Hyacinthe et Gaspard Rigaud à Montpellier : documents inédits

Des frères Rigaud, Hyacinthe (1659-1743) et Gaspard (1661-1705), peintres de leur état, la postérité a surtout retenu l’aîné dont le nom exprime à lui tout seul l’art du portrait français au seuil du XVIIIe siècle. On sait moins que son frère suivit ses pas non sans talent, comme en témoignent les quelques tableaux signés de sa main (Fig. 1) qui nous soient parvenus 1. La tradition veut que nés à Perpignan, les frères Rigaud aient reçu les rudiments de leur art à Montpellier. Pour autant, on demeure mal renseigné sur leurs débuts et sur les différentes étapes qui les conduisirent jusqu’à Paris, où se déroula l’essentiel de leur carrière. La découverte de deux contrats d’apprentissage les concernant vient éclairer de façon déterminante ces années languedociennes.

Jusqu’à une date récente, le peu d’informations dont on disposait à propos de la formation reçue par l’aîné des Rigaud se fondait sur trois témoignages : l’Abrégé de la Vie d’Hyacinthe Rigaud, très certainement rédigé par le peintre lui-même 2 et « l’un de ses amis » en 1716 à la demande du Grand Duc de Toscane Côme III ; la Vie de M. Rigaud par Hendrik Van Hulst 3 qui est postérieure au décès de l’artiste, tout comme le sont les pages que lui consacreAntoine Joseph Dezallier d’Argenville dans son Abrégé de la vie des plus fameux peintres4. Que nous dit Hyacinthe de son parcours initial ? Méconnaissant la date réelle de sa naissance (1659), puisqu’il se rajeunit de quatre ans (1663), il explique que « Marie Serre, sa mère, ne voulant point s’opposer à l’inclination qu’il sembloit avoir héritée de ses pères 5, l’envoya âgé de 14 ans en Languedoc chez un peintre de Montpellier nommé Pezet, peintre médiocre, où il demeura en pension l’espace de 4 ans, après lesquels, jugeant bien luy même qu’il avoit besoin d’un maître plus habile, il partit pour Lion, il y passa quelques années et vint à Paris en 1681 » 6. Si l’on se fie au récit de l’aîné des Rigaud et à la chronologie qu’il nous fournit, il aurait donc quitté Perpignan en 1677 pour entrer en apprentissage à Montpellier chez le peintre Paul Pezet (1622-1707), auprès duquel il serait demeuré jusqu’en 1680, date à laquelle il aurait gagné Lyon.

Gaspard Rigaud, Portrait d’homme, 1686 ou 1696
Fig. 1 - Gaspard Rigaud, Portrait d’homme, 1686 ou 1696. Collection particulière
© Christie’s Images Limited, 2005.

Première approximation dans ce scénario : ce ne sont donc pas « quelques années » que Hyacinthe aurait passées dans la capitale des Gaules, mais à peine un an, puisqu’il se dit à Paris dès 1681. Confiant, Dezallier d’Argenville reprend à son compte les affirmations de l’artiste qu’il a bien connu. Tout juste enrichit-il le cercle des maîtres dont Rigaud aurait appris le métier à Montpellier : « il y [étudia] sous Pezet et Verdier, peintres assez médiocres : quelques personnes assurent qu’il travailla aussi chez Ranc le père » 7. Notons au passage que si Pezet peut prétendre, par son expérience acquise de longue date, au statut de patron, il n’en est pas de même pour l’un ou l’autre des Verdier, Guillaume (né en 1652) ou Henri (né en 1655), qui font plus figure de condisciples que de maîtres. Mieux renseigné, ne serait-ce que parce qu’il a cherché l’extrait baptistaire de Rigaud et établi son année exacte de naissance, Van Hulst nous propose une autre chronologie : « [le secours] des grands exemples lui manquoit absolument à Perpignan. Avant d’avoir atteint l’âge de quatorze ans, il n’y trouva plus ni maître ni tableau qui ne cédât à ce qu’il avoit acquis de talent. Il ne s’en crut pas plus habile (…) » ; envoyé à Montpellier par sa mère, « il s’y mit sous la conduite de Pezet, peintre médiocre, mais qui possédoit une collection de beaux tableaux. Cette circonstance le décida. Ranc exerçoit l’art dans la même ville ; il étoit beaucoup plus habile que Pezet. Rigaud se concilia son amitié, et l’eut en quelque sorte pour maître aussi, sans pourtant quitter le dernier, préférant à tout autre avantage celui de vivre habituellement avec les ouvrages des grands hommes qui paroient son cabinet. Cela l’occupa pendant quatre ans. S’étant ensuite rendu à Lyon, parce que ses conducteurs lui avoient dit qu’il pouvoit se produire par lui-même, il s’y arrêta quatre autres années (…). Il ne put (…) se rendre à Paris qu’au commencement de 1681 » 8.

Ayant gagné Montpellier avant l’été 1673, puisqu’il n’avait pas quatorze ans, le jeune Hyacinthe serait entré en apprentissage auprès de Paul Pezet pour une durée de quatre ans, tout en fréquentant Antoine Ranc sans en être officiellement l’élève. Au mitan de l’année 1677, il se serait mis en chemin pour Lyon où il serait resté à nouveau quatre ans, son installation définitive à Paris ne pouvant se faire que dans les six premiers mois de 1681. Si ces témoignages consentent, non sans réticence, à donner un maître à Rigaud, car c’est moins sous l’égide de Pezet que de sa collection d’exempla que tous trois placent la formation de Hyacinthe, ils omettent une étape importante entre Perpignan et Montpellier. On doit en effet à Julien Lugand 9 d’avoir découvert que le premier maître attesté de Rigaud ne fut point Paul Pezet, mais Pierre Chypolt, maître « sculteur et doreur » de Carcassonne, auquel, le 17 juillet 1671, Maria Serra confie son fils, afin « de luy montrer et enseigner (…) du mieux qu’il luy sera possible ledit art de sculteur et peintre » 10. Hyacinthe va avoir douze ans ; l’apprentissage est conclu pour cinq ans ; Chypolt ne réclame en contrepartie de son enseignement « aucun argent », Maria Serra étant seulement tenue d’entretenir son fils « d’habitz et chaussure ». Quoi qu’il ait été le maître du sculpteur Jean-Jacques Mélair, l’activité de Pierre Chypolt demeure obscure : n’en subsiste de façon certaine que le tabernacle de l’église de Mirepoix ; tous les autres contrats que Jean-Louis Bonnet 11 a pu retrouver renvoient en effet à des œuvres dont la trace a été perdue. Il semble cependant qu’il ait beaucoup travaillé entre 1647 et 1675 pour les églises de l’actuel département de l’Aude (Carcassonne, Barbaira, Espéraza…) et Mirepoix, en Ariège.

