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Description

Entre joie et tristesse : le séjour de Laurence Sterne à Montpellier (1763-1764)

C’est au début de l’automne de 1763 que le révérend Laurence Sterne, chanoine de la cathédrale de York et romancier renommé, auteur de La vie et les opinions de Tristram Shandy, gentilhomme (1759-1767), décide de passer l’hiver prochain à Montpellier.

Pour lui, la décision n’est pas facile. Dix-huit mois auparavant, il avait abandonné l’Angleterre pour la France, avec l’espoir de sauver ainsi sa vie il souffrait, en effet, d’une tuberculose pulmonaire apparue il y a une trentaine d’années lors de son séjour à l’Université de Cambridge où l’écrivain poursuivait ses études au Jesus College. Ses moyens financiers restant modestes, Sterne n’a jamais connu la possibilité offerte à ses compatriotes plus riches de rechercher la santé au bord de la Méditerranée. Ce n’est qu’au cours de l’hiver de 1761-1762 que le succès extraordinaire de son roman (dont les deux premiers tomes avaient été publiés en 1759) et la publication bien accueillie d’un recueil de sermons, The Sermons of Mr Yorick (1760), permirent au prêtre de quitter sa paroisse, dans la campagne froide et humide au nord de York.

Au moment du départ, Sterne est tellement malade qu’il hésite à s’en aller sans avoir fait son testament. Il a l’intention de voyager au plus vite à la recherche du climat plus doux du sud de la France, mais – comme tous les voyageurs anglais de cette époque – il fait un arrêt à Paris, où il arrive en janvier 1762. Il y est si bien reçu qu’il y réside sept mois au lieu de la semaine prévue Ce bon accueil est d’autant plus inespéré qu’il n’existe pas encore de traduction française de Tristram Shandy et que, selon un Anglais résidant alors dans la capitale, il n’y a pas à Paris cinq personnes qui possèdent un exemplaire de l’original et, parmi elles, une capable de le comprendre. Mais qu’importe ? Malgré cela, Sterne se trouve fêté à la fois par le « beau monde » et par les écrivains et intellectuels. Il est reçu par le comte de Choiseul, le baron de Bagge, le baron d’Holbach, le comte de Saint-Fargeau, le comte de Bissy et le fermier général de la Poplinière. Il se lie d’amitié avec Diderot, Crébillon fils, Marmontel et nombre d’autres esprits du Siècle des Lumières. Ce séjour revêt pour Sterne une importance particulière : c’est à Paris qu’il recouvre la santé, non par les effets de la médecine mais par la chaleur de l’estime et de la reconnaissance générales. Aussi ne reprend-il qu’en juillet son voyage vers le sud-ouest, accompagné maintenant par sa femme Elisabeth et sa fille Lydia, âgée de quinze ans, débarquées récemment d’Angleterre. Sa destination est Toulouse, où il arrive après un long et pénible voyage : « Il faisait chaud comme dans le four de Nabuchodonosor » affirme le prêtre.

Bouleversé par son « triomphe social » parisien, Sterne ne se plaît pas à Toulouse où il reste jusqu’au printemps de l’année suivante. Loué à Paris comme un génie, il est à Toulouse un parfait inconnu De plus, la vie publique n’est pas de son goût. C’est l’époque de l’affaire Calas – l’infortuné Jean Calas est remis aux mains du bourreau le 9 mars 1762 – et d’une furieuse agitation contre le protestantisme, ses pasteurs et ses dévots. Bientôt, dans sa correspondance, Sterne commence à se plaindre de l’absence de ses compatriotes, expulsés pour la plupart au début de la guerre. Gêné par sa très modeste maîtrise de la langue française, il passe ses journées en compagnie d’Irlandais catholiques bénéficiaires d’un permis de séjour à Toulouse pendant la guerre. Mal à l’aise et réellement malade, il décide de « changer de scène ». Abandonnant Toulouse, il visite Bagnères-de-Bigorre qui ne répond pas à son attente : c’est une petite ville ennuyeuse, sans société ni divertissements. Plus grave encore, Sterne se sent mal conseillé par les médecins, l’air des Pyrénées entraînant chez lui des hémorragies réitérées et « toute l’engeance des maux qui accompagnent une consomption ».

Fuyant son mal, Sterne entame, au cours de l’été 1763, une longue pérégrination dans le Midi. L’époque est pourtant peu propice. Depuis 1756 jusqu’au mois de février 1763, l’Angleterre et la France étaient en état de guerre (la Guerre de Sept Ans) et pour Sterne c’est un été plein d’inquiétude. Il parcourt le Midi si fréquemment qu’il écrit en plaisantant qu’il « courait le risque d’être arrêté comme espion ».

Pourquoi ces interminables voyages dans la chaleur d’une saison si peu appréciée des Anglais du XVIIIe siècle ? Sterne se trouve encore dans la malheureuse situation qui lui est habituelle : il est malade et peu fortuné. Avec ses maigres économies, il cherche un lieu de résidence à la fois agréable et bon marché. Entre autres villes méridionales, il visite Aix et Marseille mais aucune des deux ne lui convient la première lui rappelle Toulouse qu’il avait pris en aversion, et s’établir à Marseille lui est impossible à cause du coût de la vie, plus élevé qu’à Toulouse. Il se décide enfin pour Montpellier. […]

Informations complémentaires

Année de publication

2001

Nombre de pages

4

Auteur(s)

Ian CAMPBELL ROSS

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf