De nouvelles sources pour l’Histoire de la Résistance en Languedoc-Roussillon
les archives d’André Pavelet, chef régional Maquis
De nouvelles sources pour l’Histoire de la Résistance
en Languedoc-Roussillon :
les archives d’André Pavelet, chef régional Maquis
P. 211 à 223
En décembre 2008, les Archives départementales de l’Hérault ont reçu par voie de don un remarquable fonds d’archives lié à la Résistance et à la déportation. Les archives du colonel André Pavelet (1909-1967), chef régional Maquis pour la région clandestine R 3 (Languedoc-Roussillon), confiées par sa fille Chantal Pavelet, y forment désormais la sous-série 173 J. Ce fonds offre de nouvelles sources àla recherche historique et propose d’intéressantes pistes de réflexion sur la Résistance dans la région 1.
Le colonel André Pavelet (1909-1967)
Le colonel André Raymond Pavelet est né le 5 mai 1909 à Magny-lès-Aubigny (Côte-d’Or). Après avoir suivi d’octobre 1931 à juillet 1933 les enseignements de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr (118e promotion dite « Promotion du Tafilalet »), André Pavelet est affecté comme lieutenant au 27e régiment d’infanterie et, en 1938, dans les Pyrénées, au 81e régiment d’infanterie, comme chef de section d’éclaireurs-skieurs.
Lorsque la guerre est déclarée en septembre 1939, le lieutenant Pavelet est officier au 15e bataillon d’infanterie légère, puis, en juin 1940, lors de la percée allemande, il est officier de renseignements à la 4e demi-brigade d’infanterie légère, dans le Jura. André Pavelet s’illustre (Fig. 1) au cours des combats des 16 et 17 juin 1940 autour du fort Catinat (ou Fort de Larmont supérieur), près de Pontarlier. Ce fort, construit en 1880-1883, de structure ancienne et obsolète, dispose d’une petite garnison, de quatre mitrailleuses et d’un stock limité de munitions et de grenades. Le 16 juin 1940, les troupes allemandes sont signalées à proximité. A 19 h 30, de nombreuses unités françaises en retraite traversent Pontarlier, se dirigeant vers Morez par la route Pontarlier – Oye-et-Pallet.
La 4e demi-brigade composée de troupes variées est placée sous les ordres du chef de bataillon Davouze ; elle reçoit l’ordre de s’opposer à la progression ennemie et de retarder son avance. Durant toute la nuit, elle organise les défenses rapprochées. Le 17 juin au matin, vers 5 h 30, quatre automitrailleuses allemandes, sont repérées à la sortie Est de Pontarlier. Le lieutenant André Pavelet, en tant qu’officier de renseignements, est alors chargé de les identifier et part avec quatre hommes dans une voiture ; il retrouve les véhicules ennemis et prend contact. Les cinq hommes réussissent à se replier et rejoignent le fort où l’étatmajor de la 4e demi-brigade s’est installé. La garnison du fort est alors renforcée par des douaniers et divers éléments de troupes dont l’armement est hétéroclite. Des civils – dont un grand nombre de femmes et enfants – sont également venus se réfugier dans les abris. Tous les défenseurs sont à leur poste de combat et, à 11 h 30, l’attaque allemande est déclenchée par un violent bombardement. L’artillerie française en position dans la région de Grange-Dessus est anéantie par l’aviation ennemie ; le fort ne peut donc se défendre que par lui-même. Durant six heures, les obus tombent et dès 13 h 15 toutes les communications sont coupées. L’infanterie allemande attaque alors le fort sur trois côtés, mais elle est contenue par la garnison française, qui perd assez rapidement deux mitrailleuses sur quatre. Vers 18 h, l’infanterie allemande arrive au contact du fort. A 18 h 45, un premier assaut est lancé, les Allemands descendent dans les fossés à l’aide de cordes mais sont repoussés. Par six fois les attaques allemandes sont rejetées. A 19 h 40, il ne reste plus qu’une seule mitrailleuse et très peu de munitions. Les Allemands tentent d’enfoncer la porte mais sont repoussés une nouvelle fois. La situation de la garnison est désespérée, mais le but initial qui était de retarder l’ennemi est atteint. Le général allemand propose alors aux défenseurs la reddition du fort. A 21 h 30, la garnison, constituée de 122 hommes et 8 officiers, sort du fort en présence des troupes allemandes qui lui rendent les honneurs de la guerre.
Les officiers peuvent conserver leurs armes, bagages et chevaux, et sont logés d’abord dans un hôtel de Pontarlier, puis le 24 juin, à la caserneVauban, à Besançon. Le lieutenant André Pavelet, réussit à s’évader le 27 juin mais est repris le jour même à Franois, dans le Doubs. Il est alors incarcéré à Sarrebrück, en Allemagne, d’où il réussit une nouvelle évasion le 17 juillet 1940. Après 14 jours de marche, il se présente à Montpellier le 1er août 1940 et est affecté au 8e régiment d’infanterie, où il commande la section d’éclaireurs-skieurs.
De l’automne 1940 à novembre 1942, le lieutenant, puis capitaine André Pavelet, commande la 3e compagnie au sein du 1er bataillon du 8e régiment d’infanterie.
En novembre 1942, lors de l’invasion de la zone sud par les Allemands, le capitaine Pavelet participe aux opérations dirigées par le général de Lattre de Tassigny, commandant la 16e division d’infanterie à Montpellier. Ce dernier refusant l’ordre de ne pas combattre, cherche à gagner avec ses unités le « réduit des Corbières » afin de s’opposer à la Wehrmacht, mais il est arrêté à Saint-Pons-de-Thomières et emprisonné.
Le capitaine Pavelet est alors aussitôt démobilisé et rendu à la vie civile. Il intègre la Résistance au sein de l’Armée secrète (AS), alors que son ancien chef de corps du 8e régiment d’infanterie, le colonel Guillaut, devient responsable régional de l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA) en Languedoc-Roussillon. André Pavelet devient l’adjoint de Raymond Chauliac, responsable régional de l’AS dans la région R 3 (Languedoc-Roussillon) 2. Ses qualités de commandement lui permettent ensuite début 1943 d’être nommé Responsable régional Maquis en R 3, sous le pseudonyme de « Villars ». Il a autorité sur les maquis de toutes obédiences et, afin d’accueillir au mieux les jeunes réfractaires au STO qui commencent à gagner les maquis, il met en place des écoles clandestines de cadres dotées d’instructeurs militaires. Il permet aussi la récupération d’armes du 8e régiment d’infanterie qu’il avait précédemment camouflées en 1940-1942. André Pavelet installe son PC clandestin à Montpellier au 14 rue Mareschal jusqu’en décembre 1943 et parcourt inlassablement la région, visitant les maquis qui se constituent.
Au début de l’année 1944, identifié par les services de l’Intendance de police et des Renseignements généraux comme chef régional Maquis, il quitte clandestinement la région et est mis au service de Pierre Dejussieu (1898-1984) – alias « Pontcarral » -, responsable national de l’AS et successeur du général Delestraint. Aux côtés de ce dernier, André Pavelet assure des missions de liaison entre les maquis du centre de la France et les missions parachutées par Londres. C’est au cours de l’une de ces opérations qu’il est arrêté par les Allemands à Aurillac (Cantal) le 10 février 1944, alors qu’il avait rendez-vous avec un responsable départemental. Il est interrogé, torturé et interné à Clermont-Ferrand jusqu’au 3 avril 1944, date à laquelle il est transféré au camp de transit de Royallieu (Compiègne), antichambre de la déportation.
Dans la matinée du 27 avril 1944, le convoi n° 206, comprenant 1 670 détenus, quitte Compiègne pour Auschwitz. Parmi les détenus, entassés à cent par wagon à bestiaux, André Pavelet retrouve les résistants languedociens Jean Baumel, Justin Bouniol, Etienne Bennac, André Bessière, François Chafes, André Dau, Laurent Duviols, Marcel Delpon, Georges Glauzy, André Lechevallier et Robert Paloc. Un certain nombre de personnalités – dont plusieurs devinrent ministres ou grands serviteurs de l’État – font aussi partie de ce transport. Parmi les compagnons de déportation d’André Pavelet peuvent ainsi être identifiés, Marcel Paul (ancien conseiller général de Paris et résistant dans l’Organisation spéciale du Parti communiste), Robert Darsonville (responsable des FTPF de la région Île-de-France), André Boulloche (délégué militaire de la France Libre pour Paris et sa région), les parlementaires François Beaudoin (député de la Moselle et résistant dans le réseau Cahors-Asturies) et Louis Destraves (ancien député-maire de Houilles, dans les Yvelines), Rémy Roure (journaliste au « Temps »), Georges Brousse (propriétaire de « L’Indépendant » de Perpignan), les poètes Robert Desnos et André Verdet, le peintre Léon Delarbre (conservateur du musée des Beaux-Arts de Belfort).
Après quatre jours et trois nuits d’un voyage aux conditions épouvantables, le convoi arrive, le 30 avril, en fin d’après-midi, à la gare d’Auschwitz. Les déportés sont d’abord parqués dans deux baraques du camp Canada de Birkenau, sur la terre nue, tout près du complexe chambre à gaz – crématoire IV. Après le tatouage du matricule sur l’avant-bras gauche (qui vaudra à ce convoi la dénomination de « Convoi des Tatoués ») et le passage à la désinfection, ils sont transférés au camp B IIb au bout de quelques jours. André Pavelet est alors identifié et tatoué sous le matricule n° 186 239.
Le vendredi 12 mai, un train est formé près de la porte principale du camp. Il emmène 1 561 déportés, à 60 par wagon (dont André Pavelet), vers le camp de concentration de Buchenwald où il arrive le 14 mai au matin.
A leur arrivée au camp de Buchenwald, après un nouveau passage obligé à la désinfection, les déportés sont entassés, pour la plupart, au block 57 du petit camp. Le 25 mai, le capitaine Pavelet et mille compagnons d’infortune partent vers Flossenbürg d’où ils sont répartis dans divers Kommandos de travail : Flöha, Janowitz, Hersbruck… Sur ce groupe, 618 ne reviennent pas de déportation, les conditions de travail à Flossenbürg et dans ses Komandos étant particulièrement difficiles (travail dans des carrières de granit, encadré par des condamnés allemands de droit commun).
Le 23 avril 1945, les troupes américaines libèrent le camp ; André Pavelet est rapatrié en France le 19 mai, dans un état physique diminué, dont il conservera les séquelles jusqu’à la fin de sa vie.
Après la guerre, le capitaine Pavelet – rétroactivement promu commandant à compter de septembre 1944 – réintègre l’armée. Il est affecté au Centre de formation des officiers d’État-major à Paris en 1946. Durant plusieurs années, il effectue de fréquents séjours dans les hôpitaux militaires pour soigner ses blessures aux mains et au visage, consécutives aux sévices subis en captivité.
En 1950, il est promu lieutenant-colonel et rejoint par la suite le 92e régiment d’infanterie, assurant le commandement du 8e bataillon de marche en Tunisie.
Au milieu des années 1950, il est affecté au Service historique de l’armée de terre, au château de Vincennes, où il dirige la section « Études générales et Résistance », chargée d’homologuer comme « Unités combattantes » (UC) les formations clandestines de la Résistance. Dans le cadre de ses fonctions, il réunit de nombreux témoignages sur la Résistance, rédige des notes et des historiques sur les maquis et formations militaires de la Résistance et publie plusieurs études sur la résistance dans la Revue historique de l’Armée.
En 1957, devenu colonel, André Pavelet est affecté au Ministère de la Défense, à l’État-major de la 1ère région militaire (Paris).
Il prend sa retraite en 1961 et se consacre alors aux études historiques sur la Résistance. André Pavelet passe avec succès à l’Université de Montpellier un Diplôme d’études supérieures sur « La Résistance dans la région R 3 » et amorce la rédaction d’une thèse de doctorat sur la Résistance et les guerres de partisans en Languedoc des Camisards à la Seconde guerre mondiale.
Parallèlement, il dispense en 1966-1967 à l’Université de Montpellier un cours d’histoire de la Résistance en France, livrant aux étudiants à la fois son témoignage personnel et le fruit de ses recherches scientifiques.
Militant activement dans les associations patriotiques héraultaises, André Pavelet s’investit aussi dans l’organisation du Concours national de la Résistance et de la Déportation ainsi que dans le montage de l’exposition sur le 20e anniversaire de la libération des camps de concentration, en avril 1965, au Théâtre de Montpellier.
Mais le 8 novembre 1967, un accident de voiture à Corbes, dans le Gard, coûte la vie au colonel André Pavelet, interrompant définitivement sa carrière d’historien.
Le colonel Pavelet, était commandeur de la Légion d’Honneur, détenteur de la Croix de guerre 1939-1945, de la Médaille de la Résistance et de plusieurs autres décorations.
Un fonds d’archives remarquable
Le fonds d’archives du colonel Pavelet concerne principalement l’histoire de la Résistance en France et plus particulièrement celle de la Résistance en Languedoc-Roussillon (région clandestine R 3). Il est nourri par l’expérience personnelle d’André Pavelet, qui exerça des responsabilités régionales dans la clandestinité, et par les recherches historiques qu’il mena dans le cadre de ses fonctions au Service Historique de l’Armée de Terre (SHAT), ou pour la rédaction des mémoires et travaux universitaires dont il est l’auteur. Le fonds est constitué de six ensembles de documents : dossier individuel du colonel Pavelet (173 J 1-3), diplôme d’études supérieures et thèse de doctorat en Histoire (173 J 4-7), archives et documents concernant la Résistance, collectés par André Pavelet (173 J 8-11), cours d’histoire de la Résistance française dispensés à la Faculté des lettres de Montpellier (173 J 12-13), articles, projets d’articles et conférences sur la Résistance (173 J 14-25), exposition organisée en 1965 au théâtre de Montpellier pour le 20e anniversaire de la libération des camps de concentration (173 J 26-28).
Le dossier individuel d’André Pavelet est formé de trois articles. Le dossier militaire personnel du lieutenant, puis capitaine Pavelet (173 J 1) rassemble les notes et rapports relatifs aux combats de Juin 1940 menés par la 4e demi-brigade d’infanterie dans le Doubs, ainsi qu’une facture isolée de mobilier militaire adressée au capitaine Pavelet en 1943. Le second article (173 J 2) illustre les activités principales du chef de la section « Etudes générales et Résistance » du SHAT, qui consistaient à se prononcer sur l’homologation en tant qu’unités combattantes (UC) des formations militaires de la Résistance (l’homologation UC permet aux membres de la formation concernée de valider leurs services clandestins comme service militaire actif, et permet entre autres le versement d’une pension) et à publier des historiques de formations résistantes (essentiellement dans la Revue historique de l’armée). Le colonel André Pavelet a ainsi conservé dans ses archives personnelles des doubles de rapports d’activités concernant la Résistance en Corse, dans le Tarn ou en Île-de-France. Sont aussi réunis dans cet article quelques documents originaux concernant le Bureau central de renseignement et action (BCRA) et plus particulièrement une étude du BCRA sur l’organisation du Plan Vert (mars 1944) ainsi qu’un rapport du colonel Eon à l’État-major FFI et au BCRA intitulé « L’armée de l’intérieur dans la France de l’Ouest [régions clandestines M et P] à partir du Jour J : missions, organisation du commandement, transmissions, ravitaillement » (18 mai 1944). Deux traductions françaises de documents allemands, réalisées pour la Direction technique des services spéciaux (DTSS ou services de contre-espionnage militaire) en septembre 1944 et évoquant l’activité des FFI en France complètent l’ensemble : il s’agit d’une « Notice à l’usage de la troupe pour la répression des bandes de partisans en France », en date du 13 mai 1944, émanant de l’Oberkommando Heeresgruppe D de la Wehrmacht, et d’un rapport du capitaine allemand Georg Major sur les combats contre les FFI dans la région de Crux-la-Ville (Nièvre) du 12 au 16 juillet 1944. Ces deux traductions nous renseignent particulièrement bien sur la perception que les troupes allemandes avaient de la guérilla menée par les Forces françaises de l’intérieur au cours du printemps et de l’été 1944. Enfin, plusieurs publications à caractère historique ou de stratégie militaire, rédigées de 1946 à 1960 par le colonel André Pavelet, ont été regroupées au sein de cet article. Les interventions personnelles, souvenirs de résistance et de déportation, constitués de notes manuscrites, de rapports, de photographies et de correspondance forment le dernier article (173 J 3) du dossier individuel d’André Pavelet. Parmi les dossiers conservés, deux méritent d’être signalés : d’une part, le protocole d’accord passé en 1966 entre le Comité des Déportés et Résistants de l’Hérault (CDRH) – représentant les associations de résistants, déportés et anciens internés à la caserne de la 32e à Montpellier – et la Mutuelle, au sujet de la destruction envisagée des cellules de la caserne de la 32e où furent incarcérés de nombreux résistants, qui comprend notamment trois photographies noir et blanc des cellules et de la caserne avant leur destruction ; d’autre part, le dossier relatif au conflit opposant après la guerre René Poitevin, compagnon de la Libération, ancien chef régional du mouvement Franc-Tireur, et Ferdinand Paloc, ancien chef départemental des Mouvements Unis de la Résistance (MUR) dans l’Hérault qui rassemble plusieurs rapports et surtout une copie du plan d’insurrection des MUR pour la région R 3 élaboré au début de l’année 1944 (copie dactylographiée datant de 1966).
La seconde partie du fonds d’archives (173 J 4-7) regroupe les recherches, notes, documents originaux et témoignages recueillis par André Pavelet pour ses travaux universitaires de diplôme d’études supérieures (DES) et de doctorat en Histoire. Les articles 173 J 4 et 173 J 6 sont essentiellement constitués de notes manuscrites prises dans les fonds d’archives publiques conservés aux Archives départementales de l’Hérault, du Gard et de l’Aveyron et de photocopies de documents (ces fonds – actuellement librement communicables – n’étaient consultables que sur dérogation dans les années 1960).
L’article 173 J 5 concerne quant à lui des témoignages inédits, des souvenirs et documents rassemblés par André Pavelet. Quelques documents peuvent ainsi être particulièrement signalés pour leur intérêt historique ; il s’agit en premier lieu de listes nominatives de responsables régionaux et départementaux de la Résistance (toutes obédiences confondues), d’un organigramme du mouvement « Combat » (Fig. 2 et 3) désignant les responsables clandestins dans l’Hérault de juin 1940 à juillet 1943, ainsi que d’une « Liste authentique des chefs départementaux, chefs de secteurs et principaux chefs locaux de la résistance du Tarn ». Ces documents synthétiques semblent avoir été rédigés dans les années 1950-1960 et permettent de comprendre très clairement les structures clandestines de la Résistance en R 3, puisque les patronymes et pseudonymes des responsables de la lutte clandestine sont systématiquement et méthodiquement identifiés. Le « Rapport de mission » de l’ingénieur mécanicien principal Kervarec, en date du 27 septembre 1944, doit aussi être signalé, pour les informations exceptionnelles qu’il fournit sur la mission « Schooner », dans le port de Sète au cours de l’été 1944. La mission « Schooner » fut une mission d’anti-sabotage parachutée sur le port de Sète en juillet 1944 et dirigée par l’ingénieur mécanicien principal Kervarec – alias « Schooner », du Groupe spécial des parachutistes de l’aéronautique navale. Elle avait pour objectif principal d’éviter le sabotage prévu par les Allemands des installations portuaires avant leur retraite. En 48 pages dactylographiées, « Schooner » présente un rapport détaillé et circonstancié sur l’état du port de Sète au matin du 20 août 1944, une note sur les travaux à effectuer pour remettre rapidement le port en état, des propositions de citations pour ses principaux collaborateurs de l’ombre et l’intégralité des câbles qu’il a échangés avec Alger du 14 juillet au 31 août 1944. Trois témoignages recueillis par André Pavelet et conservés dans la même liasse présentent aussi un grand intérêt pour l’histoire de la Résistance en Languedoc-Roussillon.
Le premier d’entre eux concerne la surveillance par la police de Vichy en 1942-1943 de maîtres Vincent Badie et Paul Bernard, avocats au barreau de Montpellier, soupçonnés de gaullisme. Le témoignage écrit de maître Bernard (1964) est complété par des copies de rapports et comptes-rendus de réunion datant de 1942, émanant de l’Intendance régionale de police, ainsi que par des notes manuscrites et de la correspondance. Le second témoignage livre les souvenirs de Résistance autour de Saint-Pons-de-Thomières, au sein du Maquis Latourette, de Louis Molinier, retraité à Sauvian, ancien vérificateur des titres de rationnement du Service du ravitaillement général de l’Hérault (lettre adressée au colonel Pavelet en date du 1er juin 1965). Enfin l’activité dans la Résistance de la brigade de gendarmerie de Lasalle (Gard) peut être abordée grâce au témoignage d’un ancien gendarme (6 mars 1966). Un dernier document, joint au dossier, concerne Louis Torcatis (1904-1944), alias « Bouloc », chef régional des groupes francs en R 3 en 1944. Il s’agit – selon l’analyse du colonel Pavelet portée sur le dossier – de la photocopie d’une « lettre trouvée dans la poche de son veston après son assassinat » à Carmaux (Tarn) par la brigade de police de l’intendant Marty ; cette pièce, datée du 7 mai 1944, constitue un témoignage poignant sur l’engagement résistant et sur la situation des groupes francs régionaux au printemps 1944 3. (Fig. 4)
Les notes et ébauches de rédaction du mémoire de DES « La Résistance dans la région R 3 » et de la thèse de doctorat inachevée sur la Résistance et les guerres de partisans en Languedoc des Camisards à la Seconde guerre mondiale forment le dernier article (173 J 7) de cette seconde partie du fonds.
L’ensemble suivant – Archives et documents (173 J 8-11) – regroupe des pièces originales concernant la Résistance (173 J 8), le fonds privé d’Antonin Combarmond (1895-1993), alias « Capitaine Mistral » (173 J 9), un lot conséquent de photographies de presse et de reporters de guerre américains (173 J 10) et des documents et études publiés concernant l’Occupation, la Résistance et la Libération (173 J 11).
L’article 173 J 8, intégralement constitué de documents originaux, est structuré en neuf sous-dossiers. Le premier d’entre eux (Résistance armée et noyautage des administrations en France) comprend des documents relativement rares tels un cours élémentaire de formation et de maniement des explosifs [sur papier pelure] destiné à l’Armée secrète (février 1943) ou une note du 4e bureau de l’État-Major national FFI concernant les terrains de parachutage d’armes, leur choix stratégiques et les conditions requises pour leur homologation par Londres [1944]. (Fig. 5) Un historique du réseau NAP (Noyautage des Administrations Publiques) en France, par Claude Bourdet, responsable national du réseau (rédigé en 1946) complète le sous-dossier. Le second sous-dossier aborde les activités de renseignement dans la Résistance. Il rassemble des bulletins de renseignement sur papier pelure [désignés sous le sigle BR] et des demandes d’information émanant du BCRA (février 1942 – 4 décembre 1944). Un document étonnant, intercepté par la Résistance, complète le sous-dossier ; il s’agit de la copie d’une lettre du major Lacroix, de la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme (LVF) demandant au colonel allemand, commandant le Frontstalag 122 de Compiègne, de faire libérer les anciens de la LVF internés dans le camp pour leur éviter une éventuelle déportation ou des représailles internes de la part d’internés communistes (12 août 1944).
La Résistance en Languedoc – troisième sous-dossier – est abordée par un ensemble de documents originaux, provenant pour la plupart de la Préfecture du Gard. Il s’agit, entre autres, d’une note au directeur général de la gendarmerie sur l’attitude de la brigade de gendarmerie de Pont-Saint-Esprit (Gard) « qui fait preuve de passivité et d’une carence absolue à l’égard des terroristes » (31 janvier 1944), de la liste des principaux attentats commis dans le département du Gard contre les voies ferrées (janvier 1944) et de la liste des incidents intervenus entre la population et les troupes d’occupation pour la période du 26 février au 22 mars 1944 dans le département du Gard (mars 1944). Une lettre manuscrite de monsieur Liber, grand rabbin d’Aubenas, adressée au préfet du Gard protestant contre la déportation massive des juifs de Nîmes, la disparition de la communauté nîmoise et la passivité de la préfecture du Gard à l’égard de deux attentats commis contre la synagogue de Nîmes (31 décembre 1943) complète ce sous-dossier. Les autres sous-dossiers abordent la Résistance dans les autres régions françaises (région Centre et région Est), les faux papiers diffusés par le NAP et la propagande. La propagande est ainsi illustrée par une collection particulièrement riche de tracts, papillons et journaux diffusés par la Résistance, ainsi que par des photographies et brochures de propagande vichyste ou collaborationniste. (Fig. 6 à 11)
Le fonds d’archives d’Antonin Combarmond 4 (1895-1993), alias « Capitaine Mistral », inspecteur, puis intendant des maquis pour le Gard et la Lozère en 1943-1944 – conservé sous la cote 173 J 9 – est décrit pièce à pièce, permettant ainsi de retracer précisément l’activité clandestine de l’adjoint d’André Pavelet. Ce fonds est constitué de rapports, de comptes-rendus, d’attestations, de listes nominatives de Résistants et d’organigrammes. Antonin Combarmond l’a confié au colonel Pavelet en 1957, car il s’agissait alors, selon lui, « de papiers, dont [il] ne voyait plus l’utilité » ! L’historien de la Résistance dans le Gard et la Lozère y trouvera au contraire une mine d’informations inédites sur les maquis et leur organisation. En 1957, Antonin Combarmond explique à André Pavelet qu’il puisera dans son fonds d’archives « tout ce dont il a besoin – et surtout ce dont [il] n’avait fait état à ces Messieurs de Montpellier, qui avaient les pieds au chaud, quand nous risquions sur les routes de France et de Navarre, notre peau ! ».
L’article 173 J 10 rassemble un remarquable ensemble de photographies de presse, prises par des reporters de guerre américains en 1944-1945. Les documents iconographiques sont regroupés en trois thématiques : l’avancée de la 2e Division blindée (2e DB), du général Leclerc, en Normandie et Bretagne (juin-juillet 1944), illustrée par 49 tirages photographiques noir et blanc, visés par la Censure militaire, représentant des portraits et des scènes emblématiques de la Libération (Fig. 12 et 13) ; la 1ère Armée française, du général Juin, en Italie, figurée par un tirage photographique noir et blanc, visé par la Censure militaire et diffusé par le Service photographique du Ministère de l’Information, représentant les troupes françaises entrant dans Sienne (3 juillet 1944) ; la libération des camps de concentration de Nordhausen, Dachau, Gardelegen, Buchenwald, Belsen, Penig, Neudorf, Neunburg, Ohrdurf, Vaihningen et Leipzig, en Allemagne (printemps 1945) documentée par 49 tirages photographiques noir et blanc – particulièrement insoutenables – présentant des scènes de charniers et des portraits de déportés décharnés à la libération des camps.
Les cours d’histoire de la Résistance française (173 J 12-13), dispensés par André Pavelet en 1966-1967 à la Faculté des lettres de Montpellier 5, forment le quatrième ensemble du fonds. Celui-ci est constitué de cours dactylographiés, de notes manuscrites, de bibliographies, de dossiers documentaires remis aux étudiants lors des travaux dirigés, de copies d’élèves et de cartes thématiques sur la Résistance.
La cinquième partie du fonds (173 J 14-25) rassemble des articles (définitifs ou en cours de rédaction) ainsi que des textes de conférences rédigés par le colonel Pavelet. Cet ensemble est organisé selon deux thématiques, nationale (Résistance, collaboration et répression allemande en France, 173 J 14-17) puis régionale (Résistance et occupation en Languedoc-Roussillon, 173 J 18-25). Les dossiers sont ensuite structurés sur des thématiques plus fines ; le titre exact de la communication ou de l’article, choisi par André Pavelet, est repris entre guillemets (« ) lorsqu’une version définitive et dactylographiée de l’étude est conservée. D’après les notes manuscrites retrouvées dans le fonds (173 J 7), il semble que la majorité des études du colonel Pavelet devaient lui servir à terme pour la rédaction de sa thèse de doctorat.
La rubrique Résistance, collaboration et répression allemande en France (173 J 14-17) comporte tout d’abord un article (173 J 14) réunissant quatre études biographiques sur le général Charles de Gaulle (1890-1970), le général Henri Giraud (1879-1949), le général Jean de Lattre de Tassigny (1889-1952) et Jean Moulin (1899-1944), unificateur et organisateur de la Résistance en France, originaire de Béziers. Ont ensuite été rassemblées, sous la cote 173 J 15, plusieurs études sur l’armée d’Armistice et la structuration clandestine de certains de ses services, destinés à préparer la revanche et la Résistance en cas d’invasion de la zone sud par les troupes allemandes. Ces articles sont inspirés très clairement par l’expérience personnelle d’André Pavelet qui prit part dans son secteur aux opérations de camouflages d’armes et de matériel militaire ; ils ont assurément valeur de témoignage. La Résistance en France (173 J 16) est abordée par plusieurs communications portant notamment sur la presse clandestine de 1940 à la Libération, sur les maquis français pendant l’occupation allemande, sur les plans d’action du BCRA (Plan Vert, Plan Tortue, Plan Bleu, Plan Violet) et leur réalisation par les Forces françaises de l’Intérieur, sur les services clandestins de renseignement français, les services de renseignement américains et anglais (OSS et SOE)… Un projet d’article porte aussi sur la Résistance française vue par les Allemands, d’après le Rapport Kaltenbrunner ; ce dossier est particulièrement intéressant puisqu’il contient une copie dactylographiée et traduite en français du rapport d’Ernst Kaltenbrunner, chef suprême de la Sipo-SD, adressé à Joachim von Ribbentrop, ministre des affaires étrangères du Reich, sur l’organisation de l’Armée secrète et de la Résistance en France (27 mai 1943). André Pavelet aborde ensuite l’étude de la collaboration et des services de répression allemands (173 J 17) grâce à cinq articles portant notamment sur la Légion française des anciens combattants et le Service d’ordre légionnaire (SOL), la Milice et les groupes de collaboration, les groupements politiques sous Vichy (Milice, PPF, groupe Collaboration) et leurs actions de propagande, la Gestapo et les services de renseignements et de police allemands. Le dossier portant sur la Légion française des anciens combattants et le SOL mérite d’être signalé puisqu’il contient, outre un projet d’article, un tract original dactylographié des mouvements « Combat » et « Libération » intitulé « Pierre Laval, les voilà » dénonçant, à l’occasion de son deuxième anniversaire, la politique collaborationniste de la Légion (31 août 1942). Sont aussi joints une note de renseignement rédigée par les Renseignements généraux au sujet d’une réunion privée de la Légion des combattants tenue le 25 mars 1943 dans le hall de la Chambre de commerce de Béziers (26 mars 1943) ainsi qu’un compteren du du commissaire central de Béziers au sous-préfet de la ville sur une conférence organisée le 26 août 1943 à la Chambre de commerce de Béziers par la Légion française des combattants (27 août 1943). Ces deux derniers documents d’archives, d’essence publique, n’ont pas été réglementairement réintégrés dans leurs fonds d’origine car ils se trouvaient isolés de tout contexte.
La Résistance et l’occupation en Languedoc-Roussillon (173 J 18-25), constituant le second ensemble de communications du colonel Pavelet, comprend des dossiers particulièrement intéressants pour l’historien de la Résistance en R 3. Le premier d’entre eux (173 J 18) concerne l’opinion et les mentalités en Languedoc ; André Pavelet s’intéresse ainsi à définir la situation de l’opinion publique dans le Languedoc au lendemain de l’Armistice, dressant ensuite une géographie des opinions politiques, sociales, religieuses et économiques de 1940 à la Libération. Il étudie ainsi l’anglophobie très présente au lendemain de la défaite de juin 1940, abordant ensuite l’évolution des mentalités et de l’esprit public de 1940 à 1944.
La liasse 173 J 19 concerne l’implantation des troupes allemandes en Languedoc-Roussillon de novembre 1942 à août 1944. Plusieurs articles et projets d’articles, illustrés de cartes, permettent l’étude de l’ordre de bataille ennemi sur les côtes méditerranéennes. Sont ainsi abordées les positions de la 19e Armée allemande en Languedoc-Roussillon en 1944 (d’après les notes manuscrites prises par le colonel André Pavelet sur des microfilms allemands conservés au Service historique de l’Armée de Terre) ainsi que le plan d’évacuation et les itinéraires de repli prévus par l’état-major allemand au cours de l’été 1944. Un important dossier, agrémenté de plans originaux et cartes allemandes, documente précisément la fortification (blockhaus, champs de mines antichars et antipersonnels, fossés et obstacles antichars) des zones côtières du Languedoc et du Roussillon (Fig. 14). L’évacuation par les populations civiles de la zone côtière et de la zone frontalière pyrénéenne (zone réservée) découlant des mesures de fortification peut être étudiée par des documents originaux – d’essence publique – tels, notamment, une circulaire du préfet des Pyrénées-Orientales aux maires du département concernant les nouvelles délimitations de la zone réservée pyrénéennes et le régime de circulation en découlant (6 mai 1943) ou une liste des entreprises de Montpellier et de leurs effectifs devant se replier hors de la zone côtière (1944).
Enfin le déminage des côtes languedociennes effectué par les prisonniers de guerre allemands (PGA) en 1945-1946 est aussi évoqué grâce à une carte des zones minées sur la côte audoise (1945) et un ensemble de 10 photographies noir et blanc illustrant ces dangereuses et minutieuses opérations ainsi que le matériel explosif extrait (Fig. 15 à 17).
La Résistance en Languedoc (173 J 20) aborde les spécificités locales de la lutte clandestine menée par les hommes de l’ombre. André Pavelet s’intéresse ainsi à l’opposition et aux premières réactions en Languedoc, de juillet 1940 au 11 novembre 1942, contre l’occupant (qui n’est alors présent qu’en zone nord). Il retrace ensuite les principaux incidents avec la commission d’armistice et de contrôle italo-allemande dans la région de juillet 1940 à novembre 1942. Dans ce contexte, il est ensuite possible d’étudier la naissance et l’évolution des mouvements de Résistance au niveau local. L’expérience de « Villars », chef régional Maquis en R 3, a très certainement abondamment nourri l’article que le colonel Pavelet a intitulé « Formation, évolution et implantation des maquis dans la région R 3 pendant l’occupation allemande ». Un dossier concernant les maquis et unités combattantes de la Résistance en région R 3, comprenant la liste des unités homologuées dans l’Aude, l’Aveyron, le Gard, l’Hérault, la Lozère et les Pyrénées-Orientales et une photographie noir et blanc de la tombe de Marcel Bonnafous (1910-1944), alias « Marceau », responsable du maquis de l’Aigoual-Cévennes, au cimetière de Saumane, dans le Gard (1945), complète cet ensemble. Les articles 173 J 21 et 22 sont eux aussi enrichis du témoignage direct de « Villars ». L’article dactylographié « L’occupation de la zone Sud et l’affaire du 11 novembre 1942 à Montpellier » (173 J 21) présente ainsi les souvenirs du capitaine Pavelet, commandant la 3e compagnie du 8e Régiment d’infanterie lors de la tentative de résistance aux troupes allemandes pénétrant en zone sud que mène le général de Lattre. Il est d’autant mieux renseigné que le capitaine Pavelet prend, à Montpellier, une part active à la rébellion de l’armée d’Armistice. L’article 173 J 22 est quant à lui exclusivement consacré à la naissance et au développement régional en Languedoc du mouvement de Résistance ORA (Organisation de Résistance de l’Armée), primitivement dénommé OMA (Organisation militaire de l’armée). L’ORA, créée le 31 janvier 1943 en tant qu’organisation apolitique, regroupe d’anciens militaires français déterminés à résister de façon active contre l’occupant mais rejette l’autorité du général de Gaulle. Le mouvement de résistance, fondé par le général Frère (arrêté en 1943, déporté et mort au Struthof le 13 juin 1944), est ensuite dirigé par le général Verneau (arrêté le 23 octobre 1943 et mort en déportation à Buchenwald le 14 septembre 1944), puis par le général Revers. Le mouvement se développe rapidement en zone sud, grâce aux cadres et à l’armement camouflé par l’armée d’Armistice quand celui-ci n’a pas été remis aux Allemands. Il est dès l’origine plutôt giraudiste et fusionne en février 1944 avec l’Armée secrète (AS) et les FTPF pour former les FFI, tout en conservant une certaine autonomie. André Pavelet, proche des cadres régionaux de l’ORA (le colonel Guillaut, ancien chef de corps du 8e RI, est chef régional ORA en R 3), adhère au mouvement « Combat » mais assure fréquemment la liaison entre les deux mouvements. Ceci explique que le dossier ORA soit particulièrement riche et intéressant pour l’historien. Sont ainsi joints à la communication dactylographiée intitulée « Naissance et évolution de l’OMA » [en R 3], un rapport de « Renseignements concernant l’activité du colonel Guillaut et du 8e régiment d’infanterie dans la Résistance », par le sous-lieutenant Vogt, du cabinet du général commandant le Corps français d’occupation en Autriche [1945], ainsi que deux dossiers comprenant des documents originaux clandestins particulièrement explicites sur le rôle qu’entend jouer l’ORA dans la Résistance française. Il s’agit en effet d’un premier ensemble de circulaires et instructions clandestines, sur papier pelure, émanant de l’ORA : « Instruction générale » indiquant les missions de l’ORA et l’esprit dans lequel elles doivent être exécutées :
