Évolution paysagère de la vallée du Salagou :
L’Inversion du relief, et après ?

* Chercheur de l’IRD retraité, actuellement au Mas des Terres Rouges.

Introduction

L’inversion du relief volcanique a été identifiée pour la première fois en Auvergne à la fin du 18e siècle 1 en même temps que Nicolas Desmarest reconnaissait en 1771 l’origine volcanique du basalte 2. La connaissance du volcanisme du Salagou débute en 1859 par une publication de De Serre et Cazalis de Fondouce. En 1949, Gèze publie une étude géologique de la Montagne Noire et des Cévennes, puis une étude du volcanisme des Causses et du bas Languedoc en 1955, textes résumés plus tard dans un guide géologique 3.

L’inversion du relief volcanique fait partie des particularités du paysage de la vallée du Salagou. Plusieurs auteurs s’y sont intéressés, en recherchant notamment à identifier le relief pré-volcanique et le réseau de drainage qui lui correspond 4. Le principe de base de l’inversion des reliefs volcaniques est de creuser de nouvelles vallées sur les bords de la coulée venue combler un ancien vallon, c’est-à-dire de créer deux nouveaux drainages là où il n’y en avait qu’un seul, en laissant l’ancien vallon et son remplissage de basalte en relief. Le nouveau drainage post-volcanique est donc peu différent du précédent, juste décalé latéralement. C’est le cas dans la vallée du Salagou comme le remarque Salze 5. Il s’ensuit que le réarrangement du drainage après l’épisode volcanique de l’Escandorgue, qui commence juste avant le Quaternaire et se termine au Quaternaire ancien, n’a jamais suscité un grand intérêt scientifique. Pourtant la morphologie actuelle de la vallée du Salagou est loin d’être aussi simple que ce que prédit le modèle géomorphologique d’inversion de relief. On peut voir des tronçons de vallées qui sont actuellement abandonnés, un segment du cours du Salagou remontant au Nord, à l’inverse de la direction régionale du drainage, et deux élargissements de la vallée sans raison apparente, structurale ou volcanique, situées l’une en aval d’Octon – la plaine des Landes – et l’autre sous Liausson. Entre l’altitude de la base des coulées volcaniques et le fond de la vallée actuelle du Salagou, l’érosion est profonde de 150 à 200 m. et donc suffisamment importante pour envisager des variations dans l’évolution du drainage au cours de ce creusement.

Cadre géographique et géologique

Le bassin du Salagou a une taille modeste d’environ 76 km². 6 une orientation Est-Ouest sur une longueur de 20 km. pour une largeur de 10 km. au plus, et un dénivelé de 301 m. entre le col de la Merquière où se trouve la source du Salagou (interfluve avec le bassin de l’Orb à l’altitude de 369 m.) et la confluence du Salagou avec la Lergue à 68 m. Dans ses grandes lignes ce bassin a une forme triangulaire, pointant au Nord vers Lodève, à l’Ouest vers le col de la Merquière, et à l’Est vers le barrage par lequel le bassin versant rejoint la Lergue. Le côté nord-ouest du triangle suit la ligne volcanique de l’Escandorgue, et le côté nord-est ferme le bassin du Salagou par la longue ligne volcanique qui va du Cayroux à l’Auverne en dominant la vallée de la Lergue. Le côté sud du triangle est plus irrégulier, marqué par la présence de la montagne de Liausson-Mourèze qui déborde sur la vallée par le Mont Mars (ou de Ste. Scolastique), et où on trouve vers l’ouest les coulées volcaniques les plus méridionales de la ligne de l’Escandorgue. Les côtés sud et nord-ouest sont structuraux et correspondent le premier aux zones de failles des Cévennes et des Aires (ou des Naves) et le second à la zone de failles d’Olmet 7. Ces faisceaux sont formés de segments de failles parallèles et discontinues, proches et répétitives, occupant une bande de terrains dont la largeur peut atteindre 2 à 3 km. et dont on ne représente souvent que les lignes majeures (Fig. 1).

Schéma hydrographique et géologique du bassin versant du Salagou.
Fig. 1 Schéma hydrographique et géologique du bassin versant du Salagou. Le tracé des cours d’eaux anciens dans la zone du lac est repris de la carte IGN de 1963. La géologie est reprise de la carte géologique du BRGM au 1/50 000ème, feuille Lodève (Alabouvette, 1982)

Le fond de la vallée du Salagou a un tracé en Z, souligné depuis les années 1970 dans la partie aval par la forme très particulière, à la fois ventrue et segmentée, du lac du Salagou. La forme de la vallée passe par des élargissements importants, qui sont les « plaines » où se font les cultures, actuellement souvent de la viticulture. Ce sont de l’amont vers l’aval : la plaine des Landes située dans le triangle Octon-Roques-Ricazoul et qui se prolonge de manière irrégulière vers Salasc et Malavieille, et le grand versant de Liausson, actuellement recouvert en grande partie par le lac.

Le bassin du Salagou présente une grande homogénéité lithologique. Au fond de la vallée, et jusqu’à mi-pente des versants, la ruffe permienne affleure uniformément. C’est une argilite imperméable, compacte en profondeur mais devenant friable en surface sous les effets de l’altération superficielle. Cette formation géologique épaisse de près de 2 000 m. est désignée comme « Permien rouge » et correspondent à l’étage géologique Saxonien (subdivision du Permien remplacée actuellement par les trois étages Sakmarien, Artinskien et Kungurien), et couvrant la période allant de -282 M.a. à -256 M.a. 8. Les couches sont presque uniformément inclinées de 10 à 20 degrés vers le Sud 9. La ruffe est recouverte en légère discordance par la série subhorizontale de la transgression mésozoïque, qui débute ici vers la fin du Trias inférieur 10 par des conglomérats, des grès, et des argiles, qui seront suivis au Jurassique par les calcaires et les dolomies de la série géologique du Causse qui s’élève continûment au Nord jusqu’au plateau du Larzac. Ces terrains apparaissent aussi dans la partie moyenne et haute des versants Sud du Salagou où ils forment entre Liausson et Salasc la Montagne de Liausson et le Mont Mars. Ce recouvrement de la ruffe par le Trias joue un rôle important dans l’hydrologie de la vallée car ces terrains sont de bons aquifères qui produisent des sources au contact de la ruffe imperméable.

En haut des versants nord et sud-ouest de la vallée les différents terrains (Permien et Trias) sont recouverts par les coulées basaltiques du complexe volcanique de l’Escandorgue, dont les principales bouches se trouvent au-dessus de Brenas. Cette couverture volcanique cumule plusieurs coulées épaisses de 10 à 50 m. dont les âges varient globalement entre 3,3 et 1,5 M.a. mais dont certaines sont ponctuellement plus récentes dans la vallée du Salagou, 1,2 M.a. ou même moins 11. Dans la partie centrale de la vallée du Salagou les coulées volcaniques recouvrent directement la ruffe permienne, et forment des plateaux volcaniques nommés suivant les endroits Plan, Planéjo ou Causse (Basse, Toucou, l’Ieuzède, le Cayroux, le Cébérou, l’Auverne, la Germane…). Dans la partie centrale et orientale de la vallée la ruffe permienne est massive et homogène, donnant par érosion des pentes très régulièrement concaves, sub-verticales vers le haut contre le basalte, et à très faible pendage vers le bas où elles sont relayées par les glacis des terrasses climatiques du Quaternaire récent.

Méthodes d’analyse des paysages

Les méthodes utilisées sont du domaine de la géomorphologie, et concernent essentiellement les reliefs d’inversion, les formes d’écoulement, et les processus de croissance d’un réseau de drainage. Le point de départ est la morphologie pré-volcanique. Elle a déjà été analysée par divers auteurs 12. Pour cette étude on a réalisé un modèle topographique à partir de 250 points dispersés, pris sur la carte géologique à la base des différentes coulées volcaniques, avec une marge d’erreur estimée à ±2 m. Ces points ont été traités avec le logiciel cartographique Surfer pour restituer une carte en courbes de niveau (Fig. 2). Ce modèle cartographique a des limites : la plus importante est de minorer ou de ne pas faire apparaître les reliefs les plus hauts situés entre les plans volcaniques. Dans les secteurs où le volcanisme est rare ou absent on a estimé l’érosion verticale qui a pu se produire depuis le début du Quaternaire à partir d’un taux d’érosion de 0,12-0,15 mm./an 13 mesuré dans la vallée du Salagou depuis les derniers 200 000 à 300 000 ans, c’est-à-dire l’avant dernière période froide qui est actuellement une terrasse perchée 14. Par ailleurs un taux minimum de 0,04 mm./an a été mesuré dans les Cévennes où les roches sont plus difficiles à éroder (calcaires, schistes…), et aussi autour du Puech Rouch. Séranne 15 a calculé un taux identique de 0,04 mm./an pour l’érosion autour du Puech Rouch (terminaison orientale de la vallée du Salagou), mais en considérant une période d’érosion débutant avec les premières coulées datées de 3,5 M.a. et donc peut-être trop longue.

Schéma topographique en courbes de niveau de la surface pré-volcanique.
Fig. 2 Schéma topographique en courbes de niveau de la surface pré-volcanique. Les altitudes en mètres (colonne de droite) s’éclaircissent vers le haut. Les zones en bleu indiquent les coulées volcaniques, et les traits vert-clair marquent le tracé actuel des cours d’eaux

Les géomorphologues distinguent plusieurs types de reliefs d’inversion 16. On ne s’intéressera ici qu’aux inversions produites sur des coulées volcaniques de type basaltique que l’on retrouve actuellement sous des formes géographiques désignées comme plateau, mesa, plan, causse, ou butte tabulaire. Elles proviennent de coulées de lave liquide sur des versants présentant un vallonnement d’aplanissement ample, ou venant combler une zone déprimée ample, sur un substratum sédimentaire (souvent la ruffe dans notre cas) qui est plus sensible à l’érosion que la coulée de lave qui est au-dessus, une fois refroidie. En résumé ces plans expriment simplement la meilleure résistance à l’érosion de la lave basaltique par rapport à son soubassement. Ensuite les reliefs situés entre les vallons où se trouve la lave vont se transformer en vallée au fur et à mesure du déchaussement par l’érosion de la coulée volcanique. Viers 17 insiste sur le fait que le relief d’inversion ne peut se produire qu’à la faveur du passage d’un climat régulé permettant la formation d’un modelé d’aplanissement ample, à un climat plus contrasté produisant par érosion un modelé de dissection, c’est-à-dire le creusement de vallées en V. Un tel changement climatique est effectivement intervenu depuis la fin du Pliocène 18, caractérisé par l’apparition au cours du Quaternaire de périodes froides et humides de plus en plus fortes et longues et de périodes interglaciaires chaudes et aux précipitations plus concentrées, favorisant un modelé de dissection et le creusement de ravines (Fig. 3).

Formation d’un relief d’inversion, repris de Georges Viers (1990, p. 180).
Fig. 3 Formation d’un relief d’inversion, repris de Georges Viers (1990, p. 180). A : État initial au début du Quaternaire, avec un modelé d’aplanissement donnant une surface vallonnée. B : les vallons sont comblés par un magma liquide type basalte. C : Modelé de dissection post-volcanique creusant des vallées encaissées sur les bords des coulées volcaniques. Les conditions climatiques doivent être plus érosives qu’en A (type méditerranéen par exemple).

Les géomorphologues distinguent plusieurs types de reliefs d’inversion 16. On ne s’intéressera ici qu’aux inversions produites sur des coulées volcaniques de type basaltique que l’on retrouve actuellement sous des formes géographiques désignées comme plateau, mesa, plan, causse, ou butte tabulaire. Elles proviennent de coulées de lave liquide sur des versants présentant un vallonnement d’aplanissement ample, ou venant combler une zone déprimée ample, sur un substratum sédimentaire (souvent la ruffe dans notre cas) qui est plus sensible à l’érosion que la coulée de lave qui est au-dessus, une fois refroidie. En résumé ces plans expriment simplement la meilleure résistance à l’érosion de la lave basaltique par rapport à son soubassement. Ensuite les reliefs situés entre les vallons où se trouve la lave vont se transformer en vallée au fur et à mesure du déchaussement par l’érosion de la coulée volcanique. Viers 17 insiste sur le fait que le relief d’inversion ne peut se produire qu’à la faveur du passage d’un climat régulé permettant la formation d’un modelé d’aplanissement ample, à un climat plus contrasté produisant par érosion un modelé de dissection, c’est-à-dire le creusement de vallées en V. Un tel changement climatique est effectivement intervenu depuis la fin du Pliocène 18, caractérisé par l’apparition au cours du Quaternaire de périodes froides et humides de plus en plus fortes et longues et de périodes interglaciaires chaudes et aux précipitations plus concentrées, favorisant un modelé de dissection et le creusement de ravines (Fig. 3).

L’analyse géomorphologique consistera à différencier l’érosion linéaire canalisée qui intervient immédiatement après l’épisode volcanique sur la limite entre les coulées de basalte et la roche érodible, de l’érosion linéaire régressive qui se manifestera plus tardivement en remontant depuis les marges basses des reliefs volcaniques. Ces deux processus de formation de drainage correspondent aux deux formes de réarrangement du drainage décrites par Bishop 19 : l’érosion linéaire canalisée qui évolue du haut vers le bas (top-down process) et l’érosion linéaire régressive qui progresse du bas vers le haut (bottom-up process ou headward extension).

Dans le contexte volcanique où nous nous trouvons, l’érosion canalisée du haut vers le bas se manifestera plus tôt que l’érosion linéaire régressive, car elle occupera un tracé déjà établi et bénéficiera souvent des apports des sources préexistantes du drainage pré volcanique. Par contre l’érosion linéaire régressive qui progresse depuis le bas des versants à partir d’écoulements peu concentrés sera plus lente à se développer, mais étendra son réseau par des captures qui augmenteront progressivement ses effets, et finalement s’imposera.

L’intérêt des plateaux volcaniques est d’abord de représenter un marqueur-temps fiable et largement visible dans le paysage. En suivant ces plans vers le haut des versants on peut retrouver le volcan d’où la lave a été émise. Et finalement, compte tenu de l’absence ou de la faible importance des déformations intervenues au cours du Quaternaire 20 on a pu retrouver l’origine précise de certaines coulées, canalisées au sortir du volcan et sur ses versants, et plus largement étalées ver le bas au fur et à mesure de la diminution de la pente. On peut estimer à environ 3 % le seuil où l’on passe des coulées canalisées (pente de 3 % et plus) aux coulées étalées en lac de lave (moins 3%) 21. Que l’on soit sur un volcan actif émergeant d’un fond océanique ou sur un volcan languedocien installé sur un soubassement sédimentaire la pente pour laquelle les conditions d’écoulement vont changer de la coulée canalisée à l’étalement en nappe est assez voisine. C’est ce que l’on peut observer autour de la Sierra Negra des Îles Galápagos, où la simplicité de la morphologie (relief volcanique et plaine littorale) est accentuée par la jeunesse des coulées. 22

Du fait de l’imperméabilité globale de la ruffe sous-jacente 23 un écoulement sous-volcanique peut continuer d’exister dans l’axe des plans volcaniques, alimentant des sources sur leurs flancs et à leur extrémité vers l’aval. Cet écoulement n’est jamais très important, mais souvent assez constant au point d’alimenter partiellement des villages (Lacoste, Mas Audran, Toucou…). Il se fait probablement à la faveur des fractures communicantes qui se forment dans le basalte au moment du refroidissement, et sans doute aussi par la couche plus ou moins sableuse qui occupait le fond des vallons pré-volcaniques. Si, pour une raison ou une autre, la circulation d’eau sous-volcanique déborde sur un côté du plan, un talweg d’érosion se formera en aval. C’est l’interprétation que l’on peut donner à la source du Révérignès ou à la source de Lavit sur les bords du plan volcanique de l’Ieuzède. Dans les parties basses où le réseau de drainage prendra des orientations plus orthogonale 24, on peut penser que de telles échancrures pourront aller jusqu’à sectionner transversalement le plan volcanique. Au fur et à mesure du déchaussement et de l’élévation relative des plans volcaniques on verra donc les deux types de réseau de drainage se combiner : d’abord le réseau initial de drainage linéaire qui est hérité des écoulements canalisés sur les bordures des anciennes coulées (Fig. 3), et ensuite un réseau classique formé par érosion régressive sur les versants des plans mis en relief, et en particulier à partir du niveau de base du drainage régional.

Nous verrons d’abord le plan de Basse et la Marette en amont d’Octon qui représentent le modèle d’érosion du premier type, le drainage linéaire guidé par la bordure des coulées volcaniques.

Les écoulements linéaires canalisés :

La Marette à Octon : présentation

Ce sont les particularités de la Marette qui ont conduit à analyser et chercher à comprendre l’évolution morphologique de l’ensemble de la vallée du Salagou. Classée comme ruisseau, c’est cependant le seul drainage permanent de la vallée qui a atteint vers l’amont et depuis longtemps les calcaires du Causse. La Marette montre cependant un tracé inhabituel : elle suit tout droit depuis sa source jusqu’à Octon le bord nord du Plan de Basse pour s’étaler au pied du versant dans l’ample plaine des Landes, mais qu’elle quitte brusquement pour aller vers le sud rejoindre un temps le petit ruisseau des Vignasses où elle retrouve son ancien tracé pré-volcanique. Mais elle le quitte de nouveau pour tourner vers le Nord rejoindre le Salagou (qui lui, a le titre géographique de « rivière ») dans une vallée encaissée qui recoupe le haut et large plan volcanique de l’Ieuzède, et dont elle suivait initialement la bordure sud. Pour tenter de comprendre comment on est arrivé à un tracé aussi compliqué il faut prendre l’analyse à son début : la situation qui suit immédiatement l’épisode volcanique.

La Marette et le Plan de Basse

Une bonne illustration de l’érosion linéaire canalisée nous est donnée par la vallée de la Marette au long de la bordure NE du Plan de Basse. La vallée équivalente de l’autre côté du Plan de Basse est celle du Lignous (Fig. 4). La Marette prend sa source au-dessus de St. Martin des Combes dans des terrains du Trias, et coule entre le Plan de Basse et le Planéjo, une branche du plan volcanique de l’Ieuzède, jusqu’à Octon 4 km plus bas, avec une pente moyenne d’un peu plus de 6 %. Au niveau d’Octon, la vallée de la Marette s’ouvre sur la plaine des Landes, en même temps que la pente tombe à 1,7 % et qu’un régime alluvial grossier dépose la terrasse du Gravas. Cette terrasse débute en fait un peu avant le débouché de la vallée, juste en aval du lieu-dit les Moulins, mais se sépare de la Plaine des Landes un peu plus bas au niveau de la Cave Coopérative. La partie nord de la Plaine des Landes est occupée par le Révérignès, un ruisseau de moindre importance qui prend sa source au contact inférieur du basalte, dans l’échancrure du plan de l’Ieuzède où se sépare au sud le Planéjo. Au-dessus d’Octon et sous les plans volcaniques de Basse et de l’Ieuzède, se trouvent deux petites terrasses basaltiques suspendues vers le milieu de la pente, l’une au-dessus du Mas de l’Hébrard et l’autre au lieu-dit Garajou. La première seulement figure sur la carte géologique 25 mais les deux sont représentées sur la carte géomorphologique de Paul Ambert, reproduite partiellement par Ambert et Séranne 226. La cartographie de Paul Ambert suggère que ce volcanisme plus récent que celui des grands plans pourrait provenir du volcan de Carols situé juste au-dessus du Mas de l’Hébrard (Fig. 4). Le palier correspondant à ces petites terrasses basaltiques semble se prolonger topographiquement vers l’Est, jusqu’à l’extrémité aval du plan de l’Ieuzède, ce qui lui conférerait une importance locale. Malheureusement cet épisode volcanique tardif n’est pas daté ; à titre d’hypothèse une relation pourrait être envisagée avec l’épisode magmatique récent signalé par Alabouvette 227 10 km. à l’Est, juste sous Lacoste, au lieu-dit les Potences, et auquel il attribue un âge autour de 0,7 M.a. 28. Ces petits plans volcaniques sont intéressants car ils marquent un jalon dans le creusement de la vallée du Salagou au niveau de la plaine des Landes, qui était donc déjà largement dégagée jusqu’à 50-70 m. sous la base des grands plans volcaniques. La présence d’une terrasse basaltique au Garajou montre que les vallées de la Marette et du Révérignès, situées entre les plans de l’Ieuzède et de Basse et débouchant sur la plaine des Landes, étaient déjà communicantes, et que la plaine des Landes occupait un espace déjà proche de l’actuel. Ceci laisse peu de place pour envisager une continuité du plan de Basse vers la partie centrale de la vallée du Salagou, ce qui nous amène à envisager un tracé plus au sud, peut-être en direction de Gascou et de Valmascle, mais sans forcément arriver jusque-là. Les drainages anciens dans ce secteur restent incertains par manque d’éléments témoins, et le modèle topographique que nous avons ainsi que les analyses de Salze et d’Amber 29 suggèrent que le secteur du col de la Merquière était beaucoup plus large qu’actuellement.

Schéma géologique du versant de la Marette entre Octon et St. Martin des Combes.
Fig. 4 Schéma géologique du versant de la Marette entre Octon et St. Martin des Combes. Géologie reprise de la carte géologique du BRGM (Alabouvette 1982)

Essayons maintenant de comprendre le curieux tracé suivi par la Marette entre sa sortie du versant vers la Plaine des Landes à Octon et sa confluence avec le Salagou. Entre le lieu-dit les Moulins et le centre du village d’Octon la Marette se dirige nettement vers la plaine des Landes, ce qu’indique la cartographie géomorphologique des terrasses du Quaternaire récent réalisée par Paul Ambert 30. Mais actuellement la Marette ne passe pas dans la plaine des Landes, mais marque au niveau du Mas de la Vialle d’Octon une déviation brusque de 55 degrés vers le sud (Fig. 4) en direction du Gravas (ou Grabas sur la carte IGN), une terrasse identifiée sur la carte géologique comme un épandage würmien plutôt récent 31, et séparé de la plaine des Landes par la longue butte du Mas de Carles où se trouve le cimetière. À la différence de la plaine des Landes où les alluvionnements de la Marette ancienne (Würm ancien) et du Révérignès (Würm ancien et récent) n’ont transporté que de la ruffe et du basalte (attention à ne pas considérer les apports artificiels graveleux et qui ont été répandus pour bonifier la terre, et prélevés probablement dans des dépôts de la Lergue, en raison de la présence de schiste), les dépôts du Gravas montrent un important alluvionnement de matériel triasique et liasique. Ceci indique que c’est au cours de Würm que la tête amont de la Marette a atteint les terrains de la base du Mésozoïque, et que l’apport en eau venant de ces terrains a pu augmenter son débit jusqu’à être assez important pour transporter lors des crues des blocs de grès et de calcaire d’une taille pouvant dépasser les 50 cm.

Le secteur où la Marette tourne vers le Sud est jalonné de petites cascades. Un contexte local a pu favoriser le détournement à cet endroit précis : au niveau de la Cave Coopérative on observe la présence d’une source à 18° qui alimente le lavoir de Font Cauda du Mas de la Vialle, séparément de la Marette pourtant située juste à côté 32.

Comme pour d’autres sources dans la région, au Puech notamment, cette source ramène en surface de l’eau tiédie en profondeur par la chaleur résiduelle du volcanisme, et ressort ici au plus bas de la vallée, probablement à la faveur de fractures liées à la zone des failles d’Olmet, elles-mêmes de direction N.-S. ou presque. Cette origine relativement profonde et indépendante des circulations superficielles implique que la source a préexisté au détournement de la Marette vers le Gravas, et a pu favoriser par la direction de son écoulement le détournement de celle-ci vers le Sud à cet endroit.

Cette déviation conduit la Marette à un endroit bien particulier, qui est le ruisseau des Vignasses. Ce ruisseau provient de l’écoulement sous-basaltique du Plan de Basse. Son débit est actuellement faible et saisonnier, très inférieur à celui de la Marette. Cependant entre sa source sous le basalte du plan de Basse et la terrasse du Gravas plus bas ce ruisseau a creusé un spectaculaire petit canyon que surplombe le pont de la route qui va d’Octon à Basse. La terrasse haute du Moural que l’on voit à cet endroit, et qui est attribuée à la période du Riss 33, a été totalement déblayée par le ruisseau des Vignasses. L’interprétation que l’on peut faire est que pendant le Würm récent ce ruisseau et un autre ruisseau proche à son côté ont eu un débit fort et probablement plus constants qui ont permis le creusement de profondes ravines et d’une dépression au pied de l’extrémité du plan de Basse, vers laquelle le premier ruisseau a été détourné. Cela a pu se faire à la période du Quaternaire récent pendant lesquelles les archéologues ont établi que la source de l’Estabel de Cabrières coulait abondamment 34, et que le climat du Languedoc était voisin de celui du Sud de l’Angleterre 35 avant que n’intervienne le réchauffement climatique actuel.

La Marette en aval du Plan de Basse

La question qui vient ensuite concerne la position du cours de la Marette en aval de la plaine des Landes et du Plan de Basse, juste après l’arrêt de l’activité volcanique principale. Actuellement la Marette rejoint le Salagou en bas de la terrasse du Gravas, dans un secteur où le Salagou remonte vers le Nord en direction de Celles, en recoupant le plan volcanique de l’Ieuzède qui se prolongeait initialement dans les buttes de La Sure et de Rouens 36. Il est alors difficile de concevoir que le tracé du cours de la Marette ait pu se faire très tôt vers le Nord, comme on le voit actuellement, car il aurait dû recouper le large plan de l’Ieuzède, et probablement ensuite celui du Cayroux comme le suggère la carte du tracé des coulées volcaniques de Salze 37. L’hypothèse qui se présente alors est une Marette immédiatement post-volcanique qui prolongeait le même tracé que celui qu’il avait plus à l’ouest entre le Plan de Basse et celui de l’Ieuzède.

Vue de l’alignement des plans volcaniques depuis l’extrémité du plan de Basse, et qui donnent l’image du « lac de lave du lodévois » de Bernard Gèze.
Fig. 5 Vue de l’alignement des plans volcaniques depuis l’extrémité du plan de Basse, et qui donnent l’image du « lac de lave du lodévois  » de Bernard Gèze. On remarquera l’enfilade de la plaine Landes-Gravas avec les cols des Détroits et de Gageot, figurant le tracé post volcanique de la Marette.

La lecture du paysage depuis les hauteurs de l’extrémité du Plan de Basse – accessible par un bon chemin – (Fig. 5) est nettement favorable à cette hypothèse, car on observe une large et longue dépression qui a l’aspect d’une paléo-vallée où s’alignement le col des Détroits à 4 km. et celui de Gageot (ou « Gajo » dans un texte ancien du cantique à N.-D. de Clans, Taurand, 2012, p. 28) à 10 km. et qui se poursuit au-delà vers Clermont-l’Hérault et la Lergue par les ruisseaux du Passant et de Rieupérigne. On observera aussi plus facilement cette longue ouverture depuis le cimetière d’Octon (Fig. 6). Sur la carte des principales coulées volcanique de Salze 38, cette paléo-vallée se trouverait située juste au sud de la coulée volcanique qui a donné le plan de l’Ieuzède, et au nord de la position actuelle du Plan de Basse.

Photo prise depuis le cimetière d’Octon (juste à droite) montrant l’enfilade d’un couloir ancien en direction des Bories (col de Gageot en clair à l’horizon)
Fig. 6 Photo prise depuis le cimetière d’Octon (juste à droite) montrant l’enfilade d’un couloir ancien en direction des Bories (col de Gageot en clair à l’horizon) et de Clermont l’Hérault et passant le col des Détroits (creux du versant dans l’ombre en plan intermédiaire). La plaine des Landes est sur la gauche et le Gravas est à droite - non visible - de l’autre côté du cimetière.

La continuité du Plan de Basse vers l’aval reste donc incertaine : comme cela est suggéré plus haut, le plan de Basse pourrait ne pas s’unir à l’étalement général des plans de la vallée du Salagou comme Salze en fait l’hypothèse, mais rester cantonné au secteur sud (Fig. 1). Quoi qu’il en soit, il est difficile d’imaginer que la vallée post volcanique de la Marette ait pu recouper le Plan de Basse si celui-ci rejoignait l’Ieuzède, et donc que ce plan devait rester plus au sud en laissant la Marette post-volcanique continuer entre le plan de l’Ieuzède et le relief de la montagne de Liausson. Un écoulement de la Marette post-volcanique vers le col de Gageot présente une pente d’environ 2 %, rendant possible une vallée s’écoulant dans cette direction.

On est donc amené à considérer une paléo-vallée de la Marette coulant droit d’Octon à Clermont-l’Hérault, et qui aurait été par la suite segmentée, isolant le col des Détroits, et le col de Gageot (près du lieu-dit Les Bories). Une question se pose alors : pourquoi cette vallée n’a pas continué à se creuser et n’est pas devenue pérenne ? Deux explications semblent possibles. La première tient à la nature des roches qui affleurent au niveau du col de Gageot et des Bories : parmi des terrains variés on trouve une structure anticlinale dans des calcaires du Lias inférieur et moyen 39. Ces roches, beaucoup plus difficiles à éroder que la ruffe, ont pu ralentir le creusement vertical de la vallée à cet endroit, alors que d’autres ouvertures plus faciles au travers de la ruffe ont pu se faire, comme on le verra plus loin. Une autre explication pourrait être la présence d’une intrusion volcanique près de Lacoste, à 2 km. au N.-E. et dont l’âge estimé serait de 0,7 M.a. selon Alabouvette 40.Cette intrusion a pu créer une légère intumescence qui a réduit ou même annulé l’écoulement dans cette direction.

L’érosion linéaire régressive

Le Roubieu, un modèle d’évolution du drainage en marge du Salagou

Le modèle de drainage linéaire localisé initialement à la bordure ou entre les plans volcaniques (Fig. 3) rend compte du drainage actuel dans toutes les parties amont du domaine volcanique où la pente des plans, et des ruisseaux qui ont suivi, est supérieure à 3 % : Lignous, Marette, Révérignès, et même pour le Roubieu situé sur la marge nord-est de ce secteur. Mais dans ce dernier cas le plan volcanique qui bordait au nord le Roubieu a été presque totalement enlevé par l’érosion, ne laissant que la butte du Cayroux et de petits affleurements dispersés en direction de l’Escandorgue. L’érosion est donc plus avancée dans ce secteur, où la morphologie volcanique semble avoir été aussi plus simple. On peut alors plus facilement voir comment on est passé d’une érosion linéaire guidée, qui préserve les plans volcaniques dans leur continuité, à une érosion linéaire régressive qui scinde ces plans en buttes séparées.

L’aspect actuel de la basse vallée du Roubieu, avec les nombreuses terrasses qui s’y trouvent 41 font penser à un cours actuellement sous-calibré par rapport aux traces de ses écoulements passés. Si on suit la bordure nord du plan de l’Ieuzède qui a guidé l’écoulement post volcanique linéaire et canalisé du Roubieu, on est amené à reconstituer un cours initial remontant en ligne continue et presque droite jusqu’à Lavalette, par le col de La Fourille, le Mas Caudou, et le cours supérieur de l’Aubaygues entre le Mas Caudou et Lavalette (Fig. 7). Ce cours supérieur de l’Aubaygues fait actuellement un angle droit vers l’aval, en direction du Puech et de la Lergue, et ce changement de direction est bordé de nombreuses terrasses 42. La disposition de ce drainage correspond typiquement à un système de capture par crochet amont tel qu’il est décrit et analysé par Bishop 43. Depuis la Lergue à la faveur des fractures de la zone de failles d’Olmet, l’Aubaygues a progressé par érosion linéaire régressive – c’est-à-dire remontant de l’aval vers l’amont – recoupant ainsi le lien entre le Cayroux et son volcan source vers le haut, et capturant au passage le cours supérieur du Roubieu entre Mas Caudou et Lavalette. Les flèches A et B de la figure 7 montrent les deux étapes de cette évolution : une première étape (A) de drainage canalisé entre les plans formés par les coulées de basalte (Le Roubieu entre Lavalette et Cartels), et une seconde (B, le drainage actuel) correspondant à la remontée de l’Aubaygues par érosion régressive depuis les marges du domaine volcanique, et qui capture en remontant le cours du Roubieu par un crochet amont au niveau du Mas Caudou.

Schéma géologique montrant le contexte de la capture du Roubieu par l’Aubaygues.
Fig. 7 Schéma géologique montrant le contexte de la capture du Roubieu par l’Aubaygues. Flèche A : cours post volcanique du Roubieu entre les plans de Toucou-l’Ieuzède et du Cayroux, depuis Lavalette jusqu’à Cartels. Flèche B : suite possible des captures de l’Aubaygues si l’érosion régressive continue au long de la zone de failles d’Olmet, rendant possible la capture ultérieure du cours supérieur de la Marette (et du Lignous ?) vers la Lergue. Gris : plans volcaniques ; Jaune : terrasses sédimentaires du Quaternaire récent ; Brun : Trias et Jurassique ; Blanc : Permien rouge.

L’érosion linéaire régressive et les captures dans la vallée du Salagou

La zone centrale de la vallée du Salagou est caractérisée par des buttes tabulaires dispersées faites de ruffe surmontée d’un disque résiduel de coulée basaltique. Les pentes générales de la surface pré-volcanique, mesurées à la base des épanchements de basalte, varient de 1,7 à 2 %, alors qu’au long des plans qui s’élèvent vers l’Escandorgue elles sont plus fortes. Salze 44 signale sous le basalte de la butte de La Sure une couche de 40 à 60 cm. d’argile sédimentée à partir de la ruffe sous-jacente, et contenant des petits galets de quartz roulés et usés. La description qu’il fait de cette couche, avec son épaisseur et son contenu, ressemble aux dépôts superficiels actuels des terrasses anciennes de la vallée du Salagou tels qu’ils sont observés au Moural et à l’Arnède par exemple, terrasses faites de 50 cm. à 1 m. de colluvion qui recouvre un glacis discordant sur la ruffe, et dont la pente déjà faible diminue vers le bas. À la butte de La Sure le niveau de type colluvial est recouvert par deux niveaux sombres d’origine volcano-sédimentaire, puis par la masse de la coulée de basalte. C’est à ce glacis de piémont et à son recouvrement par des laves basaltiques largement étalées que Gèze se réfère quand il parle du « lac de lave » du lodévois 45. Sur des surfaces de piémont à faible pente le basalte ne coule plus en bande bien délimitée, mais s’étale en lobes plus ou moins avancés et imbriqués, comme on le voit dans les coulées actuelles des volcans de même type 46. Cet étalement entraîne une diminution et une régularisation de l’épaisseur cumulée des coulées de basalte, avec deux conséquences sur le drainage et les écoulements de surface qui se mettront ensuite en place : (1) des conditions moins favorables à la continuité d’un drainage linéaire canalisé du haut vers le bas en bordure de coulées plus étalées et lobées et (2), l’apparition d’un drainage remontant, depuis les niveaux de base des écoulements qui sont proches, vers l’intérieur des coulées. Ce niveau de base est le littoral marin dans le cas des volcans des Galápagos 47, et la vallée de la Lergue dans le cas présent.

Deux cols font communiquer la partie centrale de la vallée du Salagou, où se trouve actuellement le lac, avec la Lergue. Le plus haut se trouve à l’Ouest, à l’altitude de 180 m. et au-dessus du village de Celles ; nous le désignerons ici « col de Celles », (la route D148 passe par ce col entre le Mas de Riri et la Grande Baraque). L’autre est à peine marqué et se trouve 1,5 km. à l’Est du précédent, de l’autre côté de la butte du Cébérou ; il donne accès au village et à la base nautique des Vailhès au bout de la route D148 E, à l’altitude de 142 m. Ce col ne domine que de quelques mètres le niveau actuel du lac (139 m.). Les cols de Celles et des Vailhès sont larges avec des versants concaves qui supposent une évolution relativement longue. Vient ensuite vers l’Est le long plan volcanique de l’Auverne qu’aucun col ou défilé ne traverse avant l’étroite vallée en V de l’exutoire actuel dans lequel se trouve le barrage (Fig. 1 et 8). Ces trois ouvertures vers la vallée de la Lergue sont creusées dans une ruffe massive de même type, et ont été soumises à des conditions climatiques similaires.

Le col de Celles se trouve à l’extrémité nord d’une longue fracture de direction Nord-Sud jalonnée de filons de basalte et de quelques necks, le plus connu étant celui qui est visible de l’autre côté du lac, en face de la base nautique d’Octon. Cette longue fracture ne fait pas partie sensu-stricto de la zone de failles d’Olmet, mais en a la direction et les caractères, et se trouve située à seulement 4 km. vers l’Est. Dans son écoulement de l’Ouest vers l’Est le Salagou traverse obliquement cette zone de fracture, mais marque une nette déviation en suivant exactement la ligne de fracture sur plus de deux kilomètres entre la ferme d’Ariège et l’extrémité du plan de l’Ieuzède. D’autres filons plus dispersés de direction N.-S. ont été cartographiés par Alabouvette 48, notamment au nord de Celles, entre la butte du Cébérou, et à l’extrémité du plan de l’Auverne (Fig. 1). Ce dispositif suggère que, comme dans le cas de l’Aubaygues, l’érosion régressive soit remontée depuis la Lergue et le Roubieu à la faveur de cette zone de fracture. Rappelons ici que la montée du basalte sous forme de longs filons suppose la reprise en ouverture de fractures probablement plus anciennes. Ces zones de faiblesse ont pu continuer à jouer ultérieurement en ouverture, car Bousquet et Philip 49 signalent une néotectonique de tension globalement Ouest-Est au cours du Quaternaire supérieur, et donc susceptible de maintenir ouvertes des fractures ou des failles de direction proches de celles de la zone de faille d’Olmet. La formation du col des Vailhès situé un peu à l’Est a probablement une origine similaire. On peut ajouter qu’il est aussi probable que les deux segments de vallées qui se font curieusement face entre le Cébérou et l’Auverne au nord du lac (col des Vailhès), et les buttes de La Sure et de Rouens au sud, soient superposés à une direction de fracture similaire, mais moins visible sur le terrain faute de la présence de filons visibles qui permette de la souligner.

Depuis le col de Celles en direction du Nord on peut suivre, visuellement sur le terrain et sur la carte géologique 50, une suite de terrasses qui descendent à faible pente vers la vallée du Roubieu et restent suspendues au-dessus du lit actuel du ruisseau. Cette zone de terrasses tourne ensuite pour suivre vers l’aval le cours actuel du Roubieu. Les terrasses et leur disposition témoignent d’un modelé d’érosion relativement élaboré et peu incisé. La carte géologique attribut un âge Würmien à ces terrasses 51 mais cela semble peu probable, si on les compare aux terrasses alluviales würmiennes des marges du Salagou et de la Marette. Il pourrait s’agir de témoins de terrasses plus anciennes reprises dans un modelé plus récent.

La large ouverture du col de Celles suggère la trace d’une ancienne vallée par laquelle le drainage de la partie centrale de la vallée du Salagou s’est dirigé vers la Lergue. Mais dans le cas présent il est le résultat d’une érosion régressive remontant depuis la Lergue par le Roubieu et un de ses ruisseaux affluents en suivant la zone de fractures et de filons qui continue jusqu’à Roques, près de Salasc.

Schéma récapitulatif de l’évolution du drainage dans la partie centrale de la vallée du Salagou. Les flèches numérotées indiquent l’ordre d’apparition de ces drainages.
Fig. 8 Schéma récapitulatif de l’évolution du drainage dans la partie centrale de la vallée du Salagou. Les flèches numérotées indiquent l’ordre d’apparition de ces drainages. 1 : pointillé noir : directions hypothétiques des écoulements des anciens vallons correspondant aux plans de Basse et de la Boutine. 2 : flèche orange : Drainage de la Marette post volcanique résultant d’un écoulement linéaire canalisé. 3, 3-4 : flèches vertes : Ouverture par érosion régressive d’un écoulement vers le Roubieu et la Lergue par le Col de Celles, et dans la même période d’un écoulement par le col des Vailhès du drainage issu du versant du mont Liausson. 4 : Capture du drainage du col de Celles vers le col des Vailhès. 5 : flèche rouge : Ouverture du drainage vers la Lergue par la vallée de Mas Audran.

Cette remontée par érosion linéaire régressive du nord vers le sud a tranché la continuité du plan de l’Ieuzède, et s’est poursuivie dans la partie centrale du Salagou en direction de la plaine des Landes, en capturant le cours de l’ancienne Marette post-volcanique (Fig. 8 et 9, lignes 2 et 3). Cette évolution est très comparable à ce que nous avons vu précédemment pour l’Aubaygues.

Tracé des écoulements de la figure 8 replacés dans le paysage actuel. Les numéros sont les mêmes.
Fig. 9 Tracé des écoulements de la figure 8 replacés dans le paysage actuel.
Les numéros sont les mêmes.

L’ouverture du col des Vailhès est proche et de même type que celui de Celles. Elle a pu avoir été initiée à la même période, mais son altitude plus basse suggère qu’à un certain moment elle a pris le relais de l’exutoire par le col de Celles. L’écoulement par le col des Vailhès a bénéficié des apports venant du versant nord de la Montagne de Liausson où les sources sont nombreuses, et étaient peut-être même plus abondantes que ce qui venait de la plaine des Landes par la Marette et le Salagou. Il a même pu exister deux exutoires au début, l’un par Celles pour le drainage venant de la plaine des Landes (Marette et Salagou), et l’autre par le col des Vailhès pour ce qui venait du versant de Liausson et de la Grange Montagne (Fig. 8 et 9, lignes 3-4). L’altitude du col des Vailhès suggère que le drainage venant de ce côté s’est ensuite imposé, en capturant ce qui venait de la plaine des Landes (Fig. 8, ligne 4).

La complication de l’évolution du drainage dans la partie centrale de la vallée du Salagou permet d’apporter une interprétation à la largeur surprenante de la vallée du Salagou au niveau de Liausson. En fait on voit ici se rassembler et se cumuler la largeur de plusieurs vallées, la première correspondant à la Marette post-volcanique quand elle s’écoulait par les cols des Détroits et de Gageot, la seconde élargissant la première vers le Nord par un écoulement en direction du col des Vailhès, et la troisième plus récente en élargissant encore la vallée cette fois vers l’Est et sur sa longueur en direction du barrage et de la vallée du Mas Audran.

Le drainage actuel vers le barrage et la Lergue

Avant la mise en eau du barrage le Salagou suivait une vallée très élargie au niveau de Liausson, pour s’engager ensuite par un court segment encaissé dans lequel il rejoint la Lergue en moins de 4 km. entre les plans de la Germane au Sud et l’Auverne au Nord (Fig. 8 et 9, ligne 5). La vallée creusée ne correspond cependant ni à une antécédence (ce secteur ne s’est pas soulevé tectoniquement et sélectivement), ni à la surimposition lente d’un cours linéaire sur une structure plus résistante. Paradoxalement cette courte vallée en V qu’on ne découvre qu’en s’approchant et qui sert actuellement d’exutoire vers la Lergue semble représenter la morphologie la plus récente de tout le bassin du Salagou.

Comme pour les exemples précédents situés plus à l’Ouest (les exutoires par les cols de Celles et des Vailhès) l’origine du débouché du Salagou vers la Lergue semble être le résultat d’une érosion régressive qui s’est exercée depuis la Lergue vers le Sud au travers de la partie orientale du plan de l’Auverne. Ce secteur comporte d’importantes brèches volcaniques liées au volcan du Puech Rouch dont la bouche se trouve juste au sud de la vallée. Ces brèches ont pu faciliter l’infiltration de l’eau et être à l’origine de sources (d’où la présence du Mas Audran) à partir desquelles l’érosion linéaire régressive a été facilitée.

Le segment de la basse vallée du Salagou vers la Lergue est proche de la cluse de Rabieux, par laquelle la Lergue recoupe la faille des Cévennes. Une étude détaillée de Bishop et Bousquet 52 sur l’étagement des terrasses quaternaires situées de part et d’autre de la cluse de Rabieux montre un jeu de la faille des Cévennes pendant l’épisode climatique du Riss, il y a environ 180 000 ans, avec un rejet vertical de 5 à 10 m. en faveur d’une augmentation locale de la pente. Bien que relativement modéré l’effet de cette tectonique est nettement visible dans le paysage : la terrasse ancienne qui fait toute la surface de la plaine de Ceyras en aval de la faille a été profondément érodée et réduite à des morceaux épars en amont sur plusieurs kilomètres, pratiquement jusqu’à Cartels. La situation décrite par Bishop et Bousquet 53, avec une érosion plus forte en amont de la faille et une tendance à la sédimentation juste en aval est comparable au modèle présenté par Schumm et col 54. L’érosion linéaire régressive qui a suivi cet épisode tectonique a contribué à accélérer l’érosion sur le versant nord de l’Auverne situé près de Rabieux, favorisant ou accélérant l’ouverture d’un exutoire vers la Lergue à cet endroit. Il s’en est suivi une capture des écoulements qui antérieurement allaient vers le Nord et sortaient par les Vailhès. La pente moyenne au long de la vallée du Salagou (mesurées dans la zone du lac sur une carte IGN de 1963), est de 0,75 % entre La Lieude et l’entrée du lac ; elle se réduit à 0,5 % dans la partie couverte actuellement par le lac, et remonte à 1,3 % dans le segment qui traverse l’Auverne et jusqu’à la Lergue. Cela conduit à penser que le Salagou n’a pas encore atteint son profil d’équilibre dans la partie basse de sa vallée, et cela en raison d’une reprise locale de l’érosion du fait de l’activité de la faille des Cévennes comme le montrent Bishop et Bousquet 55.

Discussion

Le scénario qui vient d’être présenté est assez bien délimité dans le temps (globalement le Quaternaire) et dans l’espace (le bassin versant du Salagou), mais les étapes de son déroulement restent imprécises, et en particulier l’âge des différentes captures par lesquelles on est passé du drainage linéaire canalisé (qui procède du haut vers le bas) au drainage linéaire régressif (qui se développe du bas vers le haut). Le seul élément de datation relative et indirecte est la présence des petites terrasses volcanique du Garajou et de l’Hébrard qui se trouvent au-dessus d’Octon.

