se révèleront pourtant vite problématiques. Quant à la scène célèbre du duel franco-italien durant la guerre d’Espagne, Surdun prend la peine de confier à son lecteur qu’il ne l’évoque que parce que la modestie de Jean-Louis ne peut désormais plus en souffrir : c’est reconnaître qu’il ne tient pas le récit de la bouche du vieux maître d’armes. D’ailleurs, Surdun cite sa source ; il ne fait que retranscrire le récit que M. de Faulquemont en a fait de façon très détaillée à partir de documents « presque officiels ».

Nous voici donc remontant le courant jusqu’à ce Faulquemont. Il faut supposer qu’il s’agit de Paul Lamarle, dit Paul (de) Faulquemont, journaliste et dramaturge, coauteur de plusieurs vaudevilles, drames et pantomimes joués à Paris dès les années 1840, en particulier un Colonel Chabert adapté de Balzac. Rien dans tout cela qui laisse présumer une fibre d’historien, mais un intérêt possible pour un personnage romanesque hors du commun, dans une époque où les journalistes se devaient de pratiquer l’escrime. Voici donc où j’en suis arrivé, dans ma pérégrination le long des ruisseaux qui drainent la légende de Jean-Louis Michel. Rien n’assure, bien évidemment, que Faulquemont soit le point ultime, et les recherches peuvent continuer !

Toujours est-il que la construction de ce personnage, et la place qui lui a été attribuée dans l’histoire de l’escrime française, ont joué un rôle non négligeable dans les débats tumultueux de la fin du XIXe siècle qui ont opposé épéistes et fleurettistes, Français et Italiens, esthètes et sportifs, etc. Et ces échos de ces conflits ont agité la scène montpelliéraine au tournant du siècle. Mais avant de conclure sur ces évolutions de la discipline, il faut s’arrêter sur l’étape Jean-Louis.

La première singularité de Jean-Louis, c’est qu’il est un mulâtre, à l’instar de son illustre prédécesseur, le chevalier de Saint Georges, figure dominante de l’escrime du XVIIIe siècle.

Mais né à Saint-Domingue, dans la période extrêmement troublée qui précède la révolte de Toussaint Louverture et l’indépendance de l’île, les éléments d’information les plus élémentaires viennent à manquer ou posent question.

Selon les notices biographiques courantes, Jean-Louis Michel est né en mars 1785 au Cap Français sur l’île de Saint-Domingue. Orphelin, il arrive en France à l’âge de huit ans et est recueilli par une famille protestante de Montauban.

Cette simple phrase cache de multiples mystères. Tout d’abord, la date de naissance. 1785 est l’année qui figure dans les biographies officieuses, et c’est aussi celle que l’on peut lire sur sa tombe, au cimetière de Montpellier. De son vivant, les mentions de l’âge de Jean-Louis, telles qu’elles figurent dans plusieurs documents, se montrent moins affirmatives. Son dossier militaire constitué à l’occasion de sa nomination dans la Légion d’Honneur, en 1814-1819, le déclare né le 11 mars 1787 au Cap, mais le document précise bien que le nouveau légionnaire n’a pu fournir d’acte de naissance, et qu’il convient de lui demander de produire ce document : ce qui ne se fera pas, et pour cause 10. Si, à mon sens, la précision affichée (le 11 mars) est de pure convention, l’année 1787 se retrouve, implicitement, dans des documents postérieurs qui jalonnent la vie de Jean-Louis. Ce sont d’abord des déclarations lors de plusieurs recensements de population. En 1836, à Montpellier, il est enregistré en tant que Michel Jean-Louis, professeur d’escrime, 49 ans (ce qui le ferait donc naître en 1787), puis au recensement de 1851, il déclare 65 ans, ce qui est à peu près cohérent avec la déclaration précédente. Mais son acte de mariage en novembre 1853 lui donne 66 ans, et l’acte de décès en novembre 1865, 78 ans. Tous ces documents sont purement déclaratifs, puisqu’il n’a pas d’état civil original.

Si l’on se retourne vers l’État-civil de Saint-Domingue, et sauf erreur ou omission de ma part, rien ne permet de trancher dans l’un ou l’autre sens. Les Archives de Saint- Domingue sont d’origine paroissiale, et n’enregistrent que les événements d’ordre religieux : à côté des mariages et des inhumations, ce sont les baptêmes et non les naissances qui sont rapportés par les desservants des paroisses. La lecture des registres de la paroisse du Cap (dit aussi Cap Français, la principale ville de la côte nord de l’île), montre que dans les très nombreux cas de naissances naturelles de mulâtres, pour lesquels seule la mère est connue, les baptêmes ont lieu avec de nombreuses semaines de retard, qui se comptent en mois, ou même plus exceptionnellement, en année(s). Dans tous ces cas, la date de naissance est seulement évaluée par l’officiant, au vu de la conformation physique de l’enfant ou des dires de la mère. Il semble que cette coutume de retard systématique au baptême ait eu pour motif de laisser se préciser définitivement la couleur de peau : les degrés entre noir et blanc sont précisément évalués, car ils déterminent le statut social et tout l’avenir du nouveau-né. La question ne se pose pas pour les enfants légitimes, mais les très nombreuses naissances naturelles pâtissent de cette imprécision chronologique. Pour revenir à la naissance de Jean-Louis, fils naturel d’un père inconnu et d’Adélaïde, comme l’affirment son acte de mariage et son acte de décès, il serait donc assez vain de chercher une date précise, et il convient plutôt de se donner une période courant de début 1785 à fin 1787. Désigné ethniquement comme mulâtre (en règle générale, un père blanc et une mère noire (mais on ne saurait a priori négliger totalement l’hypothèse inverse d’une fille de colons ou de famille métropolitaine ayant eu une relation avec un esclave ou un noir affranchi), la mère est le plus souvent désignée par son seul prénom, les esclaves n’ayant pas accès à un patronyme. Pour ma part, je n’ai pas trouvé trace du baptême au Cap d’un petit Jean-Louis fils d’une Adélaïde durant la période considérée 11.

Incendie du Cap Français en juin 1793
Fig. 4 - Incendie du Cap Français en juin 1793.
Gravure de Duplessis-Bertaux. BNF.

Plusieurs hypothèses sont possibles pour rendre compte de cette absence de document déclaratif. Le père, et peut-être la mère elle-même par voie de conséquence, sont protestants rien d’impossible à cela, on sait que bien des familles de propriétaires, originaires de La Rochelle, de Nantes ou du Sud-Ouest de la France, sont d’origine réformée. Hypothèse qui renforcerait l’affirmation d’un recueil de l’enfant par des protestants de Montauban (cf. infra). Dans la biographie due à Vigeant, ce dernier met en scène l’enfant se déclarant de religion réformée, et racontant comment à huit ans il lisait la Bible dans la cave de ses bienfaiteurs montalbanais.

Autre hypothèse : une forme de « maquillage » des traces de la naissance, volonté délibérée d’en cacher les circonstances exactes en modifiant les noms (de la mère) et les dates (1785, 1787). Mensonges que l’on pourrait attribuer aux adultes qui l’ont recueilli et qui lui ont transmis un récit falsifié de son passé, pour des raisons telles que la volonté de cacher un scandale et de brouiller les pistes – mais aussi bien à Jean-Louis lui-même qui à tel ou tel moment de son existence, a pu vouloir se forger un passé et a manipulé les dates, éventuellement pour des raisons très pratiques liées à sa carrière militaire. Il reste le fait assez mystérieux de cette date de mars 1785 figurant sur la tombe de l’escrimeur, en contradiction avec ses propres déclarations assez constantes, sans que l’on sache qui a pu effectuer cette « rectification » et sur quelles bases.

Enfin, dernier point – et non le moins important – de cette naissance l’octroi du patronyme de Michel. Je l’ai dit, les mères noires sont le plus souvent dépourvues de patronyme, de même que les enfants qu’elles mettent au monde, sauf éventuellement lorsqu’elles sont d’anciennes esclaves affranchies : Adélaïde se serait-elle nommée Michel ? Sinon, qui a donné au petit Jean-Louis ce patronyme ? Il est peu vraisemblable que ce soit le nom du père : ce serait une reconnaissance officieuse de paternité. Celui de la mystérieuse famille montalbanaise ? Mais il n’est fait nulle part mention d’adoption. La question reste entière, et il est curieux que personne ne se la soit posée.

Le second grand événement de la vie de Jean-Louis est son immigration en métropole. Le départ de Saint-Domingue se serait produit à la suite du décès précoce de sa mère, en 1793 (8 ans après la naissance en 1785, si l’on se tient à la chronologie officieuse), mais l’on pourrait repousser cette date jusqu’en 1795 si l’on suit d’autres récits anglo-saxons. Toujours est-il qu’il s’agit d’une période particulièrement agitée de l’histoire de l’île, puisque les révoltes d’esclaves, les tensions très vives entre colons esclavagistes et républicains abolitionnistes, provoquent une suite ininterrompue de drames sanglants. Le Cap a été mis à feu et à sang en juin 1793, et c’est peut-être dans ce moment paroxystique que Jean-Louis a perdu sa mère. À partir de ces années 90, de nombreux colons, mais aussi des mulâtres, quittent l’île pour diverses directions Cuba, la Nouvelle-Orléans, et bien sûr la France. Il faut donc imaginer un enfant sang-mêlé, orphelin, pris en charge pour ce voyage vers la métropole : qui pouvait bien s’intéresser suffisamment à lui pour s’en encombrer dans cette conjoncture critique ? À quel cercle de solidarité un enfant dans sa situation a-t-il pu être rattaché ? Ici encore, la question reste entière.

Il est d’autant plus légitime de s’interroger sur les protecteurs ayant pris Jean-Louis en charge lors de son exil vers la France, que cette attention s’évanouit vite. Curieusement, les protestants de Montauban, s’ils existent, se débarrassent rapidement de lui, en l’expédiant en 1796 dans le dur apprentissage militaire des enfants de troupe, au sein de la 32e demi-brigade, ou 32e régiment d’infanterie de ligne, qui sera sa véritable famille durant les guerres du Consulat et de l’Empire. Il serait alors âgé de 9 ou 11 ans, selon la date de naissance retenue.

Sur ce que l’on sait de cette institution militaire pendant la période révolutionnaire, le système a été réformé en juillet 1800, mais il permet de se donner une idée des conditions de vie des enfants au temps de Jean-Louis. Après une période d’apprentissage (lecture, écriture, arithmétique, musique, natation, « catéchisme militaire », etc.), l’enfant est intégré dans le rang à partir de 14 ans comme fifre, puis, à 16 ans comme tambour. Les états de Service de Jean-Louis confirment ces étapes de sa carrière militaire. Il figure comme tambour le 1er floréal An VIII (soit le 21 avril 1800 : il a probablement 15 ans), puis gravira les grades jusqu’à celui de tambour-major le 1er octobre 1812, toujours au sein du 32e de ligne. Ces grades recouvrent en fait des fonctions qui, pour être bien reconnues au sein de l’armée, n’étaient pas officialisées comme telles, celles de prévôt puis de maître d’armes. Il est probable que le grade de tambour-major désigne en fait son accession en 1812 aux fonctions de maître d’armes du régiment. L’apprentissage de l’escrime par le tout jeune Jean-Louis aurait été initié par le maître belge d’Erape, sur lequel je n’ai pu trouver aucun renseignement.

De ce qu’il est possible de reconstituer des garnisons de ce 32e régiment, on peut penser que Jean-Louis fit son apprentissage d’enfant de troupe au dépôt de Toulon, d’où il aurait embarqué pour l’Egypte en 1798. Puis, il a enchaîné les campagnes du Consulat et de l’Empire, avec un séjour particulièrement long en Espagne.

C’est d’ailleurs en Espagne que se situe l’épisode le plus célèbre de l’histoire de Jean-Louis, un duel collectif qui fit sa gloire d’escrimeur, et qui reste, sous de nombreuses variantes, le cœur des récits biographiques disponibles encore aujourd’hui en France comme à l’étranger. En voici une version synthétique : « Alors que la 3e division de l’armée de l’Empereur Napoléon Ier arrive à Madrid, une querelle de soldats éclate entre le 32e de ligne et le 1er régiment composé d’Italiens. Afin d’arrêter la tuerie, le conseil de guerre décide que les maîtres et les prévôts des deux régiments assumeront la responsabilité de la querelle. Quinze tireurs sont désignés de chaque côté pour se battre en duel. Devant dix mille témoins, Jean-Louis Michel, maître du 32e régiment et Giacomo Ferrari, maître florentin renommé, commencent. Ferrari est blessé à mort. Le second adversaire également. En quarante minutes et treize combats, Jean-Louis Michel donne vingt-sept coups d’épée dont trois mortels. L’honneur des régiments étant lavé, la camaraderie put reprendre ses droits dans les rangs de cette armée composée de soldats de différentes nationalités, au gré des conquêtes. »

Dans mon article publié sur Internet, j’ai longuement analysé les circonstances de cette rencontre, et conclu à la faible probabilité qu’elle ait pu se dérouler selon le récit qu’en ont fait Faulquemont et Vigeant. Ni les dates proposées, ni le lieu (Madrid), ni les modalités du duel, ni la présence simultanée des deux régiments ne me semblent vraisemblables. Pour autant, on ne peut conclure trop rapidement à l’invention pure et simple. On sait que la pratique des duels dans la Grande Armée et durant toutes les campagnes napoléoniennes a été endémique, malgré les réticences de l’Empereur. Il est donc possible que Jean-Louis ait été, dans d’autres circonstances, engagé dans un de ces combats entre unités rivales. La question de la réalité d’un événement de ce type reste posée tant que de nouveaux documents ne permettront pas de trancher.

Mais l’existence même de ce récit est un problème de type historiographique, en ce qu’il pose la question de sa fonction dans l’histoire de l’escrime. Le duel de Madrid fait figure de « scène fondatrice » qui signe la seconde naissance de Jean-Louis, son accès à la pleine reconnaissance sociale. La réputation qu’il acquiert avec la mort de trois escrimeurs italiens, dont le maître Ferrari, le fait entrer dans le cercle étroit des plus illustres duellistes. C’est la légende qui se forge ce jour-là, et Vigeant use consciemment du ton épique en rapprochant ce duel collectif du fameux « combat des Trente » entre chevaliers bretons et anglais, au mitan du XIVe siècle : ce sont d’autres chevaliers, des temps modernes, qui s’affrontent à leur tour. Il est donc normal de soumettre le mythe à la question de l’histoire, et de s’interroger sur le rôle que souhaite lui voir jouer son promoteur. J’y reviendrai.

Après Waterloo, Jean-Louis continua de servir dans l’armée de Louis XVIII, qui le décora de la Légion d’Honneur. Mais il passa de l’infanterie au 3e régiment du génie, avec son grade de tambour-major et ses fonctions de maître d’armes. Ce régiment reformé à Montpellier en 1816, où il occupait la Citadelle, stationnait par périodes alternativement à Montpellier, Anas et Metz, durant les quelques 15 années de service de Jean-Louis. Celui-ci eut donc l’occasion de connaître et d’apprécier la capitale héraultaise, et choisit de s’y installer définitivement lorsqu’il prit sa retraite en 1829.

L'imagerie populaire s'est emparée de ce duel fameux avec les escrimeurs italiens
Fig. 5 - L'imagerie populaire s'est emparée de ce duel fameux avec les escrimeurs italiens.
Le Pèlerin n°951 de 1895. Droits réservés.

Jean-Louis à Montpellier

Il n’est pas impossible que dès son premier séjour montpelliérain, en 1816, Jean-Louis ait obtenu des autorités militaires l’autorisation d’ouvrir une salle en ville. La situation n’était pas exceptionnelle, et Vigeant affirme qu’il fit de même dans les années 20 quand le 3e génie stationna à Metz. Toujours est-il qu’il choisit Montpellier pour y prendre sa retraite. Il avait donc alors passé plus de trente ans sous les armes, mais âgé seulement de 42 ou 44 ans, se trouvait tout à fait en mesure de faire fructifier son talent d’escrimeur. Il ouvrit donc une salle d’armes civile – très probablement la seule dans la ville à ce moment là – qu’il aménagea dans une maison apparemment de dimensions modestes, mais très bien située, au débouché de l’actuelle rue de la Loge sur la place de la Comédie. Les aménagements de la place tout au long du XIXe siècle ont fait disparaître cet immeuble, mais une photographie du début des années 1840 montrant la façade de la salle d’armes en donne une idée précise 12.

La salle de Jean-Louis devant les Trois Grâces. La photographie a été prise au début des années 1840
Fig. 6 - La salle de Jean-Louis devant les Trois Grâces. La photographie a été prise au début des années 1840. Collection Roland Jolivet, avec son autorisation.

Avec le succès, la salle se révéla certainement trop exiguë et Jean-Louis déménagea en 1837 dans une maison située 11 faubourg de Lattes, l’actuelle rue de Verdun, et dont il se porta acquéreur pour la somme de 15 000 francs. En quelque sorte, Jean-Louis traversa la place de la Comédie et s’installa à proximité immédiate du centre, mais dans ce qui est encore un faubourg hors les murs où l’espace est moins rare. Sur la photo déjà citée, on voit distinctement que la façade de la première salle est occupée par un vaste panneau publicitaire, qui annonce le changement d’adresse, et dirige les clients éventuels « en face », de l’autre côté de la place.

Cette demeure est connue de façon détaillée par l’inventaire après décès opéré en novembre 1865. Rien de somptueux, mais une petite aisance, qui permet à l’étage de loger la famille : salle à manger, cuisine, chambre avec pièce d’entrepôt du linge, salon donnant sur la rue.

Le rez-de-chaussée est réservé à l’activité professionnelle. « Salle d’armes éclairée par une fenêtre donnant sur le jardin : 6 tableaux représentant des batailles d’Alexandre (valeur : 24 Frs), 12 petits cadres, une pendule tableau, 4 bancs, 14 chaises, 3 grandes épées (24 Frs), 2 tables, 14 pistolets (35 Frs), 2 carabines (5 Frs), 10 grands rideaux, 12 demi-rideaux, un paquet de garnitures de rideaux à franges ».

Côté rue, un vestiaire et un salon. « Vestiaire : un trumeau, une grande armoire en bois blanc, 52 cabines en bois blanc, 2 caisses ou malles en mauvais état, 4 tabourets, une table avec dessus en marbre, une petite échelle ».

« Salon avec fenêtre sur la rue: une glace à deux corps, une table à console, un plateau contenant pot à lait, théière, cafetière, 2 bols, 5 tasses, 2 verres, une petite table à ouvrage, 7 chaises, une petite table, une petite balance avec ses poids, un secrétaire en acajou avec dessus de marbre, 2 tasses et 2 vases en porcelaine dorée, une petite boite recouverte de coquillages, 6 gravures ou lithographies, une bibliothèque vitrée en bois blanc, contenant la collection du Voyage moderne de La Harpe, en 25 volumes, Lettre sur l’éducation de Guizot en 2 volumes, 80 volumes environ, sur les voyages, l’histoire et la médecine ».

À l’arrière, la maison ouvre sur un jardin, à la fois espace de loisir et aussi, probablement, professionnel, où l’on imagine l’apprentissage du tir au pistolet.

Cette description correspond à peu près au plan qui est publié par Vigeant dans son livre. J’ignore où il se l’est procuré, s’il s’agit d’une reconstitution d’après des témoignages d’habitués ou de visiteurs de la salle du temps de Jean-Louis, ou si le plan traduit fidèlement l’état des locaux, au moment de la rédaction du livre : en 1883. La maison avait alors perdu sa fonction de salle d’armes, mais il semble bien que l’héritière ait conservé l’agencement initial, encore visible au début du XXe siècle.

Tel est l’univers de Jean-Louis pendant les 30 dernières années de son existence, qui permet d’imaginer les conditions matérielles de son enseignement, mais aussi le cadre de sa vie intellectuelle ou de ses centres d’intérêt, au travers de sa bibliothèque. À ce propos, celle-ci est vide d’ouvrages sur l’escrime, pourtant si nombreux depuis le XVIIIe siècle, aucun de ses contemporains si prolixes en traités et considérations de toutes sortes ne figure sur les rayons une certaine forme de solitude peut-être au sein de la profession, ou simplement l’assurance qu’il possédait en lui-même tout ce dont il avait besoin pour enseigner et transmettre l’art des armes. À noter aussi l’absence de fleurets d’étude. Peut-être Jean-Louis avant de mourir les avait-il donnés à son prévôt ?

Dans les toutes dernières années de sa vie, Jean-Louis devint quasiment aveugle, malgré une double opération de la cataracte. « Il n’en continua pas moins à donner la leçon ; le sentiment du fer seul lui suffisait : il savait, à la façon dont on avait quitté son épée pour l’exécution d’un mouvement, si ce mouvement était bien ou mal fait, et la place où il était touché sur le plastron lui indiquait également la faute commise » 13.

Un autre témoignage d’un élève de ses dernières années fait état d’un Jean-Louis imposant ses exercices (ses gammes, disait-il) aux élèves, coiffé de son haut de forme et passant un plastron par-dessus la redingote dont il ne se séparait Jamais 14.

Il n’est pas sans intérêt de compléter le tableau de la vie montpelliéraine de Jean-Louis en évoquant sa famille, qui participe de la légende forgée par Vigeant. Ce dernier passe rapidement sur une situation familiale paisible et sans histoire, se contentant d’une allusion à son épouse espagnole : dans les années 1840, il « avait uni son sort à celui d’une femme excellente et dévouée ». Par contre, il s’attarde longuement sur sa fille, à qui il confère une certaine célébrité sous le nom de « Mademoiselle Jean-Louis » en lui consacrant tout un chapitre.

La salle de Jean-Louis faubourg de Lattes
Fig. 7 - La salle de Jean-Louis faubourg de Lattes. Figure dans l'ouvrage d'Arsène Vigeant : Un maître d'armes sous la Restauration. BM Montpellier.

Cette jeune fille, « brune, la taille élancée et un teint de créole » avait tiré profit des leçons paternelles, au point de se mesurer avec succès à nombre de tireurs confirmés, qui regrettaient, mais trop tard, d’avoir sous-estimé ses talents d’escrimeuse. En décrivant quelques assauts, aussi bien à Montpellier qu’à Metz, où elle se produisit sous la houlette de son père, Vigeant fit entrer « Mademoiselle Jean-Louis » dans le panthéon des femmes escrimeuses, à la suite de Mademoiselle de Maupin, de la chevalière d’Éon et de quelques autres personnalités excentriques. Il renforçait du même coup la réputation de professeur de son père, capable de conduire à l’excellence même des femmes. Cependant, « Quelques années plus tard, Mademoiselle Jean-Louis renonçait pour toujours à son fleuret, et épousait un médecin distingué, qui avait su apprécier les qualités de son cœur et de son esprit : le docteur Veillard de Toulouse. Cette union fut malheureusement de courte durée ; la jeune femme mourut sans même laisser à son mari désolé la consolation d’un enfant. »

Les recherches sur la famille de Jean-Louis, dont le détail figure dans l’étude déjà citée et consultable sur le site Internet, m’ont permis de reconstituer un écheveau familial beaucoup plus complexe que ne le laisse entendre Vigeant. Celui-ci donne l’impression de vouloir, par souci de respectabilité, masquer un « secret de famille » dont il a eu vent par des confidences de témoins, mais qu’il ne convient pas de porter sur la place publique. Sa « Mademoiselle Jean-Louis » sans prénom ni patronyme (pourquoi ne s’appelle-t-elle pas Mademoiselle Michel ?) est un personnage dépourvu d’identité précise et sans passé.

Les hypothèses familiales que je me contente de résumer ici permettent de buriner un portrait de Jean-Louis beaucoup moins lisse que l’image qu’en veut donner Vigeant.

L’étude des documents disponibles aux Archives départementales permet de mettre en évidence plusieurs points curieux de la vie familiale de Jean-Louis.

De la même façon que la plus grande incertitude règne sur les conditions de sa naissance et sur son âge réel, Jean-Louis a cultivé une certaine dissimulation sur son état matrimonial. Son mariage avec l’Espagnole Josefa Montés, originaire de la région de Salamanque où elle est née en 1792, date de 1853 et a été enregistré à la mairie de Montpellier. Les deux époux sont donc sexagénaires. Mais ils vivent en concubinage depuis les années 30, ce qui n’empêche pas Josefa d’être déclarée épouse légitime au recensement de 1836, tout comme à celui de 1851, qui la signale en outre « française d’origine » et propriétaire (de quoi ?).

Ce même désir de cacher une situation irrégulière semble bien être aussi à l’origine des déclarations concernant sa fille. Au même recensement de 1851, au couple Michel s’adjoint une Louise Joséphine, âgée de 23 ans, « vivant des revenus de ses parents » – sans autre précision. La déclaration enregistrée par l’agent de recensement est suffisamment ambiguë, puisqu’elle n’affirme pas explicitement que ces parents soient les Michel eux-mêmes. Mais en mai 1852, est déclarée en mairie de Montpellier la naissance de la petite Stéphanie Raffeneau-Delile 15, présentée comme fille de Charles Raffeneau Delile, né en 1825, peintre de profession, et de son épouse Geneviève Louise Cruchant, sans profession, âgée de 23 ans. La déclaration à l’état-civil est faite par Victor Cuminal, agent comptable au théâtre, et par François Joseph Kachler, 39 ans, professeur d’escrime, prévôt de Jean-Louis et logé par son patron. C’est qu’en effet l’enfant est déclarée née « dans la maison Jean-Louis, faubourg de Lattes ». Nous apprenons par ailleurs que Geneviève Louise Cruchant est « née à Nancy le 23 décembre 1827, fille naturelle de père inconnu et de feu Marguerite Cruchant, sans profession, épouse d’André Vincent, journalier à Nancy, et décédée à Nancy en octobre 1851 ». Voici donc une jeune Lorraine, née de père inconnu, qui se retrouve à Montpellier chez Jean-Louis. Sa mère est probablement d’un milieu très modeste (mariée par la suite avec un ouvrier journalier), mais ces humbles origines ne l’empêchent pas de faire ce qu’il est convenu d’appeler « un beau mariage » avec un fils de notable. En effet, Charles Raffeneau Delile est le fils d’Alire Raffeneau Delile appartenant à une famille de la bourgeoisie versaillaise, mais personnalité importante de la vie montpelliéraine, décédé en 1850. Il s’agit d’un botaniste professeur de la Faculté de Médecine, et qui fut directeur du Jardin des plantes. Il participa surtout à l’expédition d’Egypte de Bonaparte, parmi les scientifiques chargés d’explorer les richesses du pays. Jean-Louis et Alire Raffeneau firent-ils connaissance au pied des pyramides, ou plus probablement, se rencontrant à Montpellier, se découvrirent-ils ce passé commun qui les rapprocha ? Et comment cette amitié entrevue, socialement prestigieuse pour Jean-Louis, déboucha-t-elle sur un mariage entre le fils du notable et une jeune femme qui accoucha au domicile du professeur d’escrime ?

En suivant la piste de cette Louise Geneviève Cruchant, nous découvrons qu’elle perd son époux Charles dès 1854, qui la laisse seule avec sa fille. Puis que quatre ans après ce décès prématuré, la jeune femme se remarie avec un étudiant en médecine, François Dominique Roch Pascal Villar, âgé de 22 ans, né en 1836 dans le village héraultais de Montpeyroux d’une famille de propriétaires, et domicilié à Montpellier. La mariée a huit ans de plus que son nouvel époux. Parmi les témoins du mariage, trois jeunes gens de la ville, et Jean-Louis Michel « professeur d’escrime, 75 ans » 16. Par la suite, le couple s’installe à Toulouse, où le docteur Villar exerce sa profession. Enfin, dernier renseignement intéressant, en 1865, dans son testament, Jean-Louis institue la jeune Stéphanie Raffeneau Delile comme sa co-légataire universelle 17.

Pour conclure sur ce chapitre familial, les indices rassemblés plaident évidemment pour l’existence d’une « Mademoiselle Jean-Louis » qui ne serait autre que Geneviève Louise Cruchant, épouse en secondes noces d’un docteur Villar de Toulouse ressemblant fortement au docteur Veillard évoqué par Vigeant 18. Mademoiselle Jean-Louis ne serait donc pas la fille de Josefa Montes, mais le fruit d’une liaison à Nancy ou à Metz, lors du séjour lorrain de Jean-Louis. Ce dernier aurait récupéré sa fille à l’adolescence (peut-être lors du mariage de sa mère Marguerite) et l’aurait intégrée à la cellule familiale en répétant les dissimulations et les approximations déjà pratiquées pour Josefa ou pour sa propre naissance. La déclaration au recensement de 1851 d’une « Louise Joséphine » peut jouer sur la paronymie avec la véritable « Louise Geneviève ». La jeune fille peut donc avoir été initiée à l’escrime dès son arrivée à Montpellier, et s’être fait remarquer par le fils Raffeneau Delile, mis dans la confidence de sa véritable origine. Ajoutons, pour clore le chapitre familial, une remarque due au journaliste Gaston Renard dans le journal parisien Les Armes du 1er mai 1907 qui brosse un portrait du maître « … la sénilité ne lui fut point clémente. Après la perte de sa femme, il dut se séparer de la seule affection qui lui restait, sa fille. Il avait fait d’elle une escrimeuse habile, tirant également le pistolet à la perfection. Elle ne se maria point, paraît-il, comme il l’aurait voulu. » Il s’agit certainement du second mariage de Geneviève, avec le docteur Villar. Les réticences de Jean-Louis à l’égard du jeune médecin expliqueraient qu’il ait testé en faveur de sa petite-fille Stéphanie Raffeneau Delile, et qu’il ait pris soin de protéger celle-ci en l’entourant d’un conseil de tutelle qui la mettait à l’abri de son beau-père.

Nous n’en savons guère plus sur Jean-Louis, qui ne nous a laissé aucuns documents familiaux, et qui semble s’être ingénié à brouiller les pistes pour protéger une existence tourmentée. Jean-Louis mourut en novembre 1865, un an après son épouse. Ses obsèques furent suivies par plusieurs personnalités, amis ou familiers de la salle d’armes, et donnèrent lieu à une allocution prononcée par le propriétaire de l’hôtel Nevet, ancien soldat de l’Empire et président de l’association héraultaise des médaillés de Sainte-Hélène 19.

La tombe de Jean-Louis au cimetière Saint-Lazare
Fig. 8 - La tombe de Jean-Louis au cimetière Saint-Lazare. Collection de l'auteur.

Une carrière de professeur

Dès la fin de l’Empire, Jean-Louis obtient une reconnaissance de ses pairs pour une carrière de professeur, indépendamment de ses fonctions dans l’armée.

Certificat de Mérite, décerné à Jean-Louis en 1815, à la suite de plusieurs assauts publics
Fig. 9 - Certificat de Mérite, décerné à Jean-Louis en 1815, à la suite de plusieurs assauts publics.
Document photographique
publié dans L'épée du 5 octobre 1907. BNF.

C’est ainsi qu’il se voit décerner, en date du 19 janvier 1815, un Certificat de mérite, signé de plusieurs maîtres d’armes célèbres, au premier rang desquels Justin Lafaugère et Gomard père. La période est celle de la première Restauration, durant laquelle Jean-Louis est probablement démobilisé et libre de son temps. Il peut donc se faire remarquer dans des assauts publics au cours desquels les escrimeurs tuent le temps tout en cherchant un emploi. Il a donc rencontré « les meilleurs tireurs de la Capitale, en présence de tous les connaisseurs ». Et le certificat ajoute que « sa manière étant bonne et agréable, (il) ne peut faire que de très bons élèves ». Quelle autorité professionnelle ou morale représente le groupe de signataires ? Je ne sais, mais il peut s’agir d’une tentative de reconstituer l’Académie d’armes d’Ancien Régime, dissoute en 1791 avec tout le système des corporations, et que le rétablissement de la Monarchie a pu encourager 20.

À la même époque, en 1816, et si Vigeant ne brode pas sur la réalité, il aurait été appelé de Montpellier pour présider le jury d’un duel fameux entre Justin Lafaugère et le comte de Bondy, haute personnalité de l’État et escrimeur de grand renom. La rencontre a souvent été racontée, et a donné lieu à une illustration de Frédéric Regamey 21. À la requête de Vigeant, celui-ci a imaginé une scène parfaitement anachronique qui réunit dans l’assistance la crème des escrimeurs du XIXe siècle tout entier. Jean-Louis fait ainsi figure de personnalité centrale, le pôle autour de qui tout s’ordonne.

Sa renommée semble donc bien déjà établie, malgré son éloignement de la scène parisienne. Sa carrière entièrement provinciale n’a manifestement pas nui à son prestige, et il faut imaginer une activité de professeur qui attire dans la capitale héraultaise des élèves venus de partout, y compris de l’étranger, et probablement aussi quelques déplacements lors d’invitations à des fêtes et réunions militaires.

En définitive, l’influence de Jean-Louis se mesure au nombre et à la qualité des maîtres d’armes qu’il a, sinon entièrement formés, du moins perfectionnés en les recevant « en stage ».

Vigeant, dans son Almanach de l’Escrime, met en scène un maître d’armes de Metz : « Payen, c’était le nom du nouveau maître d’armes, homme de quarante ans, à figure froide, œil expressif, parlant peu, ne riant guère, avait été prévôt de Jean-Louis ; et ce n’était certes pas un fruit sec de cette école (Quelle que fût l’arme, les régiments dépourvus de maître d’escrime s’adressaient généralement à Jean-Louis qui, de Montpellier, leur envoyait un de ses élèves ou guidait leur choix). » 22

Autre exemple, cité par Henry de Goudourville dans ses Escrimeurs contemporains23, concernant Pierre Laizé. Né à Laval en 1828, et incorporé au 3e Génie de Metz en 1850, il participe l’année suivante à un assaut donné en l’honneur de Jean-Louis, auquel participe la fille de celui-ci. « En 1852, Laizé obtint d’aller à Montpellier suivre les cours de Jean- Louis dont la réputation était universelle. »

Selon le grand connaisseur qu’était Adolphe Tavernier 24, dans la liste qu’il dresse des principaux maîtres d’armes installés à Paris à la fin du siècle, plusieurs avaient été des élèves de Jean-Louis, et il cite Mimiague, Ruzé et Collin, qui furent tous maîtres de régiments avant d’ouvrir leur salle dans la Capitale où ils formèrent d’innombrables élèves de qualité. Ajoutons-y le père d’Arsène Vigeant, ainsi que Haller et Louis Verdet. D’autres encore furent de ses disciples, comme Bonnet, qui fut en poste à la cour de Napoléon III, tandis qu’un autre prévôt du 3e Génie de Montpellier, Emmanuel Broutin, fit carrière à la Cour de Madrid dans les années l860 25. Ces maîtres militaires, leur temps de service accompli, ouvraient des salles pour leur propre compte, et s’attiraient la clientèle de la « classe de loisir », aristocrates et grands bourgeois rentiers, adeptes d’un style de vie raffiné hérité de l’Ancien Régime.

Gravure d'après une aquarelle de Frédéric Regamey (1886)
Fig. 10 - Gravure d'après une aquarelle de Frédéric Regamey (1886). Jean-Louis préside le jury du duel entre Justin Lafaugère (à droite) et le Comte de Bondy.

Quant à l’influence internationale de Jean-Louis, il faudrait d’autres documents que ceux dont je dispose pour l’apprécier justement. Il est certain que des étrangers sont venus prendre la leçon à Montpellier, nous allons le voir. Mais le seul élément tangible est son diplôme de maître d’armes espagnol, auquel il tenait certainement, puisque mention en est faite dans l’épitaphe qui figure sur sa tombe :

Diplôme de Maître d'Armes espagnol délivré par le Grand Maître Faustino de Zea
Fig. 11 - Diplôme de Maître d'Armes espagnol délivré par le Grand Maître Faustino de Zea.
Document photographique publié dans
L'épée du 5 octobre 1907. BNF.

Titré de l’examinateur de la dextérité
philosophique et mathématique des armes
de tous les royaumes et seigneuries d’Espagne

Ce libellé assez surprenant fait référence à un diplôme qui lui a été décerné en 1837 par Don Faustino de Zea, Maestre mayor du « Cuerpo de Tenientes examinadores de la destreza de las armas », sorte d’ordre de chevalerie médiéval des maîtres d’armes espagnols, devenu à l’époque moderne l’équivalent de l’Académie d’armes française, une corporation de métier. Le document, qui est contresigné par l’ambassadeur de France à Madrid, agrège Jean-Louis à ce corps des maîtres espagnols est-ce un titre honorifique, ou un certificat l’autorisant à exercer en Espagne, et Jean-Louis a-t-il assisté à la remise de ce diplôme ? L’état du document ne permet guère d’en savoir davantage, mais il suffit de toutes façons à confirmer que le Français jouissait d’une réputation de professeur, très certainement indépendante de son séjour durant la guerre entre 1809 et 1814.

À Montpellier même, il est difficile de reconstituer la clientèle de Jean-Louis. Certainement un grand brassage de prévôts de régiments venant se perfectionner, d’amateurs fortunés de tous horizons s’offrant un séjour provincial, le temps d’affiner leur style et de se frotter au fleuret de l’illustre professeur, et à coup sûr toute une population locale, faite d’étudiants, de bourgeois, d’avocats et publicistes divers, attirés pour différents motifs.

Le seul document que j’ai pu retrouver à ce jour sur les élèves de Jean-Louis figure à l’inventaire dressé après son décès. Il est donc tardif, et n’éclaire que la toute dernière période de son enseignement, dans des circonstances où la quasi cécité lui avait fait probablement perdre certaines de ses capacités et peut-être éloigné une partie de son public. Il s’agit d’un registre tenu par Jean-Louis lui-même sur lequel il portait les sommes dues par ses élèves ; cotisations en retard, frais divers habituels dans ce genre d’établissement. Il ne s’agit donc pas d’un état exhaustif des amateurs inscrits dans la salle, mais on peut penser que les retards de cotisation devaient être assez courants et concerner beaucoup d’habitués. La liste de plus de 60 noms est suffisamment conséquente pour donner tout de même une idée assez juste de la clientèle de la salle Jean-Louis au milieu des années 1860. Il n’est évidemment pas simple de situer précisément tous ces noms, mais ils suggèrent une certaine diversité de pratiquants, depuis les champions d’escrime jusqu’aux relations de voisinage en passant par toutes sortes de notables.

Dans la catégorie des amateurs de haut rang, figurent les frères Franck et Louis de Saint-Étienne, que Vigeant a fait connaître : « Trois élèves surtout furent les favoris de Jean-Louis, ses élèves de prédilection… MM de Saint-Étienne, deux frères, amateurs dont le talent fit, il y a vingt ans, sensation à Paris ». Franck de Saint-Étienne figure d’ailleurs, à l’initiative de ce même Vigeant sur la célèbre illustration de Regamey déjà citée : « …parmi les anciens amateurs… Franck de Saint-Étienne, le Benjamin de Jean- Louis, et de tous les amateurs figurant dans cette galerie, le plus parfait peut-être… » 26.

Probablement dans ce groupe des amateurs passionnés (sinon nécessairement talentueux) doivent aussi figurer quelques étrangers, dont la présence à Montpellier résulterait de leur vif désir de se perfectionner: le Britannique Campbell, le prince Dolgorowski, de la plus haute aristocratie russe, dont la mère tint salon à Paris, ou encore un certain Carlos Kobrog 27. D’autres amateurs, français, ne semblent pas avoir d’attache dans la région, et auraient donc séjourné à Montpellier dans le but de recevoir la leçon du Maître : ainsi de ce Lucien de Bayalos, Parisien issu d’une famille d’artistes.

Un autre groupe, important numériquement, est constitué de notables locaux appartenant à des familles de la bourgeoisie négociante ou bancaire, ou de propriétaires et aristocrates rentiers. Certains sont protestants, comme plusieurs membres de la famille Bazille (le peintre Frédéric et son frère cadet Marc, ainsi que leur grand-père Ernest), Eugène et Edmond Castelnau, Louis Tissié, Roger Leenhardt, Alphonse et Frédéric Bros de Puechredon, ou encore Jules Pagézy, le maire de la ville. Mais à côté d’eux se trouvent l’entrepreneur Rodolphe Faulquier, Henri Marès, Auguste Bimar. Dans l’aristocratie, ancienne ou récente, René de Forton, futur leader royaliste et fondateur du journal L’Éclair, Charles Despous de Paul, Liron d’Airolles, de Vasselot, Joseph de Rascas, le baron Tisson ou le vicomte de Pegueiroles.

Dans les classes intellectuelles, les docteurs Bourrely, Richard Gordon, bibliothécaire à la Faculté de Médecine, ou Louis Surdun, l’avocat Paul Castan. Certains sont encore étudiants, tels Charles Guynet, futur médecin et maire de Barjac dans le Gard, Louis Grasset, futur avocat et historien sous le nom de Grasset-Morel, ou encore Michel Vernière futur maire de la ville à la Belle Époque.

Il n’est pas toujours facile d’identifier les personnes figurant sur cette liste parfois sous le seul patronyme. Ainsi d’Auguste Broussonet, possible membre de la famille du grand médecin, ou Flaissier, peut-être orfèvre, ou encore Frat, éventuel médecin.

Certains ont des liens personnels avec Jean-Louis : Charles Rédarès est peut-être un proche voisin, et François Sibour, rentier à Nîmes, a été sollicité par le Maître pour être son exécuteur testamentaire quant au notaire Félix Chivaud, il officia pour le mariage de la fille de Jean-Louis 28. Dans ces cas, on ne sait ce qui, de l’amitié ou du goût pour l’escrime, a conduit ces personnes à fréquenter la salle.

Reste qu’une majorité d’adhérents de la salle sont inconnus, ce qui doit relativiser l’image d’un public élitiste les amateurs d’escrime sont peut-être socialement plus hétérogènes qu’il ne pourrait y paraître, en fonction de motivations elles-mêmes diverses d’ailleurs ces motivations ne sont certainement pas identiques chez de jeunes étudiants et pour des adultes rassis (certains sont sexagénaires).

On peut aussi s’interroger sur les absences, tout autant que sur les présents. L’absence de militaires répertoriés comme tels, tout d’abord 29. Mais aussi la sous représentation de l’aristocratie montpelliéraine, qu’il s’agisse de noblesse d’épée ou de familles de robe d’Ancien Régime. Relative absence qui est peut-être le pendant de la forte visibilité de la bourgeoisie protestante. Les premières sont-elles réfugiées dans les Cercles ? Ou le personnage de Jean-Louis, ancien soldat des guerres napoléoniennes, est-il mal perçu par la frange la plus traditionnelle de l’élite locale ?

Après Jean-Louis : un panorama local

Au moment de sa mort, sous le Second Empire finissant, la pratique de l’escrime semblait bien être dans une phase de relatif déclin, tant sur son versant académique, que dans la pratique des duels. C’est la IIIe République qui relança l’un et l’autre, les belles armes redevenant à la mode avec la multiplication des Cercles élitistes, et le parlementarisme donnant aux politiciens et journalistes l’occasion de duels de plus en plus fréquents.

Il se peut donc qu’en 1865, la salle de Jean-Louis ait été le seul lieu à Montpellier (en dehors des casernes) où pouvait se pratiquer sérieusement le maniement du fleuret ou de l’épée.

Mais le panorama local se diversifia considérablement dans les trente premières années de la République, avec l’apparition de salles plus ou moins spécialisées, qui offraient aux amateurs la possibilité de s’initier au fleuret ou à l’épée avec des objectifs très divers.

Avant d’analyser la postérité de Jean-Louis, faisons un détour par des usages certainement très différents de l’escrime, tels que les proposaient les salles montpelliéraines. Pour nous aider à ordonner ce tableau foisonnant, quelques lignes dues au Commandant Derué, qui fut directeur de l’École militaire de Joinville, suggèrent trois pôles distincts repérables : « Dans le civil, alors, il y eut trois écoles : l’école du beau, l’école romantique ou du coup touché, et l’école de l’escrime-gymnastique. »

Délaissons momentanément la première, et intéressons-nous aux deux suivantes. Ce que Derué dénomme "école romantique", et qui voit le jour dès les années de la Restauration, correspond pour une large part à un usage duelliste de l’épée. Le mot d’ordre en est : « Qui touche a raison », laissant ainsi entendre que l’efficacité de l’assaut prime sur la manière. Cette escrime utilitariste s’embarrasse peu des conventions classiques qui régissent le fleuret académique, et recherche avant tout à toucher le premier. En cela, il me semble qu’elle trouve son prolongement dans ce que la fin du XIXe siècle appellera "l’escrime pratique", telle que développée par des maîtres d’armes de renom, comme Ambroise Baudry ou Jules Jacob, qui est professeur à l’École d’escrime française, et l’un des principaux responsables de l’académie d’Armes.

Les promoteurs de l’escrime pratique se vantent de pouvoir enseigner en quelques courtes heures, ou même en une seule séance, les rudiments indispensables pour se tirer des pièges d’un duel inopiné : comment ne pas se faire tuer quand on doit tenir une épée pour la première fois de sa vie devant un adversaire peut-être mieux aguerri ? Très réputé pour savoir dégrossir des ignorants en vue d’un duel, Jules Jacob s’est spécialisé dans la leçon d’épée : « Cette fameuse leçon d’épée a valu à Jacob beaucoup d’ennemis ; nombre de professeurs et d’amateurs lui reprochent d’avoir préparé la décadence de la véritable escrime en incitant nombre de gens à substituer à l’étude patiente et artistique du fleuret l’improvisation rapide et pratique de l’épée. De plus, ajoutent les détracteurs de Jacob, cette leçon d’épée a fait dégénérer le duel en rencontres pour rire ; une fois sur le terrain, les combattants, au lieu de se viser carrément à la poitrine, comme jadis, essayent tout bonnement de se piquer la main, la "partie qui avance le plus". » 30. Mais les tenants de l’escrime pratique argumentent : « Il n’y a pas deux sortes d’escrime, mais il y a deux façons de la pratiquer. Le fleuret, où un coup dans le bas-ventre ne compte pas, est une convention ; l’épée où un coup dans le bas-ventre vous tue roide, est une réalité. Donc, il importe de ne pas manier le fleuret et l’épée de la même manière. Dans la leçon d’épée de Jacob, les coups sont identiquement ceux qui se font dans la salle d’armes, avec cette différence capitale que les attaques ne visent jamais le corps, mais la partie la plus avancée que présente l’adversaire, la tête, la cuisse ou la main. L’attaqueur, respectueux avant tout des distances à observer, ne doit jamais exposer sa poitrine… »

Même si cette escrime pratique, assez élémentaire, est théorisée par des maîtres de renom et incontestablement experts en armes, elle donne certainement lieu à des enseignements beaucoup plus frustes qui servent à dégrossir des candidats au maniement de l’épée peu enclins à un long et difficile apprentissage. Dans ce cas, les professeurs sont plus probablement d’anciens prévôts de régiments, qui offrent à leur clientèle une palette d’activités, à base de gymnastique et de culture physique. S’opère ainsi un rapprochement de fait entre leçons d’initiation pratique à l’escrime et cours de gymnastique.

L’offre commerciale, telle qu’on peut l’entrevoir dans les Annuaires du département, se manifeste ainsi avec des salles à vocation multiple. En 1872 par exemple, l’Annuaire de l’Hérault mentionne Bernard Binquet, installé rue Barthès ; Simon Binquet, professeur d’escrime, qui tient un gymnase 4 boulevard de l’Hôpital ; ou Laplanche, gymnase et escrime, 3 rue St Pierre.

Ces noms se retrouvent plus ou moins sur les vingt ans qui suivent, parfois changeant d’adresse, parfois cédant leur salle à de nouveaux venus. Ils ne sont plus que trois en 1884, mais cinq en 1892 : Bernard Binquet est passé rue de Candolle, Laplanche partage sa salle avec C. Maurel, mais rue Clos-René, et Verneret est installé 8 rue du Jeu de ballon.

Une autre forme d’initiation à l’escrime mariée à la culture physique se trouve au lycée, qui ouvre des cours pour les élèves. Dès 1872, le maître Gombaud, professeur d’escrime au lycée, a sa salle 6 rue du Manège. Lui succéderont par la suite Louis Favery, autre maître d’armes de régiment retraité, ou encore Adolphe Laune, rue Constance de Cézelli : Ils interviennent aussi dans l’établissement comme professeurs de gymnastique.

Les anciens lycéens devenus étudiants poursuivent la pratique des armes dans leurs associations corporatives. L’AGEM (Association Générale des Étudiants de Montpellier) née en 1887 propose à ses adhérents une grande variété d’activités, dont font partie l’escrime et la gymnastique (Annuaire de 1894). En 1901, la section d’escrime existe toujours, et son animation est confiée au maître Rocca, figure bien connue du sport montpelliérain, professeur de gymnastique au lycée. A l’AGEM, il est assisté de trois prévôts 32, ce qui semble indiquer un nombre important d’étudiants inscrits dans la section.

Ce Rocca est d’ailleurs tout à fait significatif de l’offre commerciale d’activités physiques à Montpellier au tournant du siècle. Ancien militaire passé par 1’École de Joinville (mais apparemment sans en être diplômé), il enseigna la gymnastique aux lycées de Bastia et de Constantine, avant de se fixer à Montpellier Il y cumula de multiples activités, à côté de ses fonctions au lycée, ouvrant des salles, créant des associations, où il proposait à une clientèle composite aussi bien des cours de danse que de boxe, quand il n’organise pas lui-même des manifestations sportives. Il se paie une pleine page de "réclame" dans l’Annuaire de 1902, pour détailler toutes les activités proposées à la clientèle dans sa salle. L’escrime "française et italienne" côtoie la boxe, la lutte, la canne, etc. De son côté, la veuve de Simon Binquet tient toujours un gymnase 4 bd Pasteur, dont la direction est confiée à François Estève, professeur de gymnastique… et d’escrime ainsi que de boxe.

On peut considérer que ces formes de pratique de l’escrime en restent au stade de l’initiation, qu’il s’agisse d’acquérir les quelques bases indispensables en vue d’un duel hypothétique, ou plus généralement d’un exercice participant d’un programme de développement ou d’entretien physique. Qu’elles se déroulent en salles privées, ou dans le cadre scolaire et universitaire, elles ont en commun de ne jamais donner lieu à des manifestations dignes d’être rapportées dans la presse. Nous tenons là le critère décisif qui permet de faire le partage entre ces usages utilitaires de l’escrime et la pratique "sérieuse" et exigeante des armes. Dans ce second cas seulement, les rencontres entre tireurs sous forme d’assauts, qu’elles aient lieu publiquement, ou le plus souvent à l’époque, dans un cadre privé, sont jugées susceptibles d’être portées à la connaissance du public et commentées : il s’agit de démonstrations d’une expertise, d’un art, reconnus pour eux-mêmes.

Cette visibilité dans la presse locale des assauts d’escrime dûment organisés est assez tardive. Mais elle permet rétrospectivement de faire le partage entre les salles d’escrime de plein exercice dirigées par des maîtres reconnus, et la diversité des lieux de pratique de moindre niveau.

C’est évidemment dans le premier groupe qu’il faut chercher les successeurs de Jean-Louis, et la possibilité de transmission d’une tradition.

La filiation de Jean-Louis

Une notice sur l’Association Jean-Louis, parue dans l’Annuaire de l’Hérault de 1939 retrace l’historique de sa descendance locale : « La salle d’armes servant de siège à cette société fut fondée en 1829 par Jean-Louis lui-même qui y professa jusqu’à sa mort (1865). Son élève et successeur Oscar Amoir la céda peu de temps après (1868) à M. Sabadel. En 1884, elle passa entre les mains expertes de M. Favery ex-maître d’armes au 3e Génie, qui la conserva jusqu’en 1904, époque à laquelle le professeur actuel de l’Association, le maître Maugenet, en prit la direction. »

La première phrase de cette citation met en évidence la continuité juridique de la salle en tant qu’entreprise commerciale, ou personne morale, que l’on voit transmise de maître en maître par voie probable de reprise du fonds de commerce. Il ne s’agit pas du local lui-même, qui entre 1829 et 1907, date de fondation de l’Association Jean-Louis, changea plusieurs fois d’adresse.

Sur les deux premiers repreneurs, Amoir est le plus connu, car il figure à la fois dans les papiers familiaux de Jean-Louis, et sur la plaquette du Docteur Surdun. Alors jeune prévôt d’armes au 3e Génie, il vint assister Jean-Louis dans ses toutes dernières années : « Il y a à peine trois ans, il se trouvait sans prévôt ; le Colonel du 3e Génie l’autorisa à choisir dans la salle d’armes de ce régiment, l’élève qui lui conviendrait. Il prit le plus jeune et le plus faible : Amoir (Oscar) ; il en fit en très peu de temps, non seulement un fort tireur, mais un bon démonstrateur qui peut devenir un professeur remarquable s’il continue à travailler, surtout s’il sait profiter des préceptes et des conseils paternels que le vieux Maître cherchait à lui inculquer. »

Jules Maugenet, maître d'armes de l'Association Jean-Louis, dans la salle du passage Bruyas
Fig. 12 - Jules Maugenet, maître d'armes
de l'Association Jean-Louis,
dans la salle du passage Bruyas.
Photographie parue dans L'épée du 6 juillet 1907. BNF.

Une notice sur l’Association Jean-Louis, parue dans l’Annuaire de l’Hérault de 1939 retrace l’historique de sa descendance locale : « La salle d’armes servant de siège à cette société fut fondée en 1829 par Jean-Louis lui-même qui y professa jusqu’à sa mort (1865). Son élève et successeur Oscar Amoir la céda peu de temps après (1868) à M. Sabadel. En 1884, elle passa entre les mains expertes de M. Favery ex-maître d’armes au 3e Génie, qui la conserva jusqu’en 1904, époque à laquelle le professeur actuel de l’Association, le maître Maugenet, en prit la direction. »

La première phrase de cette citation met en évidence la continuité juridique de la salle en tant qu’entreprise commerciale, ou personne morale, que l’on voit transmise de maître en maître par voie probable de reprise du fonds de commerce. Il ne s’agit pas du local lui-même, qui entre 1829 et 1907, date de fondation de l’Association Jean-Louis, changea plusieurs fois d’adresse.

Sur les deux premiers repreneurs, Amoir est le plus connu, car il figure à la fois dans les papiers familiaux de Jean-Louis, et sur la plaquette du Docteur Surdun. Alors jeune prévôt d’armes au 3e Génie, il vint assister Jean-Louis dans ses toutes dernières années : « Il y a à peine trois ans, il se trouvait sans prévôt ; le Colonel du 3e Génie l’autorisa à choisir dans la salle d’armes de ce régiment, l’élève qui lui conviendrait. Il prit le plus jeune et le plus faible : Amoir (Oscar) ; il en fit en très peu de temps, non seulement un fort tireur, mais un bon démonstrateur qui peut devenir un professeur remarquable s’il continue à travailler, surtout s’il sait profiter des préceptes et des conseils paternels que le vieux Maître cherchait à lui inculquer. »

Je ne sais si Amoir suivit les conseils du Dr Surdun, mais il sut parfaitement épouser la nièce de son professeur, Louise Almeida, héritière de la maison Michel, et prendre tout naturellement la direction de la salle après le décès du maître. Selon toute vraisemblance, l’union fut assez vite rompue, et Amoir disparut. D’après la notice de l’Annuaire de l’Hérault de 1939 déjà citée, le maître Sabadel aurait pris la suite dès 1868 c’est possible, mais je n’ai rien trouvé le concernant, sinon, qu’il n’apparaît dans l’Annuaire qu’en 1876, comme professeur d’escrime installé 6 rue du Manège. À cette adresse figure les années précédentes le maître Gombaut, par ailleurs professeur d’escrime au lycée, et que Surdun cite parmi les élèves de Jean-Louis. Ce Gombaut pourrait avoir assuré la succession directe d’Amoir. Ce qui est certain, c’est que cette salle du 6 rue du Manège n’est plus celle de Jean-Louis, bien que voisine (la rue du Manège est l’actuelle rue Baudin, parallèle au Faubourg de Lattes, mais séparée de ce dernier par la rue Boussairolles).

C’est seulement avec Maître Favery, qui eut la responsabilité de cette même salle après Sabadel, de 1886 (et non 1884) à 1904 que les professeurs d’escrime sont mieux connus. Grâce à son dossier de Légion d’Honneur, nous savons que Léon Louis Favery est né à Senlis le 30 décembre 1835. Il termine sa carrière militaire comme Adjudant maître d’armes au 3e Génie d’Arras en décembre 1885, et vient s’installer à Montpellier, à l’âge donc de 50 ans. Le choix de Montpellier est fortement motivé Favery s’y est marié en juin 1866 à Marie Marguerite Comy, résidant dans cette ville. C’est à Montpellier qu’était alors stationné le 3e Génie (de 1816 à 1871, date à laquelle il est transféré à Arras, avant d’y être remplacé par le 2e) : Favery a donc parfaitement pu y connaître Jean-Louis, et prendre la leçon auprès de lui.

Quant au successeur de Favery, le Petit Méridional du 12 janvier 1904 annonce que le maître d’armes cède sa salle du 9 de la rue Baudin au « jeune maître parisien Maugenet, breveté de l’Académie d’Armes de Paris et disciple de Jean-Louis ». Jules Maugenet est né à Déols dans l’Indre le 23 juillet 1876. Par conséquent, lorsqu’il s’installe à Montpellier en 1904, il n’a que 28 ans, ce qui indique que ce n’est pas un militaire de carrière, et qu’il n’a pas été maître d’armes de régiment avant de s’installer à son compte 3. Jeune professeur civil formé à Paris, en quoi peut-il être présenté comme disciple de Jean-Louis qu’il n’a évidemment pas connu ? C’est par l’entremise de Vigeant que ce parisien vient s’installer à Montpellier : de quel poids l’image de Jean-Louis a-t-elle pu peser dans son choix ? Et en quoi, également, la référence à Jean-Louis, dans un journal régional « généraliste » fait-elle sens en 1904, quarante ans après la disparition du Maître, et alors que l’Association qui lui sera dédiée ne voit le jour que trois ans plus tard ? II n’est évidemment pas facile de répondre à ces questions, mais nous allons voir que des hommes tels que Vigeant et Kirchhoffer, influents à Paris et à l’Académie d’Armes, ont participé à la perpétuation des principes chers à Jean-Louis, et ont œuvre à leur maintien dans quelques salles du Languedoc.

