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Description

Écologie, habitat et santé : la mutation lente et difficile
de deux sociétés traditionnelles (XVIIIe -XIXe siècles)

Aborder le problème de l’état de santé ou de morbidité d’une population actuelle donnée n’est pas chose aisée. En effet, selon l’enquête de Wadsworth, Butterfield et Blaney sur une population représentative d’un district à Londres, 4,9 % seulement des personnes interrogées n’avaient pas eu de problèmes de santé durant les deux semaines précédant l’interview et 18,8 % n’ont pris aucune mesure pour lutter contre leurs troubles ; ce chiffre reflète plutôt une attitude culturelle, voire économique, où le seuil d’appréciation entre l’état de santé et de maladie est ressenti différemment suivant l’appartenance sociale. Ce qui indique donc, par ailleurs, qu’un cinquième des maladies et des troubles ne sont pas répertoriés, même dans un monde bien médicalisé où le recours aux professionnels (médecins, infirmiers, etc.) est, de plus, gratuit. On ne peut s’empêcher de penser que dans les sociétés traditionnelles où les soins médicaux se révélaient onéreux, l’appel au chirurgien ou au médecin devenait d’autant plus rare que l’on descendait dans la hiérarchie sociale. En fait, nous ne faisons connaissance du patient du 20e siècle et de sa maladie qu’à travers le monde médical au premier niveau se trouve le médecin, au second niveau, en cas de maladie plus grave, la clinique ; la dernière maladie, cause de la mort, est notifiée dans l’acte de décès. Les indications, si précises soient-elles, que nous donne, de nos jours, le monde médical sur les maladies, ne doivent pas nous cacher des lacunes méthodologiques dans la détermination de la morbidité de la population actuelle. Car elles nous renseignent mal ou insuffisamment sur la fréquence d’une même maladie chez un même individu, et elles ne nous précisent en aucun cas la présence de troubles que l’individu ne considère pas comme une maladie suffisamment grave qui justifierait le recours à un médecin. Il est donc évident que l’importance des problèmes méthodologiques s’accroît au fur et à mesure que l’on remonte dans le temps. Le tarissement des statistiques médicales, une terminologie médicale différente de la nôtre et, enfin, le mutisme de la majorité de la population d’autrefois sont autant d’embûches à l’évaluation de la morbidité des gens d’antan.

Malgré ces obstacles documentaires et épistémologiques, le domaine de la médecine et l’état de santé des populations d’hier retiennent l’attention, d’un bon nombre d’historiens qui ouvrent ainsi de nouvelles voies vers une « histoire totale » en affinant les résultats de l’histoire quantitative des historiens démographes par leur histoire qualificative. A défaut de recensements aussi complexes que ceux concernant les pays scandinaves à partir de 1749 ou encore d’enquêtes de la Société royale de Médecine en France, entre 1774 et 1794, une des approches les plus facilement réalisables consiste à examiner le phénomène de la mortalité dans un endroit précis, voire dans une région entière.

Cependant, l’évolution du taux de la mortalité est tributaire de multiples facteurs liés à un vaste contexte matériel, dont certains seront traités ici.

Notre étude se porte sur deux sociétés traditionnelles situées dans deux régions distinctes d’une part le bassin de Saint-Martin-de-Londres (avec les communes de Saint-Martin-de-Londres, Notre-Dame-de-Londres, Rouet et Mas-de-Londres) au cœur des garrigues montpelliéraines, d’autre part la future mairie de Kevelaer comprenant les trois communes Kevelaer, Wetten et Twisteden (y compris Klein-Kevelaer) dans le Bas-Rhin allemand. Ces deux régions foncièrement rurales aux 18e et 19e siècles s’opposent naturellement à bien des égards. Le Midi méditerranéen karstique avec son climat très contrasté, n’a rien de commun avec la Rhénanie inférieure diluviale et son climat océanique et tempéré.

Voici en quelques coups de pinceau le tableau climatique des garrigues montpelliéraines. Un ensoleillement de 2 500 à 2 800 heures par an donne à cette région le ciel si souvent bleu qu’on lui connaît, situant la température moyenne annuelle autour de 14°5, les mois d’été étant naturellement les mois les plus chauds (juillet 21°3, août 21° et juin 20°4) ; les mois d’hiver étant les plus froids avec une moyenne respective de 4°7, 5°3 et 6°6 pour les mois de janvier, février et décembre. L’écart entre les minima en hiver (février – 0°5) et les maxima en été (juillet 30°3), soit 29°8, ne donne qu’une première approche du caractère contrasté que présente le climat des garrigues. Quand les vents principaux (« vendroit » ou vent du Nord faussement appelé « mistral » et le « marin » ou encore « grec », c’est-à-dire le vent du Sud-Est) s’en mêlent baissant l’humidité de l’air en quelques heures de 80 % à 20 %, voire 10 % (ou vice versa), refroidissant simultanément la température de plus de 10°, c’est alors que l’on réalise la brutalité de ce climat. Le degré hygrométrique de l’air, variant entre 54,2 % en juillet et 78,1 % en décembre, est relativement élevé en terre méditerranéenne, mais chroniquement trop bas. La pluie enfin représente peut-être le phénomène le plus frappant qui caractérise le contexte météorologique d’une région. Ici, la moyenne annuelle de plus de 1 000 mm, supérieure de presque 30 % de celle du Nord, est loin d’illustrer le régime pluvial réel des garrigues. En effet, la sécheresse et de véritables trombes d’eau jalonnent le cycle annuel du climat ; les périodes de longue sécheresse dont la durée atteint des dimensions parfois alarmantes sont brusquement interrompues par des chutes d’eau trop souvent fou-droyantes – dont on s’imagine mal les effets dévastateurs – et aux dimensions non moins affolantes. Ces véritables déluges lavent le sol nu et crevassé, remplissent les valats (ou oueds) de leurs eaux, gonflent la moindre rivière à une vitesse vertigineuse en emportant au passage les derniers restes d’une faible couverture minérale. De plus, une bonne part des eaux pluviales échappent ainsi aux nappes phréatiques locales. Un manque d’eau chronique en est la conséquence l’homme de la garrigue devait, pour s’alimenter, trouver une solution à ce problème crucial. Ce bref aperçu du contexte météorologique des garrigues ne correspond pas à l’image classique d’un éden ensoleillé au bord de la Méditerranée. Contraste et violence, tels sont les termes qui caractérisent ce climat méditerranéen capricieux que le paysan d’Ancien Régime supporte d’autant plus mal que l’économie agricole des garrigues fonctionne toujours, et jusqu’au 19e siècle, suivant son système séculaire et archaïque, la combinaison ager-saltus. […]

Informations complémentaires

Année de publication

1988

Nombre de pages

10

Auteur(s)

Josef SMETS

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf