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Description

Hommage à Robert Laurent (1908-2001)

Ce n’est pas sans émotion que la communauté historienne a appris la disparition de Robert Laurent survenue à Montpellier, le 24 juin 2001, dans sa quatre-vingt-treizième année. Tous ceux qui l’ont approché garderont le souvenir d’un homme qui a toujours su allier la plus grande rigueur scientifique à l’attention la plus bienveillante aux personnes. Né à Seclin dans le Nord le 10 septembre 1908, Robert Laurent aimait à souligner quelle chance avait été la sienne d’avoir pu préparer l’agrégation à la faculté des lettres de Strasbourg auprès de Marc Bloch, Lucien Febvre et de son oncle Georges Lefebvre. Professeur du second degré à partir de 1934 dans divers établissements d’Alsace, de la région parisienne et de Bourgogne notamment au lycée de Dijon de 1945 à 1950 et de 1954 à 1956, il choisit tout naturellement pour sa thèse, après l’agrégation, un sujet d’histoire économique et sociale sur la Bourgogne rurale que malheureusement vient interrompre pendant six années, de1939 à 1945, la guerre qu’il fait comme officier et une longue captivité de cinq ans. Sa thèse sur Les vignerons de la Côte d’Or au XIXe siècle, remise en chantier en 1945 et soutenue en 1955, fait toujours autorité en la matière. Elle constitue un modèle pour l’étude de la propriété en milieu rural. De même sa thèse complémentaire, consacrée à l’octroi de Dijon, met remarquablement en lumière l’intérêt de ce type d’étude pour l’histoire économique. Spécialiste d’histoire rurale, Robert Laurent s’attache également à l’étude du prix du froment en France au XIXe siècle, à celle de la croissance du produit agricole et à celle des mouvements de vignerons. Aussi, c’est tout naturellement qu’Ernest Labrousse lui demande de participer à la rédaction du tome 3 de L’histoire économique et sociale de la France qu’il codirige avec Fernand Braudel aux Presses universitaires de France en 1976.

Mais Robert Laurent a été aussi, à tous les sens du mot, un enseignant s’appliquant à communiquer à ses étudiants sa passion de l’histoire ainsi que la nécessité de toujours présenter des exposés bien construits. Il a fait partie de cette génération d’universitaires qui ont dû faire face au flot toujours montant d’étudiants sans jamais cesser de préparer année après année aux concours de recrutement de l’enseignement secondaire à une époque où la faiblesse de l’encadrement enseignant dans les universités interdisait en la matière un véritable turn over. Professeur à la faculté des lettres de Montpellier, devenue ensuite université Paul Valéry, de 1956 à 1977, en même temps que membre du jury d’agrégation au début des années 1960, il a dû aussi assurer la direction d’un nombre impressionnant de travaux d’étude et de recherche. Président fondateur du Centre d’histoire contemporaine du Languedoc-méditerranéen Roussillon en 1971, il en conserve la direction jusqu’en 1978. Outre ses travaux déjà cités d’histoire économique et sociale, il a plus particulièrement impulsé la recherche dans deux domaines de l’histoire contemporaine du Languedoc­Roussillon : l’histoire rurale, qui est ici pour une large part comme en Bourgogne, l’histoire de la viticulture et l’histoire de la Révolution française en particulier dans ses aspects socioéconomiques. C’est en s’appuyant sur les nombreux travaux qu’il a suscités et dirigés qu’il publie en 1987, en collaboration avec Geneviève Gavignaud, une synthèse sur La Révolution française dans le Languedoc méditerranéen. Dans la lignée de la meilleure historiographie révolutionnaire, il met en particulier l’accent sur la liaison existant à cette époque entre démographie et subsistances. Historien du socioéconomique, Robert Laurent se veut fidèle à l’École des Annales dont il a été le témoin privilégié de la genèse et des premiers pas et dont il expose magistralement les conceptions lors de la séance solennelle de rentrée de l’université de Montpellier en novembre 1958. Soulignant son apport à l’historiographie contemporaine en préface au livre d’hommage que ses collègues et ses anciens étudiants lui ont offert en 1982, Ernest Labrousse écrivait que ce qu’il aimait avant tout en lui c’était « le sûr et prudent historien de l’inégalité sociale ».

Robert Laurent a fait partie d’une génération pour laquelle l’attachement à la République et à la démocratie n’était pas un vain mot. C’est pourquoi il n’a pas été de ces professeurs d’université qui accueillirent dans la crainte et la méfiance les événements de mai 1968 sans pour autant d’ailleurs tout accepter d’un mouvement multiforme et contradictoire. Mais, ayant entretenu bien avant cette période et dès son arrivée à Montpellier les meilleurs rapports avec le mouvement étudiant, il ne se départit pas alors de son attitude de sympathie critique à l’égard d’étudiants qu’il avait toujours considérés au sein de l’université comme des partenaires majeurs. C’est aussi parce qu’il était un partisan convaincu de la démocratisation de l’enseignement supérieur qu’il avait accepté, malgré le surcroît de travail que cela comportait, de diriger de 1961 à 1966 l’institut d’études supérieures des lettres des Pyrénées-Orientales, devenu en 1963 le collège universitaire de Perpignan, qui dépendait alors de la faculté des lettres de Montpellier. Son rôle dans le développement et l’affermissement de l’enseignement universitaire dans cette ville doit être souligné car il a été de ceux qui ont ainsi préparé la renaissance de l’université de Perpignan qui sera enfin réalisée en 1979.

Lorsqu’il prend sa retraite en 1977, Robert Laurent confie à ses collègues et à ses amis que, même s’il regrette de quitter une université pour laquelle il a tant donné, c’est avec joie qu’il va enfin pouvoir pratiquer « l’art d’être grand-père ». C’est qu’en effet pour lui la vie de famille, dont il a été privé durant de longues années du fait de la guerre, a toujours beaucoup compté. Il réside désormais à Montpellier non loin de ses enfants et petits enfants durant la majeure partie de l’année et dans son chalet du Jura en été. Ses dernières années toutefois furent attristées par la disparition de son épouse en qui il avait toujours trouvé appui et compréhension. Que ses deux filles, leurs époux, nos collègues Gérard Cholvy et Jean­Claude Gégot, ses petits enfants trouvent ici le témoignage de toute la sympathie de ses anciens étudiants, de ses collègues, de tous ceux qui ont conscience que de l’avoir connu représente pour eux une richesse.

Informations complémentaires

Année de publication

2003

Nombre de pages

2

Auteur(s)

Jean SAGNES

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf