Hommage a Jean Nougaret membre de l’Académie des Sciences

* Historien du droit. Professeur émérite à l’Université Paris II Panthéon-Assas.

Hommage à Jean Nougaret

[ Texte intégral ]

L’hommage que je rends ici à Jean Nougaret est d’abord dicté par l’estime et une longue amitié en même temps que par les liens particuliers noués à l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier dont il était membre titulaire. Il y avait en effet été élu en 2005 sur le IXe fauteuil de la Section des Lettres et pour ma part j’avais eu le plaisir de donner la réponse à son discours de réception en rappelant alors sa carrière, son œuvre et ses grandes compétences 1. Mais plus encore, un fait particulier et le plus ancien nous rapprochait : sa carrière avait commencé sous l’égide de Jean Claparède à qui des liens familiaux m’attachaient. Or il y avait là pour Jean Nougaret une sorte de signe du destin car Jean Claparède, conservateur du musée Fabre depuis 1943, ayant des charges d’enseignement à la faculté des Lettres de Montpellier et à l’École des beaux-arts de cette ville, était alors à la fois membre de l’Académie et président de la Société archéologique.

En effet, c’est dans son enseignement à la faculté des Lettres que Jean Claparède avait remarqué ses qualités de chercheur et son goût pour l’art. Toujours affable, ce maître n’en était pas moins exigeant tout en faisant bénéficier ses élèves de son immense culture qui venait irriguer ses cours d’histoire de l’art. Lorsqu’il quittait le musée Fabre en fin d’après-midi, c’était pour se plonger dans la lecture que lui permettait la richesse de sa bibliothèque personnelle. Avec lui, on apprenait à la fois à scruter de vastes horizons et à travailler avec la plus grande et la plus scrupuleuse précision.

Pézenas, Hérault, couverture, Montpellier, APCPLR, 1998
Pézenas, Hérault, couverture, Montpellier, APCPLR, 1998
(coll. Images du Patrimoine, 180)

Très marqué par cette école de la rigueur dans la recherche et de la clarté dans l’exposition, Jean Nougaret lui avait demandé de le guider au moment de préparer sa thèse. Son maître lui avait aussitôt proposé pour thèse principale d’étudier l’architecture urbaine de Pézenas. En l’engageant dans cette voie, il lui avait confié un sujet de choix auquel il pensait depuis longtemps et dont il attendait beaucoup. Ce fut une aventure de longues années de recherche qui firent de Jean Nougaret le grand spécialiste de ce considérable patrimoine urbain. Plus encore à travers cette orientation, son maître en faisait déjà ce qu’il serait à plus ou moins long terme : pas seulement un élève mais plus encore un disciple.

De fait, cela est arrivé rapidement. Lorsque Jean Claparède reçut la mission de préparer la réalisation de l’Inventaire Malraux dans la région Languedoc-Roussillon, il recruta aussitôt Jean Nougaret au moment de constituer une petite équipe. Il pouvait compter sur lui pour le seconder dans la mise sur pied et la direction de ce projet si ambitieux. À ce poste-là, son disciple avait alors eu un rôle fondamental et de longue durée dans une aventure de recherche tout à fait inédite et qui était de grande envergure. Outre l’étendue des connaissances que lui apportait la nouveauté de cette activité très particulière, il eut alors la chance de montrer toutes ses qualités de chercheur, d’organisateur et surtout de persévérance dans la mise en forme de l’Inventaire. C’était par là le début d’une grande carrière scientifique marquée par de nombreuses publications. À la sensibilité artistique s’ajoutait le perfectionnisme dans la recherche qui nous a valu une grande œuvre d’historien de l’art.

Cette carrière s’est en effet poursuivie dans un cadre essentiel durant de longues années, celui de la Direction régionale des Affaires culturelles où il est demeuré jusqu’à sa retraite. Ceux qui y ont travaillé avec lui rendent aujourd’hui un hommage émouvant à sa bienveillance, sa disponibilité et son autorité scientifique, et pour ce qui fut pour eux un privilège 2. Je rappellerai simplement ici avant d’en revenir à l’Académie que l’on peut considérer comme un épanouissement dans une si longue carrière de recherche mais aussi comme un précieux apport, un don fait à sa ville, son grand livre sur l’architecture dans l’histoire de Montpellier.

