Revue Etudes Héraultaises n°56, CLAUDE LAPEYRE (13/11/1933-12/11/2019), Michel CHRISTOL

CLAUDE LAPEYRE (13/11/1933-12/11/2019)

* Professeur émérite à l’Université de Paris-1 (Panthéon-Sorbonne).

La personne de Claude Lapeyre, née Rousset (Prades – 66), décédée le 12 novembre 2019 à la veille même de la quatre-vingt-sixième année, a été familière aux Biterrois, et pas seulement parce qu’elle a été présente très tôt dans diverses sociétés savantes, la Société d’étude des sciences naturelles et la Société archéologique, scientifique et littéraire. Elle l’a été aussi au monde des conservateurs des musées languedociens, en raison de ses responsabilités propres et plus particulièrement en liaison avec la création du Musée du Biterrois. C’est au prisme de cette activité dans l’univers culturel de la deuxième ville du département qu’il importe d’évoquer sa vie et sa carrière.

C’est elle qui, en 1980, dès que fut envisagé le projet d’un musée aux amples perspectives thématiques, venant s’ajouter sous le nom de Musée du Biterrois au Musée des Beaux-Arts, eut la charge d’en dessiner les contours et de le conduire à son terme. C’était, sous la municipalité Balmigère, élue en 1977, une initiative qui avait reçu toute l’attention d’Yves Sabah, adjoint à la politique culturelle. Elle eut ensuite la charge de faire vivre cette institution à travers les périodes successives, celles des municipalités Fontès, Barrau et Couderc, qui s’échelonnèrent depuis 1983.

L’élaboration d’un programme muséographique, qui aboutit pour l’essentiel à la présentation actuellement accessible, est toujours une œuvre longue à mettre en place et à concevoir. Il faut aussi l’exprimer en concordance avec d’autres artisans de la culture, tels les architectes et les muséographes. Mais il fallait avant tout concilier une multiplicité d’approches, archéologiques, historiques, ethnologiques, aller de la Préhistoire jusqu’aux arts et traditions populaires. Claude Lapeyre démontra alors avec bonheur le bien-fondé des responsabilités qui lui avaient été confiées et la maîtrise des thématiques qui la conduisaient à envisager des perspectives de très longue durée. Ceux qui demandèrent pour elle la médaille de Chevalier des Arts et Lettres, décernée en 1990 par le ministre de l’époque, avaient su reconnaître ses mérites.

C’est dans l’administration de la vie culturelle de la ville qu’elle a fait l’ensemble de sa carrière, d’abord dans la gestion des archives municipales, puis comme conservateur au Museum d’Histoire naturelle dès 1970, enfin comme conservateur au Musée du Biterrois en 1981, quand le projet fut bien engagé. C’est dans ce poste qu’elle prit la retraite en 2001. C’est aussi durant cette période que, membre de la société archéologique, elle en prit la présidence en 1981, assumant trois mandats jusqu’en 1990. Elle était ainsi la première femme à assumer cette responsabilité, et pour l’instant la seule.

Durant cette présidence elle organisa le cent-cinquantième anniversaire de la création de la société, qui avait vu le jour en 1834 à l’initiative des hommes de culture et de savoir ayant alors uni leurs efforts pour faire renaître l’Académie des sciences et lettres de Béziers, tels Jacques Azaïs, Pierre-André Boudard ou Auguste Fabregat. La semaine du 13 au 21 octobre 1984 fut alors le moment réservé à diverses activités (conférences, visites) et à la présentation d’une exposition intitulée « Béziers au temps de la Société Archéologique », qui avait été installée au Musée du Vieux-Biterrois, peu avant que son contenu ne soit englobé dans le Musée du Biterrois.

Claude Lapeyre suivit le cursus universitaire à la Faculté des Lettres de l’Université de Montpellier, aimant plus tard, avec ceux qui étaient, pour elle, de jeunes compatriotes, évoquer la galerie, parfois pittoresque, des divers enseignants qui s’y trouvaient réunis. L’institution n’avait pas encore pris le nom d’Université Paul-Valéry. Elle n’avait pas encore migré vers les espaces plus ouverts du nord de l’agglomération, et elle n’avait surtout pas encore pris le développement qui est à présent le sien. Elle ne connut l’Université Paul-Valéry qu’au moment, plus tardif, de la spécialisation en histoire de l’art et archéologie, lorsqu’elle prépara et soutint, en 1987, un diplôme d’études approfondies sous la direction d’Anne-France Laurens.

Mais depuis longtemps, à Béziers et dans le Biterrois, elle avait pris sa place dans l’archéologie de terrain, qu’elle pratiquait dans le sillage de grands anciens, Joseph Coulouma qui était proprement Biterrois, et Joseph Gondard qui, pour sa part, était un voisin de Colombiers, ce qui ne l’empêcha point de devenir président de la société de 1949 à 1971. Elle appartenait ainsi à une communauté de chercheurs, dans laquelle se trouvait aussi André Bouscaras, établi au domaine de Régimont à proximité de Poilhes, connu entr’autres pour ses fouilles sous-marines et pour la mise au jour de l’épave de Rochelongue, sur le littoral agathois. À Montpellier ses interlocuteurs étaient des professeurs qui lui avaient beaucoup apporté, Hubert Gallet de Santerre, successeur de Jean Jannoray, et Émilienne Demougeot. Le premier joignait à cette qualité la responsabilité de la Direction des Antiquités Historiques du Languedoc-Roussillon, charge dans laquelle lui succéda Guy Barruol, assisté d’André Nickels.

Claude Lapeyre (Collection famille LAPEYRE)

Sa bibliographie, qui pourrait vraisemblablement se compléter des rapports qu’il lui fallait adresser régulièrement à la Direction des Antiquités Historiques, montre l’étendue de ses compétences car, à l’image de nombreux archéologues des générations du premier après-guerre, elle devait démultiplier les approches méthodologiques, aller et venir de la Préhistoire aux temps plus classiques de l’époque gallo-romaine et de l’Antiquité tardive. Il fallait même, à l’occasion, entrer dans l’archéologie médiévale, alors en plein développement.

Comme conservateur du Musée du Biterrois elle avait hérité de documentations anciennes, issues des fouilles de Coulouma et de Gondard. Elle s’efforça de les mettre en valeur, et, surtout, tâche très délicate mais nécessaire, de reprendre les objets, de les répertorier d’une manière plus systématique, bref : elle les rendit plus utilisables et plus compréhensibles pour les chercheurs des générations futures. En même temps elle engageait ses propres recherches, des pentes de l’Espinouse au Biterrois côtier, sans oublier l’agglomération urbaine elle-même. Là, au moment où s’ouvrait le grand chantier du parking de la Madeleine, en 1985-1986, elle pouvait procéder elle-même à ses propres observations sur le pourtour des halles, à un emplacement où se livraient, quasiment à fleur de sol, d’autres riches traces du passé de la ville protohistorique puis romaine. 

C’est dans ce contexte qu’elle faisait un rapprochement significatif avec des dépôts plus anciens qu’elle avait dans son musée, détenus initialement par la Société archéologique : ils provenaient des récoltes qui avaient été effectuées en 1890 par un archéologue dénommé Caylet, au moment de la construction des halles sur l’emplacement de l’ancienne église Saint-Félix. Elle en reprit patiemment l’examen, revisita ces archives des temps anciens, mais sans pouvoir toutefois mener ce projet de révision à son terme, en sorte que cette entreprise, dont elle avait signalé tout l’intérêt et toute l’importance documentaire, reste à pleinement réaliser. C’est dans ce contexte, aussi, qu’elle donnait en 1986 le chapitre d’ouverture d’une Histoire de Béziers, dirigée par Jean Sagnes, parue chez l’éditeur Privat, qui a bien résisté à l’épreuve du temps, en insérant les premiers temps du site dans un espace élargi, « un territoire » disait-elle, s’étendant de la Méditerranée au rebords du Massif Central, dans lequel l’agglomération dominante se caractérisait par « une urbanisation ordonnée ».

Pour toutes ces raisons elle pouvait intituler le mémoire de DEA qu’elle préparait : Le rôle des sociétés savantes dans la conservation du patrimoine archéologique : la Société archéologique de Béziers. Les cent pages qu’il renferme, enrichies de photos et de dessins des objets, assurent la transmission d’une documentation qui resterait enfouie, sans elles, dans des réserves muséales, et qui perdrait progressivement tout intérêt et toute utilité en raison de l’usure du temps et des oublis qu’il instille dans les mémoires, y compris les plus savantes. Quelques-unes des publications de la dernière période de son activité scientifique portent témoignage de cette attention nécessaire aux documentations léguées par les prédécesseurs et menacées par l’oubli. S’en dégage fortement l’idée que le patrimoine d’une cité, d’un pays, d’une collectivité, ce sont des documents qu’il convient de protéger afin de les retrouver régulièrement et de placer, dans ces occasions, présent et passé dans une réflexion de longue durée, comportant même, à l’occasion, des révisions, des réinterprétations, des redécouvertes. Le Musée du Biterrois, sous son impulsion, était devenu un lieu ouvert, accueillant pour les recherches les plus variées, les présentant et les faisant connaître. Associée à Monique Clavel-Levêque, Claude Lapeyre y organisa à deux reprises en 1994 et en 1997 des colloques européens, qui furent édités respectivement en 1995 et 1998 aux soins de l’Université de Besançon. Ils comptent dans la connaissance de Béziers et du Biterrois antiques.

Au-delà des activités dans l’animation culturelle de la cité, Clade Lapeyre avait aussi un rôle plus personnel dans une communauté à laquelle la rattachait sa foi religieuse. Née d’une mère protestante, elle avait maintenu ses liens avec la communauté qui se réunit au Temple, sis au cœur de la ville, à proximité du « Champ-de-Mars ». Elle avait donc prolongé sa formation universitaire d’une formation théologique, auprès de la Faculté libre de Théologie protestante de Montpellier, et son autorité ainsi que son rayonnement lui avaient valu d’être élue Présidente du Conseil presbytéral.

Attachée profondément à la ville qu’elle avait adoptée, elle s’était enfin efforcée de la faire connaître « pas à pas », selon l’expression qu’elle avait choisie avec Alain Roque comme titre d’un beau livre sur les noms de rues et de lieux de Béziers, et selon l’inspiration qui l’avait conduite à défendre et à faire éclore le projet d’un « musée du Biterrois », tourné vers des horizons diversifiés et de larges thématiques. C’est dans cet esprit qu’elle l’a animé de multiples manières, s’efforçant de collecter, de susciter et d’entraîner, partout où elle agissait, les efforts raisonnés de toutes les bonnes volontés.

Bibliographie de Claude Lapeyre

BSESNBéziers = Bulletin de la Société d’étude des sciences naturelles de Béziers.

BSASLBéziers = Bulletin de la Société archéologique, scientifique et littéraire de Béziers.

Ouvrages ou participations à des ouvrages collectifs.

1- Le rôle des sociétés savantes dans la conservation du patrimoine archéologique :la société archéologique de Béziers, DEA, nov. 1987 (Dr : Anne-France Laurens, Université Paul-Valéry) (inédit).

2- Béziers, Carte archéologique – I (13 p. et 5 pl.) et II (16 p. et 5 pl.), datés de novembre 1986 : deux versions d’un essai topo-bibliographique (inédit).

3- L’homme en Biterrois, des origines à la civilisation des oppida, dans J. Sagnes (dir.), Histoire de Béziers, Toulouse, 1986, p. 7-26.

3- (avec M. Fournier), Cathédrale Saint-Nazaire, s. l. n. d. (1988), 36 p.

4- (avec A. Roque), Béziers pas à pas, Horvath, Lyon, 1993, 256 p.


Articles de revues ou d’actes de congrès

1- Chronique archéologique – Sant-Thibéry, BSASLBéziers, 5e s. 5, 1969, p. 110-112.

2- Un fond de cabane de La Tène sur le Plo des Brus, BSASLBéziers, 5e s. 7, 1971, p. 1-10.

3- Le Plo des Brus, dans Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, XLIIIe congrès (Béziers, 30-31 mai 1970), Montpellier, 1971, p. 35-39.

4- Chronique littéraire : Esther Vieu-Larguier, Enegarde, BSASLBéziers, 5e s. 8, 1972, p. 122-123.

5- (avec M. Dhénin et J.-C. Richard), Les monnaies de la Société archéologique de Béziers. 1. Les monnaies en or et en electrum, BSASLBéziers, 5e s. 10, 1974, p. 45-58.

6- (avec A. Lopez) Le sanctuaire mégalithique de Monte d’Accoddi et le culte de la déesse-mère en Sardaigne (première partie), BSESNBéziers, ns. 3 (44), 1975, p. 46-53.

7- (avec A. Lopez) Le sanctuaire mégalithique de Monte d’Accoddi et le culte de la déesse-mère en Sardaigne (suite), BSESNBéziers, ns. 4 (45), 1976 p. 69-78.