Nous fondant sur le témoignage de Van Hulst, le seul véritablement digne de foi puisqu’il construit sa chronologie à partir de l’année 1659, nous avions émis en 2003 12 l’hypothèse selon laquelle le jeune Hyacinthe avait très certainement quitté l’atelier de Chypolt avant le terme fixé. La découverte dans les fonds notariés des Archives départementales de l’Hérault du contrat d’apprentissage liant Rigaud à Paul Pezet 13 (Fig. 2) en apporte la confirmation. Signé le 10 novembre 1673, le contrat régularise une situation engagée depuis le 1er mai de la même année : Hyacinthe sera donc resté auprès de Chypolt moins de deux ans. Cette fois-ci, Maria Serra s’efface au profit de son nouvel époux, le négociant Gaspar Geli, qui agit en tant que beau-père de Hyacinthe 14. Les 200 livres exigées en contrepartie de la formation sont révélatrices du plus haut degré de notoriété dont bénéficie Pezet par rapport à Chypolt : vu de Paris et de l’Académie royale de peinture et de sculpture, le montpelliérain mérite peut-être l’épithète de « peintre médiocre », mais sa renommée au niveau local est sans commune mesure avec celle du modeste praticien de Carcassonne.

Signatures au bas du contrat d’apprentissage de Hyacinthe Rigaud auprès de Paul Pezet, 10 novembre 1673
Fig. 2 - Signatures au bas du contrat d’apprentissage de Hyacinthe Rigaud auprès de Paul Pezet, 10 novembre 1673. Montpellier, Archives départementales de l’Hérault ©AD Hérault.
Paul Pezet ? Pietà, 1703. Mont-Louis, église Saint-Louis
Fig. 3 - Paul Pezet ? Pietà, 1703. Mont-Louis, église Saint-Louis © Conseil Général 66 / CCRP.

On lui attribue de façon certaine une Annonciation15 exécutée pour un plafond à compartiments de l’église des Pénitents Blancs à Montpellier, dont la décoration s’articulait autour de la Vie et de la Passion du Christ. L’ensemble des toiles dont l’exécution s’étend de 1671 à 1675 environ est l’œuvre de son atelier, mais alourdies par de nombreux repeints, il n’est guère possible de les apprécier à leur juste valeur. Lui revient peut-être également la Pietà (Fig. 3) de l’église Saint-Louis à Mont-Louis, que nous avons montrée en 2009 dans le cadre de l’exposition Rigaud intime16.

Pezet remplit également pendant une quinzaine d’années les fonctions de peintre officiel de la ville de Montpellier : à ce titre, il est donc chargé d’exécuter les portraits des Consuls de 1659 à 1667, puis encore en 1675 17. Compte tenu de sa présence aux côtés de Pezet entre 1673 et 1677, il se peut que Rigaud ait prêté la main tant au plafond des Pénitents Blancs qu’aux effigies des magistrats municipaux. Par la suite, il semble que Pezet ait quitté Montpellier, puisque son activité est attestée d’abord à Pézenas en 1685, puis peut-être à Narbonne en 1703 18. Toujours est-il que sa collection de tableaux devait être suffisamment importante pour que Hyacinthe n’ait pas été tenté de le quitter au profit de son confrère Antoine Ranc, personnalité d’une tout autre envergure. De fait, Rigaud s’acquitte des quatre ans réglementaires prévus au contrat : le 18 mai 1677 (Fig. 4), maître et apprenti se déclarent satisfaits l’un de l’autre et se séparent 19.

Signatures au bas de l'acte portant achèvement de l'apprentissage de Hyacinthe Rigaud auprès de Paul Pezet, 18 mai 1677
Fig. 4 - Signatures au bas de l'acte portant achèvement de l'apprentissage de Hyacinthe Rigaud auprès de Paul Pezet, 18 mai 1677. Montpellier, Archives départementales de l’Hérault © AD Hérault.

On ne sait ce qu’il advient de Hyacinthe jusqu’au 28 mai 1678, date à laquelle il assiste comme témoin à la signature du contrat d’apprentissage de son frère Gaspard auprès d’Antoine Ranc 20 (Fig. 5). Pourtant, rien, au départ, ne destinait Gaspard au métier de peintre : Maria Serra ne l’avait-elle pas mis en apprentissage le 18 janvier 1674 chez Pau Casellas, maître cordier 21 ?

Signatures au bas du contrat d’apprentissage de Gaspard Rigaud auprès d’Antoine Ranc, 28 mai 1678
Fig. 5 - Signatures au bas du contrat d’apprentissage de Gaspard Rigaud auprès d’Antoine Ranc, 28 mai 1678. Montpellier, Archives départementales de l’Hérault
©AD Hérault.

Cette réorientation professionnelle, dans laquelle il faut peut-être voir l’influence de l’aîné des Rigaud, ne laisse pas d’étonner. Les conditions qui président à la conclusion du contrat de 1678 sont pratiquement les mêmes que celles arrêtées en 1673 entre Gaspar Geli et Pezet : sans doute émancipé, Gaspard Rigaud agit en son nom propre ; il s’engage à verser 200 livres, tandis qu’Antoine Ranc promet pendant quatre ans de l’ « instruire et [lui] enseigner sond[it] mestier (…), le nourrir et entretenir sain et malade jusques à cure de médecin ». L’acte nous livre en outre deux informations essentielles : son apprentissage terminé auprès de Pezet, Hyacinthe est demeuré à Montpellier, ce qui place son départ pour Lyon au plus tôt à la fin de l’année 1678 ; comme le suggère Van Hulst, il fréquente Antoine Ranc et ses élèves, les frères Verdier 22.

Devenu peintre à part entière, va-t-il jusqu’à s’employer comme compagnon auprès de celui dont le fils, Jean Ranc (1674-1735), deviendra son neveu en épousant la fille de Gaspard  23 ? Rien ne permet de l’affirmer, mais on sait que contrairement à l’alloué, le compagnon est engagé sans qu’un contrat soit passé devant notaire ; son activité, voire son existence au sein de l’atelier, échappe donc en grande partie à l’historien 24. Même s’il reste difficile à évaluer, le rôle de Ranc père dans les débuts de Hyacinthe fut sans doute loin d’être négligeable. L’affection qui liait les Rigaud et les Ranc est d’ailleurs attestée non seulement par une dédicace inscrite au dos d’un autoportrait (Fig. 6) dont Hyacinthe fit présent à l’un des deux Ranc en 1696, mais encore par le portrait (Fig. 7) qu’aurait fait le catalan d’Antoine 25 à la même date. Michel Hilaire a rappelé récemment combien Ranc père avait été « la grande personnalité de la seconde moitié du [XVIIe] siècle à Montpellier » 26. Son enseignement était alors fort recherché : outre les frères Rigaud et les frères Verdier, son atelier accueillit François Caumette, André Loys, Legrand, Jean et Guillaume Ranc ses fils, Simon et Jean Raoux. Né en 1634 dans une famille de cordonniers protestants illettrés, Antoine Ranc avait reçu les leçons d’un peintre flamand, Jean Zueil, arrivé à Montpellier vers 1630, naturalisé en 1647 et connu sous le nom de « Jean François ». Devenu peintre officiel des Consuls, beau-frère de Samuel Boissière, Jean Zueil ouvrit les artistes locaux aux influences nordiques et les initia à la manière de Rubens et de Van Dyck. Après un séjour romain que l’on situe vers 1654, Antoine se fixa dans sa ville natale et travailla pour les églises locales. Il se lia d’amitié avec le peintre toulousain Jean de Troy (1638-1691), dont le frère cadet, François (1645-1730) devait s’illustrer à Paris dans l’art du portrait, concurremment à Hyacinthe Rigaud et à Nicolas de Largillierre.