(20 novembre 1943), « Instruction » sur l’action immédiate et les sabotages (20 décembre 1943), « Note d’ensemble » précisant l’organisation clandestine nationale de l’ORA (24 février 1944), « Instruction n° 3 » sur l’attaque des communications ferroviaires (28 février 1944), « Instruction n° 4 » sur l’attitude à observer en cas de retrait des troupes d’occupation d’une partie du territoire national (février 1944), « Note » sur l’action que doivent mener les FFI en coordination avec les troupes alliées dans les diverses régions clandestines (27 mars 1944), « Instruction » générale secrète et politique aux chefs régionaux de l’ORA concernant l’intégration de l’ORA aux FFI et le rôle que l’ORA doit jouer dans la Libération (18 mai 1944). Puis vient une série remarquable de messages secrets, conservés eux aussi sur papier pelure, provenant du général Georges Revers (1891-1974) – alias « Aldebert », puis « Thénard », chef national de l’ORA : message « Aldebert [général Revers] à Delphin [capitaine Lejeune] » concernant les négociations pour l’intégration de l’ORA dans les FFI [mars 1944], message « Delphin [capitaine Lejeune] à Aldebert [général Revers] » concernant le financement de l’ORA et l’acheminement de cristaux pour les opérateurs radios clandestins (20-21 mars 1944), message « Marius [général Pfister] à Thénard [général Revers] » concernant les rapports conflictuels entre l’ORA et l’AS dans la région de Toulouse [fin mars 1944], message « Aldebert [général Revers] à Henri [général Zeller] » concernant les relations que les chefs régionaux de l’ORA doivent entretenir avec les Délégués militaires régionaux (DMR) [22 mars 1944]. (Fig. 18)
L’article 173 J 23 est consacré à une étude inédite du colonel Pavelet sur la participation, en 1944, de la 16e légion de gendarmerie à la Résistance en Languedoc ; la Résistance de ce corps est envisagée sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de Résistance passive, de Résistance armée (coups de main, sabotages…) ou de la formation de maquis spécifiques. L’article dactylographié est agrémenté de notes manuscrites complémentaires permettant de mieux comprendre les sources auxquelles l’auteur a eu recours.
Le témoignage personnel d’André Pavelet, chef régional Maquis, a de nouveau contribué amplement à la rédaction de l’article suivant. Est en effet conservée sous la cote 173 J 24, une communication inédite de « Villars » relative à une action de subversion de la Résistance en Aveyron. L’article intitulé « La mutinerie des Croates à Villefranche-de-Rouergue (Aveyron) le 17 septembre 1943 » relate la désertion de Croates enrôlés de force dans la Waffen SS qui cherchèrent (et réussirent pour certains d’entre eux) à rejoindre les partisans français. Le colonel Pavelet contribua en effet, en septembre 1943, à établir le contact avec ces troupes et à les inciter à la mutinerie. Outre l’article dactylographié, sont aussi conservées des notes manuscrites de recherche, deux photographies et une traduction en français du tract en croate de septembre 1943 appelant à la désertion et distribué clandestinement aux troupes slaves (le document original est conservé au musée de Belgrade), ainsi que de la correspondance.
Enfin, la communication intitulée « La préparation stratégique du débarquement en Provence : les bombar-dements aériens sur le Languedoc » forme l’article 173 J 25.
La dernière partie du fonds Pavelet (173 J 26-28) est entièrement consacrée à l’exposition organisée en 1965 au théâtre de Montpellier par André Pavelet pour le 20e anniversaire de la libération des camps de concentration et au concours scolaire de la Résistance et de la déportation de 1965. L’organisation et le montage de l’exposition (173 J 26) présentent le synopsis de l’exposition, le discours inaugural du colonel Pavelet, les documents afférents au prêt d’objets et de documents originaux, ainsi que les cartels et légendes cartonnées de l’exposition. Quelques brochures en relation avec la déportation et qui ont servi au montage de l’exposition sont jointes (La liberté de l’esprit dans la nuit et le brouillard (1947), 1914 la Marne, 1944 la Libération (1954), Nuit et brouillard (1957), Natzweiler Struthof (1964), Les bourreaux SS et leurs victimes – Auschwitz 1944, 1965 Francfort (1965), La FNDIRP a 20 ans 1945-1965 (1965), Ravensbrück, 150 000 femmes en enfer (sd), (Le bagne nazi de Ravensbrück). L’iconographie de l’exposition est en partie conservée dans l’article 173 J 27. Elle comporte des documents particulièrement durs puisque sont conservées notamment 7 reproductions photographiques noir et blanc de portraits de résistants fusillés ou exhumés d’un charnier. Enfin, le dernier article du fonds (173 J 28), concerne la participation active du colonel Pavelet dans l’organisation et le déroulement du concours scolaire de la Résistance et de la déportation 1965. La liste nominative des lauréats, le discours de remise des prix, quelques coupures de presse et de la correspondance documentent cet aspect didactique de l’enseignement de l’histoire de la Résistance et de la déportation.
Le fonds d’archives du colonel André Pavelet, consultable sur autorisation écrite du donateur, constitue donc une abondante source d’informations pour l’historien de la Résistance en R 3. Celui qui fut l’un des témoins et acteurs de la Résistance en Languedoc nous livre ici des documents rares et de première importance. Le fonds reflète aussi la vision qu’un militaire de carrière avait de l’action résistante. Il reste toutefois le reflet d’une vision de la Résistance et d’une manière de l’étudier emblématique des années 1950-1960. Dans l’historiographie de la Résistance, cette période reste encore fortement marquée par la parole des témoins et acteurs de la lutte clandestine, qui sont alors les seuls à relater et étudier la Résistance. Il faut attendre les années 1970 pour assister à un renouvellement des études sur l’histoire de la Résistance, alors pleinement investie par la recherche universitaire. Le fonds Pavelet doit donc aussi être abordé selon ces précautions puisque son producteur est décédé avant cette deuxième phase de l’historiographie de la Résistance. Il n’en reste pas moins que ce fonds, par son grand intérêt, compte désormais parmi les sources incontournables pour l’étude de la Résistance en Languedoc-Roussillon.