8- Mosaïques de Volubilis (Maroc) : à propos de quelques représentations animales liées au mythe d’Orphée, BSESNBéziers, ns. 5 (46), 1977, p. 99-114.

9- Chronique archéologique (sondages contre l’abside de St-Jacques), BSASLBéziers, 5e s. 13, 1977, p. 41-44.

10- La nécropole de Casse Diable (Sauvian), BSESNBéziers, ns. 7 (48), 1979, p. 46-52.

11- Matériel de la nécropole protohistorique de la Méjarié à Sauvian (Hérault), Revue archéologique de Narbonnaise, 13, 1980, p. 197-210.

12- La grotte de Trédos, commune de Rieussec (Hérault). Première approche, BSESNBéziers, ns. 8 (49), 1980-1981, p. 41-55.

13- Documents originaux, observations des membres sur la présence de rosalia alpina dans les massifs du Caroux et de l’Espinouse, BSESNBéziers, ns. 8 (49), 1980-1981, p. 56.

14- Note sur trois fragments de foyer décorés en argile, BSASLBéziers, 6e s. 1, 1980-1981-1982, p. 8-11.

15- Quelques estampilles provenant de la villa de La Savoye (commune de Vendres 34), BSASLBéziers, 6e s. 1, 1980-1981-1982, p. 27-32.

16- (avec J.-P. Wiegant et Ph. Yedra), Notice archéologique, BSASLBéziers, 6e s. 1, 1980-1981-1982, p. 49-54.

17- « Le Verbeilhou », Nouvel apport à la connaissance du Premier âge du fer à Sauvian (Hérault), BSESNBéziers, ns. 9 (50), 1982-1983, p. 61-67.

18- (avec A. Lopez, et Fr. Marcou) La faune souterraine de l’aqueduc romain de Pézenas (Hérault, France), Mémoires Biospéléologiques, 10, 1983, p. 147-152.

19- Notre nouveau siège : l’Hôtel Bergé, BSASLBéziers, 6e s. 2, 1983-1986, p. 10-11.

20- Les grands absents : de l’urbanisme ancien aux travaux récents, BSASLBéziers, 6e s. 2, 1983-1986, p. 19-25.

21- La notion de patrimoine, BSASLBéziers, (Bull. spécial du Cent-cinquantenaire), 1984, p. 11-17.

22- Dans l’arène, BSASLBéziers (Bull. spécial du Cent-Cinquantenaire), 1984, p. 82-84.

23- Au cœur des crises politiques et sociales, BSASLBéziers (Bull. spécial du Cent-cinquantenaire), p. 87-91.

24- Le Plateau des Poètes, BSASLBéziers (Bull. spécial du Cent-cinquantenaire), 1984, p. 53-56.

25- Regards sur le costume, BSASLBéziers (Bull. spécial du Cent-cinquantenaire), 1984, p. 61-64.

26- Le miracle de l’eau, BSASLBéziers (Bull. spécial du Cent-cinquantenaire), 1984, p. 57-60.

27- Béziers, fouilles anciennes, BSASLBéziers, 6e s. 3, 1987-1988, p. 9-29.

28- Une bague antique à intailles, BSASLBéziers, 6e s. 3, 1987-1988, p. 54-55.

29- Mises au point sur la prétendue sépulture ibérique de la Tène II de Saint-Macaire (Servian, Hlt), BSESNBéziers, ns. 12 (53), 1987-1988, p. 53-62.

30- Un jour, un musée, BSESNBéziers, ns. 13 (54), 1989-1991, p. 58-66.

31- Le village du bronze final IIII B Portal Viehl (Vendres 34), BSASLBéziers, 6e s. 4, 1989, p. 5-14.

32- Du rêve à la réalité : le Musée Saint-Jacques à Béziers, Bulletin de l’Ecole antique de Nîmes, ns. 22, 1990, p. 121-125.

33- Ad sanctos ? Tombes d’époque paléochrétienne dans la basilique Saint-Aphrodise de Béziers, dans Hommage à Jean Combes (1903-1989). Études languedociennes offertes par ses anciens élèves, collègues et amis, Montpellier, 1991, p. 15-22.

34- Du cabinet de curiosités au Musée contemporain, BSESNBéziers, ns. 14 (55), 1993-1994, p. 68-72.