Le dernier élément de ce long processus de filiation culturelle est la rencontre entre Maugenet et l’Association Jean-Louis. Pour ce qui semble le plus vraisemblable, la venue de Maugenet à Montpellier en 1904 est d’abord motivée par la reprise de la salle Favery, rue Baudin. Mais dès 1907-1908, il abandonne cette salle, qui ferme, pour devenir le maître d’armes de l’association Jean-Louis, installée dans l’entresol du Cercle de la Grande Loge, au 3 passage Bruyas, et où il officiera jusqu’à sa retraite vers 1949. A-t-il été d’une façon ou d’une autre à l’origine de cette création d’association dédiée à Jean-Louis, en rassemblant autour de lui des amateurs montpelliérains attirés par la perspective de renouer avec la tradition escrimeuse de la ville ?

La notice de l’Annuaire de 1909 présente « une association ayant pour but de développer le goût et la pratique de l’escrime… Elle a pris le titre d’Association d’escrime Jean- Louis afin d’honorer la mémoire du célèbre maître d’armes… ».

Par opposition à l’escrime utilitaire que je viens d’évoquer, comment pouvait se présenter alors l’héritage de Jean-Louis ?

Lauvernay semble considérer que Jean-Louis incarne, pour les escrimeurs du XIXe siècle, la renaissance de l’escrime classique dans les années de la Restauration, période qui voit les maîtres d’armes reprendre le dessus après la cassure de la Révolution qui a supprimé leur corporation et complètement désorganisé la profession. Cette escrime académique, qui s’enseigne et se pratique essentiellement au fleuret, l’arme d’étude des salles, promeut une conception des « belles armes », que Lauvernay résume ainsi : « Les maîtres du XIXe siècle défendent la tradition de l’escrime et condamnent tout dévoiement trop martial pour eux il ne s’agit pas de toucher à tout prix mais de pratiquer une escrime élégante, sophistiquée, intellectuelle les belles armes. » 34. C’est cette escrime dont Jean-Louis serait le héraut. La relative indifférence à l’efficacité est peu compatible avec l’exploit espagnol, qui fit (et fait toujours) la réputation internationale du duelliste Jean-Louis, et témoigne de la nécessité absolue de toucher le premier. Il n’est pas interdit de supposer chez Jean-Louis une évolution qui l’aurait amené de la fougue de sa jeunesse à une conception mature plus académique : on lui prête, sur ses vieux jours, une certaine aversion pour le duel, ainsi que l’affirmation que l’escrime était « un art de la conciliation », ce qui correspond à toute la théorie des « phases d’armes » (suite d’attaques, parades, ripostes, contre-ripostes, feintes, etc.) qui codifiait le déroulement d’un bel assaut au fleuret, sur le mode d’un dialogue sophistiqué. Peut-être faut-il admettre que l’exceptionnalité de Jean-Louis tenait à sa position sur le fil du rasoir, enchérissant sur la pureté esthétique du geste sans rien céder de l’efficacité meurtrière, tout se jouant sur la vitesse, vitesse de la pensée analysant l’intention adverse et vitesse d’exécution des mouvements de la main.

D’ailleurs, certains textes consacrés à Jean-Louis et à son école insistent sur un autre aspect : le dépouillement et la simplicité du geste qui va à l’essentiel. Ainsi Louis Surdun, déjà cité, et l’un de ses derniers élèves, peut-il écrire : « De bonne heure Jean-Louis s’appliqua à faire des armes avec simplicité : il avait compris que l’escrime est une espèce de science des mouvements du corps il en étudia constamment les règles et l’harmonie. Il cherchait tout ce qui pouvait simplifier le jeu, régulariser les mouvements et les coordonner entre eux. Il s’appliquait avant tout à supprimer tout ce qui lui paraissait inutile ; les voltes, les pirouettes, les sauts, les saluts affectés, les pauses capricieuses le choquaient et lui paraissaient indignes d’un art sérieux. Aussi, combien les vrais amateurs d’escrime admiraient-ils sa garde simple, naturelle et bien assise, le développement de sa fente, sa rapidité dans l’attaque, son impassibilité dans la défensive, enfin la régularité, même dans les circonstances les plus imprévues, de tous ses mouvements, qui semblaient s’enchaîner naturellement les uns aux autres. » 35

Un autre témoignage figure dans le recueil de portraits d’escrimeurs que Tavernier publie en 1885. À propos du maître Louis Verdet, qui commença son apprentissage de l’escrime au Régiment de Génie en 1849, il précise que ses leçons en salle procèdent directement de celles qu’il reçut alors de « l’illustre Jean-Louis » : « Il est incontestable que si cette leçon était enseignée partout dans sa sévère application, nous n’aurions que des tireurs corrects au lieu des tireurs désunis et fantaisistes que nous voyons trop souvent dans les assauts publics. Dans cette leçon, les mouvements doivent être exécutés sans précipitation ni saccade, avec tout le moelleux possible, le bras s’allongeant graduellement dans toute sa longueur et précédant toujours le départ du pied. C’est en observant rigoureusement ces principes que la tête arrive à présider et à commander à l’instant à tous les mouvements du corps qui sont alors pleins d’harmonie et de rapidité au lieu d’être décousus et pleins de gaucherie. » 36

Notations que Tavernier conforte en évoquant Mimiague, célèbre professeur ayant formé nombre d’élèves de première force, et qui passa lui aussi par Montpellier et la leçon de Jean-Louis : « C’était un maître de la grande école, à la tenue vraiment classique, un tireur de tête, dont le jugement toujours en éveil était bien servi par les qualités physiques. »

Tous ces témoignages évoquent un style d’escrime classique, à la fois dépouillé et intellectuel, dans le cadre des conventions strictes du fleuret (seules comptent les touches au torse).

Lorsque la presse commence à régulièrement rendre compte des réunions d’escrime, c’est-à-dire à l’extrême fin du siècle 37, deux salles seulement manifestent une certaine activité : celle ouverte par Maître Cauvin, rue d’Obilion 38, et la salle du Cercle de la Grande Loge.

La première est à l’initiative conjointe d’un adjudant maître d’armes du 2e régiment de Génie de la Citadelle, Jacques Cauvin, né en 1853 dans les Alpes-Maritimes, et de la nouvelle Société d’Escrime de Montpellier (fondée en 1898) qui regroupe à l’origine une vingtaine de membres recrutés surtout parmi les avocats et dans la presse. S’y joignent plusieurs propriétaires et rentiers de tous âges, et quelques représentants des professions de santé. Aucun membre des grandes familles de l’aristocratie locale, mais plutôt des classes moyennes dont certains appartenant au courant politique radical (le fils d’Alexandre Laissac, maire sortant, et des journalistes du Petit Méridional et de la Dépêche). Cauvin apparaît comme un maître d’armes typique dans son parcours professionnel, qui enseigne une escrime classique telle qu’elle est défendue dans l’armée.

Les nombreuses réunions qu’il organise dans sa salle, entre 1898 et les cinq premières années du nouveau siècle, ou auxquelles il participe avec ses meilleurs élèves, mettent en évidence la prédominance du fleuret sur les autres armes, ainsi que la forte présence des maîtres d’armes militaires venant de tous les régiments de la région, et qui l’emportent nettement en nombre sur les amateurs locaux. Parmi ceux-ci, la salle Cauvin compte Régné, président de l’association, Marc et André Romieu, qui sont au départ d’une dynastie locale d’escrimeurs de talent, ou encore Duchet et Albaret. Dernière caractéristique de ces réunions d’escrime : leur organisation sous forme d’assauts prédéfinis entre tireurs que l’on cherche à apparier au mieux dans le but de réussir de belles phases d’armes, sans tenir compte d’un quelconque résultat : la seule évaluation est qualitative.

Il n’en va pas différemment aux soirées organisées par le Cercle de la Grande Loge, sinon qu’elles sont beaucoup plus rares, et se résument, semble-t-il à un gala annuel à l’extrême fin des années 1890. Cette salle avait pourtant tout pour réussir. Elle est incluse dans les bâtiments luxueux du Cercle nouvellement construit au début de l’actuel boulevard Sarrailh : « On peut être certain que notre ville possédera avant peu le plus beau et le plus confortable Cercle du Midi. M. Alicot, du reste, est homme de goût, et on ne regarde pas à la dépense pour recevoir des hôtes tels que les membres de la Loge. » 39

Lors de l’inauguration du Cercle, début 1895, le chroniqueur fait de nouvelles découvertes : « Nous pensions que tout ce que nous venons de décrire constituait déjà un Cercle bien complet ; mais la visite que nous avons faite en descendant au sous-sol nous a montré qu’on avait voulu rendre ce local plus complet encore en ajoutant les services inhérents à une installation absolument confortable et digne en tous points de la société d’élite qu’il doit recevoir. En continuant le grand escalier dans sa descente au sous-sol, nous avons vu à droite une grande et belle salle d’armes, bien éclairée par de hautes fenêtres et un spacieux vestiaire ; plus loin : une salle de gymnase, un cabinet de bains et une salle d’hydrothérapie dont l’aménagement n’est point encore achevé, mais dont les proportions sont en rapport avec l’importance du Cercle ; n’oublions pas de mentionner le local affecté au barbier, qui cumulera les fonctions de masseur et de baigneur. (…). Tout est soigné et bien à point ; heureux seront ceux qui pourront aller s’y délasser pour oublier les vicissitudes et les ennuis de l’existence ! »°. 40

Ces aménagements, uniques à Montpellier, sont calqués sur ceux des Cercles parisiens où se pratique l’escrime. Mais il semble bien que les amateurs locaux aient manqué pour réellement utiliser cette salle d’armes confortable et fonctionnelle. Le baron Huc, qui en est l’animateur, organise quelques galas qui font sensation en raison des personnalités invitées. En janvier 1896, il fait venir le célèbre italien, le chevalier Pini qui vient de se battre avec Rüe à Paris, dans un assaut resté fameux. C’est l’occasion de prendre connaissance des tireurs qui lui sont opposés à cette occasion, et qui d’évidence sont les meilleurs que puisse présenter la scène locale. Trois maîtres, Bouvet (qui est très probablement le professeur attaché au Cercle), Roche et Bergès « jeune maître du 13e d’Artillerie » 41. Participe également à la soirée Victor Teisserenc « l’un (les amateurs les plus estimés de notre ville », Celui-ci afficha « les qualités de l’escrime française, faite de force élégante, de correction parfaite, dont le contraste était frappant avec les qualités de l’escrime italienne, faites d’irrésistible élan et de fougueuse ardeur que Pini venait de montrer à un si haut degré » 42.

Il faut attendre plus d’un an pour retrouver une manifestation de quelque ampleur. En avril 1897, le Cercle invite maîtres d’armes et amateurs de la région à une soirée au bénéfice de la Croix Rouge, en invitant Auguste Rouleau, professeur renommé à Paris, et Me Lurbe, de Bordeaux. Le général des Garets présidait l’assaut, avec le baron Hüc et M. Giniès président du Cercle. Parmi les participants à l’assaut, les paires étaient formées de Rouleau et Bouvet, Lurbe et Roig (professeur à Perpignan), Cerutti et Teisserenc, Bonnefoy (Train des équipages de Lunel) et Béniguet (maître au 122e de ligne), Rouleau contre de Geraci, professeur à Barcelone. On constate la présence quasi exclusive de maîtres d’armes, civils ou militaires, aux dépens des amateurs.

La pratique publique de l’escrime semble alors s’essouffler au Cercle, et dans les années 1900-1901, on n’en voit plus aucune manifestation. La Vie Montpelliéraine et Régionale, qui est l’hebdomadaire où doivent normalement figurer toutes ces manifestations de la bonne société, reporte son attention quasi exclusivement sur la Société Montpelliéraine d’Escrime du Maître Cauvin. C’est d’ailleurs cette association qui reprend les soirées d’aide à la Croix Rouge, en organisant au Théâtre Municipal des assauts de prestige.

On peut conclure de ces quelques notations que l’escrime sérieusement pratiquée au tournant du siècle reste l’apanage des maîtres militaires, et que les amateurs de bon niveau sont rares. Par contre, il est possible d’estimer que tous maintiennent une tradition d’escrime au fleuret classique « faite de force élégante, de correction parfaite », qui correspond bien à ce que les historiens de l’escrime résument sous l’appellation de « belles armes ». Doit-on à tout prix y chercher l’empreinte de Jean-Louis, ou s’agit-il plus largement d’une tradition militaire héritée qui se perpétue dans les régiments et chez les maîtres d’armes passés par Joinville, à laquelle Jean-Louis se rattacherait parmi bien d’autres ? La question reste ouverte. C’est pourtant, non pas chez Cauvin, rue d’Obilion, mais dans cette période creuse de l’escrime au Cercle de la Grande Loge, que l’initiative de la relance va être lancée sous l’égide de Jean-Louis.

Le culte de Jean-Louis

De fait, le « retour » à Jean-Louis s’opère au confluent de deux courants. Depuis Paris, Arsène Vigeant, qui, par ses multiples écrits et l’organisation de manifestations diverses depuis les années 1880, a mené la campagne de promotion de Jean-Louis comme « rénovateur de l’escrime française » 43, poursuit activement son œuvre de célébration, aidé par son disciple Kirchhoffer 44, l’un des principaux escrimeurs de la nouvelle génération. Tandis qu’à Montpellier, le Cercle de la Grande Loge relance le culte de Jean-Louis depuis sa salle d’armes confiée à Jules Maugenet.

Kirchhoffer et le baron Hüc qui préside aux destinées de la salle d’escrime du Cercle s’unissent pour célébrer la mémoire de Jean-Louis au printemps 1907. La date est plutôt malheureuse toute la région est bouleversée par les événements viticoles, et la presse quotidienne ne se préoccupe pas alors des fêtes d’escrime. C’est dans La Vie Montpelliéraine, concentrée sur les événements mondains, et dans la presse parisienne spécialisée, que nous trouvons des comptes-rendus détaillés de cette manifestation.

Le 1er juin, au théâtre municipal, se déroule une séance qui rend doublement hommage à Jean-Louis. Sur scène, est jouée la pièce qu’Albert Fabre vient de lui consacrer 45, en s’inspirant très librement de la biographie d’Arsène Vigeant. En réalité, l’historien montpelliérain s’est lancé dans un mélodrame « abracadabrantesque » assez délirant. L’action, centrée sur le fameux duel contre les escrimeurs italiens en Espagne, se situe lors du siège de Saragosse. Jean-Louis y conquiert, outre la gloire épéiste, le cœur de la sœur du dictateur de la ville, qu’il épouse illico et qui lui donne un fils. Mais la vengeance des Italiens humiliés est terrible ils enlèvent l’enfant, qui ne sera rendu au couple désespéré que dans la dernière scène, plusieurs années plus tard, à Montpellier. On le voit, l’auteur n’a pas lésiné sur le pathétique des situations. Le chroniqueur parisien qui rend compte de la représentation préfère ne pas s’étendre sur les mérites de l’œuvre. Mais son homologue montpelliérain est moins discret. Il fait remarquer que la représentation du drame, joué par des amateurs de la ville, est « restée inachevée par suite de l’indisposition subite de certains interprètes… contre l’auteur. »

Alphonse Kirchhoffer, fleurettiste dans la tradition de Jean-Louis
Fig. 13 - Alphonse Kirchhoffer, fleurettiste dans la tradition de Jean-Louis. Photographie de Paul Dornac. Droits réservés.

Firent par contre l’unanimité les assauts donnés sur la scène de l’Opéra par Kirchhoffer, en démonstration contre le maître d’armes militaire Maystre, en poste au 2e génie, ainsi que contre Maugenet, son ancien disciple à l’Académie d’Armes de Paris.

Le buste en plâtre, par Joumeau, directeur de l'École des Beaux-Arts, devait orner la tombe de Jean-Louis
Fig. 14 - Le buste en plâtre, par Joumeau, directeur de l'École des Beaux-Arts, devait orner
la tombe de Jean-Louis.
Photographie parue dans L'épée du 6 juillet 1907. BNF.

Fut également remarqué le buste en plâtre de Jean-Louis, exécuté d’après des documents authentiques, par le sculpteur Joumeau, directeur de l’École des Beaux-Arts. Une souscription fut lancée pour financer la statue de bronze destinée à orner la tombe du cimetière St Lazare ou à orner un jardin municipal. Il semble bien que la somme nécessaire n’ait pu être rassemblée : les belles intentions parisiennes se sont heurtées à l’inertie locale. Le baron Hüc, qui avait organisé la journée, et qui s’était déjà porté acquéreur, pour le compte de la salle d’armes du Cercle, de « reliques » de Jean-Louis 46 issues de la succession de Louise Almeida, sa nièce, décédée en 1902, disparaissait peu après, dès le mois de novembre 1907. Après lui devait faire défaut la volonté locale de perpétuer la mémoire du vieux maître 47.

Dans le prolongement de cette journée, naissait l’Association Jean-Louis.

Nous manquons de renseignements précis sur la façon dont les choses se sont passées. Selon toute vraisemblance, l’escrime qui se trouvait en déshérence à la Grande Loge, et peut-être sans maître d’armes, fit appel à Maugenet, par l’entremise du baron Hüc. Maugenet, qui était venu à Montpellier pour prendre la succession de Favery dans la salle de ce dernier rue Baudin, ferma donc celle-ci pour s’installer dans le sous-sol du Cercle, avec entrée passage Bruyas. À coup sûr, il gagnait au change, en termes de confort et d’espace professionnel. Mais dans quelles conditions ? A- t-il obtenu un bail pour l’usage de la salle lui permettant de continuer à travailler à son compte, ou est-il devenu salarié du Cercle ? C’est une question qui se pose à l’époque, depuis les années 1880 environ, lorsque les salles d’armes privées se transforment en cercles ou sont reprises sous forme d’associations administrées par des amateurs. La plupart du temps, les salles continuaient à être désignées par le nom du maître d’armes qui les dirigeait. Il en fut ainsi à Montpellier, tant pour Maugenet que pour Cauvin ou ses successeurs rue d’Obilion. Mais cela ne signifie pas qu’ils en étaient juridiquement les maîtres. C’est tout le statut professionnel des professeurs d’escrime qui est alors en jeu, et l’évolution constatée à Montpellier correspond à ce qui se généralise à Paris avec la prise de pouvoir des amateurs aux dépens des professionnels.

Mais les situations ainsi générées restent troubles, comme le prouve la formation de l’association Jean-Louis qui suit rapidement l’installation de Maugenet au Cercle.

On voit coexister une Société d’Escrime du Cercle de la Grande Loge 48, peu active, mais qui se manifeste par l’organisation de quelques galas, comme en 1909, et qui est peut-être la structure associative gestionnaire de la salle, et une Association Jean-Louis, née en 1907 à l’initiative d’élèves de Maugenet, dans la même salle : « … les élèves du maître Maugenet se sont groupés et ont formé dans la salle une association d’escrime dont le but est de développer le goût des armes et de donner des fêtes d’escrime. » 49 « Les élèves de la Salle Maugenet viennent de former une association. Un des principaux avantages de cette association est de mettre la salle complètement à leur disposition l’après-midi du mardi. Aussi ce jour là, les plastrons du maître et de ses adjoints restent suspendus aux crochets, et il est rigoureusement interdit de donner ou prendre leçon ; de 4 à 7 les assauts se succèdent sans interruption. On fait beaucoup d’épée, et quoique le maître Maugenet soit un fidèle adepte du fleuret, les fleurettistes ces jours d’entraînement sont en minorité. » 50

Assez curieusement, le nom officiel de la nouvelle association n’apparaît que rarement au cours de son histoire. Dans les comptes-rendus journalistiques des réunions ou tournois d’escrime, il est fait constamment référence à la seule « Salle Maugenet ». L’Association Jean-Louis se manifeste, en tant que telle, essentiellement dans ses actes administratifs. Ainsi, les réunions de renouvellement du bureau, comme en janvier 1914, où sont réélus : Henry Durand à la présidence, André Quesnel et Cazalis de Fondouce comme vice-présidents, le trésorier Moutet, Elie Cousin et (Antoine ?) Grasset, les deux meilleurs escrimeurs du groupe sont secrétaires. Les membres anciens ou nouveaux se nomment Pargoire, Arnavielhe, Domairon, le docteur Stoltz, E. Teisserenc, Almes, Durand-Keller, Boubals, Clavel, Montagnac, P. Roussel. Durant toutes ces années d’avant-guerre, les deux dirigeants de l’Association sont Henry Durand et Cazalis de Fondouce, de familles de notables importantes, et au centre de la vie mondaine de Montpellier. Mais si leur intérêt pour l’escrime est bien réel, il est moins assuré que leur référence à Jean-Louis aille au-delà d’un coup de chapeau de simple convenance.

On peut supposer que le nom leur a été suggéré par Maugenet. Mais ces escrimeurs montrent rapidement plus d’intérêt pour la compétition à l’épée que pour le fleuret des belles armes, et l’on sent que Maugenet se voit contraint de suivre ce mouvement qui va mener, très vite à l’escrime sportive.

Cette tentative montpelliéraine de raviver le culte du vieux maître d’armes est loin d’être isolée. Jean-Louis est probablement le seul escrimeur du passé à bénéficier, du moins en cette fin du XIXe siècle, d’un « affichage » aussi visible. Probablement sous l’impulsion de Vigeant, des salles Jean-Louis se créent ici et là. La plus connue est celle de Kirchhoffer à Paris, lorsqu’il transfère place Saint-Michel l’ancienne salle de son père. À cette occasion, Vigeant qui le parraine, fait inscrire sur le mur :

À Jean-Louis
La salle d’armes inaugurée à Paris
en 1894, sous son nom
et continuant ses traditions.

Mais d’autres salles portant le nom s’ouvrent en province, ainsi à Tunis en juin 1907. D’autres encore sont plus anciennes, et ne doivent rien à Vigeant, mais sont le fait d’anciens élèves de Jean-Louis : c’est le cas à Limoges, où la salle est fondée par le maître Hayg. Ainsi qu’à Bordeaux : « la Société Jean-Louis, du nom d’un maître d’armes célèbre de la Restauration, créée en 1866 par quelques négociants aisés ou ayant « une belle position pécuniaire » autour d’un maître, lui-même ancien élève de Jean Louis. » 51. Citons même la salle Jean-Louis du New-Zealand Fencing Club à Auckland, fondée dans les années 1950 par Bert Raper, lointain héritier d’une lignée d’élèves d’Emmanuel Broutin, lui-même prévôt de Jean-Louis un siècle plus tôt. Ce sont là des indices significatifs d’une reconnaissance de la part des professeurs d’escrime, dont d’autres escrimeurs contemporains, tout aussi célèbres, comme Lafaugère, Bertrand ou Grisier, n’ont pas bénéficié : c’est certainement la preuve de l’exceptionnalité de Jean-Louis dans l’évolution de l’escrime de son temps.

Terminons-en avec les hommages à Jean-Louis par une note plus fantaisiste. « Mademoiselle Jean-Louis » participa elle aussi de la légende qui entoure le nom paternel, en servant de modèle pour une opérette à succès à la fin du XIXe siècle. Le compositeur montpelliérain Victor Roger, né en 1853, fit son plus grand succès avec un vaudeville-opérette intitulé Les Vingt-huit jours de Clairette (1892) dont il proposa le sujet à ses librettistes : « J’ai, de l’époque où j’étais enfant, conservé le souvenir d’un personnage qui ne manquait pas d’originalité. C’était la jeune fille d’un maître d’armes qui ne rêvait que d’escrime et ne se trouvait bien que sur la planche d’assaut. Elle avait remporté de nombreux prix contre des escrimeurs civils et militaires et c’est grâce à l’escrime qu’elle conquit un mari. Ne pourrait-on rien faire avec un tel personnage ? » 52. Mademoiselle Jean-Louis, rebaptisée Clairette Pastoureau, devint ainsi l’héroïne d’une pochade qui eut des centaines de représentations, en France comme à l’étranger 53.

Les aventures de Clairette
Fig. 15 - Les aventures de Clairette, commencées au Vaudeville, se poursuivirent au cinéma. Droits réservés

Vers l'escrime sportive

D’une certaine façon, la création de l’Association Jean-Louis à Montpellier sonne le déclin de l’escrime « selon Jean-Louis », c’est à dire une conception classique et rigoureuse des « belles armes » basée sur la virtuosité au fleuret. 1907 peut servir de date pivot symbolique autour de laquelle se distinguent deux conceptions rivales de la théorie et de la pratique de l’escrime. Dans les débats de l’époque, qui n’apparaissent guère localement, mais font fureur dans la littérature spécialisée et dans les grands journaux parisiens, des séries d’alternatives s’affrontent : fleuret ou épée, convention ou combat, assaut ou tournoi, art ou sport.

Dans le premier camp, se regroupent les défenseurs du fleuret, arme sophistiquée, intellectuelle, artistique, qui a développé sa haute technicité en réponse aux contraintes de ses conventions mêmes. La rencontre entre deux tireurs ne recherche pas un vainqueur, mais débouche sur une appréciation qualitative d’ordre tout à la fois technique et esthétique. Pour réussir un beau duel, il faut être deux, et c’est pourquoi les assauts sont la forme privilégiée des rencontres d’escrime les organisateurs choisissent les paires idéales de tireurs de façon à marier leur style et leurs qualités respectifs pour les mettre tous deux en valeur. Il est donc sans grand intérêt de compter les touches, l’essentiel est ailleurs. Sans doute pourrait-on comparer un grand assaut au fleuret à une faena dans l’arène, si réussie que le taureau est gracié : ni vainqueur ni vaincu.

En face, les laudateurs de l’épée de combat plaident la clarté de l’affrontement, et l’objectivité du résultat qui départage les tireurs de façon aussi incontestable que possible. Pour ce faire, il faut se débarrasser des conventions qui mènent à des absurdités et retrouver la simplicité du « qui touche a raison ». Sur le modèle sportif qui gagne la bonne société de la fin de siècle, les assauts arrangés font place à des tournois, donnant lieu au classement des participants, et dont la forme la plus courante est la poule à l’épée qui permet à chacun de rencontrer tous les autres concurrents : les championnats en règle ne sont plus loin. Des méthodes s’inventent qui délivrent les explications et conseils pour optimiser la formule (points de handicap, nombre de tireurs par poule, nombre de touches par assaut…) : il y a le règlement Kirchhoffer-Berger, le plus utilisé, et aussi la méthode Lacroix, avec ses feuilles de poule pré-imprimées…

Si les positions des uns et des autres sont souvent tranchées, en fait il s’agit plutôt de mettre en évidence les tares de l’adversaire dans leurs manifestations les plus critiquables, que de glorifier son propre idéal hors de portée.

L’époque est à un croisement de lignes d’évolution nombre de fleurettistes de formation se tournent vers l’épée qui accueille aussi directement les nouveaux escrimeurs la décadence du fleuret, entravé dans des conventions qui perdent leur légitimité, est confrontée à l’ascension foudroyante de l’épée, qui n’est pas seulement l’arme des duellistes mais aussi celle des sportifs.

Si la région languedocienne est avare de commentaires sur ce bouleversement, ailleurs la presse sportive régionale éclaire parfaitement les changements de perspective. Dans le Nord, par exemple 54, on peut lire des analyses de ce genre, qui évoquent les parcours de deux dirigeants d’âge mûr : Paul Lefèvre, « Trente ans de pratique (il a plus de 50 ans), 15 au fleuret, puis 15 à l’épée, dont il fut le véritable propagateur dans le Nord. Il a gagné une multitude de poules, tant à l’épée qu’au pistolet » ; et Albert Croquez, Lillois avocat à Paris, et propagateur infatigable de l’évolution sportive de l’escrime, qui « fit des armes dès le plus jeune âge ; du fleuret évidemment, seule arme pratiquée alors… Aujourd’hui, comme tant d’autres, il a évolué vers l’escrime pratique et tire l’épée au Cercle Militaire et au Cercle Las Cases. » 55

Cette révolution est analysée par les meilleurs observateurs comme une phase critique qui devrait se résoudre au mieux. C’est la conviction d’un Joseph-Renaud, bon escrimeur et journaliste influent, qui publie en 1907 un Tableau de l’escrime parisienne en 1892. La domination du fleuret y est alors totale : « Escrimeurs infiniment moins nombreux qu’aujourd’hui. Bien entendu, pas d’épée à peine quelques poules en plein air par des élèves de Jacob ou de Ruzé »… La plupart des assauts publics étaient organisés par les Salles. « On n’annonçait que les très beaux coups. Le tireur qui touchait par accroc disait lui-même  »ça ne vaut rien ». » Aucun concours, sauf celui des lycées et collèges, alors très important, et organisé par la Société d’Encouragement… « Presque tous ceux qui étaient alors les intellectuels de l’escrime ayant boudé l’épéisme, nous avons aujourd’hui un nombre considérable de toucheurs, mais peu de véritables escrimeurs, même parmi nos plus réputés tireurs, on trouve peu de jeux assez complexes, assez féconds en ressources, guidés par un jugement assez sûr et par une science assez grande, pour faire face à toutes les difficultés… À l’époque dont je parle, un tireur même médiocre adoptait pour chaque adversaire une tactique différente. C’étaient des combats beaucoup plus scientifiques et variés – mais qui, bien entendu, étaient complètement faussés par la convention. Je ne désespère pas d’ailleurs de revoir ces beaux combats sans conventions cette fois, et avec l’épée. » 56

À Montpellier et dans la région, on peut facilement observer la vogue de l’épée, qui submerge la pratique du fleuret dès avant les années 1910. On voit par exemple la salle Cauvin présenter ainsi ses activités, dans l’Annuaire de l’Hérault de 1908 : son local « comprend, en dehors de la salle d’armes, des salles de vestiaire, un salon de conversation, une véranda (sic), et une salle d’hydrothérapie. On y étudie le fleuret, l’épée de combat, le sabre; assaut général tous les vendredis de 5 à 7 heures du soir. Pendant la belle saison, deux fois par semaine, la salle d’escrime organise des poules à l’épée de combat sur le terrain; ces poules sont très suivies par les escrimeurs de la ville et surtout par Messieurs les Officiers de la garnison. »

Cette pratique de plus en plus fréquente des poules à l’épée, prépare le passage au tournoi sportif, dans la mesure où elle met au premier plan un classement des tireurs selon le nombre de touches données et reçues.

En 1911, par exemple, la salle Maugenet prête son concours à l’organisation par le Comité permanent des fêtes de charité, d’une manifestation sportive comprenant un meeting d’aviation, un tournoi de tennis faisant office de finale du Championnat USFSA du Languedoc, et d’un tournoi d’escrime à l’épée. Les résultats donnent : 1 : Cousin (Cauvin), 2 : Noguès (Toulouse), 3 : Goiny (Maugenet), 4 : Cadoux (Cauvin), 5 : Rouvier (Maugenet). En junions, le vainqueur est Emmanuel Temple (Maugenet).

C’est probablement peu après qu’Elie Cousin, le meilleur tireur de la ville, quitte la rue d’Obilion pour passer sous la coupe de Maugenet, et devenir un pilier de la salle du passage Bruyas.

Avec Grasset, il va devenir l’ambassadeur de l’escrime montpelliéraine, en prenant rang parmi les meilleurs tireurs de province. C’est à la Grande Semaine des Armes, organisée chaque année à Paris, au printemps, et qui s’ouvre chaque année un peu plus aux tireurs provinciaux, que le duo Cousin-Grasset se fait remarquer. En mai 1914, ils accèdent à la finale à douze du tournoi d’épée, remporté par Ducret ; mais leur 8e place ex-æquo les met en évidence nationalement.

Cette multiplication des tournois avec classement accompagne les débuts de l’organisation sportive de l’escrime. La première étape est franchie avec la création en 1906 de la Fédération Nationale d’Escrime (FNE) qui, bien que cantonnée pendant ses premières années à la région parisienne, se donne un objectif clairement sportif : « Si l’Escrime veut se maintenir contre la propagande incessante des autres sports, si elle veut vivre, si elle veut progresser, il faut que s’unissent en un faisceau puissant toutes les bonnes volontés désireuses de travailler dans l’intérêt général, seul moyen de sauvegarder tous les intérêts particuliers. » 57

Deux des meilleurs escrimeurs montpelliérains du début du siècle
Fig. 16 & 17 - Deux des meilleurs escrimeurs montpelliérains du début du siècle. Photographies parues dans L'épée du 31 mai 1914. BNF.

Il s’agit donc pour les escrimeurs de se situer en concurrence avec les autres pratiquants des diverses disciplines, et de se populariser en présentant des compétitions claires et accessibles à un large public. C’est un renversement complet de perspective, par rapport à la pratique habituelle des assauts élitistes en salles. Les réticences de tous ordres (y compris des maîtres d’armes) freinent le mouvement de passage à une organisation sportive. Ce n’est qu’en 1913 et 1914 que le mouvement impulsé par la FNE touche la province. Un certain capitaine Sée joue les missi dominici en parcourant la France, de réunions en assemblées, pour porter la bonne parole fédérale et susciter la création de Fédérations régionales invitées dans un second temps à adhérer à la FNE.

En Languedoc, le congrès constitutif se tient en février 1914. La nouvelle Fédération du Languedoc et du Roussillon réunit les principales salles de Montpellier, Béziers, Nîmes, Alais, Carcassonne et Perpignan, c’est à dire les lieux où s’organisent régulièrement des tournois. « Sous la présidence de M. le capitaine Sée, membre du « Comité National des Sports » et délégué du ministre de la guerre, les représentants des salles d’armes de notre région étaient réunis pour la création d’une fédération régionale d’escrime pour le Languedoc et le Roussillon. M. le capitaine Sée, dont nous ne saurions trop louer la compétence sportive et le dévouement à toute épreuve, expose clairement les avantages que les escrimeurs retireront de la nouvelle organisation, il démontre combien il est indispensable de se grouper pour défendre l’escrime contre l’envahissement des autres sports et il appelle particulièrement l’attention des congressistes sur ce point particulier que « seuls les membres des salles ou sociétés affiliées » pourront participer aux épreuves organisées sous le patronage de la Fédération Nationale d’Escrime. »

André Quesnel, premier président de la Fédération régionale d'Escrime
Fig. 18 - André Quesnel, premier président de la Fédération régionale d'Escrime. Photographie parue dans L'épée du 31 mai 1914. BNF

L’escrime montpelliéraine était représentée par l’Association Jean-Louis, avec MM Quesnel ; Moutet, Cazalis de Fondouce, Elie Cousin, et par la Salle Cauvin, avec MM. Régné, Weiss, et R. Darsac.

Le premier bureau élu est entièrement montpelliérain : le Président Quesnel, directeur de l’École de Commerce, est entouré des secrétaires Elie Cousin et R. Darsac, journaliste au Petit Méridional, et du trésorier Weiss, militaire.

Juste avant la guerre, le premier championnat régional d’escrime aux trois armes se tient à Montpellier, du 2 au 4 mai. Les épreuves, qualifications et finales, se déroulent entre le Pavillon Populaire de l’Esplanade et le préau de l’École Michelet toute proche.

Le tournoi d’épée réunit 45 tireurs venus de toute la région. La finale à 12 du dimanche est remportée par Cousin devant le biterrois Martin. Au total 9 montpelliérains ne laissent que la portion congrue aux représentants des autres villes.

Au fleuret, où la concurrence est moins vive, le tournoi entre 12 candidats sacra le carcassonnais Molinier. Quant au sabre, très délaissé, le tournoi à quatre concurrents désigna pour vainqueur Grasset, qui avait déjà participé à la compétition de fleuret.

La guerre, peu après, interrompit évidemment les compétitions sportives, mais le mouvement était définitivement lancé.

Conclusion : Jean-Louis et son rôle dans l'escrime

Il est temps de reprendre la figure de Jean-Louis, telle qu’elle a été modelée par la chronique « escrimeuse » du XIXe siècle, et de s’interroger sur le rôle qui lui a été dévolu, à l’initiative principalement d’Arsène Vigeant. Mais en même temps, on ne saurait négliger d’évaluer son influence réelle sur l’évolution de l’escrime, tout particulièrement à Montpellier.

Le personnage de Jean-Louis, tel qu’il reste en mémoire, est modelé sur une conception légendaire de l’histoire, typique du XIXe siècle romantique. Il est taillé dans un marbre d’une blancheur éblouissante. Nulle ombre, nulle faille dans l’épopée de cet enfant de troupe, ce petit tambour qui marche dans les pas du tambour Bara ou du Tambour d’Arcole. Jean-Louis, comme Joseph Bara ou André Estienne de Cadenet, est tout entier dans son exploit: l’imagerie d’Épinal simplifie à l’extrême les traits individuels et l’histoire personnelle. Il n’y a pas lieu de s’interroger sur les silences biographiques ou sur les zones d’ombre, puisque tout ce qu’il y a à retenir tient dans quelques exploits publics. C’est bien semble-t-il ce qui a été tenté pour Jean-Louis avec la focalisation sur le duel fabuleux en Espagne. Les constructions littéraires du personnage, de Faulquemont à Vigeant, et d’autres peut-être – sont étayées sur ces modèles de fabrication des héros que l’on retrouve à l’époque romantique, et que l’histoire de France des manuels scolaires continuera sous la IIIe République.

En même temps, si Jean-Louis semble pouvoir s’insérer dans la lignée des tout jeunes soldats de l’épopée révolutionnaire, il en reste très éloigné par son ancrage dans la seule histoire corporative de l’escrime. Nulle possibilité de le voir intégré à l’histoire nationale par son sacrifice (Bara) ou par son exploit face à l’ennemi (le tambour d’Arcole). Le duel madrilène l’oppose à des soldats alliés : c’est une lutte fratricide, qui ne peut prendre de sens que replacée dans le cadre d’une discipline singulière et limitée. Lorsque Vigeant salue en Jean-Louis le « rénovateur de l’escrime française », c’est un titre de gloire qui ne peut toucher que les amateurs de belles armes – même si l’époque fait une large place à cette « passion française ».

La légende de Jean-Louis, si elle a été construite sur des modèles disponibles et somme toute classiques, ne manque pourtant pas de soulever de nombreuses questions.

Pourquoi le choix de Jean-Louis comme héros / héraut voué à la gloire de l’escrime française ? Je suis évidemment réduit à proposer quelques simples hypothèses.

Plusieurs facteurs favorables à ce choix peuvent être décelés. Dans le champ de l’escrime française de la première moitié du XIXe siècle, Jean-Louis fait figure de candidat consensuel, car éloigné des querelles de clochers et des jalousies qui émaillent le monde des salles d’armes parisiennes. Du fond de sa province, il se tient à distance des rivalités qui fracturent la société escrimeuse (Symbolique de cette neutralité, son choix comme président du jury dans le célèbre duel entre Lafaugère et Bondy en 1816), comme on le voit par exemple avec les conflits répétés entre Lafaugère et Bertrand, autres grandes figures du temps, et plus connues que lui, mais qui drainent derrière eux des écoles antagonistes.

On peut aussi mettre en avant le parcours de vie de Jean-Louis enfant abandonné, sans père et presque sans nom, mulâtre qui plus est (comme le chevalier de St. Georges, certes), mais sorti de nulle part, il doit à son seul mérite la réussite et la renommée qu’il acquiert à la force du poignet. Fils de ses œuvres plus probablement que n’importe quel autre maître d’armes de son temps, il peut figurer le météore surgi des ténèbres et illuminant la scène escrimeuse.

La rivalité entre Français et Italiens s'affiche en toutes circonstances
Fig. 19 - La rivalité entre Français et Italiens s'affiche en toutes circonstances. Droits réservés.

Dans la même logique paradoxale que son éloignement des pouvoirs parisiens – simple maître régimentaire, sans aucune charge à la Cour ou dans des institutions prestigieuses,- il apparaît aussi comme un escrimeur silencieux, qui n’a jamais écrit de traité technique ou pédagogique, en un temps où ils pullulaient, et ne s’est jamais exprimé, à l’inverse d’un Lafaugère ou d’un Grisier ses contemporains, qui ne manquaient pas de sens de la publicité 59. Ce silence ouvre la porte aux exégèses et interprétations sans fin, et permet aussi bien les commentaires techniques que les plus folles rumeurs.

Concernant la scène centrale du duel madrilène, si nous acceptons ma version d’un récit très largement imaginaire – ou en tout cas, éloigné de la possible réalité historique – il faut bien se demander à quelle fonction répond cette construction littéraire. Je ferai à ce propos une double hypothèse. En tant que héraut de l’escrime classique héritée du XVIIIe siècle, Jean-Louis doit soutenir victorieusement les attaques des nouveaux courants de l’escrime dite romantique (« Qui touche a raison ») et ultérieurement, de l’escrime pratique, tournée vers l’efficacité immédiate dans des duels « au premier sang ». Pour défendre la tradition classique, il ne suffit donc pas d’être seulement un escrimeur scientifique ou élégant, il faut faire aussi la preuve de son efficacité réelle quoi de mieux que 13 victoires successives en moins d’une heure, pour cette démonstration ?

Ma seconde hypothèse tourne autour de cette dispute entre Français et Italiens. Comment ne pas supposer que la victoire écrasante du seul Jean-Louis sur toute une armada italienne éclaire la vieille et toujours vive rivalité entre les deux écoles nationales qui dominent outrageusement la scène de l’escrime européenne ? Arranger une telle confrontation collective entre représentants français et italiens, c’est se donner, à bon compte, une victoire éclatante et afficher symboliquement la prétention française à la prééminence. Il me semble que cet aspect de l’épisode espagnol a dû jouer dans l’esprit de Vigeant tout au moins, qui écrit dans un temps de multiples rencontres entre tireurs des deux nations. Mais peut-être est-ce plus problématique à l’époque où le récit de cette scène a commencé à circuler, quelques décennies auparavant…

Jean-Louis, porte-drapeau du classicisme français contre le baroquisme italien (on ne manque pas de récits dépeignant les tireurs italiens, Pini, San Malato et d’autres comme des comédiens exaltés et exubérants) ce rôle que lui fait jouer Vigeant n’est guère contestable. Il ne doit cependant pas masquer la réalité de son influence sur le style et la pratique des escrimeurs français de la Belle-Époque.

La victoire de l’épée sur le fleuret, à laquelle nous assistons avant 1914, tout autant que l’abandon des « belles armes » au profit de l’efficacité sportive, me semblent marquer un moment, probablement nécessaire, de l’évolution de l’escrime. La pratique du fleuret s’abîmait dans les contorsions ridicules, dénoncées par beaucoup, auxquelles les conventions rigides contraignaient les tireurs médiocres. En face, les nouveaux épéistes n’avaient pas encore acquis la technique et la culture indispensables. Mais ainsi que le disait Joseph-Renaud : « Je ne désespère pas de revoir ces beaux combats sans conventions cette fois, et avec l’épée. »

La rencontre entre René Bougnol et Christian d'Oriola, aux Jeux Olympiques de Londres en 1948
Fig. 20 - La rencontre entre René Bougnol et Christian d'Oriola, aux Jeux Olympiques de Londres en 1948... la victoire de Jean-Louis ?

Il me semble que le succès de la salle Maugenet, dès les années 1910, et plus encore entre les deux guerres et au-delà, en regroupant tous les meilleurs escrimeurs régionaux, répond au vœu de Joseph-Renaud. Passée la vogue de l’épéisme, la pratique conjuguée du fleuret et de l’épée, avec les générations successives de tireurs, Cousin, Grasset, Temple, Zuccarelli, Romieu, Bouchu, a créé un milieu de grande qualité, qui a accouché des champions olympiques René Bougnol dès les années 30, puis Christian d’Oriola, dix ans plus tard, tous deux fleurettistes. Les deux maîtres successifs de la salle qui les accueillait, Jules Maugenet et Michel Alaux, se sont explicitement placés dans la lignée de Jean-Louis, techniquement et intellectuellement : la leçon de classicisme du vieux maître est bien sortie vainqueur, en définitive.

Notes

1. L’histoire de l’escrime au XIXe siècle est peu traitée par les historiens actuels. Je m’appuie essentiellement sur Lauvernay (Lionel) : La belle époque de l’escrime. 42110 Jas, éditions Ensilidium, 2008. Le duel est beaucoup mieux connu grâce à Guillet (François) : La mort en face. Histoire du duel de la Révolution à nos jours, Paris, Aubier, 2008, et Jeannenay (Jean-Noël) : Le Duel. Une passion française (1789-1914), Paris, Le Seuil, 2004.

2. François Guillet, op. cit.

3. L’affaire est analysée par François Guillet, op. cit., dans son chapitre 5 : Le duelliste face à la loi.

4. Jolivet (Roland) : Montpellier secrète et dévoilée, 2003 et Montpell’hier, 1996.

5. Cette biographie en chantier est accessible sur le site Internet www.lelanguedocsportif.org, dans la rubrique Portraits.

6. Arsène Vigeant, né à Metz en 1842 et fils de maître d’armes militaire, fut l’un des professeurs d’escrime vedettes de la fin du siècle. Il fut l’un des principaux animateurs des grandes salles parisiennes, influent dans la presse et organisateur de manifestations de propagande en faveur de l’escrime. Il a publié, à partir des années 1880, plusieurs ouvrages à succès sur l’histoire de son art.

7. Vigeant (Arsène) : Petit essai historique : Un Maître d’Armes sous la Restauration. Paris. Motteroz 1883

8. Prévost (Camille) : Escrimeurs et duellistes, Paris, Aristide Quillet, 1937

9. http://www.aet-herault.com/jl-michel.2.html

10. Cette absence d’état-civil semble bien avoir été la cause du retard d’officialisation de la décoration. Si la nomination dans l’ordre prend rang au 29 juillet 1814 (sous la Restauration), le brevet n’est signé qu’en novembre 1819, après qu’une enquête d’authentification ait été menée en 1817 et un Procès-verbal d’Individualité signé au sein de son régiment du génie à Montpellier.

11. Mais on peut trouver des cas approchants, tels que celui-ci : « Le trois mars 1786, j’ai baptisé Jean-Louis mulâtre, âgé d’un an, fils naturel de Marie Catherine indienne libre, il a eu pour parrain Louis Courcelles mulâtre libre et pour marraine Elisabeth mulâtresse libre. ». L’état-civil de Saint-Domingue pendant la période coloniale se trouve sur le site Internet : http://anom.archivesnationales.culture.gouv.fr/sdx/ulysse/index

12. in Roland Jolivet : Montpellier secrète et dévoilée, page 13. Je remercie vivement l’auteur de m’avoir autorisé à reproduire ce document rare qui serait l’une des toutes premières photographies prises à Montpellier.

13. Gaston Renard : Jean-Louis, dans le numéro du 1er mai 1907 de L’Épée.

14. Témoignage de Gabriel Ferrier, peintre nîmois né en 1847, et rapporté par Georges Dubois, initiateur d’une méthode d’escrime pour aveugles pendant la Grande Guerre. Je Sais Tout n° 125 du 15 avril 1916.

15. ADH 3 E 177/108 page 156/427

16. ADH.E 177/184 page 161/229.

17. La succession est partagée entre la jeune Stéphanie, encore sous tutelle, et Louise Almeida, nièce de Joséfa Michel recueillie par le couple. Cette dernière est inhumée avec son second mari dans la tombe de Jean-Louis au cimetière de Montpellier.

18. L’imprécision patronymique fait penser à une tradition orale, qu’aurait recueillie Vigeant, sans moyen de vérification. Rumeurs et on-dit on dû émailler la carrière de Jean-Louis, alimentées par son silence et ses propres dissimulations.

19. La médaille de Ste Hélène, instituée par Napoléon III en 1857, récompensait les survivants des campagnes de la Révolution et de l’Empire. Plus de 400 000 anciens soldats en bénéficièrent, dont Jean-Louis. La médaille est gravée sur sa pierre tombale, à côté de la Légion d’Honneur.

20. Henri Daressy, dans ses Archives des Maîtres d’Armes de Paris, parues en 1888, publie un placard du maître Mathieu Coulon, daté de septembre 1814, qui annonce une après-midi d’assauts publics, au Wauxhall d’Eté, boulevard St. Martin. Coulon se présente comme « maître en faits d’armes », reprenant ainsi l’appellation de l’ancienne corporation dissoute.

21. Peintre et illustrateur (1849-1925) dont l’un des thèmes favoris était les scènes d’escrime.

22. Vigeant Arsène : L’Almanach de l’escrime, Paris, Maison Quanti, 1889 – cité par Lauvernay, op. cit. page 151.

23. Goudourville, Henry de : Escrimeurs contemporains, 4e série, 1907

24. Tavernier, op. cit.

25. Cf sa notice dans Wikipédia.

26. Le Figaro du 18 février 1886. Il se peut que l’article soit dû à Vigeant lui-même, qui avait ses entrées au journal, et dirigeait la salle d’armes réservée aux journalistes de la maison. Il s’agit précisément de Francisque Bessodes de Roquefeuil de Saint-Etienne (1824 ou 25-1885 à Montpellier), membre de l’une des nombreuses branches de la vieille famille de Roquefeuil. Saint-Etienne est connu comme peintre et graveur, élève à Montpellier de Jules Laurens. "Monté" dans la capitale dans les années 1850, on peut supposer qu’il n’y trouva pas la consécration qu’il espérait, et revint s’établir à Montpellier au début des années 1860, où il résida jusqu’à sa mort dans l’hôtel Deydé, propriété de sa famille, rue du Cannau. Mais à défaut de gloire artistique, Saint-Étienne se fit une forte réputation à la pointe de son fleuret, si l’on en croit Arsène Vigeant. Dans un article nécrologique publié par l’Éclair en 1885, on peut lire qu’il « était classé comme la plus fine lame de l’École de Jean-Louis et ce maître le considérait comme son égal ». Voir la notice le concernant dans le Dictionnaire biographique de l’Hérault publié par Flammarion en 1904, ainsi que dans le Dictionnaire général des artistes de l’École française, de Bellier et Auvray.

27. Je donne ces noms, en espérant qu’un lecteur mieux informé que moi pourra les situer.

28. Voir la biographie de Jean-Louis. Me Chivaud est le notaire du mariage entre Geneviève Cruchant et le docteur Villar.

29. Pour autant que l’on peut préjuger de la mention du grade sur les états tenus par Jean-Louis. Mais peut-être les officiers et sous-officiers de la garnison bénéficient-ils d’un régime spécial qui les dispense de cotisations, et ils sont par ailleurs aptes à s’occuper eux-mêmes de l’entretien de leur arme, contrairement aux civils.

30. Adolphe Tavernier, op. cit.

31. Ibid. (Note manquante)

32. La Vie Montpelliéraine et Régionale n° 375 et 376, novembre 1901.

33. Je remercie l’arrière petite-fille de Jules Maugenet, madame Claude Séguier, qui m’a aimablement fourni des renseignements sur son aïeul. Il était à Paris l’élève des maîtres Arsène Vigeant et Carrichon. Il est venu s’établir à Montpellier, en janvier 1904, alors que sa famille est encore à Déols (son fils André y est né en décembre de la même année. Cf. la notice Wikipédia qui lui est consacrée). La prise de fonction s’est donc faite dans l’urgence, et on peut supposer que Vigeant, alerté de la vacance de poste, a joué un rôle déterminant dans le choix de Maugenet.

34. Lionel Lauvernay, op. cit.

35. Notice biographique sur Jean-Louis et son école, Montpellier, imprimerie Ricard, 1866 (sans nom d’auteur, attribué au docteur Louis Surdun de Montpellier).

36. Tavernier, Adolphe : Amateurs et salles d’armes de Paris, Marpon et Flammarion, Paris, 1885.

37. Il est difficile de déterminer si cette apparition tardive est due au nouvel intérêt d’une presse périodique spécialisée ou à l’évolution des salles d’armes elles-mêmes. Sur le premier point, on peut observer que la presse quotidienne est à peu près muette avant les années 1900. À Montpellier, c’est avec l’apparition d’un hebdomadaire mondain comme La Vie montpelliéraine et régionale au début des années 1890 que s’exprime un intérêt nouveau et régulier pour les activités physiques et sportives de la bourgeoisie locale. Mais si la chronique d’escrime est alimentée de façon assez régulière à partir du milieu des années 1890, c’est très certainement parce que des plumes issues du milieu font office d’échotiers en l’absence de journalistes spécialisés. C’est donc aussi le signe d’une préoccupation des salles d’armes de se manifester au public et de faire leur "réclame" auprès d’éventuels clients.

38. Cette salle, qui passera à la veille de la Grande Guerre entre les mains de l’adjudant Dumont, ancien maître au 81e d’Infanterie, est connue à Montpellier comme la salle Réant, du nom de trois générations de maîtres d’armes qui s’y sont succédé à partir des années 1920. Elle est aujourd’hui transformée en restaurant, ne gardant de son passé sportif que la profession du nouveau propriétaire, le rugbyman François Trinh Duc.

39. La Vie Montpelliéraine du 1er octobre 1894.

40. La Vie Montpelliéraine du 13 janvier 1895.

41. Il s’agit du 3e régiment d’artillerie, cantonné à Castres. La présence d’un maître d’armes venu du Tarn pour la circonstance indique bien que les tireurs de qualité alors disponibles à Montpellier sont en très petit nombre.

42. La Vie Montpelliéraine n° 70 du 19 janvier 1896.

43. « Monsieur Vigeant est en effet l’héritier direct de la tradition du fameux maître de Montpellier, par son père et le célèbre gaucher Bonnet, qui le formèrent à cette inoubliable virtuosité dont les vieux escrimeurs parlent encore avec une émotion et un respect significatifs. Le patrimoine est passé à Kirchhoffer qui le transmettra à l’un de ses élèves, celui que l’avenir réserve, sans doute, pour la gloire de l’Escrime française. » (Gaston Renard, L’épée du 1er Mai 1907)

44. Alphonse Kirchhoffer, fils de maître d’armes et pupille de Vigeant, est né en 1873. Il fut vice-champion olympique de fleuret aux Jeux de Paris en 1900, battu en finale par le grand Lucien Mérignac.

45. Fabre (Albert) : Jean-Louis, premier maître d’armes de France, drame en 9 tableaux, Montpellier, imprimerie Jeanjean, 1907. Le livret est consultable à la Médiathèque Emile-Zola de Montpellier. Albert Fabre, architecte de la ville, est l’auteur de nombreuses monographies de villages héraultais. Son goût pour l’histoire semble avoir été de peu de poids dans l’élaboration de sa pièce.

46. Il semble bien que ces reliques aient été conservées à la salle Maugenet, passage Bruyas. Mais dans les années 1960, une crise interne et le départ du maître Michel Alaux, successeur de Maugenet, ont précipité la dissolution de l’association et la fermeture de la salle d’armes. Les documents divers et ornements accumulés auraient été dispersés aux enchères. Peut-être certains reparaîtront-ils un jour ?

47. Une double page de L’épée, dans le numéro du 5 octobre 1907, présentait quelques documents relatifs à Jean-Louis. Les épreuves photographiques sont évidemment de mauvaise qualité. J’ai retenu le buste de Joumeau, ainsi qu’un certificat de mérite délivré à Jean-Louis en 1815, et signé entre autres par Lafaugère et Gomard, deux des plus célèbres maîtres d’armes du début du XIXe siècle.

48. Dans l’Annuaire de l’Hérault de 1939, une notice sur la Fédération régionale d’Escrime énumère les onze sociétés affiliées : y figurent côte à côte l’Association Jean-Louis et la Société d’escrime du Cercle de la Loge.

49. La Vie Montpelliéraine et Régionale du 17 novembre 1907.

50. L’Épée du 23 novembre 1907

51. Jacques Thibault : « Sociétés et clubs sportifs dans la société française avant 1901 » in CIEREC, Colloque Sport et Société, juin 1981, Université de Saint-Étienne.

52. Cité dans la page consacrée à l’enfant de troupe Jean-Louis sur le site Internet de l’Association départementale : http://www.aetherault.coni/jl-michel.2.html. Si l’anecdote est véridique, elle montre combien la famille Michel put marquer les esprits à Montpellier, et alimenter l’imaginaire populaire de l’époque.

53. Des renseignements substantiels sur le compositeur et son œuvre se trouvent sur le site Internet de la revue Opérette, à l’adresse : http://anao.pageesperso-orange.fr/composit/roger.html.

54. L’existence à Lille d’une feuille consacrée exclusivement au sport, La Vie sportive du Nord, n’a pas d’équivalent à Montpellier avant la guerre. Le journal offre un espace ouvert à l’expression des débats multiples inhérents à cette période de "sportivisation" des activités de loisir. Par ailleurs, la proximité de Paris, où travaillent plusieurs rédacteurs importants, facilite la diffusion des idées bouillonnant dans la capitale. Ce qui ne signifie pas que ces débats n’existent pas en Languedoc : ils n’ont simplement pas l’occasion de s’exprimer publiquement.

55. La Vie sportive du Nord publie de nombreux articles consacrés à l’évolution de l’escrime. Les deux citations datent de 1913.

56. L’épée, n° 65 du 14 décembre 1907

57. Placard publicitaire de la FNE dans L’Épée du 18 janvier 1914.

58. L’Éclair du 19 février 1914. (Note manquante)

59. Sur Lafaugère, V. Calvet : « Un maître d’armes Agenais, Jean-Louis-Laurent-Justin Lafaugère (1782-1856) », Revue de l’Agenais n° 5, septembre 1903 pp 374-400. D’Augustin Grisier, Les Armes et le duel, Paris Garnier 1847, ainsi que sa biographie romancée par Dumas : Le Maître d’armes, 1840, à laquelle il a collaboré.