Comptes rendus d’ouvrages 2021-56
Comptes rendus d’ouvrages 2021-56
Gomez (Élian), Ugolini (Daniela), Sur les chemins de Béziers grecque, Éditions Le chameau malin, Béziers, Béziers, 2020, 269 pages, 25€.
Lauze (Jacques), La Confédération générale des vignerons du Midi. 1907-1997.
Un siècle de syndicalisme agricole. Éditions l’Harmattan, collection Historiques, 385 pages. 2021. Préface de Geneviève Gavignaud-Fontaine.
P. 249 à 250
Comptes rendus d’ouvrages
Gomez (Élian), Ugolini (Daniela),
Sur les chemins de Béziers grecque, Éditions Le chameau malin,
Béziers, Béziers, 2020, 269 pages, 25€
Béziers, la ville la plus ancienne de France, nous disent à l’entrée de la ville les panneaux touristiques. Pour comprendre cette affirmation qui peut étonner, il faut reprendre très rapidement l’historiographie pour les périodes anciennes du Languedoc et environs à partir du VIIe siècle avant notre ère.
Traditionnellement les chercheurs ont défini deux espaces, l’un à l’est est sous influence grecque depuis la ville phocéenne de Marseille (fondée vers 600 avant notre ère), l’autre à l’est d’influence ibérique et constitue ce que l’on a nommé « l’aire ibéro-languedocienne ». Appellation reprise par tous les chercheurs jusqu’à une date récente. Cette analyse aurait oblitéré les recherches c’est du moins ce que pensent les auteurs de cet ouvrage : « l’existence de cette ville, [Béziers I] oblige à sortir des sentiers battus fort commodes ».
Leur thèse est la suivante : à Béziers a été fondée une colonie de grecs (dite Béziers I) dans le dernier quart du VIe siècle par des Doriens/Rhodiens sous le nom possible de Rhode. Ce n’est qu’après la chute de cette première ville pour des raisons d’ordre économique mais diverses certainement et mal perçues, à partir de la mi IVe, au plus tôt, que les circuits d’influence se sont modifiés au profit de l’aire ibérique.
Les témoignages proviennent de diverses fouilles dont celle de la place de la Madeleine entre 1984 et 1986, qui la première, avec son quartier artisanal, sa maison « à pastas » de type grec, la production d’ateliers de potiers avec des vases de type grec, etc. a changé la perception des choses. Un chapitre « La ville grecque confirmée » en présente les résultats les plus significatifs. La création d’un service municipal d’archéologie, à l’origine duquel a beaucoup œuvré Christian Olive du Service régional de l’archéologie et dont il faut ici saluer la mémoire, a grandement facilité les études depuis les années 2000. En haut de la colline St Jacques, une fortification archaïque a été repérée. Ce qui a complété la découverte de ces niveaux anciens également dans le quartier des halles en 1986. La fouille de l’ilot des Chaudronniers en 2014 a mis au jour ces niveaux archaïques avec en particulier des éléments d’un four de potier. Ainsi les auteurs définissent au VIe siècle une vaste ville de plus de 10 hectares qui est la colonie grecque naissante, elle a pu atteindre jusqu’à 40 hectares et couvrir les deux collines de St Jacques et St Nazaire. Un plan orthogonal a présidé à sa création dont on reconnaît au moins deux orientations dans les fouilles récentes. Les espaces publics ne sont pas localisés et deux maisons ont été fouillées partiellement. Les espaces artisanaux dont des fours de potiers (avec des productions « à la grec »), l’attestation du travail du métal (fer et bronze) ont été mis au jour. La ville a-t-elle eu un rempart, rien ne le dit à ce jour.
Si les démonstrations concernant le territoire sont moins convaincantes car moins documentées, tous ces éléments et d’autres non notées ici incitent nos chercheurs à voir dans le Béziers archaïque des VIe-Ve siècles une ville grecque la première Rhode de méditerranée. Le chapitre X veut en faire la démonstration.
La question est fort discutée du fait de témoignages assez modestes encore et aussi car elle remet en cause un schéma de pensée qui a orienté la recherche depuis de nombreuses années autour de cette aire « ibéro-languedocienne » que ne parviennent pas à définir D. Ugolini et E. Gomez. Tout ceci est très important pour la compréhension du monde antique, des échanges commerciaux, du poids des Celtes, des Ibères comme des Grecs dans le midi méditerranéen. L’intuition fondamentale de nos auteurs (précisons qu’elle n’est pas présentée ici mais à la suite de multiples solides publications scientifiques), est très intéressante. Elle a beaucoup de conséquences qu’il n’est pas lieu ici de détailler et repose sur de sérieux arguments et quelques faiblesses comme l’absence de monnaie, une connaissance réduite du territoire, un raisonnement sur le possible nom (Rhodes) moyennement convaincant et une surface fouillée sur le terrain encore assez réduite. On sait bien que fouiller dans une ville n’est pas aisé. Une bibliographie en fin d’ouvrage, abondante au-delà de ce que l’on peut espérer d’un ouvrage de ce type, pourra permettre d’approfondir toutes ces questions.
L’édition souffre de certaines difficultés de forme : figures trop réduites et peu lisibles, plan sans échelle, numérotations de figures inversées, réduction de planches de céramique (trop nombreuses) jusqu’à l’illisible, références incomplètes, etc. L’absence de réelle table des matières, d’index comme d’un lexique élémentaire sera dommageable au lecteur non spécialiste. Ces imperfections attestent un copier-coller que l’on ne saurait imputer aux auteurs maitres d’une documentation solide, mais au travail éditorial réduit à sa plus simple expression comme si un livre n’était que la juxtaposition de textes pour fabriquer un « produit » à mettre sur le marché.
La richesse de l’ouvrage sur le fond, incite à recommander la lecture de « Sur les chemins de Béziers grecque », utile à qui veut comprendre ces grands mouvements de colonisation depuis le VIe siècle et les origines de la ville actuelle de Béziers. Cette lecture pourra compléter celle de l’ouvrage édité par le musée du biterrois à l’occasion d’une exposition en 2006 : « Béziers I. (600-300 av. J.-C. )La naissance de la ville » de Daniela Ugolini et Christian Olive.
Michel-Édouard Bellet
Lauze (Jacques), La Confédération générale des vignerons du Midi. 1907-1997.
Un siècle de syndicalisme agricole. Éditions l’Harmattan, collection Historiques, 385 pages. 2021.
Préface de Geneviève Gavignaud-Fontaine.
Voilà un livre pour qui s’intéresse au monde viticole, une œuvre d’une grande densité d’informations. Jacques Lauze, professeur d’économie et de gestion, a soutenu en 2018, à l’Université de Montpellier une thèse d’histoire 1, cet ouvrage en est issu.
D’importants fonds d’archives de la Confédération Générale des Vignerons conservés aux archives municipales de Narbonne, aux Archives départementales de l’Aude, ou encore aux Archives nationales et aussi à Bruxelles, ont été méticuleusement exploités par l’auteur. C’est peu dire que la tâche était rude, lourde, sans doute parfois ingrate, que d’écrire l’histoire sur près d’un siècle, de cette bouillante Confédération. D’emblée, on se félicite de cet inespéré bilan.
La CGVM a été créée à la suite de la crise de 1907 comme l’organisation du monde viticole, toutes catégories confondues du gros propriétaire au salarié, du courtier en vin à l’ensemble des professions autour du vin. Cette première caractéristique en a marqué toute l’histoire et la chute. Créée à une époque où la fraude (chaptalisation et mouillage) sur le vin semblait la cause de tous les maux du monde viticole, la Confédération s’est construite également sur sa répression pour laquelle elle obtint délégation de l’État et finit par créer son corps d’inspecteurs.
Voilà un livre pour qui s’intéresse au monde viticole, une œuvre d’une grande densité d’informations. Jacques Lauze, professeur d’économie et de gestion, a soutenu en 2018, à l’Université de Montpellier une thèse d’histoire 1, cet ouvrage en est issu.
D’importants fonds d’archives de la Confédération Générale des Vignerons conservés aux archives municipales de Narbonne, aux Archives départementales de l’Aude, ou encore aux Archives nationales et aussi à Bruxelles, ont été méticuleusement exploités par l’auteur. C’est peu dire que la tâche était rude, lourde, sans doute parfois ingrate, que d’écrire l’histoire sur près d’un siècle, de cette bouillante Confédération. D’emblée, on se félicite de cet inespéré bilan.
La CGVM a été créée à la suite de la crise de 1907 comme l’organisation du monde viticole, toutes catégories confondues du gros propriétaire au salarié, du courtier en vin à l’ensemble des professions autour du vin. Cette première caractéristique en a marqué toute l’histoire et la chute. Créée à une époque où la fraude (chaptalisation et mouillage) sur le vin semblait la cause de tous les maux du monde viticole, la Confédération s’est construite également sur sa répression pour laquelle elle obtint délégation de l’État et finit par créer son corps d’inspecteurs.
L’auteur distingue trois grandes périodes dans la vie de cette structure. De la crise de 1907 aux années 30 et aux premiers problèmes liés aux productions viticoles de l’Algérie, c’est l’époque de la phase ascendante. Elle atteint alors son plateau de prospérité en nombre d’adhérents et rayonnement. La Confédération va ensuite s’intégrer sans réelles difficultés à l’État vichyssois. Après la guerre, confrontée à l’Europe naissance, au libéralisme économique, elle ne peut trouver le nouveau souffle, malgré un sursaut d’un temps, qui aurait évité sa chute à l’orée des années 90, alors que la répression des fraudes ou la question du vin algérien n’étaient plus les problèmes essentiels du vignoble languedocien.
Mais cette structure interclassiste relevant d’une démocratie fondée sur le poids économique ou les voix étaient attribuées non pas selon le principe « un homme, une voix » mais selon la richesse, contenait en germe ses difficultés de survie. En correspondance avec l’illusion d’intérêts communs de « l’identité vinicole » en lieu et place de la culture vinicole, la confédération ne put résister aux coups de butoir des petits face aux gros et à l’éclatement de cet artificiel attelage. Les « petits » ont peu de marge de rentabilité, les « gros » bien davantage et veulent un bon prix de vins sans être pour autant, très préoccupés par la qualité. L’épisode de Montredon en 1976 signe la fin de cette unité d’apparence et le désespoir de « petits », comme condamnés à la violence pour être entendus.
Vichy et sa « Corporation paysanne » faisait les yeux doux à cette organisation corporatiste fondée sur l’idée de l’éternel viticulteur (« l’éternelle France ») et une politique de soutien aux vins de consommation courante. Mais l’Europe de l’après-guerre et son libéralisme agressif, dessinait d’autres horizons. Ceux qui, malheureusement après beaucoup de casse sociale, font du Languedoc aujourd’hui une des plus belles régions de production de ces vins autrefois dits « fins », de qualité labélisée et souvent selon les pratiques culturales biologiques. L’illusion de « la confluence d’intérêts viticoles languedociens » n’aura pas réellement survécu aux soubresauts du deuxième conflit mondial.
L’agrégé d’économie qu’est l’auteur, marque de sa formation l’ouvrage, et nous entraine dans cette histoire faite de chocs concurrentiels, ou derrière les rivalités des dirigeants pointent les intérêts divergents, les différentes analyses de rentabilité. Il en reprend tout le cheminement selon un plan chronologique qui peut paraitre peiner à dégager les axes essentiels. Mais devant une telle documentation pouvait-on faire autrement ? La lecture ne permet pas plus de dégager une histoire sociale que l’on sait marquée par de grands bouleversements, mais ce n’était pas l’objectif.
Jacques Lauze a écrit une histoire de la CGVM, « un siècle de syndicalisme agricole », pas du vin ni du vignoble ou des vignerons. Mais l’ouvrage est incontournable pour qui s’intéresse à l’histoire du vignoble en Languedoc.
Michel-Édouard Bellet
NOTES
1. Thèse qui a obtenu le prix Joseph Poux 2018-2019 attribué par les Archives départementales de l’Aude.