De l’ancrage culturel à l’empreinte sportive : évolution des processus identitaires dans la joute languedocienne
De l’ancrage culturel à l’empreinte sportive :
évolution des processus identitaires dans la joute languedocienne
p. 277 à 285
L’article proposé constitue une synthèse de plusieurs recherches menées sur les côtes du littoral méditerranéen français, région Languedoc-Roussillon. L’objet étudié fait référence à une pratique traditionnelle. L’enthousiasme des pratiquants et l’enracinement local suscitent en premier lieu l’étonnement, puis soulèvent un ensemble de questions. Comment cette pratique assure une telle pérennité dans l’univers de la modernité ? Quels sont les éléments qui ont contribué à l’édification de cette microsociété au fil du temps ? Sur quels fondements structurants s’organise le monde de la Joute ?
En effet, l’introduction des joutes nautiques sur le littoral camarguais, en France, remonte au XIIIe siècle 1, temps des croisades du roi Louis IX. En cette année 1270, les soldats contraints à l’attente du départ pour les terres saintes, se livrent à des combats à bord de petites embarcations. L’implantation de la joute se poursuit les siècles suivants et particulièrement au XVIIe siècle où elle s’officialise sur le pourtour languedocien 2. Sète devient une ville phare depuis l’inauguration du port le jeudi 29 juillet 1666 où la présence de Colbert, secrétaire d’État à la maison du roi Louis XIV, honore la ville. Un grand tournoi de joutes est organisé. Aujourd’hui, les jouteurs languedociens, regroupés au sein de seize sociétés 3 distinctes, étendent leur territoire de pratique de Béziers au Grau-du-Roi et s’affrontent chaque saison estivale. Développée durant trois siècles, leur histoire est significative de sens et de valeurs et attribue aux joutes, par son passé, des acquis et un statut singulier en tant que pratique sportive.
Ancrée localement grâce à des caractéristiques ethniques, géographiques et sociales selon les périodes historiques précises, la joute répond à un processus qui se transforme dans la deuxième moitié du XXe siècle par la mise en place d’une structure sportive.
L’analyse, dégagée de l’observation ethnographique, permet de mettre en évidence l’évolution du processus identitaire développé chez les acteurs de la joute en tant que facteur d’implantation de ce sport traditionnel. Il s’agit d’établir comment chacun participe à la construction de sa société, par quels mécanismes il s’y attache, quels procédés il met en place pour l’organiser et de quelle manière il s’inscrit dans son fonctionnement.
1. Le processus identitaire : un facteur de la construction de l'identité de jouteur
En faisant référence au concept d’identité, l’observation se porte sur les processus qui ont contribué à la constitution et à la définition de la communauté des jouteurs au sein des différentes sociétés tout au long de leur histoire.
L’identité met en perspective un ensemble de vécus, d’expériences et de mécanismes qui élabore le mode d’appartenance à un groupe en le singularisant par rapport à d’autres groupes. L’interaction entre individus devient une notion clé afin de concevoir l’identité comme une construction sociale et/ou individuelle. En France, dans le champ de l’histoire du sport, de nombreux travaux ont apporté leur contribution à ce phénomène en analysant comment une pratique sportive peut être à la fois créatrice et révélatrice d’une identité de groupe : le football (Bromberger, 1995, 1998), le hockey sur glace (Bélanger, 1996), la tauromachie (Laforcade, 1990). J.-P. Callède, en étudiant la pelote basque (1985, 1987) met en relation étroite la notion de l’identité culturelle et de la sociabilité sportive où l’une s’exprime à travers l’autre à partir de deux modes d’expression les signes distinctifs de l’identité et le sentiment d’appartenance et de représentation collective des acteurs.
A travers la joute languedocienne, il s’agit de comprendre les mécanismes qui ont favorisé l’agrégation des hommes autour et dans une pratique traditionnelle afin d’analyser comment elle révèle l’identité. Le développement de ces mécanismes est associé au développement de la pratique à travers son histoire. La construction de l’identité de jouteur s’effectue, suivant les périodes, en relation avec un ensemble de facteurs conjoncturels ou structurels qui s’inscrivent comme des marqueurs dans l’histoire des joutes.
2. Les différentes phases du processus identitaire des jouteurs à travers une construction sociale, ethnique et géographique
Comme toute pratique d’interaction humaine où l’affrontement prévaut sur la reproduction de formes, la joute se fonde sur la constitution de groupes distincts pour sa réalisation. Le premier processus identitaire répondant à cette configuration est matérialisé, comme dans d’autres sports, par la distinction sociale à partir de la dichotomie jeune/marié. Chacune des troupes avait un drapeau dont la couleur correspondait à l’appartenance. Ainsi, dans un couplet de la chanson des joutes, cette distinction est relevée :
« La petite jeunesse des bleus qui riait du pavillon des rouges »
« La jouinessotta das blus que risié d’aou pabihown routché »
Aujourd’hui, ces drapeaux existent encore et flottent à l’avant des barques qui ont hérité de la couleur rouge ou bleue. Dénommées « pavillons », ces bannières colorées donnent lieu à un rite de célébration du vainqueur qui, après sa dernière passe victorieuse, brandit l’étendard jusqu’à son retour sur la terre ferme.
Entre le XVIIe et le XIXe siècle, le mode d’organisation de la joute s’est opéré autour de ces groupes sociaux qui revendiquaient une solidarité selon qu’ils faisaient partie de la troupe des « mariés » ou de celle de la « jeunesse » 4. Ainsi, M. de Figaret, premier consul d’Agde, le dernier jour du mois de mai 1601, faisait lecture de la délibération suivante en proposant « que le capitaine Antonum Estienne, homme de marine, prenne en charge le vaisseau des mariés et M. Gouson, ou quelque autre jeune homme, celui des jeunes hommes, pour faire des bustes sur la ribière, le plus honorablement et avec autant de lustre que faire se pourra… » 5. De 1666 à 1846, le grand prix de la Saint-Louis à « Cette » 6 est couronné par la victoire collective de l’une des deux barques lorsque l’une des deux troupes a réussi à faire prendre un bain forcé à tous ses adversaires.
A travers cette distinction sociale fondée sur le statut des jouteurs, jeune ou marié, se dessine en filigrane un processus identitaire qui, comme dans la pratique, régit les rapports sociaux. Les hommes qui participent à ces groupes y adhèrent pour un ensemble de valeurs et de représentations identiques. En cela, ils se reconnaissent et forment des ensembles relativement stables et cohérents. L’exemple du règlement de la troupe de la jeunesse renforce cette appartenance très nettement définie et strictement selon le statut. L’article II du corps de jeu se précisait en 1764 :
« C’est un certain nombre de garçons non mariés qui, pour être admis dans la société, doivent être natifs de la ville, bien famés point brouillons, ni carillonneurs et de l’âge de 16 à 18 ans au moins. »
L’organisation de la pratique à cette époque constitue une première phase où les mécanismes identitaires qui apparaissent dépendent de cet ordre social. Au sein même des différentes troupes, un ordre régit les relations où chacun trouve son rôle. Pour exemple le corps de jeunesse est commandé par trois officiers qui se doivent de respecter un ensemble de rites précis. Le premier de ces officiers « lou cap de jouven », le chef, s’occupe des préparatifs de la fête et a préséance dans toutes les cérémonies officielles. Lorsqu’il préside, il est ceint d’une écharpe qui lui est remise par le maire. Le lieutenant le remplace si nécessaire, il est ceint lui aussi d’une écharpe mais possède en plus une épée au côté et une canne, symbole de l’ordre qu’il fait régner dans les cortèges. Il indique tous les morceaux à jouer et « évite qu’on ne commette aucune impolitesse vis-à-vis des dames et des étrangers ». Enfin, l’enseigne remplace le lieutenant et comme son nom l’indique, il porte le drapeau. En face de cette jeunesse, la troupe des mariés dispose d’une organisation analogue.
A partir de 1846 et jusqu’en 1890, un autre mécanisme d’expression de l’identité se développe dans la pratique de la joute. Il se fonde sur une différenciation ethnique, principalement à Sète, où les règles constitutives de la formation des groupes qui s’opposent évoluent. La ville s’est développée et relève d’une répartition de classes basée sur des origines distinctes de population du littoral languedocien. A Sète, haut lieu d’activité de la joute, la configuration spatiale s’organise en fonction d’un rapport de force originel. Français, Italiens 7, Marocains se sont rassemblés et fixés dans l’espace géographique de la cité. Trois quartiers découpent la ville. Le « quartier haut », où vivent les familles italiennes tournées vers la pêche en mer, le « quartier de la bordigue » et celui de la « consigne », plus cosmopolites et tournés vers la pêche dans l’étang de Thau. En constituant des entités ethniques, ces quartiers sont autant de lieux significatifs où l’interaction entre les hommes est marquée par le contexte spatial. Le noyau structurel du quartier est représenté par le café qui demeure aujourd’hui encore le siège de chaque société. Ainsi, par exemple, la société de la Jeune Lance sétoise est installée au bar du « quartier haut ». La devanture extérieure est décorée aux couleurs de la société, on y retrouve l’effigie du dauphin de Sète, entourée d’une bouée de sauvetage blanche et rouge où sont écrites les initiales J.L.S., au-dessus desquelles semble flotter une banderole qui identifie le lieu dans la langue d’oc : « lo quartier naut ». Sur l’encadrement de la porte, peint en blanc, deux lances rouge et bleue de chaque côté se dressent telles des sentinelles à leur poste. Au-dessus, l’inscription « jeune lance sétoise », écrite à la main en bleu, est chapeautée de deux drapeaux de commissaire dessinés. A l’intérieur, ni tables, ni chaises. Seul un long comptoir en bois, où se joignent au-dessous de l’emblème de la société (le dauphin dans la bouée) deux lances rouge et bleue, fait office d’instrument de sociabilité. Sur le mur de droite, un tableau couvre l’ensemble du pan de mur. Derrière l’abstrait de son interprétation, les couleurs blanche, rouge et bleue rappellent un univers particulier, sorte de folklore festif où se croisent des barques. Au-dessus de la porte qui mène aux cuisines, un pavois de bois commémore le vingtième anniversaire de la société en 1967, offert à l’occasion d’une victoire au challenge « merluzzo ». Derrière le comptoir, se perchent au-dessus des bouteilles d’alcool, des trophées en tout genre. Des coupes, des statuettes en bronze à l’image de jouteurs, un pavois de la société voisine des pêcheurs, un tableau de joutes. Deux bouts de lances encadrent les liteaux du bar, la pendule est une bouée.., avec son dauphin. La frise du papier peint représente une suite de dessins identiques, un pavois et une lance, tantôt de couleur rouge, tantôt de couleur bleue. Dans un coin de la salle sont rangés, en quinconce sur le sol, cinq pavois. Juste à côté, des lances sont entassées contre l’angle du mur. Rien n’est laissé au hasard et chaque objet, qu’il soit de décoration ou utilitaire, participe à l’évocation du monde de la joute. Fort de ses deux mètres et 132 kilos, Jean-Pierre, dit « le grand », est le tenancier. Il fait partie de ces personnages passionnés et dévoués à la joute, toujours prêt à offrir ses services, à laisser le bar ouvert tard dans la nuit pour la victoire d’un gars de la société, à offrir la tournée du patron pour la naissance de son fils, né sous les couleurs du drapeau de la société. Déjà son landau est décoré en rouge et bleu…
Cette différenciation des aires culturelles dans la ville accompagne, en cette fin de XIXe siècle, une augmentation de la densité de la population, synonyme de l’apparition d’un tissu social plus complexe lié à l’émergence discrète de la modernité. Cet aménagement se transpose dans le contexte de la joute et l’organisation des tournois se construit sur une modélisation du social différente. Le repère à l’identité recoupe désormais deux dimensions à travers la profession et le groupe ethnique, symbolisées l’une par la pêche, l’autre par le quartier. Dans cet ensemble structurel, le lien social s’est construit sur des confrontations qui demeurent encore aujourd’hui représentatives des différences culturelles du milieu de la joute. Les rites de sociabilité ou les signes distinctifs de reconnaissance varient d’une société à l’autre. Par exemple, le port d’un vêtement caractéristique illustre cet aspect : le tricot marin. Dans les tournois amicaux organisés sous l’égide de la société de l’Amicale des Pêcheurs de Sète Môles dans les années 1950, les membres joutaient avec ce tricot. En rentrant dans le giron fédéral, la fédération a imposé la chemise blanche pour le tournoi de la société de joute de l’Amicale des Pêcheurs. Toutefois, lors de son tournoi amical nocturne, les membres continuent à jouter en tricot marin. Cet « héritage » vestimentaire s’inscrit dans la préservation d’une identité. Cette tenue, autrefois, correspondait aux vêtements militaires que chacun conservait à l’issue de la période de service national. Elle était un signe tangible d’appartenance.
La différenciation ethnique qui a marqué l’identité du groupe des jouteurs de 1846 à 1890 s’est constituée dans le même temps qu’une autre procédure visant à l’identification : l’individualisation. Le tournoi de la Saint-Louis, par son aspect historique, illustre parfaitement la transformation du mode de désignation du vainqueur. Après 1846, la victoire de ce tournoi, autrefois remportée par l’une des deux troupes de jouteurs, consacre désormais le courage d’un seul combattant. Le champion de la barque rouge ou de la barque bleue, admiré et reconnu, remplace l’exploit salué autrefois par l’équipe bleue ou l’équipe rouge. Son nom est identifié à celui de son quartier dont il devient le fier représentant. De 1846 à 1857, ce fut le jouteur Audibert, dit l’espérance du « quartier haut », qui domina le tournoi. De 1858 à 1877, ce fut ensuite Martin le Gaucher du « quartier de la Bordigue ». Le déplacement de la victoire collective vers la victoire individuelle signe une réorientation de l’expression identitaire qui met en évidence une ascension progressive de l’individualisme. La conscience collective communautaire est relayée par une conscience individuelle latente qui annonce l’avènement de la modernité. La solidarité de groupe, à travers le lien social, se déplace d’un environnement social structuré (les troupes des jouteurs) vers un environnement social parcellisé (les quartiers) puis morcelé (les individus).
Ce phénomène est générateur d’un regroupement des jouteurs dans les sociétés qui n’est pas sans rapport avec le déploiement géographique de la joute et sa densification. La délocalisation de la pratique à partir des années 1890 et l’impact qu’elle engendre sur les groupes des jouteurs sont le signe d’une nouvelle phase dans le processus identitaire. La régionalisation des tournois lors des différentes fêtes votives marque une ouverture spatiale de la joute. Les jouteurs des villes environnantes peuvent participer à n’importe quel tournoi proposé par telle ou telle municipalité. Au tournoi du 5 août 1900, organisé par la municipalité d’Agde et ouvert à tous les jouteurs de la région, vingt-six concurrents sont triés sur le volet. Ils viennent de Béziers, Marseillan, Cette, Mèze, Frontignan et Agde. Deux ans plus tard, au même tournoi d’août 1902, les organisateurs ont reçu quatre-vingt demandes de participation représentant huit villes. Vu le nombre de jouteurs présents, on décide de tirer au sort 40 d’entre eux pour faire le tournoi.
Cette propagation de la pratique participe à un élargissement du lien social et, simultanément, à sa recomposition. Désormais, l’identification du vainqueur s’étend à la ville, ce qui, par l’expansion régionale des tournois, remodèle l’identité territoriale des jouteurs. La constitution progressive des sociétés sur le pourtour languedocien en finalise la modalité et rend compte d’un enracinement local. En effet, le passage au XXe siècle correspond à une période de création de sociétés de joutes amenant les possibilités de pratique à un rayonnement sans précédent. Ce n’est pas moins de six sociétés qui vont voir le jour (Frontignan, la Société des jouteurs de Frontignan 1890, Sète, le Pavois d’Or 1902 et la Lance sportive sétoise 1921, Agde, la Société nautique des Jouteurs agathois 1903, Palavas, la Lance sportive palavasienne 1928, Béziers, l’Association des Jouteurs de Béziers 1929), marquant ainsi une dynamique d’agrégation de la part des jouteurs. Dans cette effervescence apparaissent des phénomènes actifs qui vont agir sur les mécanismes identitaires, notamment à travers la volonté commune des jouteurs d’organiser la pratique. Le lien social est remanié puisque chaque création de société signale son resserrement. La densité des jouteurs au sein d’une société en constitue les limites qui, lorsqu’elles sont dépassées, entraînent une scission de la structure comme à Sète en 1921 lors de la création d’une deuxième entité 8. Un mode de communication s’installe entre les différentes sociétés où les relations nouvelles signifient le passage de relations actives mais désorganisées à un lien social de plus en plus formel. Les sociétés qui se constituent s’organisent très vite et bénéficient des moyens de communications locaux. Ainsi à Agde peut-on lire sur « l’Avenir agathois » du 12 juillet 1903
« Nous sommes heureux d’annoncer à nos lecteurs qu’une société de jouteurs vient de se former à Agde… Tout jouteur désirant faire partie de cette société devra être âgé d’au moins 25 ans. »
Le rédacteur de ce journal précise un peu plus loin :
« Il faudrait qu’à l’avenir la presse soit invitée d’office et que les journalistes soient installés dans une nacelle auprès du jury. Ceci afin qu’ils puissent donner des comptes rendus impartiaux et fidèles. »
A travers cette mise en place structurelle, se joue une redéfinition de la construction identitaire où, à la périodicité, se substitue la pérennité et, à l’individu, l’organisation. La transformation opérée dans les premières années du siècle s’inscrit comme une étape importante et significative pour la communauté des jouteurs. Par l’introduction d’un mode d’organisation plus structuré, c’est la naissance d’une conscience collective de la joute qui apparaît. Chaque société en devient dépositaire et constitue un ensemble de représentations et de valeurs à la fois partagé par les jouteurs de la société mais également repérable et identifié par la totalité du groupe des jouteurs. Le 20 septembre 1903, lors de la victoire de l’Agathois Jean Joseph au premier tournoi du pavois d’or organisé par la société du même nom à Cette, la résonance de son succès lui a valu une incomparable gloire dans le midi des joutes et même en France. Dans sa société, a été organisé « un punch d’honneur auquel assistaient toutes les autorités locales. Des discours furent prononcés en l’honneur de Jean Joseph et des joutes, belle soirée qui se termina dans la plus franche gaieté » 9. En cela, les sociétés vont participer, dès cette période, à la fonction de conception des processus identitaires liés à la joute.
3. La « sportivisation » en marche un processus de transformation de l'identité
La période contemporaine marque le passage du jeu au sport à travers l’avènement d’un système de valeurs axé sur une orientation individuelle et compétitive. L’émergence de cette réalité sportive par l’institutionnalisation des joutes rend compte d’une pluralité de transformations qui déstabilise l’ensemble de la communauté des jouteurs et, notamment, l’identité dans sa construction.
Pour comprendre le tournant que prend la joute au début du XXe siècle, il est nécessaire d’appréhender les bouleversements qui apparaissent dans la sphère des pratiques physiques. Ainsi, en resituant la joute languedocienne dans un contexte plus large, il est possible de saisir comment cette pratique s’est établie face à l’émergence brutale du système sportif. En effet, placé sous le signe de l’innovation technique et de la révolution industrielle, ce début de siècle est le reflet d’un progrès quasi quotidien qui fonde la culture sportive et accélère son développement. « C’est véritablement durant les années 1880 à 1914 que se généralisent et s’institutionnalisent les activités physiques 10 » Un certain nombre de processus d’institutionnalisation se mettent en place, organisent le champ des pratiques visant ainsi à sa reconnaissance. En France, l’Union des Sociétés françaises de Sports athlétiques 11, dirigée par les « anglomanes » comme Pierre de Coubertain ou Georges Saint Clair, s’accapare les pratiques anglaises et les développe à travers la mise en place des règlements. En terme idéologique, c’est une passation de pouvoir entre le modèle prussien d’encadrement traditionnel et un modèle plus libéral qui trouve ses ramifications dans l’école anglo-saxonne et qui se prolongera dans un modèle français de contrôle social.
Si la capitale française est le berceau dès les années 1890 d’un dynamisme croissant pour l’institutionnalisation des sports (création du Racing-Club 12 et du Stade français 13), les provinces s’agrègent à ce processus de « sportivisation » de façon plus mesurée et surtout plus lente 14. Les associations des villes et villages constituent la cellule de base en tant qu’embryons du sport moderne. Le caractère disparate de leurs relations les amène à organiser des tournois ou des championnats internes souvent aux marges des fédérations existantes. Ces associations se regroupent localement développant une multiplication des rencontres. Progressivement, des responsables sont désignés pour une gestion moins approximative des licenciés dans un secteur local puis départemental favorisant ainsi le caractère officiel des championnats. La notion de territorialisation des rencontres apparaît alors au travers d’un contrôle fédéral et « l’espace départemental ou régional s’impose comme cadre légitime » 15. Les fédérations constituées accélèrent, par leur caractère organisé, le processus de « sportivisation ». La communication, qui se développe par le biais des nouvelles techniques de ce début de siècle, participe à l’élaboration de structures finalisées qui établissent des règles et des codes dans la pratique. Par la mise en place d’entraînements spécifiques, la dimension de performance prend un tournant décisif et s’impose en dogme du sport moderne. Ce processus de changement doit être appréhendé au-delà du cadre strict de la pratique sportive puisqu’il prend en compte les données sociales qui gravitent autour de lui. Les liens sociaux qui s’établissent entre les membres d’un groupe sportif prédisposent alors à l’élaboration de ce mécanisme.
Le défi, longtemps entendu comme l’instrument de maintien du respect et de l’honneur, est à l’origine du nouvel ordre de reconnaissance du champion, notamment dans les sports à dominante sportive et professionnelle du début du XXe siècle. « Les sports modernes rejoignent fréquemment les jeux sportifs traditionnels (…) et se fondent dans une structure compétitive commune centrée sur le défi » 16. Dans la joute, le mode du défi contribue à la mise en place d’une multiplicité de tournois qui s’effectuent non sans difficultés puisque leur caractère officieux engendre des problèmes de discipline et de règlements. Plus grave encore, ces rencontres sont des lieux où se ravivent les querelles d’antan entre les villages ou entre les familles. Le tissu social s’exprime pleinement à travers ces tournois, servant d’exutoire potentiel pour certains qui exacerbent leur rancœur. Avant la Grande Guerre de 1914-1918, de nombreux tournois tournent ainsi à l’effusion collective et deviennent difficilement gérables. Les joutes se transforment en de navrants spectacles marqués par des débordements et des incidents
Ce sport a pris une grande extension dans notre région. Après Cette qui en est le berceau, les villes de Montpellier, Béziers, Frontignan, Agde, Balaruc, Mèze, Narbonne et même Marsillargues ont toutes des sociétés pratiquant les joutes ou bien des hommes les représentant dans les divers concours régionaux. Ces concours deviennent de plus en plus nombreux (…). Dans tous ces concours, des incidents se produisent : à Montpellier, les rameurs font grève avant qu’il soit terminé ; à Frontignan, il y a eu deux incidents » 17.