À l’Académie, il a fait en particulier deux grandes communications. D’abord en 2009, il avait traité de l’œuvre d’Alexandre Cabanel, un artiste qu’il connaissait fort bien, communication qu’il avait d’ailleurs dédiée à la mémoire de son maître à laquelle il était particulièrement fidèle 3. Il montrait tous les aspects de cette œuvre à la fois controversée et encore assez vivante pour susciter une grande exposition au musée Fabre en 2010, où il voyait une véritable réhabilitation de ce peintre montpelliérain du XIXe siècle : un peintre en effet qui avait beaucoup produit et que l’on avait souvent classé parmi ceux que l’on appelait les adeptes du style « pompier ». Et, très perfectionniste, il terminait sa communication par un appel à tous ceux qui pourraient lui apporter des renseignements sur des œuvres encore inconnues de ce peintre ; il préparait en effet une édition du catalogue de l’œuvre d’Alexandre Cabanel.

En 2011, Jean Nougaret présenta à l’Académie une autre communication, cette fois sur Jules Renouvier qui avait été au milieu du XIXe siècle archéologue et académicien 4. En effet, il soulignait là les deux aspects d’une œuvre poursuivie dans le cadre montpelliérain. Jules Renouvier avait été président de la Société archéologique de cette ville de 1833 à 1841 et il avait été en même temps l’un de ceux qui avaient voulu, après les bouleversements apportés par la Révolution, réveiller la grande tradition académique de cette ville depuis 1706 en recréant en 1846 l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier. Jean Nougaret était surtout attiré par ce que Renouvier, avocat et homme politique, avait apporté à l’histoire de l’art. Il était même fasciné par cette personnalité et par l’importance de son apport à la fois pour la recherche mais aussi dans la méthodologie en la matière. Cela d’autant plus que Renouvier s’était particulièrement intéressé à la période médiévale et au développement de ce genre de recherche en Languedoc méditerranéen et notamment à Montpellier.

À l’Académie en 2013, le colloque qui a lieu tous les deux ans, à l’initiative de l’une des sections, a été organisé par la Section des Lettres qui avait choisi pour thème les paysages du Languedoc et du Roussillon à travers la littérature et les arts. Membre de cette section, Jean Nougaret a été par sa compétence l’un des organisateurs les plus immédiats d’abord dans le choix des thèmes et en même temps des auteurs de communication, en particulier par l’importance des relations qu’il entretenait dans le monde des artistes de la région ; puis il a apporté une aide précieuse et permanente dans ce montage qui a réclamé une année durant beaucoup de présence et de savoir-faire. Il avait eu ainsi un rôle notable dans la réussite de ce colloque et ses confrères ont vivement regretté que dans les dernières semaines l’aggravation de sa santé ne lui ait plus permis d’y prendre part.

À l’Académie, il s’est révélé comme il avait toujours été dans sa vie : un confrère très présent, toujours discret et affable qui attirait la sympathie et l’amitié. J’ajouterai particulièrement une extrême délicatesse et, pour ma part, je voudrais terminer cet hommage à Jean Nougaret en évoquant ici un souvenir personnel.

Jean Claparède devant la lourdeur du grand âge avait commencé à préparer l’avenir et à assurer le sort de ses dossiers et de sa bibliothèque. Il avait en particulier souhaité qu’une partie importante de ses dossiers de recherche, particulièrement ses fichiers sur les œuvres médiévales, aillent à Jean Nougaret, son élève et disciple de longue date. Tout cela était minutieusement préparé, la destination de chaque document était marquée d’une pastille de couleur ; j’avais été chargé de les lui remettre et le moment venu je m’en étais acquitté. Quelques mois avant sa mort, sentant peut-être ses forces faiblir, Jean Nougaret avait voulu transmettre ces archives volumineuses au musée Fabre dont Jean Claparède avait été longtemps conservateur, ce qu’il avait réalisé à ce moment-là. Mais il n’avait pas voulu faire ce don sans chercher d’abord une approbation de ma part pour une initiative à laquelle d’évidence je ne pouvais qu’être très favorable. J’en avais été très touché, ce sont des gestes qui ne s’oublient pas.

NOTES

1. Nougaret, Jean, « Éloge de Robert Poujol », Bulletin de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, 38, 2008, séance du 9 janvier 2007.

2. Voir la contribution de Francine Arnal.

3. Nougaret, Jean, « De Figuerolles au Parc Monceau, Alexandre Cabanel », Bulletin de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, 40, 2010, p. 145-164, exposé du 6 avril 2009.

4. Nougaret, Jean, « Jules Renouvier (1804-1860), archéologue et académicien », Bulletin de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, 42, 2012, p. 277-294, exposé du 20 juin 2011.