Gabriel-François Venel, l’homme public et privé : Un nouveau regard
Gabriel-François Venel, l’homme public et privé : Un nouveau regard
* Chercheur associé au centre d’histoire et de philosophie des sciences, Université Paris X Nanterre.
christine.lehman@wanadoo.fr.
p. 41 à 50
Gabriel-François Venel ? Ce nom est familier aux historiens du siècle des Lumières car il évoque l’un des auteurs les plus prolixes de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Ses quelques sept cents articles de chimie, médecine ou pharmacie sont souvent cités et ceux de chimie ont été plus particulièrement étudiés par Jean-Claude Guédon 1. Venel l’encyclopédiste a souvent été mis à l’honneur, en revanche, ses autres fonctions officielles sont restées dans l’ombre. La page de garde du Précis de Matière médicale publié en 1787 par un de ses anciens élèves, Carrère, rappelle ses différents titres :
« Conseiller médecin ordinaire du Roi Professeur en médecine dans l’université de Montpellier De la Société royale des sciences de la même ville, Censeur royal, Inspecteur général des eaux minérales de la Province du Languedoc, Chargé par le Roi de l’examen de toutes celles de France. »
L’éloge prononcé par Étienne-Hyacinthe de Ratte, secrétaire de la Société royale des sciences de Montpellier, ainsi que le mémoire écrit par un de ses amis fidèles, Menuret de Chambaud, permettent de lever le voile sur sa vie officielle 2. Venel, durant ses presque trente années de vie professionnelle, a été amené à s’intéresser à des sujets très divers. On le retrouve tour à tour chimiste, spécialiste des eaux minérales puis d’analyse végétale, encyclopédiste, puis professeur de médecine et académicien, spécialiste d’agriculture ou expert dans l’exploitation et l’utilisation des minerais. Au travers d’un enchaînement de circonstances, opportunités ou déceptions, Venel a mené de front une carrière de professeur et de chimiste 3. Les éléments biographiques présentés dans cet article font apparaître la diversité de ses profils sans oublier le Venel privé totalement inconnu.
L'homme public : les grandes espérances...
Gabriel-François Venel naît le 12 août 1723 à quelques kilomètres de Pézenas, à Tourbes où sa famille maternelle possède une maison 4. Il appartient à une grande famille de médecins installée à Pézenas depuis des générations : un grand père médecin, un père médecin qui exerce à Pézenas, ainsi qu’un frère André-Joseph, de 7 ans son cadet, médecin lui aussi, la carrière médicale est donc toute tracée pour Gabriel-François Venel. Après des études brillantes chez les Oratoriens de Pézenas, il s’inscrit à la Faculté de médecine de Montpellier et y est reçu docteur en 1742 5.
Comme bien des jeunes brillants provinciaux, il monte à Paris pour améliorer ses connaissances médicales à l’hôpital de la Charité. Il suit alors les cours de Guillaume-François Rouelle au Jardin du Roi. La chimie est à l’honneur au siècle des Lumières et plus de six cents auditeurs assistent aux leçons de Rouelle (1703-1770), grand démonstrateur de chimie, qui attirent la haute société. Venel s’y fait remarquer de quelques grands, vite repéré par sa vivacité d’esprit comme par les questions judicieuses et pertinentes posées pendant les cours de Rouelle qui l’appelait amicalement « son démon de midi » 6.
Venel commence à suivre les cours de Rouelle en 1746 7, mais il ne se limite pas à son enseignement oral et s’exerce aussi sous sa direction, dans son laboratoire. De Ratte témoigne de ses facilités et de ses progrès rapides.
« C’est à M. Rouelle que M. Venel s’adressa ; il se mit sous sa conduite, recueillit ses instructions, travailla dans son laboratoire. La rapidité de ses progrès fut proportionnée à l’ardeur qu’il témoignait ; & M. Rouelle vit bientôt qu’il n’avait pas en M. Venel un disciple ordinaire. […] Quelque prodigue qu’il fût de ses trésors savans, il s’était réservé bien des secrets dont il ne parlait qu’énigmatiquement à ses disciples. Il arrivait assez souvent à M. Venel d’entendre ces énigmes. M. Rouelle devenait alors plus circonspect à son égard, & prenait de nouvelles précautions contre les attaques et les pièges de ce démon du midi ; c’est ainsi qu’il l’appelait quelquefois, pour marquer ce qu’il avait à craindre de sa pénétration » 8.
Le disciple en serait presque venu à dépasser le maître… Quelques lignes de l’éloge de Menuret de Chambaud révèlent par ailleurs les relations complexes qui s’établissent entre le professeur renommé et le brillant disciple. D’après Menuret, Venel « fut le disciple de cet homme célèbre, bientôt son ami, & devint enfin le rival sans cesser d’être l’admirateur reconnaissant de son maître. […] Il entendit nommer avec vénération Becher & Stahl, les Kepler & les Newton de la chimie & il dévora avec plus de moyen & de facilité que son maître leurs ouvrages obscurs et profonds » 9. Menuret avoue aussi avoir quelquefois dû défendre son ami Gabriel-François de la jalousie et de la suspicion légendaires de Rouelle 10. Venel semble cependant avoir ignoré les attaques dont il était la cible. Il restera toujours fidèle à son maître. Ils collaboreront sur la mise au point de l’appareillage du dispositif destiné à recueillir et à mesurer le gaz qui s’échappe des eaux de Seltz. Dans l’article « Chymie » de l’Encyclopédie, Venel recommande les cours de Rouelle, en les décrivant comme « ce qu’il y a de mieux en ce genre ». Il aurait même été, selon les ragots de l’époque, jusqu’à écrire ses mémoires académiques.
«Je sçais seulement que Mr Rouelle dois lire à la prochaine assemblée publique, et je sçais en même temps que Mr demalzerbes n’a pas esté contens de ses importunités pour faire admettre son mémoire, qu’on dit estre écrit par Mr Venel, mais qui sera lu à faire sifler l’académie : c’est ce que le Président crains beaucoup. Mr Camus, avec sa franchise ordinaire, a dit à Rouelle que sa démarche ridicule lui avoit aliené toute l’académie ; que sa jactance perpetuelle ne pouvait rien en faveur des mémoires qu’il a deja lus ; qu’on les regardoit comme très médiocres pour le fond, et d’un stile qui ne pouvoit faire honneur à personne, qu’en un mot il falloit prendre un autre ton dans une compagnie d’honnestes gens, ou qu’on courroit le risque d’y estre détesté. Mr Camus, que Mr de Malzerbes a consulté vendredi dernier, m’a dit qu’il l’avoit trouvé bien changé sur le compte de son protégé » 11.
Cette lettre est intéressante car elle renseigne non seulement sur les dessous des élections académiques, sur le jugement de quelques uns de ses contemporains sur Rouelle mais aussi sur la continuité des relations entre Rouelle et Venel au moins jusqu’en 1752.
L'envol...
Après son apprentissage de médecin à l’hôpital de la Charité et de chimiste chez Rouelle, Venel entreprend un voyage en Allemagne à Seltz. Nous ne connaissons pas les raisons de ce voyage. Était-ce une coutume de l’époque 12 ? Car ce voyage rappelle celui de Lavoisier en Alsace en 1767 en compagnie d’Etienne Guettard. Venel étudie sur place l’eau minérale de Seltz et en rapporte des échantillons à Paris où il dispose du matériel nécessaire pour les analyser. Selon lui cette « l’eau aërée » n’est que de l’eau salée qui dégage, en plus de l’air habituellement dissous dans l’eau mais dont la quantité est négligeable, un air semblable à l’air atmosphérique qu’il nomme air surabondant. A partir de soude et d’acide de sel marin 13, Venel recompose cette eau aërée dont la quantité « d’air » dégagée par agitation correspond exactement à celle de l’analyse de l’eau de Seltz prise à la source. Le regard rétrospectif sur ce travail a conduit certains commentateurs à regretter le manque de perspicacité de Venel qui a confondu le gaz dégagé par l’eau de Seltz avec l’air atmosphérique. Ils lui reprochent de ne pas avoir effectué l’expérience élémentaire consistant à vérifier si une bougie restait allumée dans le gaz dégagé, ce qui aurait permis de le distinguer 14. Venel a néanmoins été très près de mettre en évidence le dioxyde de carbone et d’avoir ainsi la primeur de sa découverte (c’est Joseph Black qui, en suivant une toute autre démarche, l’a mis en évidence en Grande Bretagne quatre ans plus tard en 1754). A cette occasion Venel a joué un rôle de pionnier et ses réflexions sur l’air ont très probablement influencé Lavoisier. Venel lit le résultat de ses travaux lors des deux séances de l’Académie des sciences du 2 mai et du 5 août 1750. Ces deux « Mémoires sur l’analyse des eaux de Seltz ou Seltzer » le font ainsi connaître dans le cercle restreint des académiciens. Ses réparties au cours de Rouelle et son travail sur les eaux de Seltz font apprécier ses qualités de chimiste. Venel voit alors affluer les honneurs.
L’année 1751 semble une année faste pour Venel. D’Alembert évoque son nom dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie pour le remercier des « éclaircissements utiles & importans sur la Minéralogie » qu’il a pu fournir. Venel change le ton des articles dédiés à la chimie 15. Ses écrits font le point sur la science publique. Comme le Dictionnaire de Macquer, ses articles fondent la chimie officielle en vigueur au milieu du XVIIIe siècle, et l’Encyclopédie, en diffusant une science chimique imprimée, autorise sa reconnaissance et participe à sa revalorisation. Ce n’est pas le cas des leçons publiques et privées dispensées par Rouelle car ses cours ne seront jamais publiés, leur contenu reste donc confidentiel.
La même année, Venel est nommé par Malesherbes Censeur royal d’histoire naturelle, médecine et chimie. Il n’a en fait censuré que peu d’ouvrages, une dizaine en tout, mais la liste des titres frappe par la variété des sujets : quelques livres de médecine, plusieurs livres de minéralogie, des ouvrages de philosophie et une grammaire allemande 16… Si l’on sait que c’est Malesherbes qui attribue personnellement les ouvrages à chaque censeur lors de la réunion hebdomadaire du jeudi, la liste des livres censurés par Venel traduit l’image qu’il donne à ses contemporains : homme de science cultivé, polyglotte, médecin, chimiste minéralogiste et philosophe…
Pratiquement à la même époque, Venel devient responsable du laboratoire de chimie du Duc Louis d’Orléans à Sainte Geneviève. Le Duc d’Orléans s’intéresse particulièrement à l’analyse des plantes. Venel prépare alors un nouveau mémoire, « Essai sur l’analyse des végétaux », qu’il lit à l’Académie le 3 juin 1752. Venel ne propose malheureusement que des intentions générales d’expériences dans ce premier mémoire dont il annonce une suite. La seconde partie promise ne verra malheureusement jamais le jour car le Duc d’Orléans décède en 1752 et son fils ne s’intéresse pas à la chimie. Pressé par le temps Venel dépose l’année suivante deux plis, l’un non cacheté « sur les moyens de faire végéter des Plantes dans un air purgé de tout acide » qui sera lu par d’Alembert lors de la séance de l’Académie du 23 juin 1753, et l’autre cacheté sur l’élasticité des corps et les extraits des végétaux.
Venel n’a en effet eu que peu de temps libre entre le décès du Duc et sa nouvelle mission d’analyse de toutes les eaux minérales de France qu’il effectue à partir de juillet 1753 17. Dans cette mission, Venel n’est pas seul, il est accompagné de l’apothicaire Pierre Bayen qui est chargé de la réalisation des expériences 18. Depuis la création de l’Académie des sciences en 1666, l’analyse des eaux minérales est un thème privilégié. Quand Venel entreprend sa nouvelle mission, les ouvrages concernant les eaux minérales ne se comptent plus mais il s’agit d’analyses concernant une ou plusieurs sources bien particulières, soit parce qu’elles sont reconnues pour leurs propriétés thérapeutiques soit parce qu’elles appartiennent à un patrimoine local. La mission d’analyse de toutes les eaux minérales du Royaume confiée à Venel constitue donc un travail de synthèse. Il s’agit, après avoir regroupé les résultats épars, de les valider par des expériences nouvelles ou complémentaires et d’en présenter un ensemble cohérent permettant à tout médecin du Royaume de prescrire à meilleur escient les bains, l’ingestion ou l’application externe d’eau minérale en en connaissant mieux ses propriétés chimiques. Venel ne limite cependant pas sa mission à rassembler les données éparses, il se donne aussi pour but d’étendre le champ des connaissances par l’examen de nouvelles sources. Cette mission avec l’apothicaire Pierre Bayen doit en principe durer de cinq à six ans mais elle est interrompue en 1755 car les fonds manquent à cause de la guerre 19. Une seconde mission rappelle Venel à ces analyses en 1773 et, cette fois ci, c’est le décès de Venel qui l’interrompt. Ces vingt années de travail tomberont malheureusement dans l’oubli car le Traité des eaux minérales qui devait récapituler tous les résultats des analyses chimiques et les relier à leurs applications médicales ne verra jamais le jour.
Le choix de Venel pour accomplir ce travail d’importance suscite des rivalités et des jalousies. De la part de son ami de jeunesse Théophile de Bordeu tout d’abord mais aussi, plus tardivement, de la part de Charles Le Roy professeur à la Faculté de Montpellier. Venel lui-même semble soucieux de se libérer de sa dette avec Bayen, son premier collaborateur, et d’achever le travail en solitaire. Il veut s’approprier la rédaction du Traité des eaux minérales pour être le seul à bénéficier des honneurs. S’il est difficile de parler d’un ouvrage qui n’a jamais été édité, la correspondance de Venel avec le médecin lyonnais Jean-Baptiste Rast de Maupas permet de suivre la gestation du Traité et les moments d’enthousiasme ou de découragement de son auteur 20. Elle relate l’activité intense qui suit la nouvelle mission ministérielle de 1773 – voyages sur le terrain, analyses dans le laboratoire, exploitation des résultats – mais aussi les besoins d’argent, les dures conditions de déplacement, les contacts, les commandes de livres etc. Les lettres d’André-Joseph, le frère de Venel, avec l’administration du Languedoc pour la remise du manuscrit inachevé, ainsi que celles qui rapportent le regard porté par les deux successeurs, Le Royet Thouvenel, pour la continuation de ce travail complètent cette première lecture 21.
La mémoire collective a principalement retenu de Venel son travail encyclopédique. Cependant, si l’on considère l’ensemble de sa carrière de chimiste, la dizaine d’années passées à la rédaction des articles de l’Encyclopédie s’efface devant le temps consacré à l’analyse des eaux minérales. Entre sa première mission officielle en 1753 jusqu’à sa mort qui, en 1775, laisse inachevé le Traité des eaux minérales, Venel se consacre à ce travail de manière intermittente mais avec persévérance et cette tâche reste pendant vingt trois ans sa préoccupation majeure. Les lettres que Venel échange avec Rast de Maupas à partir de 1760, comme les nombreuses absences exceptionnelles demandées à l’Administration de la Faculté de médecine de Montpellier pour rédiger « son grand œuvre », témoignent de ce souci constant.
Le retour à Montpellier : l'enseignement et la reconnaissance académique
Au terme de sa première mission d’analyse des eaux minérales, Venel reste un moment à Paris, pris par son travail encyclopédique, mais sans ressources. Ses amis l’encouragent alors à postuler la chaire laissée vacante à Montpellier par le professeur Charles Serane qui vient de décéder. Il s’agit d’une chaire de médecine générale. Cependant, pour favoriser Venel, les sujets du concours vont porter sur la chimie. La « dispute » a lieu le 9 septembre 1759 et Venel commence à enseigner dès la rentrée 1759. Outre les cours publics dispensés dans le cadre de sa chaire de médecine et qui, suivant les années, traitent de pharmacie, pathologie, hygiène ou de matière médicale, il donne des cours particuliers de chimie dans l’officine de son ami apothicaire Jacques Montet. Les premières années de Venel à Montpellier furent difficiles. Le décès du Duc d’Orléans, l’arrêt de la mission des eaux minérales l’ont contraint à renoncer à la brillante carrière parisienne qui s’offrait à lui et il n’est pas titulaire de la chaire de chimie, occupée par son ancien professeur Antoine Fizes, apprécié et bien en place. Il semble cependant acharné au travail : préparation de ses cours, car il n’a jamais enseigné – l’allusion au « Pensum » revient dans plusieurs lettres – rédaction des derniers articles de l’Encyclopédie et rédaction du Traité des eaux minérales. Venel n’a jamais été titulaire de la chaire de professeur de chimie à la Faculté de médecine de Montpellier, il n’y enseigne la chimie qu’en 1764 pendant la maladie de Fizes et pendant les années 1766-1767 en attendant la nomination d’un nouveau titulaire. Très curieusement, lorsque la chaire est mise au concours en 1766, Venel n’y postule pas. Il semble préférer l’enseignement de la matière médicale c’est à dire l’étude des propriétés thérapeutiques des corps 22.
Cependant, Venel n’a pas attendu son installation à la Faculté de médecine pour être admis en 1758 à la Société royale des sciences de Montpellier. Son premier mémoire sur le nitre est encore lié à son travail sur l’analyse des plantes mais, comme le révèle le titre du discours lu lors de la séance publique du 7 janvier 1762 – « Discours sur l’utilité des sciences relativement aux arts, et en particulier sur les avantages qu’on doit se promettre de l’application de la Chymie à l’agriculture » – ses sujets d’intérêt ont changé. Venel possède en effet une grande propriété à Tourbes, le Domaine de Montrose, de plus 100 hectares de vignobles, de bois et d’oliveraies. Il s’intéresse à l’agriculture et y teste les applications de la chimie. En tant qu’académicien il est aussi sollicité pour des missions d’expertise en particulier concernant les ressources minières dont le sous-sol languedocien est riche. Il s’agit alors, tantôt de rendre compte de la rentabilité de mines d’argent ou de plomb, tantôt d’une commande plus officielle de la part des États du Languedoc sur l’usage de la houille. Les « Instructions sur l’usage de la houille », seul ouvrage imprimé dont Venel soit l’auteur, est publié en 1775, traduit en allemand en 1780 et en italien en 1789.
Lorsqu’en 1773, Venel reçoit de l’Administration royale une nouvelle mission pour poursuivre son analyse des eaux minérales, il bénéficie de six mois de congé par an tout en continuant son enseignement médical à la Faculté de médecine.
Le manuscrit de son Traité des eaux minérales est prêt lorsque Venel meurt à 59 ans à Montpellier, le 29 octobre 1775, des suites d’une blessure à la jambe. Son frère médecin André-Joseph tente alors faire imprimer l’ouvrage mais cette requête lui est refusée car, Venel ayant bénéficié de subventions du Gouvernement pour ses recherches, son travail appartient à l’administration royale. Le manuscrit, confié dans un premier temps à Charles le Roy, médecin de Montpellier qui avait aussi travaillé sur les eaux minérales, échoue finalement dans les mains de Pierre Thouvenin, médecin chimiste de la Société royale de médecine. Mais le Traité des eaux minérales ne verra jamais le jour. Les lenteurs administratives, la Révolution et les progrès de la chimie effectués par Lavoisier rendent finalement vaine toute tentative de publication de cet ouvrage auquel Gabriel-François Venel aura consacré une grande partie de ses recherches.
En déployant les multiples facettes de sa carrière, cet aperçu biographique fait surgir un autre Venel, trop souvent occulté par sa collaboration à l’Encyclopédie. En revanche, l’homme privé profondément attaché à sa famille et à ses quelques rares amis est totalement méconnu. Par chance, la correspondance régulière que Venel établit, à partir de son installation définitive à Montpellier en 1760 jusqu’à sa mort en 1775, avec son ami Jean-Baptiste Rast de Maupas permet de mieux le cerner. Une centaine de lettres conservées à la Société archéologique de Montpellier révèlent au fil des années le Venel intime : son enthousiasme de jeune professeur, les coulisses de l’École de Médecine, son intérêt pour sa « campagne » de Montrose, ses contacts, ses besoins d’argent, et de façon plus personnelle, ses moments d’espoir ou de découragement. C’est principalement sur cette correspondance que s’appuiera l’étude de l’homme privé Gabriel-François qui va suivre 23.
L'autre Venel,
l'homme privé : Un portrait : Venel vu par ses contemporains...
Dans la salle du conseil de la Faculté de Médecine de Montpellier où l’on trouve une galerie de portraits des professeurs, Gabriel-François Venel est représenté vêtu de la robe professorale au double camail fourré d’hermine. Il a l’œil droit à demi fermé. Était-il borgne ? La question est posée mais nous n’avons aucun élément de réponse. Le portrait laisse deviner un homme de forte constitution. Ses élèves l’appelaient d’ailleurs irrespectueusement le « gros Venel » 24.
Aux dires de ses contemporains, Venel n’était pas un très bel homme : son ami Jean-Joseph Menuret de Chambaud, médecin de Montélimar, précise qu’il n’avait pas le premier abord en sa faveur :
« Il semblait avoir plus besoin qu’un autre d’être aimable par l’esprit, ayant une figure et un extérieur peu prévenant ; une conformation défavorable des yeux rendait sa vue courte et pénible, son aspect et sa physionomie peu agréable ; d’ailleurs aussi peu cérémonieux pour les autres qu’il était peu exigeant pour lui, soit par le défaut de sa vue, soit par la trop grande franchise de son caractère, il n’avait pas le premier abord en sa faveur » 25.
Venel est ennemi de la contrainte et de la gêne. Les vaines formalités ou le cérémonial inutile l’ennuient, mais il s’agit plus d’un manque de discipline que d’un manque d’éducation. En effet, son passage comme directeur du laboratoire du duc d’Orléans lui a appris à côtoyer le grand monde et la Cour 26. Il fait cependant quelquefois montre de son esprit frondeur et de son indiscipline, si l’on en croit la Biographie médicale de Des Genettes qui précise que « tout le monde sut en Languedoc que Venel, admis devant le roi Louis XV comme faisant partie d’une députation de cet état [tiers état], se refusa à fléchir le genou et osa se couvrir » 27.
Si Venel se soucie peu des apparences 28, il compense ses défauts physiques par un esprit brillant que tout le monde apprécie. Sa rapidité d’esprit, la finesse de son jugement sont maintes fois remarquées, tout comme sa conversation semée de réparties pleines d’esprit :
« Sa conversation était gaie, agréable, semée de traits piquants & d’anecdotes heureuses, remarquables surtout par cette vivacité de réparties qui annonce l’esprit & qui semble être une prérogative des habitants des provinces méridionales » 29.
Ses biographes notent que, attentif à ne blesser personne, ses traits d’esprit ne sont jamais méchants. On le décrit comme un homme sociable, curieux de tout et de tous, des coutumes comme des usages de la campagne. Respectueux du peuple, il aime la compagnie des gens simples et semble avide d’apprendre auprès d’eux. Les témoignages de Menuret et de Ratte sont unanimes pour relever son ouverture, sa curiosité, son intérêt pour les mondes de l’agriculture, du commerce, de l’industrie ainsi que son goût marqué pour la mise en valeur des ressources économiques du royaume que l’on a déjà noté à propos des mémoires présentés à la Société royale des sciences de Montpellier.
« Il profitait, dans ses courses chymiques de l’occasion d’acquérir des connaissances sur l’histoire naturelle du pays, sur l’agriculture & le commerce, sur l’industrie de ses habitans. Il questionnait volontiers sur tous ces objets, les personnes du peuple & les gens de la campagne grâce au don qu’il avait de se mettre à leur portée. Il se ménageait l’avantage qu’un savant ne doit jamais négliger, d’être souvent instruit par l’ignorant » 30.
Venel est non seulement sociable, mais il aime aussi prendre son temps. De passage dans les Pyrénées lors de la première mission des eaux minérales, son ami Théophile de Bordeu conseillait à son père de « bien caresser Venel et son compagnon, de leur faire boire de bon vin, manger de bonnes truites, et de leur faire bonne care d’oste » 31. Diderot lui-même, tout en se disant son intime, suggère que son œuvre a souffert de son goût de bien vivre :
« C’est un homme d’un rare mérite, excellent chimiste, le plus grand amateur des aises de la vie, le contempteur le plus insigne et le plus vrai de la gloire et de l’utilité publique, et le moraliste le plus circonscrit que je connaisse. […] Avec un grain d’enthousiasme et d’amour du genre humain, car il en faut, il eût poursuivi ses voyages et ses analyses à ses dépens, et il eut complété un ouvrage dont les fragments précieux sont aujourd’hui abandonnés à la pâture des rats. Mais qu’est-ce que cela lui fait ? Il boit, il mange, il dort ; il est profond dans la pratique de la morale de Salomon, la seule qui lui paraisse sensée pour des êtres destinés à n’être un jour qu’une pincée de poussière… » 32.
Cette image de bon vivant un peu paresseux ne cadre cependant pas très bien avec le travail acharné qu’ont exigé les articles de l’Encyclopédie, le Traité des eaux minérales, celui de la houille, sans parler de la préparation de ses cours…
... Venel vu par lui-même
Si l’on en croit les confidences que Venel fait à son ami Rast, ce laisser aller n’est qu’apparent et il faudrait l’attribuer davantage à des moments de découragement qu’à de la paresse ou de l’oisiveté. Venel prône plutôt l’amour du travail bien fait et ne conçoit le repos qu’en cas de force majeure c’est à dire de maladie 33. Un travail bien fait ne peut être exécuté qu’avec passion… Si l’on se réfère à l’article « Chymie » de l’Encyclopédie, l’héroïsme du chimiste tient à la peine, au labeur, à la « passion de fou » qu’exige la poursuite des expériences. A ses yeux, loin d’être des obstacles à la quête du savoir, l’émotion et la passion sont indispensables à celui qui ambitionne de connaître la nature ou de promouvoir une technique. « L’ethos » du chimiste selon Venel exige en premier lieu un acte de foi. Il faut croire aussi en ce que l’on fait car « c’est abuser de la confiance que d’exercer une profession publique à laquelle on ne croit pas soi même. Un homme qui fait un métier auquel il n’a pas de croyance, ne travaille pas de bonne foi, n’est pas un honnête homme » 34.
D’allure négligée, gros, défiguré par un œil droit constamment fermé, Venel ne cherche pas le succès auprès des femmes et n’envisage pas de se marier : « Pour moy je traite cette affaire plus franchement, ou si vous voulés d’une maniere plus tranchante ! Je ne veux point de femme » 35. Le mariage, déclaré comme la plus impertinente des institutions humaines, n’est pour lui qu’objet de curiosité, pli de l’éducation, prestige des passions, des goûts, de l’habitude… Et, oubliant de féliciter son ami Rast de Maupas pour son récent mariage, il avoue même : « je suis si singulier à cet égard que je ne pense pas qu’on se marie » 36. Venel repousse donc l’idée du mariage et restera célibataire 37.