Une analogie avec les intrusions tardives de Lacoste suggère un âge autour de 0,7 M.a., soit vers le milieu de la période considérée. Les intrusions localisées sur la zone de failles d’Olmet et dont les fractures ont rejoué en ouverture et ainsi facilité la montée du magma, permettent de penser à une relation possible entre ce magmatisme tardif et la remontée de l’érosion régressive depuis la Lergue au long de cette zone de fractures, par les cols de Celles et des Vailhès. Des datations radiométriques sur les intrusions et les coulées les plus récentes permettraient de vérifier ces hypothèses.

Dans un autre domaine une étude plus fine des profils des versants pourrait apporter des précisions sur les étapes de l’évolution des différentes vallées. Il s’agit de ruptures de pentes et de buttes avancées qui marquent des reprises d’érosion et l’ancrage d’anciennes terrasses. Un exemple est visible sur le versant qui va de Liausson à Salasc. Au niveau du col des Détroits plusieurs ruptures de pente sont observées (Fig. 10), la plus haute marquant probablement le bas des reliques des reliefs Pliocènes, et la plus basse correspondant à la forte reprise d’érosion post glaciaire de l’Holocène. Un épaulement se voit vers 200/250 m. d’altitude (Fig. 10, trait jaune), et se suit de Liausson jusqu’à Roques, près de Salasc. Il semble correspondre au point où la vallée de la Marette post-volcanique passant par le col des Détroit venait s’accrocher au versant de la montagne de Liausson. La longue facette qui est au-dessus semble correspondre à l’ancrage de la morphologie pré-volcanique (trait rouge de la figure 10).

Essai de corrélation des ruptures de pente du versant de la Montagne de Lousses avec les principales étapes de l’évolution de la morphologie au niveau du col des Détroits.
Fig. 10 Essai de corrélation des ruptures de pente du versant de la Montagne de Lousses avec les principales étapes de l’évolution de la morphologie au niveau du col des Détroits. La butte de La Sure et le versant de la Montagne de Lousses sont à la même distance de l’observateur (1 km.) et le col des Détroits est entre les deux. Trait rouge : surface pré-volcanique, corrélée avec la base de la coulées volcanique de la butte de La Sure ; trait beige : vallée post-volcanique de la Marette en direction du col de Gageot (passage des Bories) ; pointillé beige : ligne de buttes ou de replats observés au même niveau en direction de Salasc (vers le droite) ou de Liausson (vers le fond, non visible) qui marquent la trace de l’ancrage de cette ancienne haute vallée sur le versant. Le surcreusement récent sous la ligne beige correspond à la reprise de l’érosion durant les grandes glaciations du Quaternaire.

Du point de vue altimétrique une vallée qui descendrait en pente régulière entre la base du volcanisme du plan de Basse (près d’Octon, la Marette pré-volcanique) et son passage au col de Gageot (partie aval de la Marette post-volcanique au-dessus de Clermont-l’Hérault), passerait au niveau du col des Détroits avec une érosion de 55 m. sous la surface de base du volcanisme. En considérant les taux d’érosion mesurés dans la vallée du Salagou et mentionnés plus haut, soit de l’ordre de 0,12 à 0,15 mm./an 56, la durée de fonctionnement de cette Marette ancienne entre la fin du volcanisme et une érosion de 55 m. serait de l’ordre de 0,4 M.a. à 0,5 M.a. La capture de cette Marette ancienne vers les vallées de Celles et des Vailhès se situerait dans une fourchette de dates allant de -1 M.a. à -0,7 M.a., suivant l’âge considéré pour la fin du volcanisme dans ce secteur.

Si elle semble compliquée, cette évolution morphologique de la vallée du Salagou n’a pas échappé aux ingénieurs hydrauliciens lorsqu’ils ont élaboré le projet de construction du barrage du Salagou. Afin d’assurer un apport en eau suffisant pour remplir le lac, il avait été envisagé de réaliser une galerie de 7 800 m., avec une prise amont située sur l’Orb à la cote 230 m. (3 km. en amont de La Tour sur Orb) et une sortie aval à la cote de 220 m. située un peu en amont de La Lieude, sur le Salagou, en passant donc sous le col de la Merquière 57. La même étude analyse la possibilité d’une autre galerie d’apport vers le lac entre la Lergue captée à Lodève (cote 153 m.) et entrant dans le lac par le col des Vailhès à la cote de 138 m., avec un point bas situé au passage de la vallée du Roubieu à la cote de 118 m. Pour ce qui est des galeries de sortie de l’eau du lac vers la plaine de Ceyras-Nébian, l’une d’elles prévoyait de sortir de la cuvette du lac en passant sous le col de Gageot pour rejoindre la Dourbie. On remarque ici, sans que cela soit surprenant, que les études géotechniques avaient retrouvé et tiré profit de la localisation des anciens écoulements (par le col de Gageot et col des Vailhès notamment), et identifié la facilité topographique d’un détournement gravitaire de l’Orb vers le Salagou 58, anticipant peut-être une capture future. Tous ces anciens écoulements se perçoivent nettement dans les paysages par la position et l’enchaînement des cols, qui furent jadis, avant le bulldozer et à l’époque des transports non motorisés, des éléments essentiels des communications stratégiques ou commerciales, mais dont on ne parle plus beaucoup de nos jours, sauf au moment du Tour de France. Ces cols sont des éléments à la fois de différence et de liens entre des régions voisines, et marquent souvent la transition entre un type de paysage et un autre.

Le lien qui existe entre cette étude et les paysages actuels de la vallée du Salagou se situe précisément au niveau des particularités de la morphologie actuelle qui permettent de déceler les évolutions futures, et notamment les zones de badlands devenant des ravins, puis des canyons et parfois de large vallée, ainsi que les cols que des captures futures isoleront. Ces tendances sont devenues identifiables avec le développement de la télédétection haute et très haute résolution, à partir d’images d’acquisition facile qui vont du drone au satellite, en passant par les classiques photographies aériennes. Par des prises de vues répétées on peut ainsi cartographier et quantifier très précisément l’érosion et les transferts de sédiments entre les différentes parties d’une vallée 59. Ces méthodes s’appliquent particulièrement au pourtour méditerranéen comme le montre une étude des badlands du versant espagnol des Pyrénées 60. Ces études sont actuellement destinées à la planification de l’utilisation des sols, mais concernent aussi les tendances de l’évolution des paysages sur le plus long terme.

L’appel à des captures répétées pour expliquer l’évolution du drainage n’est pas une nouveauté dans la région. Michel Wienin 61 décrit la capture de la Dourbie (bassin du Tarn) par l’Hérault, et signale d’autres captures dans les Cévennes, réalisées ou potentielle. Plus récemment Michel Séranne et ses collègues 62 montrent dans cette même région que le creusement des vallées a favorisé l’érosion régressive de l’Arre, qui a intégré par captures successives les affluents anciens de la Vis. Ces processus sont comparables à ce qui est observé dans la vallée du Salagou et autour, si on excepte la perturbation supplémentaire due à l’inversion du relief volcanique par érosion linéaire canalisée produisant des paysages spectaculaires mais temporaires.

Un élément surprenant dans le secteur du Salagou est de retrouver à plus d’un million d’années de distance un réseau d’écoulement dont l’exutoire est au même endroit qu’avant l’épisode volcanique, après s’être déplacé dans trois endroits très différents entre temps. Mais c’est surtout la précision de ce retour au passé qui étonne : l’exutoire actuel par le barrage et la vallée du Mas Audran se superpose parfaitement à l’axe d’écoulement du modèle de topographie pré-volcanique (Fig. 2). Si on excepte un biais de méthode qui n’aurait pas été perçu, ou une coïncidence, on est porté à penser que l’effet de la faille des Cévennes est plus important dans la durée que la simple localisation de l’exutoire actuel. Suivant Bousquet et Philip 63, la région est soumise à une néotectonique de tension depuis environ 0,7 M.a., qui tendra à faire jouer en ouverture les failles et fractures de direction 010° N à 040° N. Ceci s’applique tout autant à la faille des Cévennes qu’aux fractures de la zone d’Olmet, et pourrait expliquer aussi la facilité de la remontée de l’érosion régressive depuis la Lergue vers le Salagou dans tout le secteur du Lodévois.