Cette époque est un tournant où, à ce changement dans et de la structure des joutes correspondent des perturbations fortes. La situation se morcelle progressivement et il devient capital d’apporter des solutions. Pour parfaire, au début du siècle, cette dérive incontrôlable de l’ensemble du système « joute » pouvant mener à l’effacement progressif des significations et des valeurs, les acteurs vont prendre part à la diffusion sportive par l’organisation d’une fédération lui permettant la structuration des championnats, la proclamation du champion, la reconnaissance sociale et institutionnelle. Au constat du nouvel ordre établi dans le monde sportif à travers la structuration rationnelle et efficace des disciplines, la joute s’inscrit à son tour dans ce processus de « sportivisation » désormais irréversible.
La création de plusieurs sociétés de joute entre 1900 et 1930, comme nous l’avons déjà souligné, a contribué à faire émerger l’idée d’une union possible afin de mettre de l’ordre dans les tournois. Mais la mise en place d’un tel projet nécessite un certain temps pour se réaliser. En effet, la première tentative de regroupement s’effectuera aux lendemains moroses de la Guerre de 1914-1918 puisqu’en 1921, « le secrétaire donne lecture d’une lettre reçue de Béziers, laquelle propose la formation d’une fédération de société de jouteurs du Languedoc » 18. Ce processus enclenché au début des années 1920 ne semble plus pouvoir faire machine arrière. Il sera long dans son aboutissement puisqu’il nécessitera plusieurs phases successives dans sa progression. En 1946, la création de la fédération des joutes languedociennes intervient. On parle de « comité » jusqu’en 1954, puis de « commission ». En 1964, la Fédération française de Joutes et de Sauvetage nautique, sous l’impulsion des jouteurs de la méthode givordine à Lyon, prend enfin son envol. Mais il faut attendre 1973 pour que le regroupement des jouteurs languedociens se rattache aux autres méthodes de pratique. Indéniablement, la joute languedocienne fait désormais partie du monde sportif. Après ses premiers balbutiements dans ce nouveau contexte, la joute trouve un certain équilibre qui lui vaut une position particulière c’est un sport traditionnel avec toutes les valeurs qui s’y rattachent.
Pourtant, même si elle reste relativement en marge de l’ensemble des pratiques par sa longue trajectoire chargée d’histoire et de traditions, la joute tend à subir les conséquences de son nouveau statut. Les enjeux de la « sportivisation » sont importants et semblent, par le biais de symptômes significatifs, engendrer des transformations transversales à tous les domaines de ce sport traditionnel et notamment à l’identité qui change de registre dans sa construction.
4. L'identité fédérale : une nouvelle donne dans l'appartenance au groupe
Avec la création de la fédération le 3 mars 1946, de nouvelles sociétés voient le jour sur le pourtour languedocien. Ainsi, Mèze, la Jeune Lance sportive (1945) fait ses premières armes dans les tournois régionaux et Sète la Jeune Lance sétoise (1947) constitue sa troisième société. L’institutionnalisation est alors marquée par la mise en place d’un ensemble de règles, signe du processus de « sportivisation » en marche. Les catégories de poids 19 font leur apparition, les catégories de valeur de jouteur, l’obligation d’une licence fédérale, la définition des règles pour le championnat de France ainsi qu’un ensemble de règles concernant la pratique elle-même comme la limitation du nombre de passes 20 ou la tenue du pavois 21 et de la lance.
Avec la création de la fédération le 3 mars 1946, de nouvelles sociétés voient le jour sur le pourtour languedocien. Ainsi, Mèze, la Jeune Lance sportive (1945) fait ses premières armes dans les tournois régionaux et Sète la Jeune Lance sétoise (1947) constitue sa troisième société. L’institutionnalisation est alors marquée par la mise en place d’un ensemble de règles, signe du processus de « sportivisation » en marche. Les catégories de poids 19 font leur apparition, les catégories de valeur de jouteur, l’obligation d’une licence fédérale, la définition des règles pour le championnat de France ainsi qu’un ensemble de règles concernant la pratique elle-même comme la limitation du nombre de passes 20 ou la tenue du pavois 21 et de la lance.
Par l’introduction de ces règles, un degré supplémentaire est franchi dans l’acceptation d’un ordre différent, un transfert de charge est amorcé déléguant pouvoir et représentation à l’organe fédéral. La concurrence pointe entre les jouteurs et s’organise autour d’une gestion de la compétition nouvelle imposée par la réglementation. Certains approuvent et s’y retrouvent, notamment les jeunes, d’autres se questionnent et restent prudents dans l’émergence de ces valeurs résolument tournées vers le sport. Ces modifications donnent lieu à des débats passionnés, parfois virulents, à des conflits et des oppositions. C’est l’ensemble de l’identité de la joute qui est remise en question, du moins suffisamment interrogée pour y porter une attention particulière. La tradition en est l’enjeu. De ce bouleversement, certes préparé mais déstabilisant, émerge une mobilisation de certains pratiquants dont la réflexion questionne et défend une certaine idée de la joute. L’ancienne génération de jouteurs s’inscrit comme garante de la tradition et veille attentivement à ce que la joute consacre et conserve des aspects authentiques. Les jeunes sont le reflet d’une montée en puissance de la modernité par les aspects individuels ou compétitifs dont ils s’approprient les valeurs. En fait, paradoxalement, la mise en place de la fédération dégage une conscience collective des jouteurs qui n’est autre que l’instauration d’une identité collective autour de la joute.
Dans les années 1970, un autre phénomène de réglementation signe une nouvelle étape dans les aspirations identitaires et dans la dynamique de cette pratique. La limitation du nombre d’inscrits par société aux tournois, comme nous l’avons déjà mentionné, est déterminée à cinq jouteurs. En fortifiant l’aspect de concurrence interne pour la participation aux différentes manches du championnat, cette règle marque une floraison des foyers de joutes. Six nouvelles sociétés apparaissent au Grau-du-Roi, la Jeune Lance grauléenne (1972), à Sète, l’École de Joutes de la Marine (1977), l’Amicale des Pêcheurs de Sète Môles (1980), la Lance amicale sétoise (1982), à Mèze, la Nouvelle Lance mézoise (1981) et à Frontignan, la Peyrade (1989). Ce morcellement généré par la régulation fédérale est le fait de jouteurs qui, pour des raisons multiples liées à l’affinité, à l’identité locale ou familiale mais aussi à la concurrence interne, ont décidé de fonder de nouvelles structures en récupérant des jouteurs compétitifs mais évincés dans leur société d’origine. Une variation dans le processus identitaire est introduite. Les situations de rupture qui émergent dans les diverses sociétés sont porteuses de conflits d’intérêts et d’identité autour d’une perspective d’opposition : les jouteurs peuvent s’investir en fonction de la vie d’une société ou en fonction de la pratique. Cette ambivalence des processus identitaires dégage une dynamique basée sur des aspects conflictuels qui n’existaient pas jusqu’ici.
Ce changement de registre concernant l’identité des jouteurs est renforcé par la massification et la multiplication de la pratique à travers la mise en place dans le temps des différentes compétitions. En 1941, se crée le championnat de France de joutes languedociennes ; en 1962 s’ajoute la coupe de France, suivie en 1983 d’une coupe de ligue. Ces épreuves permettant d’établir une lisibilité dans la hiérarchie des jouteurs qui rend compte du processus de « sportivisation » dans sa forme élitiste. L’ensemble de ces tournois est organisé par les sociétés qui sont tenues de gérer trois tournois dans la saison, ce qui porte le nombre entre quarante-cinq et cinquante tournois en trois mois. Tous les week-ends sont ainsi consacrés à la joute 22. Cette orientation sportive distille une représentation différente de la pratique qui est soumise à des transformations plus ou moins acceptées et toujours discutées dans son entourage. Les mécanismes identitaires sont ainsi l’enjeu d’une lutte pour mettre en avant et légitimer une des deux formes de joute qui s’inscrivent au carrefour de la tradition et de la modernité. Derrière l’unicité de l’identité de la joute se jouent des procédés normatifs qui introduisent un brouillage symbolique, éthique ou simplement technique. Ils immiscent des repères distincts en rupture avec les représentations séculaires véhiculées dans cette microsociété. De fait, le lien social en mouvement taraude l’identité collective au profit d’une forme identitaire individuelle qui traduit l’appropriation de valeurs sportives et le changement de mentalité qu’elle suscite. Ainsi Louis Paul Blanc nous rappelle dans son ouvrage « Les joutes à Sète » :
« Les joutes – rappelons-en la définition – sont un combat courtois qui se conduit avec une politesse raffinée ; cette définition était beaucoup plus valable il y a deux cents ans qu’aujourd’hui » (1968 : 6).
Les turbulences et l’effervescence des crises que les sociétés de joutes ont traversées rendent compte des variations que le changement leur a fait subir. Mais, en aucun cas, ce changement s’est présenté comme radical. Toujours liées aux faits conjoncturels, les transformations vécues jusqu’à nos jours n’avaient pas affecté outre mesure l’esprit de la joute dans sa symbolique. C’est parce que des mécanismes marqués du sceau de la tradition (mémoire orale, conservation du patrimoine) ont travaillé le monde de la joute à l’échelle du temps, qu’il répond ainsi de sa permanence. Il s’apprécie comme traditionnel et définit l’identité culturelle des joutes languedociennes.
Pourtant, l’avènement de la structure fédérale et du modèle de compétition à travers le champion a fait apparaître un étiolement rapide et dangereux des valeurs traditionnelles depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Portée par un lien social puissant, la tradition se trouve confrontée à ce nouvel ordre qui s’inscrit lentement comme un processus de rupture, générant des actions et des comportements au sein de la communauté des jouteurs dont on ne maîtrise pas la portée ni les conséquences. La hiérarchie et le classement se sont octroyés ; l’espace des pratiques et les relations constitutives du lien social (fêtes, tournois…) sont modifiées et refondées selon un système de valeurs nouveau axé sur l’élitisme 23. Élitisme qui incarne la modernité où l’individu rejette l’esprit traditionnel au profit d’une société plus parcellisée. Le lien social devient superficiel et labile. La mise en place institutionnelle de la pratique qui s’est effectuée durant la deuxième moitié du siècle n’est pas sans retombées sur l’effectuation des rites. Ceux-ci sont un élément créateur de folklore qui offrent un cadre traditionnel à la pratique de la joute languedocienne. Les défilés en sont un parfait illustrateur chemise blanche, pantalon blanc, chaussettes blanches et chaussures blanches, il ne s’agit pas de déroger à la tradition. La lance est portée d’un bras, devant soi pour la marche, et vient croiser celle du jouteur partenaire pour l’exécution des parades qui sont annoncées par le commissaire du tournoi, patron de l’ensemble du défilé. Chacun a sa place et suit les instructions aux sons des différentes peňas traditionnelles (d’une à trois selon l’importance du tournoi) constituées de 10 à 15 musiciens. Le défilé est fermé par les deux hautbois et les deux tambours, coiffés de leur canotier de paille qui permet de les identifier. Ce type de rites s’est multiplié, mécanisé et finalement banalisé en s’exécutant dans une fréquence de plus en plus élevée lors des différents tournois qui ont lieu chaque semaine. La massification de la pratique les a rigidifiés et, inlassablement répétés, ils semblent s’épuiser dans leur signification. Ainsi modelés, leur sens et leur symbolique se sont étiolés et transformés au profit d’un écho sportif. Depuis le milieu des années 1980, le désintérêt des jouteurs à participer aux défilés augmente sans cesse.
Si le monde de la joute intègre aveuglément l’univers sportif, reflet de l’incertitude et d’une complexité certaine, il risque d’être phagocyté au point d’en perdre ses repères. L’ensemble cohérent des valeurs et représentations qui s’est forgé par l’historicité, associé à la symbolique commune qui en découle, pourrait se transformer rapidement au risque d’un effritement entraînant la dissolution du lien social et de l’identité locale. La tradition, dans ces conditions, tendrait à se dissiper également en laissant derrière elle trois siècles d’histoire.
5. Demain, quelles joutes languedociennes ?
Le projet développé dans cet article visait à repérer et à mettre en évidence les mécanismes qui ont permis la constitution d’un groupe, son développement et son implantation sur le bassin languedocien à travers le temps. En premier lieu, la tradition apparaît comme un élément autour duquel s’est construite une véritable culture joute. Associée à une dynamique singulière de la relation humaine entre les acteurs, cette culture s’est lentement ancrée au cours des deux premiers siècles de son existence dans l’aire géographique et sociale de la région. Les transformations que la pratique a subies durant cette période interviennent selon des logiques historiques et tendent à renforcer la cohésion du groupe ainsi que les processus identitaires qui s’y rattachent. Les joutes prennent de l’ampleur à l’orée du XXe siècle.
L’institutionnalisation marque une étape dans l’évolution de la pratique qui tutoie désormais la sphère sportive. La multiplication des sociétés contribue à l’émergence d’un système plus organisé qui passe par la mise en place d’une fédération. Le regroupement des jouteurs s’impose et définit un ensemble de nouvelles donnes dans un paysage de plus en plus tourné vers la compétition. A cette métamorphose se greffe un système de valeurs qui dénote, par son caractère individualiste, des représentations véhiculées jusqu’ici dans le monde de la joute. Réglementation, classification, logique hiérarchique, compétition, championnat, résultats sont des éléments s’inscrivant comme des mécanismes normatifs qui transforment les mentalités et forment le contrepoint des aspects traditionnellement admis. Ce glissement axiologique engendre un sens nouveau que la communauté doit s’approprier de façon à conserver un équilibre entre le passé et l’avenir sous peine de le voir chanceler. Leur destinée se concentre dans une prise de conscience des acteurs eux-mêmes. Les réponses qu’ils seront capables d’apporter au passage de la modernité les engageront ou non sur les voies d’une pratique différente dans l’approche qu’il peut en être faite. Certains autres sports traditionnels ont subi les mêmes stades de développement et se sont transformés en sports de haut niveau 24. La pelote basque en est l’exemple le plus frappant puisqu’elle est aux portes de l’olympisme et s’affiche dans des championnats du monde. La compétition est un processus irréversible de changement auquel la joute doit s’ajuster pour ne pas sombrer dans une réalité sportive pouvant être pernicieuse. Les joutes du siècle prochain incarnent sans doute l’entrée dans le troisième millénaire d’un sport aux frontières entremêlées, où deux univers de sens se confondent, s’interpénètrent en fondant tradition et modernité dans un même espace de pratique. La pierre angulaire dans cette phase transitionnelle tient lieu, sans conteste, de la capacité aux protagonistes du monde de la joute à mesurer les effets de la modernité au plus juste pour ne pas perdre l’ensemble de ses repères historiques, synonyme d’une mort annoncée ou, du moins, d’une histoire nouvelle à écrire.
Références bibliographiques
V. Pouget, Nos joutes nautiques. Chronique de la société nautique des jouteurs agathois, Pézenas, 1993.
R. Hubscher, J. Durry, B. Jeu, L’histoire en mouvement. Le sport dans la société française (XIXe-XXe siècle), Paris, 1992.
G. Laurans, « Mythologie contemporaine. Qu’est-ce qu’un champion ? La compétition sportive en Languedoc au début du siècle », Annales Économies Sociétés Civilisation. 5, 1980.
L.-P. Blanc, Les joutes à Sète, Nîmes, C. Lacour éditeur, 1968.
C. Pigeassou, J. Pruneau, Regards sociologiques sur la dynamique du lien social dans les Sociétés de joutes languedociennes, Corps et Culture, Montpellier, 1998.
J. Pruneau, C. Pigeassou, « La sportivisation dans les joutes languedociennes », L’histoire du sport, l’histoire des sportifs, Paris, l’Harmattan, 1999.
Notes
1. J.-P. Blanc, Les joutes à Sète, Nîmes, C. Lacour éditeur, 1968.
2. Des textes historiques des archives municipales d’Agde officialisent l’apparition des joutes dans cette ville dès 1601 et à Frontignan en 1629.
3. Le terme de « société » de joutes définit l’association dans laquelle se regroupe un certain nombre de jouteurs. Ce terme a toujours existé et permet d’imaginer, par son appellation, un certain type de sociabilité entre les individus à la création des joutes. Aujourd’hui encore, il n’est pas question de dénommer une société par le terme de « club », terme pourtant largement répandu dans le monde sportif.
4. Il existait au XVIIIe siècle une fédération des différentes jeunesses de la ville appelée « corps de jeunesse ». Cette Société organisée possédait des statuts qui précisaient les codes de bienséance et les règlements pour appartenir à cette corporation. Ces jeunes gens étaient le reflet de cette époque raffinée que fut ce siècle et où, plus que jamais, fut en honneur cette galanterie française qui était une des gloires de la cour de Versailles.
5. V. Pouget, Nos joutes nautiques. Chroniques de la société nautique des jouteurs agathois (Pézenas, 1993), p. 10.
6. La ville de Sète a été orthographiée « Cette » jusqu’en 1928 où un décret a fait changer l’orthographe.
7. Les Italiens migrent à Sète par deux vagues successives. La première est comprise entre 1860 et 1895 où un bon nombre d’entre eux s’installent dans le quartier haut et deviennent pêcheurs. La deuxième fait suite à la Deuxième Guerre mondiale et plus précisément autour des années 1920. Les arrivants fuient le régime de Mussolini qui monte en puissance (marche sur Rome en 1922), ils sont la plupart socialistes et républicains. Leur arrivée est marquée dans le monde des joutes puisqu’ils deviennent d’excellents jouteurs. Le tournoi de la Saint-Louis 1919 et 1920 est remporté par Liparoti, puis en 1922, 1927 et 1928. De 1933 à 1947 (hormis 1940-1944), ce tournoi est disputé entre deux jouteurs italiens Cianni et Carmassi qui l’emportent respectivement six fois et quatre fois
8. La Lance sportive sétoise qui s’est créée en 1921 est le fruit d’une scission de la société du pavois d’or. Le nombre croissant d’adhérents a engendré des mésententes au sein de la société qui ont provoqué cette rupture.
9. V. Pouget, Nos joutes nautiques. Chronique de la société nautique des jouteurs agathois (Pézenas, 1993), p. 21.
10. R. Hubscher, J. Durry, B. Jeu, L’histoire en mouvement. Le sport dans la société française (XIXe-XXe siècle). Paris, 1992, p. 5.
11. L’Union des Sociétés françaises de Sports athlétiques (USFSA) est créée sous l’impulsion de Georges Saint Clair. Dés le 18 janvier 1887, il expose sa proposition d’une sorte de fédération des sociétés françaises de courses à pied. Il eut d’abord bien du mal à convaincre les membres du Racing dont il est le secrétaire général de l’intérêt d’un organisme dépassant les sociétés. Finalement, l’aboutissement de son projet aura lieu le 31 décembre 1889.
12. Le Racing-Club est créé le 20 avril 1882 à l’instigation de Raoul d’Arnaud, élève du lycée Condorcet de Paris.
13. Le 13 décembre 1883, six anciens lycéens de Saint-Louis, devenus étudiants, adoptent la constitution préparée par deux de leurs camarades, Marcadet et Malizard. Ils choisissent le bleu et le rouge de Paris et le nom de Stade français, réponse au Racing-CLub.
14. Guy Laurans, « Mythologie contemporaine. Qu’est-ce qu’un champion ? La compétition sportive en Languedoc au début du siècle », Annales Économies Sociétés Civilisation. 5, 1980, p. 1047-1069.
15. Ibid.
16. Ibid.
17. Le petit méridional, 27 juillet 1914.
18. V. Pouget, Nos joutes nautiques. Chronique de la société nautique des jouteurs agathois. Pézenas, 1993, p. 35.
19. En ce qui concerne le poids, une catégorie « léger est constituée pour les moins de 80 kg et une catégorie lourd pour les plus de 80 kg. Hormis le poids, les jouteurs sont classés en quatre catégories selon des critères de valeurs. 4e catégorie : débutants ; 3e catégorie : tous ceux qui ont participé à des tournois régionaux ; 2e catégorie : tous ceux qui ont été au moins une fois qualifiés de la revanche (terme spécifique pour désigner les phases finales des tournois) dans un tournois régional ; 1re catégorie : tous les vainqueurs des tournois régionaux.
20. Avant cette date, le nombre de passes entre les jouteurs n’étant pas limité, certains tournois ne finissaient pas à cause de leur durée.
21. Le pavois est une sorte de bouclier avec lequel se protège le jouteur lors de la passe avec son adversaire. Il a beaucoup évolué dans sa forme. Il pèse aujourd’hui huit kilos. Lorsqu’un jouteur retient le pavois par la corde fixée à l’arrière pour ne pas laisser tomber celui-ci dans l’eau, il est éliminé selon le règlement fédéral, ce qui n’est pas le cas lors du grand prix de la Saint-Louis.
22. La saison de joutes débute à la mi-juin et se termine à la mi-septembre. En règle générale, le vendredi consacre les tournois de jeunes (enfants et juniors), le samedi ceux des légers et le dimanche est réservé à la catégorie reine : les lourds.
23. C. Pigeassou, J. Pruneau, Regards sociologiques sur la dynamique du lien social dans les sociétés de joutes languedociennes Corps et Culture. Montpellier, 1998, 3, p. 173-190.
24. Certaines pratiques traditionnelles ont trouvé dans l’institu-tionnalisation une reconnaissance sportive liée au rayonnement nouveau qu’elles dégagent en s’affichant dans des championnats nationaux voire internationaux comme les jeux de boules (boule lyonnaise, nantaise et provençale), la pelote basque ou le tambourin.
