Aux origines de la C.G.V. dans le Midi : combats pour la défense du vin

Depuis plus d’un siècle, le pouvoir économique s’était fortifié à la faveur de la libre concurrence ; la reconstitution post phylloxérique à peine achevée, et malgré les nouvelles mesures protectionnistes de la République 1, les déséquilibres économiques se creusaient aux dépens des producteurs de vins naturels, tant la concurrence s’était fait déloyale : les temps étaient davantage aux vins fraudés qu’aux vins loyaux.

Comment rendre aux acteurs locaux une partie de leur pouvoir économique, celui de fixer des prix susceptibles de maintenir en activité le plus grand nombre de propriétés ? Les premiers syndicats autorisés en 1884 ont tenté, ici et là, un regroupement de l’offre vinicole ; le Syndicat Central des Viticulteurs de l’Aude fournit à la vente, la première année du siècle, quelques centaines de milliers d’hectolitres rassemblés par ses membres. Les premières caves coopératives resserrent les liens entre vignerons et consommateurs. Le cas de Maraussan illustre le réseau socialiste dès 1901. Le Syndicat Régional du Commerce en Gros des Vins et Spiritueux du Midi s’oppose cependant à la constitution de caves communales 2 destinées à garder les excédents pour les années déficitaires : elles porteraient préjudice au commerce des vins.

L’idée d’organiser le marché vinicole fait néanmoins son chemin. Elle va de pair avec la demande d’une législation protectrice du vin naturel. Sans doute faut-il préciser avant de poursuivre que la liberté de marché – souhaitable – n’implique pas l’acceptation de la concurrence exacerbée – déstructurante.

Appels récurrents à l'État, et tentatives d'action contre les dysfonctionnements commerciaux

Dans le cadre du marché commun national constitué dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, les Languedociens avaient été les éphémères récipiendaires d’une « rente de position » géographiquement constituée en leur faveur. La liberté commerciale européenne, à laquelle les vignerons étaient favorables sous le Second Empire, était rapidement devenue, chez ces producteurs précocement convertis à la monoculture, et donc ouverts aux aléas de marché, source de concurrence meurtrière. Les traités de libre échange signés avec d’autres pays de l’Europe méditerranéenne ont été successivement dénoncés. La politique fiscale d’un État exigeant avait multiplié le nombre de mécontents qui, chaque année, amoncelaient leurs doléances contre des droits accusés de grever les vins français, pour le plus grand intérêt des vins extérieurs.

Le traité avec l’Italie à peine rompu (1888), et au lendemain de l’attaque phylloxérique en Espagne (1892), se renforce un nouveau concurrent, surgi avec l’industrialisation du marché vinicole, et d’autant plus pernicieux qu’interlope : la fraude 3. La pénurie phylloxérique avait encouragé les législateurs à autoriser, en 1884 (loi Boisseuil, député de Charente) et 1885,pour la plus grande satisfaction des viticulteurs de l’ouest et des betteraviers 4, le sucrage des vins en première cuvée, et des vins de marc dits « vins de sucre » 5. Malgré la suppression de ladite autorisation cinq ans plus tard, la sonnette d’alarme n’avait pas cessé de retentir dans le vignoble languedocien, où la concurrence du vin « manipulé », amplifiée de jour en jour, est venue ruiner bien des espoirs. De quoi susciter une réaction ! Et celle-ci a été fulgurante. Elle se résume en la volonté de faire légiférer le Parlement sur le « vin naturel ».Une initiative audacieuse sous la Troisième République, initiative qui mérite, en conséquence, une attention toute particulière.

Halte aux vins importés et fraudés !

La pénurie consécutive aux ravages du phylloxéra avait incité producteurs, négociants et détaillants à mettre sur le marché, aux côtés des vins importés, des vins « manipulés ».Au moment où les vendanges abondent à nouveau, les intermédiaires les moins scrupuleux n’hésitent pas à recourir à des « boissons » non recommandables, malgré la première loi venue protéger le consommateur (1889) : la loi Griffe exige en effet l’affichage, par étiquette, de la nature du produit vendu sous le nom de « vin ». Louable dans son intention 6, la nouvelle disposition s’est cependant bien vite révélée insuffisante pour décourager les fraudeurs du Bercy 7. D’autres lois sont promulguées en faveur des vignerons : la fabrication des vins de raisins secs, soumise à des droits spéciaux (1890), est assujettie aux droits sur l’alcool ; la loi de 1892 autorise la surveillance des marchands et dépositaires de sucre.

La législation, pourtant précise, n’entrave pas, en l’absence de sévères sanctions, la circulation de « breuvages » encouragés par l’étiage phylloxérique, mais irrecevables au terme de la reconstitution du vignoble français. Une fois prises, les mauvaises habitudes résistent, comme chacun le sait. Des mandataires laxistes refusent de renoncer aux vins de raisins secs ; vins de sucre ou de marcs sucrés, vins chaptalisés, piquettes profitent au lobby du sucre comme aux producteurs de récoltes à très faible degré. Jules Pams, parlementaire roussillonnais 8 use avec quelques autres députés de toute son énergie pour faire appliquer un programme de réformes. La lutte serait difficile contre la chaptalisation 9, le lobby betteravier, la spéculation commerciale. Émile Brousse, député des Pyrénées-Orientales depuis 1881, centre ses revendications sur la défense des intérêts viticoles, sollicite diverses lois de protection ; dès 1893, il défend un programme contre la loi sur les sucres, votée à l’instigation des betteraviers soutenus par Méline et Caillaux, et jugée néfaste parce que stimulante pour la fraude. A l’instar de la Société Agricole, Littéraire et Scientifique des Pyrénées-Orientales 10, il demande :