« Le meilleur poste vous a toujours paru le plus tranquille dites vous… vous avés toujours eu tord. 1° parce qu’il y en a un meilleur, scavoir celui ou l’homme gagne le plus d’argent par des voyes honnetes s’entend. 2° parce que la tranquillité n’est pas même positivement bonne bien loin d’être la meilleure chose, attendu qu’elle est trop sujette a l’ennui, l’un des plus terribles fleaux de cette miserable vie. Mais quant au tracas qui vient du mariage ; oh c’est autre chose ; j’avoüe que quoique je redoute singulierement l’ennui et l’etat tranquille qui m’en menaceroit, je n’aurois pas le courage d’y chercher du remede dans le mariage ; ainsi de toute vôtre philosophie de cette fois ci, je ne recois que vôtre judicieuse observation sur l’ennui que le trop long repos traine a ses trousses. Et j’observe même que la sainte paresse, le sacralissimo farniente auroit eu tous vos vœux, si vous n’aviés eu a vous excuser du projet de prendre femme et si vous n’aviés trouvé un pretexte dans la crainte de trop de repos » 38.
Par ailleurs, Venel lui-même, tout en se considérant bon diable, se refuse à être philanthrope et avoue même son égoïsme. La correspondance avec Rast de Maupas révèle qu’il a parfois des moments de découragement. Il se sent pillé, spolié, et vieux, évoquant même en novembre 1760, alors qu’il n’a que 37 ans, les « glaces de la vieillesse ».Désabusé, il conseille à son ami de ne compter que sur soi-même 39. Ce conseil fait écho à l’opinion de Grimm sur Venel, dans un propos rapporté par Diderot :
« Il ne désapprouvait pas assez le propos d’un homme de notre connaissance appelé Venel, qui disait qu’il fallait garder la probité la plus scrupuleuse avec ses amis mais que c’était une duperie d’en user mieux avec les autres qu’ils n’en useraient avec nous » 40.
Venel semble donc vivre pour lui. Ses relations se limitent au cercle restreint de sa famille – père, frère et sœurs – et de ses amis. Il consacre la majeure partie de son temps à son travail.
Une gestion difficile
En se laissant guider par les lettres adressées à Rast, on découvre un Venel qui a de constants soucis financiers. Il se constitue néanmoins une assez riche bibliothèque pour le travail et le plaisir et fait fructifier son domaine agricole de Montrose. La correspondance laisse aussi entrevoir l’étendue de son réseau d’amis ou de relations qui, depuis Aix jusqu’à Strasbourg, couvre principalement l’Est de la France.
Les soucis financiers
Toujours endetté, Venel semble avoir dépensé beaucoup d’énergie pour tenter de rétablir un équilibre financier toujours critique. Avant sa nomination à Montpellier, de Bordeu le décrit criblé de dettes, ce qui peut se comprendre car Venel est alors sans emploi et sans ressources. Mais, si l’on en croit le démonstrateur de chimie de la Faculté de médecine Pierre-Jacques Willermoz, cet état perdure même après son installation à Montpellier.
On estime que, professeur à Montpellier, Venel avait un revenu annuel confortable d’environ 2 500 Livres 41 sans compter les revenus des cours particuliers de chimie et de matière médicale. En effet, le salaire d’un professeur royal est de 600 Livres par an auquel il faut ajouter le casuel, c’est-à-dire le produit des grades des étudiants (baccalauréat, « triduanes », « point rigoureux », doctorat etc. 42). En 1757, à Montpellier, la somme que doit débourser un étudiant pour devenir docteur et donc subir les dix grades est estimée à environ 300 livres ; le décompte des rétributions casuelles d’un professeur, établi au moment de la Révolution, permet, d’une part, de valider le nombre annuel d’étudiants docteurs qui s’élève à une cinquantaine à la Faculté de médecine de Montpellier et, d’autre part d’estimer la somme distribuée en moyenne à chaque professeur. En calquant ce décompte pour les années 1760, Venel reçoit donc un casuel de l’ordre de 2 000 livres par an 43. De plus, pour rendre les professeurs plus assidus aux cours et aux examens, le décret du 8 septembre 1732 de la Faculté de médecine de Montpellier prévoit une rétribution de 20 sols par cours assuré – à condition d’avoir assuré un minimum de 40 leçons avant la Saint Jean – et 20 sols par examen et par « triduane ». En revanche, si le professeur n’assure pas sa leçon sans motif valable, trois livres sont prélevées sur son salaire 44. C’est pourquoi nombreuses sont les lettres de Venel concernant ses congés, ses prolongations, les jours de présidence, les actes, etc. 45 On pourrait donc s’étonner de ses constants besoins d’argent si l’on oubliait de prendre en compte les lenteurs administratives. L’administration royale n’est pas ponctuelle et les versements sont souvent payés très en retard. Pour exemple, les gages de l’année 1761 ne seront versés qu’en 1764. De son propre aveu, Venel avoue attendre cette somme pour rembourser une dette : « Je pousse come on dit avec l’epaule depuis ce tems ; et je manque absolument de ressources pour supleer a ce retardement. On me presse… » 46.
L’irrégularité des versements de salaire, les dépenses qu’occasionnent l’entretien du Domaine de Montrose et l’achat de livres pour ses cours et son travail sur les eaux minérales contraignent Venel à rechercher quelques travaux lucratifs annexes. Il s’agit par exemple en 1764, de traduire une thèse de médecine et de la publier en y ajoutant une préface ; ou, en 1767, de rédiger en français la thèse de ses étudiants pour l’imprimer et ensuite la vendre à Lyon et à Paris ; ou encore, en 1768, de publier une analyse critique des « amænitrates »de Wedel 47. Cette situation pécuniaire tendue se retrouve aussi dans les discussions âpres avec les libraires lors de la tentative de faire imprimer le Traité des eaux minérales ou lors du contrat établi avant l’impression des Instructions sur l’usage de la houille.
Le Domaine de Montrose
En dépit d’un train de vie simple – il n’a qu’un valet, Jean Rouanet, et une cuisinière, Marie Pelissier, qu’il récompensera dans son testament et qu’il confiera à son frère médecin André-Joseph 48 –Venel semble engloutir toutes ses économies dans l’entretien de son Domaine de Montrose. Ce domaine, hérité de sa mère, est estimé lors de sa vente en1792 à 448 séterées soit une superficie de 112 hectares 49. La métairie et le domaine lui-même s’étendent sur 225 séterés, soit une cinquantaine d’hectares, auxquels il faut ajouter à peu près la même surface répartie en champs, en vignes – chacune d’entre elles a une appellation – en olivettes et même en bois de peupliers 50.
Pour ce vaste domaine, Venel se livre à un intense trafic de plantes et de matériel divers. Sa correspondance fait part de commandes de plants de pommes de terre, de plants de raisin (ou « chapons »), de plants d’arbres fruitiers, de boutures d’œillets, de plantes grasses, de blé, de charrues, d’œufs qui doivent voyager vite car prêts à être couvés etc. Ces commandes sont accompagnées de demande de conseils d’agriculture 51. Venel sait faire fructifier le Domaine de Montrose. Il agrandit le terrain en achetant de nouveaux champs et olivettes et y fait construire une maison en 1770 52. Cette maison est pourvue d’une riche bibliothèque et aussi d’un laboratoire dans lequel Venel achève les expériences sur les eaux minérales. Toutes ces améliorations et l’entretien de l’immense domaine coûtent cher. On comprend mieux ainsi les sollicitations incessantes de Venel pour gagner plus ou pour avoir plus d’argent disponible.
En dépit de son endettement chronique et de ses soucis financiers, Venel semble avoir plutôt bien géré ses finances car le décompte de l’évaluation de ses biens après son décès fait apparaître un patrimoine important d’une valeur de 24 319 livres 53. Son frère André-Joseph est légataire universel ou « héritier général », il vend le Domaine de Montrose le 19 janvier 1792 pour la somme de 44 000 livres. Il en garde cependant l’usufruit et le réserve à ses sœurs s’il décède avant elles 54.
La très riche correspondance avec Rast de Maupas étayée par les documents d’archives, principalement ceux de la Faculté de médecine de Montpellier et les actes notariés des archives départementales de l’Hérault ont permis de révéler le Venel personnel, contestataire mais profondément généreux, et soucieux du bien-être de sa famille.
Conclusion
La biographie de Venel met en lumière un paradoxe : malgré sa présence dans la diffusion de la chimie de son siècle, à la fois à travers ses articles de l’Encyclopédie et son enseignement, Venel est relativement absent de la scène des avancées scientifiques de son temps si on considère la quasi inexistence de ses publications, qu’il s’agisse de ses mémoires académiques ou d’ouvrages imprimés. Il n’a publié aucun ouvrage de référence. Le processus de publication de son œuvre sur les eaux minérales a été interrompu par son décès prématuré et les Instructions sur l’usage de la houille, principalement destinées aux artisans, reste un ouvrage mineur. Cette singularité s’explique par son éloignement de la capitale, son manque de ressources personnelles et surtout par la perte progressive d’appuis puissants comme celui du Duc d’Orléans. Comme on l’a vu, les circonstances l’ont éloigné de la recherche fondamentale et l’ont ainsi empêché de briguer le titre de membre l’Académie royale des sciences qu’il aurait sans doute obtenu s’il était resté à Paris.
Cette biographie, au delà du personnage et de ses idées, permet en outre d’approcher quelques réseaux comme celui de la Librairie par le biais des relations complexes entre un auteur et son imprimeur, celui de la Censure sous la houlette de Malesherbes, celui de la Faculté de médecine de Montpellier et de ses intrigues, ou celui de la Société royale des sciences de Montpellier. Dans un tout autre ordre, il éclaire aussi celui des réseaux d’échanges commerciaux de biens et de marchandises qui mettent en scène des acteurs aussi divers que des médecins, des marchands, des imprimeurs, des agents de change, etc.
De manière plus large, la biographie de Venel témoigne de la vie d’un médecin chimiste du XVIIIe siècle, membre d’une académie des sciences et professeur dans une faculté provinciale.
Notes
1. Jean-Claude Guédon, The Still Life of a Transition : Chemistry in the Encyclopédie, PhD Dissertation, 1974, University of Wisconsin.
2. Hyacinthe de Ratte, « Éloge de Monsieur Venel prononcé à l’Académie de Montpellier, Observations et Mémoires sur la Physique, sur l’Histoire naturelle et sur les Arts et Métiers, X, 1777, 3-14 ; Jean-Joseph Menuret de Chambaud, Éloge historique de M. Venel, (Grenoble : Cuchet ou Paris : Nyon, 1777).
3. Voir Christine Lehman, Gabriel-François Venel (1723-1775). Sa place dans la chimie française du XVIIIe siècle, Thèse de doctorat, Faculté de Paris X Nanterre, 2006 (Lille : ANRT, 2008) ; « Gabriel-François Venel un grand chimiste à redécouvrir », L’ami de Pézenas, septembre 2004.
4. La date du 23 août apparaît le plus souvent dans les biographies de Venel. Cette incorrection a été retranscrite à partir des deux éloges de Venel celui prononcé par de Ratte ou celui publié par Menuret de Chambaud. L’acte de baptême de Gabriel-François, conservé à la mairie de Tourbes, indique qu’il est baptisé le 16 août mais qu’il est« né le 12e du même mois ».
5. Outre les éloges de Ratte et de Menuret, la biographie de Venel est établie à partir des textes suivants : Franck. A. Kafker et Serena L. Kafker, The Encyclopedists as Individuals: a Biographical Dictionary of the Authors of the Encyclopédie, (Oxford : The Voltaire Foundation, 1988), pp. 382-386 ; Paul Delmas, « Un vieux maître montpelliérain : G.-F. Venel, enfant de Pézenas, Aesculape, 8, 1925, 193-195 ; Michaud, Biographie universelle ancienne et moderne, (Paris : Delagrave) ; J. E. Dezeimeris, Dictionnaire de la Médecine ancienne et moderne, (Paris : Béchet, 1839) ; W. A. Smeaton, « Venel, Gabriel-François », Dictionary of Scientific Biography, Gillispie (ed.), (New York : Scribner’sons), 13, 1976, pp. 602-604 ; Louis Dulieu, La Médecine à Montpellier, Tome III l’époque classique, (Les presses universelles, 1983), pp. 801-803 ; Louis Dulieu, « Gabriel-François Venel », Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, Tome 3, 1972, 123-135 ; René Desgenettes, « Venel (Gabriel-François) », Essais de biographie et bibliographie médicale, Panckoucke(ed), (Paris : C.L.F., 1825) ; Venel, Dictionnaire historique de la médecine, Eloy (ed.), 1778 (cet article s’inspire largement de l’éloge de Menuret et indique d’autre part, une date erronée pour la mort de Venel).
6. Pour une biographie de Rouelle voir Rhoda Rappaport, « Rouelle, Guillaume-François », Dictionary of Scientific Biography, Gillispie (ed), (New York: Scribner’sons, 11, 1975, pp. 562-564). Rhoda Rappaport, « G.-F. Rouelle: An Eighteenth-century Chemist and Teac.her », Chymia, 6, 1960, 68-101.
7. La date de 1746 pour le début du suivi des cours s’appuie sur une remarque de Venel dans le second mémoire sur les eaux de Seltz présenté aux académiciens le 5 août 1750. Venel y fait référence au cours de Rouelle : « ces idées dis-je, je les dois uniquement à la grande doctrine que j’entends publier à M Rouelle dans ces leçons, depuis quatre ans que je les ai entendues pour la première fois… ».
8. Éloge de H.E de Ratte, Observations sur la Physique, sur l’Histoire naturelle et sur les Arts, juillet 1777, 4-5.
9. Éloge de Menuret de Chambaud, (Grenoble : Cuchet, 1777), p. 28.
10. « Dans le temps où je profitais avec admiration et reconnaissance des instructions de cet homme singulièrement célèbre, j’osais quelquefois repousser les traits qu’il lançait contre mon illustre ami, & je déplorais cette manie malheureusement commune aux plus grands écrivains, de rabaisser le mérite des autres et de s’irriter de leur censure ». Ibid., note p. 29.
11. BNF fond français Ms 12305 folios 374 et 375, lettre de l’académicien Jean Hellot, datée du 9 avril 1752 et adressée à Pierre-Joseph Macquer. L’allusion faite par Hellot concernant l’écriture par Venel du mémoire de Rouelle est sans doute sans fondement. Venel a simplement mis le mémoire en bon français car Rouelle n’écrivait que rarement et fort mal.
12. La date de ce voyage n’est pas connue, elle se situe probablement autour des années 50.
13. Acide chlorhydrique.
14. Antoine-François de Fourcroy, Article « Chimie », Encyclopédie Méthodique, CHIMIE, Tome III, 1796, p. 363a-365a.
15. Voir Christine Lehman, thèse de doctorat, pp. 42-50.
16. B.N.F., Registres de la Librairie (1750-1760), Ms fr 21998. La consultation des registres de 1760 à 1775 s’est avérée négative.
17. Un passeport, daté du 4 juin 1753, adressé à tous les gouvernements de province autorise Venel et Bayen à circuler librement surtout le territoire, qu’il s’agisse de terrains publics ou privés. Archives nationales, O1 97, folios 156-157.
18. C’est en effet une des caractéristiques de la chimie du XVIIIe siècle : d’après les statuts de leur Ordre, les médecins sont exclusivement chargés de la théorie et les manipulations ne peuvent être effectuées que par les apothicaires.
19. « M. Venel continua sans interruption les courses et les travaux qu’exigeoit ce grand ouvrage sur les eaux minérales, jusqu’en 1756 ; alors et pendant quelques années, les fonds destinés à cette dépense utile furent détournés et absorbés par le monstre de la guerre qui ravoigeoit l’europe, & que la France nourrissoit malheureusement du sang & de la fortune de ses peuples ». Menuret de Chambaud, Éloge historique de M. Venel, p. 44.
20. Lettres de Gabriel-François Venel (1760-1775) et de son frère André-Joseph Venel médecin de Pézenas (1775-1777) à Jean-Baptiste Rast de Maupas, médecin lyonnais, Société archéologique de Montpellier, Ms 225.
21. Bibliothèque de la Faculté de Médecine de Montpellier Ms 590 (lettres 21, 24, 25 et 27), Ms C 72. Archives départementales de l’Hérault, fonds Languedoc C 530. Archives de l’Académie de Médecine de Paris, SRM d°1, n°s 12 à 15. Ces lettres ont été retranscrites en annexe de la thèse de doctorat citée en référence.
22. Sur la carrière de Venel à Montpellier voir Christine Lehman, « Gabriel-François Venel (1723-1775), le professeur de Montpellier ».Actes des Journées de Marseille « Histoire de la chimie ». 31 mai-1er juin 2006. (A paraître). Sur son enseignement et celui de la chimie en général au XVIIIe siècle voir : Bernadette Bensaude-Vincent & Christine Lehman « Public Demonstrations of Chemistry in Eighteenth Century France », Science & Éducation, 6, 573-583, juin 2007 ; « Public Lectures in Mid-Eighteenth Century France ». In New Narratives in Eighteenth Century Chemistry. Lawrence M. Principe (Ed.), (Dordrecht : Springer, 2007), pp. 77-96 ; « Between Commerce and Philanthropy: Chemistry Courses in Eighteenth-Century France ». In Science & Spectacle in Enlightenment, Science, Technology and Culture series (T. Levere and D. Knighteds), Ashgate Editor. Actes du colloque de La Villette 19 et 20 mai 2003. (A paraître).
23. Lettres de Gabriel-François Venel (1760-1775) et de son frère André-Joseph Venel médecin de Pézenas (1775-1777) à Jean-Baptiste Rast de Maupas, médecin lyonnais, Société archéologique de Montpellier, Ms 225. Ces lettres ont été intégralement retranscrites dans la thèse de doctorat citée en référence avec l’aimable autorisation de M. Laurent Deguarra, président de la Société archéologique de Montpellier.
24. Paul Delmas, « Un vieux maître montpelliérain : G.-F. Venel, enfant de Pézenas, Aesculape, 1925, 195. Menuret note aussi cet embonpoint dans son éloge : « La constitution la plus forte en facilitait l’exercice… », Jean-Joseph Menuret de Chambaud, (Grenoble : Cuchet ou Paris : Nyon, 1777).
25. Menuret, 1777, Éloge historique de M. Venel, note de bas de page 36 et page 47.
26. Comme semblent le montrer cette remarques de de Ratte : « Il était souverainement ennemi de la contrainte et de la gêne ; les vaines formalités, un cérémonial inutile l’ennuyait par avance […] ; ce n’est pas qu’il manquât d’ailleurs à la bienséance et aux égards nécessaire, qui ne doivent rien coûter quand on a vécu comme lui dans un monde choisi […] ; Il avait appris auprès des ministres, des personnes en place, chez Monseigneur le duc d’Orléans, la véritable manière de vivre avec les grands, sans familiarité et sans bassesse… », Hyacinthe de Ratte, « Éloge de Monsieur Venel prononcé à l’Académie de Montpellier, Observations et Mémoires sur la Physique, sur l’Histoire naturelle et sur les Arts et Métiers, X, 1777, 13.
27. René Des Genettes, Biographie médicale, 1825.
28. Pour exemple, quand il voyage la qualité des chevaux l’emporte sur leur mine : « Je vous prie de vouloir bien, après avoir consulté les experts, me marquer le plutôt qu’il vous sera possible, ce que peuvent valoir a Lyon les chevaux, de huit a neuf pouces, de l’age de cinq a six ans, ettoffés et bons pour le cabriolet ; et qu’ils ne soient point d’une figure distinguée, mais seulement sans infirmité notable, sans defaut essentiel, et avec tous leurs crins », correspondance à Rast de Maupas, lettre 51 du 10 septembre 1772. Venel dévoile ici non seulement son bon sens mais aussi son sens de l’économie.
29. Menuret de Chambaud, Éloge historique de M. Venel, 1777, p.
30. Amoureux, le futur bibliothécaire de la nouvelle Faculté de médecine, alors étudiant, le décrit aussi comme « gai, spirituel, goûtant les charmes de la société », Paul Delmas, Aesculape, 1925, 195.
31. Menuret, Éloge historique de M. Venel, 1777, p. 49.
32. Théophile de Bordeu, Correspondance, Edition Martha Fletcher (1978), lettre 121, Tome II, pp. 94-96.
33. Voyage à Bourbonne lettre du 10 août 1770, Denis Diderot, Œuvres complètes revues et éditées par Assézat et Tourneux, (Paris : Garnier, 1876), Tome XVII, p. 341.
34. « En verité peu de choses humaines meritent qu’on leur sacrifie un seul instant de cette chose tres sacrée et tres substantielle, le repos. Lorsque quelque interêt factice sert quelque tems d’aliment a nôtre inquietude (dirai-je naturelle ou maladive ?) bene sit (ouy, il falloit dire maladive) c’est un remede ; mais dont il ne faut plus user lorsque la santé est revenue », Lettre 27, Montpellier 19 juillet 1765.
35. Bibliothèque du Muséum d’histoire naturelle, Ms 1994 lettre853, notes sur la médecine. Lettre non datée et non signée mais attribuée à Venel.
36. Il sera toujours temps d’y penser en vieillissant comme semble le montrer la suite de la lettre : « je crois ma reputation aussi sage et aussi solide qu’il me soit donné d’enformer, avec la dose de jugement que le bon dieu m’a donné ; puisque je m’y confirme a l’age ou on joint a la plus grande force de jugement, une sufisante experiance des choses de ce monde. Si la caducité ammene d’autres pensées ; il faudra bien les recevoir de la main de Dieu comme les autres infirmités. En attendant vogue la galere », Lettre 17, Montpellier 22 juillet 1763.
37. Correspondance à Rast de Maupas, Lettre 45, Montpellier 18 février 1768.
38. Il faut noter que ni son frère André-Joseph, ni ses sœurs Françoise et Anne-Elizabeth ne se sont mariés, son autre frère Étienne était curé de Tourbes. Ainsi, en dépit de leurs huit enfants, cette branche de la famille Venel s’est éteinte car tous les survivants sont restés célibataires.
39. Correspondance à Rast de Maupas, Lettre 7, Montpellier 23 Mars 1761.
40. Correspondance Rast de Maupas, Lettre 37 et 38, Montpellier 24 juin et 23 juillet 1766.
41. Lettre de Diderot à Sophie Volland, [La chevrette 20 septembre1760], Correspondance, (Robert Laffont : 1997), p. 223.
42. Cette somme est estimée à partir des gages réclamés par Venel pour l’année 1761 et qui se montent à 530 ou 540 livres auxquelles il faut ajouter les 2 000 livres de casuel. L’estimation de ce salaire professoral de 2 500 livres est du même ordre de grandeur que celle de Proust qui l’estime à 2 000 livres. Jacques Proust, L’encyclopédisme dans le Bas-Languedoc au XVIIIème siècle, Faculté des Lettres et Sciences humaines de Montpellier, 1968, p. 34. Le décompte établi dans la « Réponse aux demandes qui ont été faites aux professeurs en l’université de médecine de Montpellier par M. Joubert administrateur commissaire du district au nom du comité d’instruction de l’Assemblée nationale », Archives départementales de l’Hérault, L 3837, article 3, indique d’autre part un maximum de 2 400tt par professeur.
43. La somme de 600 livres par chaire est confirmée par une lettre du 15 août 1757, Archives départementales de l’Hérault, fonds Languedoc C 530 folio 69 et par le dossier d’archives C 79 de la Faculté de médecine de Montpellier. Il faut noter qu’en 1761, ces 600 Livres de gages correspondent au même salaire que celui fixé par Henry IV en 1593. Les « Triduanes » sont des épreuves ayant lieu le matin pendant trois jours pendant lesquelles le candidat doit répondre au doyen et aux médecins sur quatre questions fixées à l’avance par le jury et imprimées.
44. Les frais d’un étudiant avant de devenir docteur s’élèvent au total à 309 livres 10 sols qui se répartissent comme suit : Matricule 10 livres 3 sols, 12 inscriptions à 6l £ chacune = 72 £, pour le bachelier 40, pour les trois cours 12, pour les quatre examens 27 £ 3 sols, pour les six triduanes 36 £, pour le point rigoureux 34 £, pour la licence 28 £, pour le doctorat 50 £. Il faut ajouter à cette somme 40 livres 10 sols qui ne sont pas au profit des professeurs et qui « jointe à la première somme font au total celle de 350 Livres qui en coûte pour passer Docteur à Montpellier », Archives départementales de l’Hérault, C 530, folio 71. D’après les archives, la somme de 300 livres destinée aux professeurs reste pratiquement constante au cours du XVIIIe siècle (de la délibération du 24 août 1728 à l’état établi au début de la Révolution). Il y a d’autre part 8 chaires de professeur et une soixantaine d’étudiants d’après une lettre, datée du 24 août 1762, dans laquelle les étudiants demandent de nouveaux droits (cette lettre comporte 60 signatures), C 530, folio 417.
45. Alexandre Germain, L’École de médecine de Montpellier, (Montpellier : Martel, 1880), pp. 62-64.
46. Faculté de médecine de Montpellier, Ms 590, folios 18, 20, 22, 23, 24, 25 et 28.
47. Lettre adressée de Paris, le 16 avril 1764 à Mrs de l’Université de Médecine de Montpellier. Faculté de médecine de Montpellier, Ms590, folio 48 et 22.
48. Correspondance à Rast de Maupas, lettre 22 du 15 février 1764, lettre 43 du 30 novembre 1767 et lettre 45 du 18 février 1768. La lettre 43 confirme que, comme c’était la coutume, on peut attribuer à Venel les thèses de ses étudiants.
49. Archives départementales de l’Hérault, Étude Viazan de Montpellier, 2E 655, folio 443. Le testament est daté du 16 octobre1775.
50. Table de correspondance entre les anciens poids et mesures du département de l’Hérault et les nouveaux poids et mesures, (Montpellier : Imprimerie Ricard, Thermidor an XIII), p. 86.
51. La métairie de Montrose est vendue le 19 janvier 1792 par André-Joseph en présence de ses deux sœurs Françoise et Anne-Elizabeth Venel à Antoine Malaret habitant de Pézenas. Archives départementales de l’Hérault, Étude Aurias de Pézenas (notaire Brun successeur), 2E-68-354. L’acte de vente donne une description détaillée du domaine avec un descriptif des différents terrains auquel il faut adjoindre, le matériel pour le vin, barriques, cuves et pressoirs ainsi que le matériel pour le travail de la terre sans oublier les bêtes, les meubles et les effets de maison.
52. Menuret, médecin de Montélimar, évoque, dans son éloge, les essais d’agriculture de Venel. Ils échangeaient souvent des graines et se rendaient compte mutuellement de leurs observations, Menuret, 1777, note du bas de la page 53. Venel fait d’ailleurs allusion à l’agriculture dans l’article « Raisin (Diete & mat. méd.) », Encyclopédie, 1765, Tome XIII, pp. 772(a)-773(a).
53. Lettre 47, Montpellier le 31 octobre 1770. Au décès de Venel la maison est estimée à 3 000 livres et l’apport de terrains à environ 6 000 livres.
54. Archives départementales de l’Hérault, 4C 1717, 89 verso-90 recto, registres du centième denier, en date du 29 avril 1776. Le Domaine de Montrose, hérité de sa mère Anne Hicher est estimé à 30 000 livres à l’ouverture du testament le 2 novembre 1763. En tant que fils aîné, Venel est l’héritier général de sa mère. Il doit dédommager ses frères et sœurs et il ne lui reste alors que la moitié de l’héritage estimée à 15 000 livres. Il faut noter que pour hériter des biens maternels, Venel, encore célibataire, doit être émancipé par son père. L’acte correspondant suit immédiatement celui de l’ouverture du testament d’Anne Hicher. Archives départementales de l’Hérault 2E-69-147, folio 262 recto-verso.