Notes
1. Le fonds du colonel Pavelet est consultable sur autorisation écrite du donateur. Se renseigner préalablement à toute consultation auprès des Archives départementales de l’Hérault.
2. Voir les listes nominatives de responsables régionaux et départementaux de la Résistance en R 3 (173 J 5).
3. Le document original, cerné d’un bande noire et qui semble étonnamment se présenter sous la forme d’un calligramme en X, est en fait déjà une copie de la lettre originale de Louis Torcatis, réalisée après le 18 mai 1944 par son fils Guy sur un support bien particulier, puisqu’il s’agit – pénurie de papier oblige – d’une enveloppe de faire-part de décès. Voir à ce sujet, la correspondance échangée en 2009 entre Jean-Claude Richard et Etienne Llauro, auteur de l’ouvrage Louis Torcatis « Bouloc », le destin d’un humaniste (1904-1944) ; Résistance, les groupes francs de la R 3 Montpellier et R 4 Albigeois (Portet-sur-Garonne, Editions Loubatières, 1999, 489 p.), conservée aux Archives départementales de l’Hérault sous la cote 1 J 1538.
4. Antonin Combarmond, alias « Capitaine Mistral », adjoint dans la clandestinité d’André Pavelet pour le Gard et la Lozère, est né le 4 décembre 1895 à Saint-Geniès-de-Malgoirès (Gard). Distillateur dans son village natal, et père de famille, il s’engage lors de la guerre d’Espagne aux côtés des Républicains.
En 1940-1941, Antonin Combarmond entre dans la Résistance ; il est membre de l’Organisation spéciale (OS) constituée par le Parti communiste clandestin dans le Gard et intègre, à la fin de l’hiver 1941-1942, le Front national (FN) qui s’organise alors dans la région, créant, au début de l’année 1942, la première équipe FTPF du Midi.
En 1942, Antonin Combarmond est interné à Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn). Dans la baraque n° 4 de ce camp, il côtoie Michel Bruguier, fils d’un sénateur gardois, les Catalans Roger Torreilles et Germain Bailbe mais aussi Georges Pustoch, Denis Bizot, Provent… Il est libéré le 10 mai 1943.
Le 16 juillet suivant, il fait évader plusieurs de ses camarades codétenus du camp de Saint-Sulpice-la-Pointe et le 25 juillet du camp de Saint-Jean-de-Luz, dépendant de l’Organisation Todt, où certains ont été transférés. Ces évadés vont alors recevoir des missions importantes pour la Résistance, notamment dans le Gard et la Lozère. Roger Torreilles et Georges Pustoch deviennent responsables des maquis FTP dans la Vallée longue, en Lozère. Chargé de l’importante question de la logistique de ces maquis, le « Capitaine Mistral » participe à des réunions clandestines à l’hôtel Nogaret au col de Jalcreste avec notamment André Pavelet – alias « Villars », François Rouan – alias « Montaigne », Jean Huc – alias « Francis » et Émile Peytavin – alias « Ernest » – pour le ravitaillement, l’armement et l’aide pécuniaire. Il s’occupe tout particulièrement de la « brigade Montaigne » lors de sa formation.
Il est en relation avec le maquis de Lasalle, commandé par Rascalon. Il distribue une partie de leurs réquisitions aux maquis de la Vallée longue et au groupe Montaigne. Antonin Combarmond équipe les hommes en couvertures, chaussures (provenant des ateliers Dumas à Alès) et tenues militaires du 1er régiment de France, réquisitionnées aux établissements Paulhan (avec le consentement de ce dernier) en janvier 1943.
Le 28 février 1944, il échappe à l’opération de police menée par l’Intendant régional de police Marty à l’hôtel Nogaret à Jalcreste.
Lors de l’attaque des troupes d’occupation dans la Vallée française le 12 avril 1944, Jean Capel – alias « commandant Barot » – et Christian de Roquemaurel – alias « RM » – sont en réunion chez lui à Saint-Geniès-de-Malgoirès. Prévenus un peu tardivement, ils partent tous les trois mais ne peuvent que suivre le combat avec des jumelles.
Le 3 mai, pour la réunion de La Glanière, il va chercher le « commandant Barot » qui est sommé de quitter les Cévennes. Le « Capitaine Mistral » reçoit l’ordre d’aller chercher, au château de Fons, les maquisards (notamment des membres de la Main d’Œuvre Immigrée ou MOI) qui souhaiteraient se séparer du maquis Bir Hakeim. Il s’y rend en camion gazogène, avec son agent de liaison, Claudine Martin. Jean Capel refuse de laisser partir les hommes avec leurs armes : ceux-ci décident de rester.
A partir de mai 1944, il pilote Michel Bruguier – alias « Audibert » – qu’il a connu à Saint-Sulpice et qui est devenu le chef départemental des FFI du Gard. En Lozère, il prend part au regroupement des mouvements de Résistance des Cévennes au sein des FFI, sous la direction départementale d’Émile Peytavin – alias « Ernest ».
Après la guerre, redevenu distillateur à Saint-Geniès-de-Malgoirès, il milite pour entretenir la mémoire de la Résistance, notamment au sein de l’ANACR du Gard. Antonin Combarmond décède accidentellement le 18 décembre 1993 à Saint-Geniès-de-Malgoirès. [sources pour la biographie d’Antonin Combarmond : AERI].
5. L’association Arts et traditions rurales a réédité en 2006, sous la houlette de Jean-Claude Richard, 15 cours-conférences sur l’histoire de la Résistance, professés par le colonel Pavelet à la Faculté des Lettres de Montpellier en 1966-1967. L’ouvrage, intitulé Histoire de la Résistance française (souvenirs 1940-1944) et initialement édité par l’Association amicale des Etudiants en lettres de Montpellier en 1967, est préfacé par le Commissaire général de divisionVéran Cambon de la Valette [il peut être consulté auxArchives départementales de l’Hérault sous la cote BRA 5428].