Hyacinthe Rigaud, Autoportrait, 1696. Méré, château de Groussay
Fig. 6 - Hyacinthe Rigaud, Autoportrait, 1696. Méré, château de Groussay, coll. Jean-Louis Remilleux
© Daniel Rey.
Hyacinthe Rigaud, Portrait présumé d’Antoine Ranc, 1696
Fig. 7a - Hyacinthe Rigaud, Portrait présumé d’Antoine Ranc, 1696. Narbonne, musée d’art et d’histoire © Daniel Rey / Narbonne, musée d’art et d’histoire.
D'après Hyacinthe Rigaud, Portrait présumé d’Antoine Ranc
Fig. 7b - D'après Hyacinthe Rigaud, Portrait présumé d’Antoine Ranc. Collection particulière
© Christie's Images Limited, 1997.

L’œuvre peint d’Antoine Ranc nous est surtout connu grâce à ses grandes compositions religieuses : en 1667, il exécute pour 660 livres une grande Assomption pour le maître-autel de l’église Notre-Dame-des-Tables à Montpellier, malheureusement détruite en 1794 et vers 1688, un Saint Benoît d’Aniane et saint Benoît de Nursie offrant à Dieu la nouvelle église abbatiale d’Aniane (Aniane, église Saint-Sauveur). En 1691, il succède à Jean de Troy, dont la mort laisse inachevés une Guérison du paralytique et un Jésus remettant les clefs à saint Pierre, que lui avait commandés le chapitre de la cathédrale de Montpellier et qui devaient être installés de part et d’autre de La Chute de Simon le Magicien de Sébastien Bourdon. On lui attribue également une Présentation de Jésus au Temple, un Saint Augustin et un Saint Jacques destinés à l’église paroissiale de Mauguio (Fig. 8) et datés de 1698, une Sainte Catherine de Sienne recevant les stigmates et L’ange apparaissant à Joseph et lui ordonnant de prendre la fuite (1699) d’après Mignard pour l’église du couvent des dominicains (Montpellier, actuelle église paroissiale Saint-Mathieu), ainsi qu’un Christ en croix avec la Vierge, saint Pierre et saint Paul (vers 1680) pour l’église des Pénitents Bleus (Montpellier). Certains médaillons ornant les lambris de l’église des Pénitents Blancs et représentant des saints et des apôtres peints en camaïeu de bruns porteraient les initiales « A. R. ».

Antoine Ranc, Présentation au Temple, 1698. Mauguio, église paroissiale
Fig. 8a - Antoine Ranc, Présentation au Temple, 1698. Mauguio, église paroissiale © Jean- Claude Jacques / inventaire général, ADAGP.
Antoine Ranc, Saint Augustin, 1698. Mauguio, église paroissiale
Fig. 8b - Antoine Ranc, Saint Augustin, 1698. Mauguio, église paroissiale © C. Bertrand / inventaire général, ADAGP.
Antoine Ranc, Saint Jacques, 1698. Mauguio, église paroissiale
Fig. 8c - Antoine Ranc, Saint Jacques, 1698. Mauguio, église paroissiale © C. Bertrand / inventaire général, ADAGP.
Antoine Ranc, Portrait de Charles Joachim Colbert, évêque de Montpellier, 1705
Fig. 9 - Antoine Ranc, Portrait de Charles Joachim Colbert, évêque de Montpellier,
1705. Montpellier, Musée Fabre
© Musée Fabre de Montpellier Agglomération / cliché F. Jaulmes.

Enfin, un compte daté du 28 novembre 1710, extrait des archives de l’Hôpital général deMontpellier, énumère un certain nombre de travaux réalisés à la demande de l’évêque de Montpellier, Charles Joachim Colbert : le 18 juin 1701, un Calvaire « d’environ onze pans d’auteur sur huict de largeur » payé soixante-quinze livres ; le 15 septembre 1701, un Christ en croix, avec la Vierge et saint Léonce, pour l’église de Cazillac, « d’environ onze pans d’auteur sur sept et demi de largeur », payé trente-six livres ; le 8 janvier 1702, un Saint Charles Borromée pour le séminaire de Boutonnet, « d’environ dix pans d’auteur sur sept de largeur », payé trente-huit livres ;le 7 juillet 1703, un Christ en croix avec la Vierge et saint Jean Baptiste pour l’église de Saint-Jean de Védas, « d’environ huict pans d’auteur sur sept de largeur », payé trente-six livres ; le 3 novembre 1707, une Descente de croix, pour la chapelle de Notre-Dame-des-Douleurs de l’Hôpital général, payée soixante livres ; le 15 janvier 1710, un Saint Charles Borromée pour l’église de l’Hôpital général, « d’environ huict pans d’auteur sur six de largeur », payé quarante livres 27. Si ses tableaux religieux révèlent une attention particulière au faire de Nicolas Poussin, de Charles Le Brun ou de Pierre Mignard, les portraits d’Antoine Ranc empruntent davantage aux conceptions flamandes. Le Charles Joachim Colbert (Fig. 9) du musée Fabre de Montpellier 28 joint à la simplicité de la représentation, une manière ample et une texture épaisse de la pâte. Il se peut donc qu’à son contact, Hyacinthe Rigaud ait découvert les peintres du Nord et notamment Van Dyck qu’il invoqua toujours aux sources de son inspiration : outre Jean Zueil, Montpellier avait accueilli quelque temps auparavant un bruxellois, le peintre Jean de Wez.

Néanmoins, « malgré l’activité inlassable d’Antoine Ranc (…), le milieu montpelliérain demeure encore assez provincial et la tentative de fonder une véritable académie de peinture [à l’image de ce qui existe depuis 1648 à Paris] demeure sans lendemain après 1684, faute de soutien financier de la part de l’assemblée des États. La plupart des artistes formés dans l’atelier de Ranc ressentent le besoin de poursuivre ailleurs leur formation » 29… Fort d’au moins cinq années d’études à Montpellier, Hyacinthe part pour Lyon en compagnie d’Henri Verdier. Sa présence dans la capitale des Gaules est attestée le 13 février 1679 30. Le frère de Paul Pezet, Guillaume 31, les a précédés : le catalan n’arrive donc pas en terre inconnue. Il y demeurera jusqu’à la fin de l’année 1680. 1681 à peine éclose, son ambition lui fait gagner Paris, bientôt rejoint par Gaspard 32. Mais cela est une autre histoire…

Annexes

— I —

1673, 10 novembre. – Montpellier.

Contrat d’apprentissage de Hyacinthe Rigaud auprès de Paul Pezet.

Minute, 3 pages ; Montpellier, Archives départementales de l’Hérault, registre 2E60/88, fol. 454 recto-455 recto.

Aprantissage de Hiacinte Rigaud avec le s[ieu]r Pezet peintre.

Ce dixiesme novvembre mil six cens soixante treize apres midy dans Montpellier, par devant moy, no[tai]re et tesmoins, feut presant sieur Anthoine Bounié, mar[chan]t de Montp[elli]er, procureur expressemant fondé du sieur Gaspard Gely 1, négotiant de la ville de Perpignan, parastre de Hiacinte Rigaud 2, par procuration receue par m[aîtr]e Ranehon no[tai]re dud[it] Perpinhan le quatorziesme octobre dernier, l’original de laq[ue]lle il a en main, et suivant le pouvoir à luy donné, il a mis et met en aprantissage avec sieur Paul Pezet 3, peintre habitant dud[it] Montp[elli]er icy présant et acceptant scavoir led[it] Yiacinte Rigaud, aussy à ce présant et consentant, pour le temps et terme de quatre années complètes quy ont comancé le premier de may dernier, pendant lequel temps led[it] aprentif sera tenu de bien et fidellemant servir son maistre tant aud[it] art de peintre qu’autres choses licittes et honnestes quy luy seront comandées par luy et par autre de sa maison, et de luy demeurer par tout le temps qu’il perdra soit par maladie ou autrem[en]t temps par temps, et ledit sieur Gely sera tenu de luy demurer de toutes les chozes sinistres que sondit filhastre luy pourroit faire et de luy tenir les habits neufs, etc. et tenant à s’en aller de sond[it] maistre avant sond[it] terme finy, sans son consantemant, il luy sera permis de mètre un compagnon dudit art à la place dud[it] apprantif pendant son absance aux despans de sond[it] parastre. Et pour le présant apprantissage, led[it] sieur Bounier audit nom a accordé audit sieur Pezet la somme de deux cens livres, en desduction de laquelle led[it] sieur Pezet a receu dud[it] sieur Boenié la somme de cent livres en une lètre de change tirée par le sieur Andrau sur le sieurs Vernhes et Germain bourgeois, payable à deux jours de veue aud[it] s[ieu]r Boenié ou à son ordre, dattée à Perpinhan le vingt uniesme octobre dernier, pour par led[it] sieur Pezet s’en faire payer quand bon luy semblera, en faire quittance suffizante, agir en justice et autrement comme de son faict propre, auquell effet l’a subrogé à son lieu, droit et

… place, et luy a deslivré lad[ite] letre de change avec son ordre, la valeur de laquelle lètre a esté fournie par led[it] sieur Gelly, moyenant quoy led[it] sieur Pezet l’a quitté et quitte desd[its] cent livres, et les autres cent livres restans led[it] sieur Gely sera tenu comme led[it] s[ieu]r Boenié en lad[ite] qualité promet de le payer et satisfaire aud[it] s[ieu]r Pezet dans un an prochain accompter de ce jourd’huy 4. Et moyenant ce, led[it] s[ieu]r Pezet sera tenu de bien et deuemant nourir de depence de bouche led[it] aprantif sein et malade, jusques à cure de médecin et luy aprandre et enseigner suffizament led[it] art de peintre et ce quy déppend d’icelluy. Et pour l’observa[ti]on de ce dessus, lesd[ites] parties ont obligé scavoir : ledit sieur Boenié, les biens dud[it] s[ieu]r Gelliy suivant lad[ite] procura[ti]on qu’il a remize vers moy no[tai]re estant en liasse, led[it] s[ieu]r Pezet, tous et chacuns ses biens et l’aprantif, sa personne soumis aux rigueurs de cours pré[sidi]al, petit scel royal, viguerie et autres requises. Fait dans l’estude du no[tai]re, à ce présans s[ieu]r Guilhaume Castaing, bourgeois et Nicolas Bouzeran, pra[tici]en signés avec parties et moy, Anne Gardel, no[tai]re royal héréd[itai]re dud[it] Montp[elli]er soubs[ign]é.

(Signé :)         BONNYER         PAUL PEZET         JACINTE

                       CASTAING        BOUZERAN          R[I]GA[tache d’encre]U[ajouté au-dessus, tracé à l’envers : D]

                                                    GARDEL

(En marge du fol. 454 recto :) N[ot]a que l’aprantissage dernier cancellé par l’acte reçu par moy, no[tai]re, le 17e may 1677.

(En marge du fol. 455 recto :) y a quitt[an]ce desd[ites] cent livres restans du trentiesme mars mVIe septante cinq.

— II —

1677, 18 mai. – Montpellier.

Fin du contrat d’apprentissage de Hyacinthe Rigaud auprès de Paul Pezet.

Minute, 1 page ; Montpellier, Archives départementales de l’Hérault, registre 2E60/90, fol. 191 verso.

Cancella[ti]on d’apprantissage passé entre le sieur Pezet et Rigaud.

Ce dix huitième de may mil six cens septante sept après midy dans Montp[elli]er, par devant moy, no[tai]re et témoingz, furent p[rése]ns sieur Gaspard Gelly, négossian de la ville de Perpignan, sieur Paul Pezet, peintre ha[bita]nt de Montp[elli]er et Hiacinte Rigaud, filhastre dud[it] sieur Gely, lesquels ont consanti et consantent à la cancella[ti]on et résolution du contrat d’aprantissage dud[it] Rigaud receu par moy, no[tai]re, le dixième novambre mVIC septante trois, comme contants et satisfaits l’un l’autre du contenu en icelluy, du fait duquel ils se quittent respectivemant et promectent ne s’en rien demander soubs l’obliga[ti]on de le[urs] biens ainsin l’ont promis. Fait dans mon estude, à ce p[rése]ns m[aîtr]e Pierre Savarie et Pierre Aumerat signés [ajouté par un renvoi : sauf led[it] s[ieu]r Geli qui n’a peu signer à cause de [illisible] de la main 5] avec les parties et moy, Anne Gardel,

no[tai]re royal héré[ditai]re dud[it] Montp[elli]er soubs[ig]né.

(Signé :)         PAUL PEZET         RIGAUT         SAVARIE

                       AUMERAT                        GARDEL

— III —

1678, 28 mai. – Montpellier.

Contrat d’apprentissage de Gaspard Rigaud auprès d’Antoine Ranc.

Minute, 2 pages ; Montpellier, Archives départementales de l’Hérault, registre 2E57/274, fol. 159 recto-verso. – Signalé sans référence à la cote du registre par Emile Bonnet, Dictionnaire des artistes et ouvriers d’art du Bas-Languedoc (Aude, Gard, Hérault, Lozère), éd. par Jean-Claude et Nancy Richard, Montpellier, 2004, p. 404-405.

Apprantissage.

Ce jourd’huy vingt huitiesme du mois de may mil six cens septante huit après midy à Montp[elli]er, par devant moy, no[tai]re royal soub[sig]né et tesmoins bas nommés, a esté en personne Gaspard Rigaud 6, natif de la ville de Perpignan en Roussillon, lequel dézirant aprandre l’art et mestier de paintre, a convenu et arresté avec sieur Anthoine Ranc 7, [ajouté au-dessus : m[aît]re] paintre ha[bita]nt de la p[rése]n[t]e ville, p[rése]nt et acceptant, que led[it] sieur Ranc sera tenu comme il promet et s’oblige de prendre led[it] Rigaud en apprentissage pour luy aprendre led[it] mestier de paintre pandant le temps et terme de quatre années entières et concécutives quy commanceroit ce jourd’huy, ce qu’il a promis et promet de faire et durand led[it] temps, instruire et enseigner sond[it] mestier aud[it] apprentif, le nourrir et entretenir sain et malade jusques à cure de médecin, et led[it] aprentif a promis et promet de bien et fidellemant servir sond[it] mestre sans le pouvoir quitter pandant lesd[ites] quatre années et se faisant demeure convenu que sond[it] mestre mestra un compagnon à son lieu et place aux fraix et despans dud[it] apprentif, le p[rése]nt apprentissage fait pour et moyenant le prix et somme de deux cens livres payable scavoir présantemant cens livres que led[it] Rigaud a tout maintenant réellemant payée de comptant en escus blancz et monnoyes par led[it] s[ieu]r Ranc comptée, veriffiée, receue et emboursée à son contentemant au veu de moy, no[tai]re et tesmoins, dont est quitte led[it] Rigaud et promet ne luy en faire plus demande, et les cent livres restans, led[it] Rigaud a promis et promet de payer et acquitter aud[it] sieur Ranc d’aujourd’huy en un an prochain 8 à payne de tous despans, domages et suites dans sa maison en la p[rése]n[t]e ville. Et pour l’observa[ti]on de ce dessus, lesd[ites] partyes chacune comme l’est concerné, ont obligé et hipotéqué tous et chacunes leurs biens p[rése]ns et advenir qu’ont soumis aux rigueurs des cours de pré[sidi]al, petit scel et ord[inai]res royaux dud[it] Montp[elli]er et autres de droit requizes. Fait et recue aud[it] Montp[elli]er, estude de moy, no[tai]re, p[rése]ns avec Jacinte Rigaud 9, frère dud[it] Rigaud apprentif, Guillaume et Henry Verdier 10, frères, paintres ha[bita]ns dud[it] Montp[elli]er signés avec led[it] s[ieu]r Ranc, led[it] apprentif a dit ne scavoir signer et de moy, Jean Peras, no[tai]re royal héréditaire dud[it] Montp[elli]er soubs[igné].

(Signé :)         RANC

                       RIGAUT         VERDIER

                       VERDIER         PERAS

Notes des annexes

 1.  Gaspar Geli ( ?-1677), négociant de la ville de Perpignan. Il avait épousé en 1672 Maria Serra, mère de Hyacinthe et de Gaspard Rigaud. Maria avait perdu son premier mari, Maties Rigau, en 1669.

 2.  Hyacinthe Rigaud (1659-1743).

 3.  Paul Pezet (1622-1707).

 4.  Montpellier, Archives départementales de l’Hérault, 2E60/89, fol. 113 verso, quittance de Paul Pezet à Gaspar Geli, 30 mars 1675.

 5.  Nous savons par son inventaire après décès, que nous avons retrouvé aux Archives départementales des Pyrénées-Orientales, que Gaspar Geli décède cette même année 1677.

 6.  Gaspard Rigaud (1661-1705), frère de Hyacinthe.

 7.  Antoine Ranc (1634-1716).

 8.  Montpellier, Archives départementales de l’Hérault, 2E57/274, fol. 281 verso-282 recto.

 9.  Hyacinthe Rigaud (1659-1743).

 10.  Guillaume Verdier (1652-1714) et son frère Henri (1655-1721).

Notes

L’auteur tient à remercier chaleureusement toutes les personnes qui l’ont aidée dans l’élaboration de cet article et notamment : M. Jean-Yves Sarazin ; les personnels des Archives départementales de l’Hérault et du Rhône ; M. Jean Nougaret ; Mme Valérie Terrassi ; chez Christie’s, Mmes Elvire de Maintenant et Hélène Rihal, M. Benjamin Peronnet ; M. Jean-Bernard Mathon, directeur du Centre de Conservation et de Restauration du Patrimoine, Conseil général des Pyrénées-Orientales ; M. Guillaume Assié, Montpellier, musée Fabre ; Mme Vérène Charbonnier, inventaire général, service du Patrimoine régional, Région Languedoc-Roussillon ; M. Daniel Rey ; M. Jean Lepage.

1. Sur Gaspard Rigaud, voir François Macé de Lépinay, « Un peintre méconnu : Gaspard Rigaud, frère de Hyacinthe. Quatre portraits retrouvés », dans Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1971, p. 91-101 et du même auteur, la biographie et les notices qu’il lui consacre dans le catalogue de l’exposition Visages du Grand Siècle. Le portrait français sous le règne de Louis XIV (1660-1715), p. 236-237. Depuis les travaux pionniers de F. Macé de Lépinay qui a rendu huit toiles à Gaspard, quelques trop rares portraits signés de l’artiste sont apparus sur le marché de l’art comme ce portrait d’homme (huile sur toile ovale, H. 0,855 m x L. 0,65 m), signé et daté au dos de la toile fait a paris par gas..r Rigaud Le jeunn 16 ?6, passé en vente le 22 juin 2005 à Paris, chez Christie’s, lot 73, repr. (Fig. 1).

2. Florence, Archivio di Stato, Med. Princ., f. 1139, fol. 262 recto-266 verso. Edité dans Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l’Académie royale de peinture et de sculpture, éd. Ph. de Chennevières, L. Dussieux, P. Mantz, A. de Montaiglon et E. Soulié, Paris, t. II, 1854, p. 114-122 et par Wolfram Prinz, Die Sammlung der Selbstbildnisse in den Uffizien. Band I Geschichte der Sammlung (…), Berlin, 1971, p. 202-204. Dans une lettre qu’il adresse au Grand Duc le 29 octobre 1716, Rigaud écrit : « j’ay l’honneur de luy [à Son Altesse royale le Grand Duc] envoyer cet abrégé, tel qu’il a plû à un de mes amis de le faire » (Florence, Archivio di Stato, Med. Princ., f. 1139, fol. 260 recto-261 verso, édité par Prinz, op. cit., p. 201).

3. Paris, Bibliothèque de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts, Ms. 117, pièce n° 1. Edité dans Mémoires inédits…, op. cit., p. 126-133. Sur Hendrik Van Hulst, voir notre mise au point dans le catalogue de l’exposition Rigaud intime (1659-1743), Perpignan, 2009, p. 100, notice n° 17.

4. Paris, Chez De Bure l’aîné, t. II, 1745, p. 405-415.

5. Si Hyacinthe et Gaspard comptent trois peintres dans leur ascendance (leur bisaïeul Honorat, leur grand-père Jacinto et leur grand-oncle Honorat), leur père Maties, contrairement à une légende que les deux frères eurent soin d’alimenter, ne fut jamais peintre, mais « sastre », tailleur d’habits. Sur cette légende et ses raisons, voir Ariane James-Sarazin, « Hyacinthe Rigaud. Perpignan, Paris, la gloire », dans le catalogue de l’exposition Rigaud intime (1659-1743), op. cit., p. 28-38.

6. Prinz, op. cit., p. 202.

7. Voir note 4, op. cit., p. 405.

8. Mémoires inédits…, op. cit., p. 128-130.

9. Peintres et doreurs en Roussillon aux XVIIe et XVIIIe siècles, Perpignan, 2006, p. 44-45, 48, 53, 223.

10. Perpignan, Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 3E1/6162, fol. 56-57. Edité dans Ariane James-Sarazin, Hyacinthe Rigaud (1659-1743), thèse de doctorat, Paris, EPHE, 2003, vol. X, p. 2190 (à paraître aux éditions Faton). Comme l’a bien montré Julien Lugand, op. cit., en choisissant Carcassonne, puis Montpellier pour la formation de son fils, Maria Serra déroge aux habitudes roussillonnaises qui voulaient qu’un apprenti soit formé sur place. Il faut ici très certainement invoquer des raisons familiales (parentèle languedocienne), mais aussi économiques (Perpignan n’offrant alors que des débouchés limités) et professionnelles. Rappelons que la mère de Maria Serra, Hieronima, s’était remariée avec un marchand de tissus languedocien, « mussur » Andreu Langlet, qui fut le parrain du petit Hyacinthe et que Rigaud est un nom récurrent dans les archives notariales de Montpellier. Voir sur cette question dans le catalogue de l’exposition Rigaud intime (1659-1743), op. cit. : Ariane James-Sarazin, « Hyacinthe Rigaud, Perpignan, Paris, la gloire », p. 30-32, Joan Peytavi Deixona, « Les Rigau avant Rigaud », p. 48 et Julien Lugand, « Peindre à Perpignan (1659-1671) », p. 60. Notons enfin qu’Antoine Ranc, auprès de qui Gaspard Rigaud entrera en 1678 en apprentissage à Montpellier, était le fils de Marguerite Gélie : même s’il s’orthographie autrement, « Gelie » est aussi le nom du second époux de Maria Serra, Gaspar Geli, qui placera Hyacinthe Rigaud en apprentissage auprès de Paul Pezet en 1673 à Montpellier…

11. Nous remercions Jean-Louis Bonnet de nous avoir communiqué ces informations. Voir de ce grand connaisseur de l’histoire de Carcassonne et du Minervois, « Jean-Jacques Mélair et les sculpteurs audois du XVIIe siècle », dans Bulletin de la société d’études scientifiques de l’Aude, 1987, vol. 87, p. 49-73. Dans tous les actes le concernant, Chypolt est qualifié de « maistre », terme d’usage courant, n’impliquant pas un statut particulier comme le rappelle Antoine Schnapper (Le métier de peintre au Grand Siècle, Paris, 2004, p. 98), puisque Carcassonne est une « ville sans maîtrise ».

12. Voir note 10, op. cit., vol. I, p. 15.

13. Voir l’acte I édité dans le présent article.

14. Maties Rigau, père de Hyacinthe et de Gaspard, meurt le 18 avril 1669. Sa veuve, Maria Serra, se remarie en 1672 (date présumée, par déduction faite à partir d’actes économiques concernant les nouveaux époux que nous avons retrouvés auxArchives départementales des Pyrénées-Orientales, 3E4/14, fol. 300 et 568) avec Gaspar Geli, négociant de Perpignan. Comme l’atteste son inventaire après décès, également retrouvé par nos soins en 2003 (Perpignan, Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 3 E 1/6 691), Gaspar Geli meurt en 1677. Cet inventaire est précieux, puisqu’il cite l’une des toutes premières œuvres de Hyacinthe Rigaud : le portrait à mi-corps qu’il exécuta entre 1672 et 1677 de son beau-père et dont Dezallier d’Argenville (op. cit., p. 412) nous dit qu’il l’aurait brossé « en deux heures de temps ».

15. Francine Arnal et Alain Chevalier, Tableaux religieux du XVIIe siècle à Montpellier, Montpellier, 1993, p. 38-45. Selon les auteurs, reviendrait également à Pezet dans le même cycle le tableau de l’Ascension (1681), aujourd’hui disparu, ainsi que la Fuite en Égypte (1673) et peut-être l’Erection de la Croix (1674). L’Annonciation fut donnée par Pezet à la Confrérie des Pénitents Blancs dont il était membre.

16. op. cit., p. 114, notice n° 33 : huile sur toile, H. 1,60 m x L. 1,20 m, signé au bas et au centre de la toile : Pezet de Narbonne, 1703. Nous remercions Julien Lugand et Jean-Bernard Mathon de nous avoir signalé cette œuvre. En l’absence d’un prénom accompagnant le nom de « Pezet », on ne peut être totalement certain que la Pietà de Mont-Louis soit l’œuvre de Paul plutôt que d’Etienne Pezet, auquel le chapitre Saint-Just de Narbonne commande en 1701 un Christ en croix pour le retable de l’église de Védillan (Carcassonne, Archives départementales de l’Aude, G48, fol. 59, cité par Emile Bonnet, « Les portraits des consuls de Montpellier », dans Mémoires de la Société archéologique de Montpellier, 2e série, t. VIII, fascicule 1, 1920, p. 146, note 1). Emile Bonnet suggère qu’Etienne pourrait être le fils de Paul.

17. Pierre Clerc, Dictionnaire de biographie héraultaise, Barcelone, t. II, 2006, p. 1507-1508, ainsi que Bonnet, op. cit., p. 145-146.

18. Installé à Pézenas, Paul Pezet prend en apprentissage en 1685 Jean-Jacques Bedançon, fils de Gilles, peintre-doreur originaire de Béziers, actif en Roussillon. Contrat découvert par Julien Lugand, op. cit., p. 45, 200. On sait également de Paul Pezet qu’il épousa en 1646 Diane Sercamanens, puis en secondes noces en 1657 Judith Fides et qu’il eut au moins un fils, nommé Guillaume, peintre comme lui. Voir Clerc, op. cit., p. 1507-1508 et Louis de La Roque, Biographie montpelliéraine : peintres, sculpteurs et architectes, Montpellier, 1877, p. 45.

19. Voir l’acte II édité dans le présent article.

20. Voir l’acte III édité dans le présent article. Il est intéressant de comparer les conditions de l’apprentissage à Montpellier avec Perpignan et Paris. Hyacinthe entre en apprentissage chez Chypolt à 12 ans et chez Pezet à 14 ans, ce qui se rapproche davantage de la situation parisienne, où plus d’un tiers des apprentis peintres commencent avant dix ans (Isabelle Richefort, Le métier de peintre à Paris dans la première moitié du XVIIe siècle, Paris, 1998, p. 20), que de Perpignan, où « l’âge moyen [seize ans] est légèrement supérieur » (Julien Lugand, op. cit., p. 48). En revanche, Gaspard a 17 ans lorsqu’il se place chez Antoine Ranc, imitant en cela ses confrères catalans. Comme à Paris, l’apprenti est à Montpellier nourri, logé et chauffé par le maître, mais vêtu et chaussé par ses parents ; la durée de l’apprentissage ainsi que la rémunération du maître sont assez proches de ce que l’on trouve tant à Paris (entre 3 et 7 ans, pour un prix allant en général de 10 à 50 livres par an ; Isabelle Richefort, op. cit., p. 20-21 et Antoine Schnapper, op. cit., p. 99) qu’à Perpignan (entre 2 et 6 ans, pour un prix allant de 50 à 110 livres ; Julien Lugand, op. cit., p. 44). En revanche, la maîtrise de l’écrit semble avoir manqué aux frères Rigaud, alors qu’en Roussillon, « à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, la plupart des apprentis a déjà reçu, à cet âge [seize ans], les rudiments de l’enseignement : les bases de la lecture, de l’écriture et du calcul. La qualité et l’aisance de la plupart des signatures de peintres et doreurs retrouvées dans les actes semblent le prouver » (Julien Lugand, op. cit., p. 48-49). En 1673, Hyacinthe signe d’une main mal assurée, oublie une lettre (le « i ») et assortit le tout d’une grosse tache d’encre ; en 1677 et 1678, à 18-19 ans, les progrès sont patents, mais on est loin de l’assurance de ses signatures parisiennes. Quant à Gaspard, il avoue à 17, puis 20 ans (Montpellier, Archives départementales de l’Hérault, 2E57/274, fol. 281 verso-282 recto) ne pas savoir signer (il signera en 1692 son contrat de mariage, voir note 32). La période de l’apprentissage est donc aussi l’occasion, du moins pour les frères Rigaud, de se familiariser avec la lecture et l’écriture, voire de les acquérir. Notons enfin qu’installé à Montpellier, Hyacinthe opte très naturellement pour une francisation de son nom de famille « Rigau », courant en Languedoc sous la forme « Rigaud », ce qui fait un sort définitif à tout ce que l’on a pu écrire sur cette question controversée (voir à ce sujet Ariane James-Sarazin, « Hyacinthe Rigaud. Perpignan, Paris, la gloire », op. cit., p. 32).

21. Perpignan, Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 3E9/58. On doit la découverte de cet acte à Julien Lugand, op. cit., p. 52, 223.

22. Les frères Verdier sont originaires de Montpellier. Guillaume (1652-1714) fait toute sa carrière dans sa ville natale. Il est chargé de décorer la grand’chambre de l’hôtel Deydé (aujourd’hui Saint-Etienne), sous la direction de d’Aviler, en 1695. Dans son Histoire de la ville de Montpellier (Montpellier, 1737, vol. II, p. 393), Charles d’Aigrefeuille nous dit au sujet d’Henri qu’il « nâquit à Montpellier en 1655. Il prit dans cette ville ses premières leçons de peinture, sous Ranc le père, avec le célèbre Hyacinthe Rigaud, qui y étudioit en même tems. Ils en partirent ensemble, pour aller se perfectionner à Paris, mais étant arrivez à Lyon, Verdier y fut arrêté pour divers ouvrages qu’on lui donna. » Henri (1655-1721) quitte donc Montpellier en compagnie de Hyacinthe et s’installe à Lyon où il reçoit le titre de peintre ordinaire de la Ville de 1693 à 1721. On lui attribue le Christ au Jardin des Oliviers (1674) du plafond de l’église des Pénitents Blancs de Montpellier, ce qui laisserait supposer qu’il passa dans l’atelier de Pezet, avant d’étudier auprès d’Antoine Ranc. Lors de nos recherches à Lyon, nous avons retrouvé plusieurs témoignages de l’activité d’Henri Verdier dans la capitale des Gaules : le 15 mai 1696, il reçoit parfait paiement de 314 livres 10 sols pour « avoir fait le portrait original de Monseigneur le comte de Canaples [Alphonse de Créqui], commandant pour le roy en ce gouvernement et deux copies d’iceluy, et trois cadres pour lesdits portraits (…) et quelques autres ouvrages de peinture », à savoir « nettoyé, préparé et verni la Descente de Croix de Jacques Palma » qui ornait la chapelle de l’Hôtel de Ville (Lyon,Archives municipales, BB 254, fol. 47) ; le 21 mars 1698, ce sont 1000 livres qui lui sont versées pour avoir exécuté les portraits, tant originaux que copies, des Consuls pendant les années 1696 et 1697 (Lyon, Archives municipales, BB 257, fol. 41). D’autres paiements interviennent pour différents ouvrages de peinture (portraits des Consuls, décors éphémères pour les mays, la fête de la Saint-Jean, etc.) en 1699 (BB 258, fol. 102, 141), 1700 (BB 259, fol. 78), 1701 (BB 260, fol. 204), 1702 (BB 261, fol. 194), 1703 (BB 262, fol. 55, 132, 165), etc. Sur les frères Verdier, voir La Roque, op. cit., p. 43-45 ; Arnal et Chevalier, op. cit., p. 43 ; Clerc, op. cit., p. 1891. Sur Henri, voir André Clapasson, Description de la ville de Lyon 1741, éd. Gilles Chomer et Marie-Félicie Pérez, Seyssel, 1982, p. 122 ; Dictionnaire historique de Lyon, Lyon, 2009, p. 82. Henri eut un fils, Joachim (vers 1691-1749), qui lui succéda dans ses fonctions de peintre ordinaire de 1721 à 1729 (Sylvie Martin, « De Joachim Verdier à Pierre Cogell : portraits des échevins lyonnais du XVIIIe siècle », dans Bulletin des musées et monuments lyonnais, 1993, n° 3-4, p. 62-83).

23. Fils d’Antoine, Jean Ranc épouse Marguerite Elisabeth Rigaud, fille de Gaspard Rigaud et de Marie Marguerite Caillot, le 13 juin 1715 à Paris (Paris, Archives nationales, ét. XIII, liasse 184 ; édité par Henri Jouin, « Contrat de mariage de Jean Ranc (1715) », dans Nouvelles archives de l’art français, 1887, p. 140-143).

24. Voir à ce sujet Antoine Schnapper, op. cit., p 104 : « entre les maîtres et les apprentis se place le petit monde, capital dans l’exercice du métier mais obscur, des compagnons ».

25. Hyacinthe Rigaud, Autoportrait dit au manteau bleu, huile sur toile, H. 0,83 m x L. 0,65 m, inscription au dos de la toile : portrait de Rigaud // peint par lui meme // pour son amy Ranc // en 1696, Méré, château de Groussay, coll. Jean-Louis Remilleux. Cet autoportrait fut offert par Rigaud soit à Antoine Ranc à l’occasion du voyage que fit Hyacinthe en Roussillon entre 1695 et 1696, soit comme le suggère Dominique Brême, à Jean Ranc, l’année où celui-ci fit son entrée dans l’atelier parisien de Hyacinthe. Hyacinthe Rigaud, Portrait présumé d’Antoine Ranc, 1696, huile sur toile, H. 0,81 m x L. 0,64 m, Narbonne, musée d’art et d’histoire, inv. 859-3-27. Un dessin réalisé à la pointe d’argent sur vélin (ovale, H. 9,9 cm x L. 8 cm) garde également le souvenir de ce portrait présumé d’Antoine Ranc : il est passé en vente à Londres, chez Christie’s, le 1er juillet 1997, n° 127, repr. p. 136 (comme école française de la fin du XVIIe siècle, portrait d’homme) et porte au verso l’inscription suivante : Ranc (Jean) / dessiné par lui-même. La datation du tableau (1696) auquel correspond ce dessin exclut selon nous de voir dans l’un et l’autre les traits de Jean Ranc, alors âgé de 22 ans.

26. « Raoux et Montpellier », dans catalogue de l’exposition Jean Raoux (1677-1734), un peintre sous la Régence, Paris, 2009, p. 7. Sur la vie et l’œuvre d’Antoine Ranc, voir La Roque, op. cit., p. 30-36 ; Charles Ponsonailhe, « Les deux Ranc, peintres de Montpellier », dans Réunion des sociétés des Beaux-Arts des départements, 1887, p. 173-208 ; Jean Penent, notice Antoine Ranc, dans le catalogue de l’exposition La peinture de Langue d’Oc (Aspects de la peinture dans les sociétés de langue d’oc de 1700 à 1735), Flaran, 1984, p. 17-18 ; Arnal et Chevalier, op. cit., p. 99 ; Clerc, op. cit., p. 1579-1580. Antoine épousa en secondes noces en 1671 Françoise Boyer dont il eut quatre fils : Jean, peintre, futur neveu de Hyacinthe Rigaud et gendre de Gaspard Rigaud ; Guillaume, peintre ; Jean-Baptiste, ingénieur du roi et Louis-Raymond, inspecteur des routes de Languedoc.

27. Paris, INHA, Bibliothèque Jacques Doucet, autographes d’artistes, carton 24, Extrait des archives de l’Hôpital général de Montpellier, B 227 et B 360. Dans son Dictionnaire…, op. cit., p. 388-389, Emile Bonnet cite d’autres ouvrages d’Antoine Ranc : les portraits des Consuls de Montpellier de 1668-1714 ; un grand tableau représentant l’extirpation de l’hérésie dans le royaume (1685) ; trois tableaux (une Vierge, un Ecce Homo et une sainte Madeleine) pour la confrérie de la Vraie Croix de Montpellier (1683) ; une bannière et deux écussons (1675) ; une Descente du saint Esprit sur les Apôtres pour la chapelle des Pénitents de Saint-Bauzille (1688) ; des peintures pour la voûte et les murailles du chœur de la cathédrale (1693) ; une Résurrection du fils de la veuve de Naïm pour les Pénitents Blancs ; quatre tableaux pour le retable du maître-autel de la chapelle des Augustins (1697) ; un Jésus-Christ apparaissant aux saintes Femmes pour l’église des Matelles ; un saint Julien et une sainte Basilisse pour l’église de Grabels. Le service régional de l’inventaire a également repéré et documenté une Assomption de la Vierge (1690) à la cathédrale Saint-Jean d’Alès, ainsi qu’une Crucifixion avec la Vierge et saint Jean-Baptiste à l’église de Castelnau-le-Lez et rapproche une autre Crucifixion, aujourd’hui à la cathédrale Saint-Pierre de Montpellier de celle commandée en 1703 par l’évêque Charles Joachim Colbert.

28. Huile sur toile, H. 0,73 m x L. 0,60 m, autrefois signée et datée : Ranc 1705, inv. 04.5.1. Un autre portrait est attribué à Antoine Ranc : il s’agit du cardinal Pierre de Bonzi (1631-1703), évêque de Béziers, archevêque de Toulouse et de Narbonne, huile sur toile, H. 0,66 m x L. 0,53 m, château de Castries, dont il existe deux autres versions à la cathédrale de Béziers.

29. Michel Hilaire, op. cit. (voir note 26), p. 8.

30. Natalis Rondot, Les peintres de Lyon du quatorzième au dix-huitième siècle, Paris, 1888, p. 172. Hyacinthe n’est plus en tout cas à Montpellier, lorsque son frère Gaspard s’acquitte des 100 livres restant dues au titre de son contrat d’apprentissage, le 16 septembre 1679 (Montpellier, Archives départementales de l’Hérault, 2E57/274, fol. 281 verso-282 recto). Nous préparons une étude, en complément de celle-ci, sur le séjour lyonnais de Hyacinthe Rigaud.

31. Clerc, op. cit., p. 1507-1508. Nous avons retrouvé un acte attestant de l’activité de Guillaume Pezet à Lyon : il s’agit de l’inventaire après décès, dressé en septembre 1710, d’un certain Vincent Sarazin, bourgeois de la ville de Genève, mais propriétaire à Lyon, dont l’importante collection de tableaux est expertisée par Guillaume, qualifié de « peintre » (Lyon, Archives départementales du Rhône, BP 2066).

32. On en est réduit aux conjectures quant à la date d’arrivée de Gaspard à Paris : rejoint-il son frère dès juin 1682, une fois son apprentissage achevé chez Antoine Ranc ? Sa présence dans la capitale du royaume est en tout cas attestée en 1692, année où il convole avec Marie Marguerite Caillot (contrat de mariage, 27 janvier 1692, Paris, Archives nationales, ét. XIII, liasse 118 ; analysé par François Macé de Lépinay, op. cit., p. 91-101).