Conclusion

En suivant quelques principes de base de la géomorphologie nous obtenons une présentation de l’évolution du relief de la vallée du Salagou qui explique le sectionnement des anciens plans volcaniques dans les régions basses, tout en maintenant leur continuité dans les parties hautes. Des paysages classiques de la vallée du Salagou, comme les versants chaloupés des cols de Celles, des Vailhès et des Détroits, et la large ouverture de la Plaine des Landes, prennent ici l’image de segments de vallées abandonnées, et de paysages qui ont changé au point de ne plus pouvoir en reconnaître facilement l’origine.

Dans un cadre paysager plus général, tout paysage continental est un édifice géologique en ruine sous l’effet destructeur du climat, sauf – paradoxe révélateur – le paysage extrême des surfaces immensément planes des grands bassins alluviaux continentaux, qui étonnèrent Alexandre de Humboldt 64 beaucoup plus que les hautes montagnes des Andes et les Alpes. De nos jours encore les plaines basses et planes qui sont les plus peuplées sont les moins bien connues du point de vue de leur évolution par rapport aux écoulements, et où les risques naturels sont les plus dévastateurs. Sans atteindre ces extrêmes, on s’aperçoit que pour comprendre l’évolution de la morphologie du Salagou il faut considérer les écoulements de faible pente, et ce quel qu’en soit le liquide utilisé de l’eau ou du basalte liquide. Dans cette étude nous n’avons considéré que des pentes générales, mais plus de précisions apporteraient certainement de meilleures interprétations.

Les formes que nous y voyons cumulent parfois différents types de paysages, certains très anciens, d’autres plus récents, et d’autres encore en devenir. Il faut probablement réapprendre à lire les paysages, et comme le dit Bertrand 65, dans un texte récent, reprendre « l’art perdu de la description de la Nature ». C’est semble-t-il à partir de la fin du 19e siècle et sous l’influence de Viollet Le Duc 66 que la notion du paysage a « quitté le naturel ». Dans le prologue d’un livre très largement diffusé dans le milieu éducatif « L’histoire de l’habitation humaine », Viollet le Duc présente le paysage sans habitation comme une Nature sauvage et hostile, semée d’embûches, et que l’urbanisation rendra agréable et tranquillisante. Les perturbations naturelles que nous vivons actuellement font prendre conscience du fait que le paysage n’est pas un décor à remodeler à notre désir, mais une scène en perpétuelle évolution qui bouge et parfois se dérobe lentement sous nos pieds, et parfois aussi de manière brutale.

Malheureusement l’évolution du paysage concerne une période qui n’est pas assez longue et ancienne pour bénéficier des outils de datation de la géologie, tout en dépassant en durée le décor anthropocénique fugace que nous construisons et croyons définitif. Le problème est que les « témoins » de l’évolution des paysages sont souvent ténus, et en plus voués à disparaître au fur et à mesure des changements qui s’opèrent. Pour aller plus loin d’autres méthodes sont nécessaire, permettant une quantification plus précise de ce qui caractérise cet effacement : les vitesses d’altération et les taux d’érosion, et des méthodes physiques et mathématiques d’analyses des formes plus sophistiquées. Ces besoins de la géomorphologie du paysage ont inspiré au célèbre géomorphologue Eiju Yatsu (1920-2016) un curieux livre testamentaire 67 intitulé « Fantasia in geomorphology ; to make geomorphology more scientific » ; le présent texte, dans ses limites et ses incertitudes, est d’une certaine manière un hommage à son travail et aux perspectives qu’il propose, et qui étaient en partie celles de cette étude.

Remerciements

Tout d’abord à Christian Guiraud, qui dans le cadre des activités du Mas des Terres Rouges et par de nombreuses conversations m’a familiarisé avec la géographie et l’histoire de la région, et la bibliographie correspondante. Au Mas des Terres Rouges j’ajouterai des échanges sur la région avec Philippe Martin, Henri Cartayrade ainsi que les autres membres de l’association. Un contact avec Jean Claude Bousquet m’a permis de comprendre le contexte de son travail sur les terrasses de la Lergue. Au tout début de l’étude j’ai communiqué avec John Bishop, qui connaît bien le Salagou, et ses commentaires m’ont aidé à orienter la suite de l’étude. Dans le secteur des Landes et du Gravas d’Octon où les activités agricoles sont importantes, Guilhem Dardé, André Cartayrade et Gérôme Lugagne m’ont commenté les diverses modifications intervenues ces dernières décennies (terres rapportées, canalisations, drainages modifiés), ainsi que ce qui se passe lors d’inondations importantes. Finalement, durant les sorties de terrain, les réflexions et la rédaction qui s’en est suivie, j’ai été accompagné et aidé par les commentaires de mon épouse Essy. Que toutes ces personnes, et d’autres que j’ai pu oublier de mentionner ici, en soient remerciées.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Ellenberger, 1980, p. 59-60.

2. Ellenberger, 1994, p. 235-245.

3. Gèze, 1979.

4. Salze 1976 ; Ambert 1991, entre autres.

5. Salze1976, fig. 21 et p. 66.

6. Cheylan, 1966.

7. Alabouvette, 1982 ; Gèze, 1979 ; Bishop et Bousquet, 1989.

8. Société Géologique de France, 2002.

9. Alabouvette, 1982, p. 25.

10. Alabouvette 1982 ; Lopez 1987.

11. Alabouvette, 1982 ; Dautria, 2010 et 2011.

12. Salze, 1976 ; Ambert, 1991, en particulier.

13. Dumont 2017.

14. Alabouvette, 1982.

15. Séranne 2002. Salze, 1976, p. 70-71.

16. Résumés par Viers, 1990, p. 180-181 et Coque, 1977, p. 55-60.

17. Viers 1990, p.180.

18. Riser 1999, p.288-302.

19. Bishop 1995, p. 455.

20. Ambert, 1991.

21. Salze 1976, p. 57 et 65.

22. Regnauld, 1985 ; Dumont, Santana et Thouret 2002.

23. Cheylan, 1966, p. 124 et 126.

24. Schumm et col. 2000, fig. 1.2.

25. Alabouvette, 1982.

26. Ambert et Séranne 2009.

27. Alabouvette 1982.

28. Alabouvette 1982, p. 21.

29. Salze (1976) et d’Amber 1991.

30. Ambert et Séranne 2009.

31. Alabouvette, 1982, carte et notice p. 24.

32. Dumont, 2017, p. 38.

33. Alabouvette, 1982, p. 22-23.

34. Ambert, 2010, p. 28.

35. Climap, 1981, Map and chart series MP-36, maps 3a & 3b.

36. Salze, 1976, fig. 19 et 20, p. 66-68.

37. Salze 1976, fig. 20.

38. Salze 1976, fig. 19 et 20.

39. Cheylan, 1966 ; Alabouvette, 1982.

40. Alabouvette 1982, p. 21.

41. Alabouvette, 1982.

42. Alabouvette, 1982.

43. Bishop 1995, p. 457-458 et fig. 5.

44. Salze 1976, photo 8 p. 58 et p. 65.

45. Gèze, 1979, p. 98.

46. Observation de l’auteur au volcan Sierra Negra des Galápagos.

47. Regnauld, 1985 ; Dumont, Santana et Thouret, 2002.

48. Alabouvette 1982.

49. Bousquet et Philip 1981.

50. Alabouvette, 1982.

51. Alabouvette, 1982.

52. Bishop et Bousquet 1989.

53. Bishop et Bousquet 1989.

54. Schumm 2000, p. 40.

55. Bishop et Bousquet 1989.

56. Dumont 2017 p. 58.

57. Cheylan, 1966, fig. 42, p. 149-150.

58. Cheylan, 1966, p. 147 à 155.

59. Desprats et coll. 2013.

60. Alatorre et Begería, 2009.

61. Wienin 2014.

62. Séranne etc. 2002.

63. Bousquet et Philip 1981.

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