  • la suppression complète des réductions de taxes sur le sucre,
  • l’interdiction de fabriquer et vendre des vins artificiels,
  • l’interdiction de mouiller les vins,
  • la poursuite de toutes les fraudes sur la nature du vin,
  • la suppression des entrepôts fictifs…

Les années 1893-1894 se placent sous le signe d’une crise de mévente ; tandis que le vin « maudit » défie toute concurrence en matière de prix, les barriques de vin naturel restent pleines dans les caves. Les trésoreries sont exsangues ; l’endettement écrase les ménages, les hommes de loi frappent aux portes des maisons languedociennes, récupèrent meubles et objets personnels. Comités, syndicats, sociétés et autres groupements de viticulteurs multiplient les motions dans les colonnes de la presse régionale. Le Syndicat de Cournonterral, fondé en 1890, fort de deux cent trente membres, fait figure, sous l’autorité de François Astier, d’un « syndicat de choc » 11.

La première manifestation d’importance se produit à Montpellier, le 12 décembre 1893. Elle se veut « pacifique », « respectueuse de la légalité » 12. Des dizaines de milliers de signatures dénoncent « les vins factices », « la fraude » ou « la délinquance en col rouge ». Tandis que les manifestants menacent de ne plus payer leurs impôts, les corps élus annoncent qu’ils démissionneraient, si le Midi continuait d’être sacrifié aux intérêts des betteraviers et de la viticulture de Bercy. La prolifération d’intermédiaires peu recommandables, sous le titre de « courtiers », « marchands », « commissionnaires » accroît le désarroi des producteurs. Au nom de l’identité de leur viticulture, les Languedociens dénoncent les vins artificiels et les vins alcoolisés ; ils demandent des certificats d’origine pour accompagner les vins titrant plus de dix degrés cinq afin d’enrayer la concurrence des vins importés. La suppression des octrois et une plus grande rigueur douanière comblerait leurs vœux. Les députés sont mis à contribution : Émile Brousse (1881-1895), Adolphe Turrel (député radical 1885-1898 13), Paul Vigné d’Octon, (député radical-socialiste 1893-1906), multiplient les interventions au nom de leurs départements respectifs, les Pyrénées-Orientales, l’Aude et l’Hérault, pour dénoncer la fraude à la tribune du palais Bourbon. Plâtrages et salages sont interdits en 1893, le mouillage et le dédoublement après vinage en 1894. Dans la foulée, sont créés le Comité de Défense de la Viticulture, la Société d’Encouragement à la Viticulture.

Les fraudes sont d’autant plus dénoncées qu’« il ne faudrait pas un an pour monter des fabriques capables de remplacer la totalité de nos vignobles » ne craint pas d’affirmer Paul Degrully 14. En 1896, le parquet de Béziers ouvre des poursuites contre cinquante deux « fabricants » de Marseillan, accusés d’avoir fait circuler près d’un million d’hectolitres de vin certifiés comme vins naturels, avec des acquis fictifs « aramons faits en blanc ». Il se murmure de plus en plus fort qu’à Bercy, dont les hangars en bordure du réseau ferré P.L.M. approvisionnent les négociants parisiens, trois millions d’hectolitres de vins de raisins secs en provenance de Grèce et de Turquie, ayant transité par Marseille et Sète, se métamorphosent en quatre ou cinq fois plus de boissons viniques.

En 1897, la commercialisation des piquettes est interdite ; les communes sont autorisées à supprimer les droits d’octroi sur la circulation des vins ; à défaut de suppression, elle les oblige à les réduire à deux francs vingt cinq par hectolitre 15. La suppression des droits de détail, assortie d’un droit unique de circulation de un franc cinquante par hectolitre vient compléter la réforme fiscale en 1900. La contestation vigneronne et les attaques menées par les députés du vignoble contre la législation sucrière ne cessent pas pour autant : l’enjeu est bien de s’opposer à la légalisation de l’usage massif du sucre. Si la mobilisation faite à Carcassonne, le 30 septembre 1900, n’intimide pas le Gouvernement qui durcit la réglementation du privilège des bouilleurs de cru 16, la loi du 29 décembre1900 ne maintient la réduction des taxes que pour les vins destinés à la consommation du producteur.

La suppression des droits d’octroi obtenue en 1901 ne parvient pas à calmer les esprits. Les élections législatives favorisent les empoignades : en 1902, Lafferre, candidat radical acquis à la thèse de la surproduction pour expliquer la mévente, s’oppose au radical socialiste indépendant Palazy qu’il évince. Albert Sarraut est élu ; ainsi qu’Edmond Bartissol 17 peaufine une stratégie de défense vigneronne. Les lois du 28 janvier 1903 (art. 7), du 31 mars 1903 (art. 22, 23) réglementent le sucrage tant en première qu’en deuxième cuvée ; tandis que le sucre est autorisé à la vendange, à raison de dix kilogrammes pour trois hectolitres…, la taxe sur le sucre est abaissée de soixante-dix à vingt-cinq francs par quintal.

La Convention de Bruxelles ne vient elle pas de priver les betteraviers français de leur marché extérieur ? La République fait flèche de tout bois pour dédommager les betteraviers ; l’augmentation de quatre pour cent des droits sur l’alcool, et l’obligation de déclarer à la Régie toute opération de distillation ne contribuent pas à apaiser les esprits, même si les lois instituant le visa, en cours de route, de l’acquit à caution obligatoire pour l’enlèvement des alcools et des vins(1897-1904) tentent de moraliser le trafic des boissons.

Quand même ! Affichette. Lithographie par Montuori, Narbonne. Béziers, Imprimerie Générale. 1907 (Ap. le 20 juin)
Fig. 1 Quand même ! Affichette. Lithographie par Montuori, Narbonne. Béziers, Imprimerie Générale. 1907 (Ap. le 20 juin). Marcelin Albert et le Dr Ferroul tenant un étendard où sont inscrits : « Toujours mort aux fraudeurs » et « Toujours pour le peuple qui souffre et pour la cause du Midi ». (Fonds J. N.)

Haro sur le sucre et mort aux fraudeurs (Fig. 1)

Momentanément passée au second plan derrière les grèves prolétariennes de 1904, l’offensive contre la fraude est relancée au cours de l’hiver 1905. Le 20 janvier, un congrès régional viticole organisé à Béziers donne naissance à un Comité Régional de Défense Viticole 18, sous la présidence d’Antonin Palazy. Le Midi vient de se donner un noyau d’organisation combative. Peu enclines à subir une concurrence « assassine », les populations méridionales alimentent leur animosité de rumeurs que viennent, ici et là, exciter divers scandales : tel trafiquant poursuit, en toute impunité, sa sinistre activité et fait paraître dans la presse des annonces provocatrices de fabrication de vin sans raisins… Le plus grand désordre pour raison d’impunité règne. Un fraudeur, ayant fabriqué et vendu douze mille hectolitres de vin artificiel, est condamné à Nîmes le 3 mai 1905, à seize francs d’amende : le prix d’un hectolitre de vin ! 19 L’article 318 du Code Pénal, lequel vise « la vente des boissons falsifiées contenant des mixtures nuisibles à la santé » se révèle insuffisant : imprécis quant à la qualification pénale, d’un maniement difficile pour le juge, il est suivi de peu d’effets 20.

En juin, la question vinicole est d’actualité au Parlement où Albert Sarraut, jeune député radical de l’Aude, dénonce l’augmentation inconsidérée de la consommation de sucre et, dans la foulée, les faveurs concédées aux betteraviers ; cela ne suffit pas à faire adopter le projet Doumergue (radical-socialiste, député du Gard) et Aldy (socialiste, député de l’Aude). Propositions repoussées par la majorité radicale liée au gouvernement, et plus attentive aux fluctuations du marché sucrier qu’à celui du vin. Face à ces querelles politiques qui opposent le Languedoc viticole à Paris, quatre municipalités démissionnent, dont celle d’Argeliès où Marcelin Albert 21 a ouvert un café quatre ans plus tôt. Ce café est le siège d’un Cercle d’Études Sociales, dans la mouvance des « comités de soutien à Albert Sarraut » organisés lors des élections législatives ; le cabaretier, fils d’un secrétaire des services administratifs du bey de Tunis, entretient, depuis 1903 et généralement sous les platanes, une campagne dénonciatrice de la fraude et de la législation sucrière qui l’encourage ; ce qui lui vaut les moqueries du maire de Narbonne, Ernest Ferroul,et le surnom de « Lou Cigal » 22. A l’instar des vignerons d’Algérie, Albert dénonce avec virulence toute chaptalisation, et, dans la foulée, se fait l’avocat du vin naturel ; reconnaissants, ses homologues de la rive sud de la Méditerranée ne manqueraient pas de le remercier pour « ne pas avoir séparé les intérêts de la métropole de ceux de l’Algérie » lesquels ont tout à craindre d’une chaptalisation sans retenue…

Le 2 juillet 1905, quinze mille manifestants crient leur colère à Béziers, sous la houlette du Comité Régional de Défense Viticole du Midi et de son président, Antonin Palazy. Les menaces agitées depuis 1893 (grève de l’impôt, démission des corps élus) sont réactivées, en signe de protestation contre l’attitude affichée par les ministres lors des débats parlementaires ; le ministère Rouvier est blâmé. Cela suffira-t-il à entraver les faveurs accordées aux « fraudeurs » via les betteraviers ?

Les députés ont entendu les menaces. La loi du 1er août 1905, relative à la répression des fraudes dans la vente des marchandises, des denrées alimentaires et des produits agricoles, donne certaines satisfactions. Elle dénonce les différentes formes de falsification provoquées par les manipulations, elle définit le vin comme « le produit exclusif de la vigne », dans le prolongement de la loi Griffe ; elle envisage même de désigner les vins authentiques par la définition d’appellations d’origine 23. Cela signifierait il que la loi reconnaît des vins non authentiques ? L’organisation d’une répression des fraudes, dans la vente des denrées alimentaires et des produits agricoles, est censée condamner les manipulations. Encore eût il fallu que l’État se dotât de moyens financiers aptes à faire appliquer la loi.

Le Midi s’impatiente en l’absence d’actions efficaces à redresser la situation vitivinicole ; la loi du 6 août 1905 vient limiter le sucrage à la période des vendanges, mais la loi du 1er août 1905, censée punir les fraudes et falsifications de toute nature, dont le vin est l’objet depuis la fin du XIXe siècle reste, faute de moyens adéquats, lettre morte. L’encombrement des marchés tourne au cauchemar, l’effondrement des prix précipite la ruine des producteurs, signifiée par le passage de l’huissier. Pendant ce temps, se multiplient les annonces provocatrices, dans les média, de « fabricants de vins » à prix alléchants pour recettes « miracles » : eau, tannin, raisins secs, acide tartrique et autres… Mieux encore, la loi d’amnistie du 12 juillet 1906 vient entraver l’action de la justice et démoraliser les populations 24. Celles-ci attendent d’un État, auquel l’on fait savoir son mécontentement par les manifestations et les bulletins de vote, protection et réconfort. Elles entendent le rappeler à ses devoirs. Si les lois rétablissant le privilège des bouilleurs de cru, réglementant le sucrage (1906) ne suffisent pas à calmer les esprits, l’annonce de la nomination de Sarraut au ministère de l’Intérieur en qualité de sous-secrétaire d’État fait monter l’espoir d’attirer l’attention de Clemenceau, nouveau président du Conseil, sur le nécessaire respect du vin naturel en général, et non artificiellement sucré en particulier.

En complément de la lutte contre la fraude, étendue ici à toute manipulation porteuse de ruine pour le producteur honnête, l’organisation pour la vente du vin s’organise.

Un marché à organiser

La tendance est à l’organisation pour la vente directe aux consommateurs. Dans le département de l’Aude, le Syndicat central des Viticulteurs rassemble, à l’initiative de Monsieur Malric, des centaines de membres qui écoulent par cette voie un million d’hectolitres. Lors du congrès régional de Montpellier, le 11 août 1901, des syndicats pour la vente du vin ont décidé de fixer un prix minimum pour les transactions, afin de ne pas brader les récoltes sur la base des offres les plus basses. Tandis que la formule coopérative gagne du terrain 25, le congrès régional des syndicats tenu en 1905 à Béziers débouche sur la création d’un Comité Régional de Défense Viticole des Intérêts du Midi sous la présidence de Palazy 26, (20-22 janvier).

En août 1905, Bartissol organise le Trust des Vins du Midi. Il s’agit de regrouper l’offre pour la réguler, garantir la qualité des vins et la bonne tenue des prix d’un franc le degré) en se passant des intermédiaires. Il propose une société commerciale pour vendre les vins des producteurs-fournisseurs liés par un contrat trentenaire, fixant avances à la déclaration de récolte, paiement échelonnés, participation aux bénéfices (45 %); la retiraison, faite au gré des ventes, serait terminée au 15 août. La vente en bouteille fera figurer le degré et le prix sur le bouchon scellé à la cire. En cas de trop-plein, la distillation rémunérée au prix de l’alcool apurera la situation. Cette organisation devrait regrouper rapidement deux mille personnes dans six départements méridionaux 27. Elle constitue une société anonyme dans laquelle l’administration relève en partie des plus gros producteurs de chacun des départements (deux membres par département), en partie des actionnaires (concernés pour 45 % des bénéfices et désignant quinze administrateurs. Dans chacun des départements, un comité directeur jouerait la carte de proximité, tandis que le siège social de la société serait à Paris.

Sans perdre de temps et fort de relais modérés et radicaux, Palazy dépose, en février 1906, les statuts de l’Association Mutuelle des Producteurs de Vins Naturels du Midi chargée de drainer les vins de sept départements (avec le Vaucluse) à un prix fixé au degré, sur la base d’un contrat de douze ans avec respect d’un prix minimum, et distribution de 85 % des bénéfices ; l’exigence de vins bien titrés en alcool orientera les encombrements et vins gâtés vers la distillerie. En quelques mois, vingt mille adhérents et une dizaine de millions d’hectolitres donnent à « l’Association Palazy » l’allure d’une organisation apte à s’imposer sur le marché. Il s’agit d’une société civile administrée par un conseil de trente deux membres choisis parmi les associés réunis en assemblée générale ; la gestion financière est confiée à un syndicat financier (sic !) doté de 15 % des bénéfices réalisés. Maîtrise incomplète cependant puisque les dix-huit millions d’hectolitres restant constituent une base spéculative importante pour le négoce. Le projet d’un regroupement des Vignerons élargi à tous les acteurs de la vigne et du vin prend alors forme à son tour, afin d’exercer une meilleure maîtrise du marché.

La charge ne porte pas contre le négoce régional invité à collaborer avec les producteurs, mais vise à contre carrer l’insatiable appétit des grandes sociétés extérieures. Charles Gide a bien compris que « leur politique consiste à étrangler leurs concurrents au-dessous des cours, de façon à s’assurer une clientèle ; et même quand ils ont conquis le monopole de fait, elles cherchent leurs bénéfices beaucoup moins dans une hausse des prix, que dans une diminution des frais de production que la concentration permet de réaliser » 28. La viticulture industrielle, en passe de devenir, selon l’aveu même de Georges Clemenceau, une « industrie nationale » 29, reste encombrée d’entreprises, plus ou moins frauduleuses, au mépris des lois. Il est plus que temps de les exclure. Palazy travaille avec le Syndicat régional des Négociants en Vins du Midi, afin de trouver les bases d’une entente interprofessionnelle fructueuse 30. De telles transactions ne peuvent qu’inquiéter les grandes sociétés financières menacées de boycott ; la sonnette d’alarme résonne jusqu’aux plus hautes sphères gouvernementales.

D’importants événements marquent donc le pays de Bacchus, tandis que l’administration fiscale multiplie les saisies pour non-paiement d’impôts. Sur proposition du député radical-socialiste Jean Bourrat (Pyrénées-Orientales), et en plein débat parlementaire autour des fraudes, est créée une commission chargée d’enquêter sur la situation critique de la viticulture (25 janvier 1907) ; le 11 mars, elle reçoit une délégation venue d’Argeliès (Aude) qui, forte d’une pétition de quatre-cent signatures, demande l’abrogation de la loi sur les sucres (28 janvier 1903). Les quatre-vingt-sept délégués se constituent en Comité d’Initiative pour orchestrer la discussion régionale. La guerre est déclarée à la fraude ; l’organisation du marché du vin serait elle reléguée au second plan ? Le projet Palazyne verrait pas plus le jour que celui de Bartissol 31. D’Argeliers (Aude) et de Baixas (Pyrénées-Orientales) partent des missives alarmistes à destination du Président du Conseil, Georges Clemenceau : « Midi se meurt. Au nom de tous, ouvriers, commerçants, viticulteurs, maris sans espoir, enfants sans pain, mères prêtes au déshonneur, Pitié ! Preuve fraude étant faite, abrogez loi de 1903 […] 32 ».

L'enjeu de 1907 : législation vinicole et organisation du marché du vin

Les Radicaux au pouvoir s’efforcent, à quelques exceptions près, de démontrer que la véritable cause de la « mévente » des vins du Midi réside dans la surproduction, non dans la frénésie sucrière, ni dans la concurrence des alcools de betterave. Si Paul Dégrully, directeur du Progrès Agricole et Viticole, ne reste pas insensible à ces explications, Charles Gide attribue les difficultés vigneronnes 33 à la baisse de la consommation, tandis que Adrien Bergetet le docteur Cot font peser les principales responsabilités sur des importations massives de vin (outre le vin d’Algérie française ?). Les appels se multiplient en faveur de l’assainissement de la situation : « Trop de vins, trop de mauvais vins », déplore le docteur Cot, depuis 1902. Pour J. E. Coste 34, il s’agit de « détruire l’opinion qu’on se fait, bien à tort, des vins du Languedoc », car « le département de l’Hérault, le plus grand producteur de vin, ne donne pas, suivant la croyance générale des consommateurs, les vins dits “du Midi”, épais, chargés en couleur, en extrait, en alcool, imbuvables en nature ». Vins d’Espagne, vins d’Algérie ?… Et l’auteur de poursuivre : « depuis la reconstitution du vignoble, depuis l’extension des moyens de transport, depuis la disparition de l’industrie des eaux-de-vie de Montpellier, les sociétés agricoles, les professeurs, les viticulteurs se sont ingéniés à obtenir des vins droits de goût, solides, agréables au palais, pouvant « aller seuls », c’est-à-dire susceptibles d’être consommés sans coupage. Pour le député roussillonnais Emmanuel Brousse, nouvellement élu et en passe d’être reconnu « défenseur de la viticulture » à la chambre des Députés, tout comme pour L’Indépendant qu’il gère, il ne fait aucun doute que la fraude ravage le marché vinicole.

En 1907, les vignerons méridionaux désignent les responsables de la crise : il s’agit du sucre, et de la loi qui se révèle inefficace à protéger le marché de la concurrence déloyale ; celle qui « bafoue le principe de l’égalité des citoyens, en autorisant là le sucrage, et en l’interdisant ici ». Le salut viendrait du Parlement, lorsque celui-ci abrogerait une loi jugée néfaste. Le projet Caillaux de lutte contre la fraude est jugé insuffisant ; Albert dénonce « la petite fissure par laquelle passera l’éléphant capitaliste qui, sous peu, viendra inonder nos marchés de vins artificiels au détriment de nos produits naturels ».

Les vignerons sur le devant de la scène nationale

Carte postale-souvenir de l’« Assemblée générale du peuple viticole » (Meeting du 9 juin 1907 à Montpellier)
Fig. 2 « Vive Marcellin Albert ». Carte postale-souvenir de l’« Assemblée générale du peuple viticole » (Meeting du 9 juin 1907 à Montpellier). Montpellier, lithographie Robert Sijas. (Fonds J. N.)

Des centaines de milliers de manifestants, entraînés par Marcelin Albert, battent le pavé des villes d’entre Rhône et Pyrénées, douze dimanches durant, au cours du printemps 1907. Le Tocsin paraît chaque semaine, et diffuse les mots d’ordre ; les gueux (curieux nom importé du Nord pour désigner les miséreux) font la une de l’actualité. Marcelin Albert, un cabaretier qui a fait des études, qui aime le théâtre et possède sept hectares de vignes passe de l’ombre à la lumière. Des va-et-vient se pressent dans sa maison même.

Le Midi s’organise tambour battant. Des Comités de Défense Viticole sont créés dans les villages audois et héraultais. Les temps ne sont plus au combat prolétarien. En pleine débâcle économique, l’ensemble des professions de la vigne se sent menacé de mort sociale ; comment les ouvriers pourraient ils contester les conditions de travail à un patronat aux abois et contraint au débauchage ? La conscience de communauté d’intérêts vitaux se substitue à celle de classe chez tous ceux qui, par quelques ares de terre, sont attachés à la terre du pays dans lequel ils veulent survivre. Après avoir été l’un des terrains pionniers de la lutte des classes agricoles, le vignoble méridional ressuscite l’esprit de groupe et de défense collective.

Marcelin Albert, promu chef impromptu de la « révolte des gueux » (Fig. 2), lance un appel le 21 avril 1907 aux « vignerons, ouvriers, commerçants » : « le moment n’est plus aux grands discours. Il est temps de passer aux actes. La fédération de tous les comités locaux d’abord, puis celle des départements s’impose. La viticulture méridionale agonise. Unissons-nous tous sans distinction de parti, sans distinction de classe ». Il s’agit de combattre la fraude, et d’obtenir un prix rémunérateur pour la vente du vin naturel.

Le décret du 24 avril 1907 concrétise la loi de 1905 par la création d’un Service de la Répression des Fraudes, complétant ainsi celui du 31 juillet 1906 sur les agents chargés de rechercher ou de constater les fraudes. Autant de lois de circonstances, prises sous la pression des événements, destinées à donner légitimement satisfaction à des citoyens en difficultés. Encore faut-il les faire appliquer. Le Midi gronde encore plus fort. Les vignerons estiment compter autant que les betteraviers et autres citoyens de la République et, en conséquence devoir être entendus.

L’unanimité semble souder les collectivités viticoles des propriétaires marchands ; parce qu’elles se sentent menacées dans leur existence même, elles se lèvent pour protester contre la mévente du vin, la fraude et donc contre le gouvernement accusé de carence en la matière. Est-ce l’« union sacrée » contre le gouvernement, la révolte du Midi contre le Nord, la manipulation des petits propriétaires par les gros ?

De grands rassemblements ou « meetings » se succèdent au cours du « printemps des vignerons », entre le 28 avril 35 et le 9 juin ; le 5 mai, à Narbonne, le maire socialiste Ernest Ferroul (Fig. 3) entre en lice, les Comités de Salut Public pour la Défense de la Viticulture se structurent, le serment des Fédérés les relie. Ferroul se propulse au premier plan, disputant ouvertement à Albert le premier rôle. Le 12 mai à Béziers, un ultimatum solennel est lancé aux responsables politiques : « en cas de non satisfaction des requêtes, des actes contraires à la soumission civique seront exécutés » ; les corps élus démissionneront si aucune satisfaction n’est obtenue avant le 10 juin.

Portrait du Docteur Ferroul. Carte postale anonyme. (Fonds J. N.)
Fig. 3 Portrait du Docteur Ferroul. Carte postale anonyme. (Fonds J. N.)
Montpellier. Manifestation viticole du 9 juin 1907. Aspect de la rue Nationale pendant le défilé
Fig. 4 Montpellier. Manifestation viticole du 9 juin 1907. Aspect de la rue Nationale pendant le défilé. Carte postale. En surimpression à gauche : « Saluez, la Catalogne passe », et à droite : « Vive le vin Naturel. Vive aussi Marcelin ». (Fonds J. N.).

Les Roussillonnais (Fig. 4) suivent les Languedociens prompts à prôner « la sécession du Midi » en réponse au silence gouvernemental et législatif. Les pancartes « Nous aussi, nous sommes français », ou encore « France, sois bonne mère » sont éloquentes. De Peyrestortes, monte la clameur adressée aux députés qui viennent de voter l’augmentation de leurs émoluments : « faîtes pour nos revendications ce que vous avez fait pour vos six mille francs ».

Clemenceau interprète la menace comme un premier pas vers le séparatisme ; le 22 mai son ministre des Finances Caillaux dépose un projet de loi gouvernemental instituant une déclaration annuelle de récolte, l’augmentation de la taxation des sucres utilisés en première cuvée et l’interdiction de sucrer en deuxième cuvée. La chaptalisation n’existerait-elle qu’à la propriété ? Ferroul dénonce la persistance de la fraude dans le négoce. Le commerçant est tout de même tenu de déclarer les ventes supérieures à vingt-cinq kilogrammes. Emmanuel Brousse ironise, lui aussi à sa façon : « le Gouvernement n’a rien su, rien vu, rien prévu » ; harcelé, le ministre de l’Agriculture dépose, le 23 mai, un projet de loi hâtivement construit. Caillaux veut prendre le temps de « connaître la situation exacte du marché viticole », ce que l’extrême dispersion de la production ne permet pas immédiatement, quel que soit le zèle des statisticiens officiels.

Tous unis... ou presque !

Entre le 27 mai et le 6 juin, la Commission d’enquête dépose son rapport; la discussion s’ouvre au Parlement le 7 juin ; le 10, jour de l’expiration de l’ultimatum, les députés auront à voter sur le projet de loi.

Le 9, plus de cinq cent mille manifestants défilent à Montpellier (Fig. 5, 6 et 7). Sur le terrain, tout est fait pour signifier aux députés qui débattraient prochainement de ces questions, l’importance et l’urgence du problème. Le Docteur Ferroul durcit la lutte en prônant la grève de l’impôt et de l’administration municipale; il pousse ainsi le Midi à « faire sécession ». Des membres du Comité d’Argeliers 36 reprennent ses mots d’ordre, tandis qu’Albert désavoue tout geste de rupture avec le Gouvernement.

Vive le vin naturel. Souvenir du meeting de Montpellier, 9 juin 1907
Fig. 5 Vive le vin naturel. Souvenir du meeting de Montpellier, 9 juin 1907. Carte postale. Montpellier, Edition Louis Albaille. (Fonds J. N.).
Montpellier. Meeting viticole du 9 juin 1907. 600.000 manifestants. Rue Maguelonne, Marcelin Albert est porté en triomphe
Fig. 6 Montpellier. Meeting viticole du 9 juin 1907. 600.000 manifestants. Rue Maguelonne, Marcelin Albert est porté en triomphe. Carte postale. (Fonds J. N.).
Montpellier. Meeting viticole du 9 juin 1907. 600.000 manifestants
Fig. 7 Montpellier. Meeting viticole du 9 juin 1907. 600.000 manifestants. Le Comité de Défense viticole de Béziers défilant à la tête de ses 25.000 gueux. En médaillon, portrait d’Armand Audibert, président du Comité de Défense viticole de Béziers. Carte postale. (Fonds J. N.).

Les députés radicaux (Lafferre dans le Biterrois, Doumergue dans le Gard) restent à l’écart; seul le maire radical de Carcassonne, Sauzède, soutient le mouvement. Tandis que nombreux sont les vignerons socialistes à adhérer aux thèses d’union des classes du comité d’Argeliers, les députés socialistes les plus marxistes de l’Hérault et du Gard suivent Ader dans la mise en garde adressée aux ouvriers agricoles : à la tension sociale de 1904 d’inspiration marxiste, succède un courant de défense conservatrice, soucieux de garantir la survie économique des populations concernées… et notamment des propriétaires ; le 1er juin 1907, la Fédération socialiste du Gard a lancé à son tour une mise en garde élargie aux petits propriétaires : « Petits propriétaires, n’écoutez pas le discours intéressé des classes dirigeantes… Et vous, ouvriers agricoles, ne profitez pas de ce mouvement à la tête duquel se trouve le patronat des grands mas pour exiger, en échange de votre concours dans la rue, le salaire quotidien dont il vous ont privé depuis des mois ». Les appels de la Fédération des Travailleurs Agricoles du Midi ne réussissent pas davantage à démobiliser les troupes ; ses mots d’ordre restent sans effet.

L’urgence de la situation fait marcher côte-à-côte la gauche socialiste (une partie seulement) et la droite royaliste, les propriétaires parcellaires et les entrepreneurs de la viticulture. Les « républicains modérés » (Leroy-Beaulieu, Brousse), les « conservateurs », souvent royalistes, défendent la cohésion sociale autour d’une économie de marché maîtrisée ; les spéculateurs et les fraudeurs sont désignés comme ennemis de la défense des producteurs et des consommateurs. L’Union sacrée vigneronne a fait défiler des centaines de milliers de personnes dans chacune des grandes villes du Languedoc et du Roussillon. Venues à pieds, à bicyclette ou en train, les foules déferlent dans les cités. Monseigneur de Cabrières leur ouvre grand les portes de la cathédrale Saint-Pierre à Montpellier.

Le 10 juin au soir, Ferroul dépose son écharpe de maire ; par dizaines et par centaines (600 ?), maires et conseillers municipaux désertent leurs mairies et envoient à leurs préfets respectifs l’avis de leur démission. La municipalité radicale de Béziers condamne ces gestes, considérés comme attentatoires à l’unité républicaine. Envoyées aux préfets, les écharpes de maire et les lettres de démission des élus semblent avoir convaincu les autorités de L’État de la gravité de la situation. Le 16, à Perpignan, Ferroul esquisse une fédération interdépartementale des comités de défense ; Clemenceau y voit les prémisses d’une sécession. Le lendemain, le Gouvernement se prononce en faveur de la répression contre l’incivisme, Sarraut démissionne. Des mandats d’arrêt sont lancés et l’occupation militaire s’accélère.

L’arrestation des « meneurs » (à l’exception de Marcelin Albert resté introuvable) (Fig. 8) met le feu aux poudres (19-20 juin) ; un Comité n° 2 se met en place dans la clandestinité (avec mise à l’écart de Bourges et Blanc pour chef ?). L’incendie de la préfecture de Perpignan justifie des admonestations publiques. Des événements plus tragiques (les six morts de Narbonne) (Fig. 9) font irruption dans le quotidien des « gueux » mus par une volonté collective de survie, aux antipodes des chemins de la contestation idéologique. Des échauffourées marquent Montpellier. Partis d’Agde le 20, les mutins de Béziers campent le lendemain sur les allées Paul-Riquet… (Fig. 10) et se laissent ramener à la discipline par Palazy venu leur lire un vrai-faux télégramme gouvernemental promettant la levée de toute sanction individuelle.

A bas les fraudeurs. Le défenseur des gueux est en prison, quand les fraudeurs sont en liberté !
Fig. 8 A bas les fraudeurs. Le défenseur des gueux est en prison, quand les fraudeurs sont en liberté ! Carte postale représentant la Maison d’arrêt et le Palais de Justice de Montpellier. Montpellier, Edition LJA. (Fonds J. N.).
Les troubles du Midi. Mlle Cécile Bourrel, morte. Carte postale d’après un cliché de J. Duffart
Fig. 9 Les troubles du Midi. Mlle Cécile Bourrel, morte. Carte postale d’après un cliché de J. Duffart. Edition ELD. (Fonds J. N.)
Les troubles du Midi. Les mutins du 17e installés devant le Théâtre de Béziers. Carte postale. Edition ELD
Fig. 10 Les troubles du Midi. Les mutins du 17e installés devant le Théâtre de Béziers. Carte postale. Edition ELD. (Fonds J. N.)

Ce même 21 juin à Paris, les députés votent leur soutien au gouvernement. Un moment ébranlé par cette levée en masse du Midi viticole, le Gouvernement reprend en mains la situation ; Clemenceau réussit à jeter l’opprobre sur Marcelin Albert qu’il reçoit en tête-à-tête, à Paris, le 23.

Les vignerons reçoivent tout à la fois, au début de l’été 1907, la répression et les mesures législatives attendues ; Emmanuel Brousse lie aux secondes sa réputation de « député du vin ».

Les députés légifèrent contre la fraude

Tandis que les meneurs de la rébellion sont maintenus en prison, la loi du 29 juin visant à combattre le mouillage des vins et les abus de sucrage institue une surtaxe sur les sucres employés en première cuvée ; elle rend obligatoires, pour les propriétaires, les déclarations de récolte après chaque vendange afin de connaître les volumes commercialisables ; elle surtaxe les sucres employés à la vinification 37, impose aux commerçants la déclaration des ventes de sucre supérieures à vingt-cinq kilogrammes. Il est désormais interdit de faire circuler des quantités de vin supérieures à celles de la production à la propriété ; d’autant plus que l’État est chargé de faciliter le travail des brigades volantes de surveillance au Service de la Répression des Fraudes… dont l’efficacité restait encore à démontrer. Désormais, et il s’agit d’un important additif au projet Caillaux, les syndicats professionnels de la viticulture et du commerce des vins sont autorisés à se porter partie civile devant les tribunaux correctionnels saisis des faits de fraude et de falsification. Déclarations de récoltes, surtaxes et limitations sucrières visent à soutenir la production« loyale ».

La loi du 15 juillet, un nouveau texte sur le mouillage et la circulation des vins et alcools, renforce le service des fraudes, sans que le contrôle chez les débitants soit obtenu. Le 3 septembre, un règlement précise la définition du vin, déjà ébauchée en 1889 et 1905 : il s’agit du « produit de la fermentation alcoolique du raisin frais ou du jus de raisin frais ». Les récoltants en ont le monopole. Les « Gueux du Midi » se sont fait entendre ; les betteraviers et leurs défenseurs ont baissé les bras; les fraudeurs sont mis hors la loi. La chaptalisation n’est cependant pas interdite hors du Midi… ni de l’Algérie ! Pas plus qu’elle n’est autorisée sur les bords de la Méditerranée.

Asphyxiés par les dérèglements commerciaux, ruinés par la fraude, confiants en un sursaut qualitatif, les vignerons du Midi se sont accrochés aux basques gouvernementales. Non pas en tant que populations cherchant à se faire prendre en charge par l’État, mais en tant que citoyens conscients du rôle du Gouvernement, et décidés à conduire ses responsables à prendre les décisions aptes à défendre tous les intérêts en jeu sur les marchés. Indépendants juridiquement sur leurs terres, les vignerons ne comprenaient pas pourquoi, en dépit d’un travail souvent harassant, ils ne pouvaient nourrir leurs familles. Ils ne se résignaient pas à abandonner leurs vignes, ni à en aller en planter en Algérie. Ils attendaient des actes conformes aux discours.

Ils ont demandé et obtenu l’appui des pouvoirs publics pour éliminer la fraude du marché vinicole. Mais le doute persiste dans les caves quant à l’efficacité de la loi. A tel point, que les plus déterminés des producteurs décident d’organiser leur propre défense, parallèlement à celle promise par l’État.

Dès le 23 juillet 1907, un projet confédéral germe dans l’esprit de ceux qui viennent de vivre les tragédies de Narbonne et de Béziers. Son but est de concilier les programmes et intérêts de chacun et de tous sur fond de désarroi économique. Le retrait des troupes, la libération des meneurs (2 août), la suspension du paiement des impôts pour 1904 et 1905, assorties de réductions pour 1906 contribuent à calmer la situation. Marcelin Albert part rendre visite à son frère en Algérie, Albert Sarraut, réélu en 1910 (…contre Ferroul) est nommé gouverneur en Indochine ; Clemenceau traite d’autres dossiers d’actualité. Les vignerons du Midi sont fermement décidés à utiliser la panoplie législative, forgée sous leur pression, pour faire respecter, sur les marchés, les vins naturels au détriment du vin fraudé.

« L'union sacrée » entre grands et petits producteurs 1907-1929

A la phase de la révolte des vignerons succède alors celle de l’organisation économique dont les pivots sont le Code du vin et la C.G.V.

La Confédération Générale des Vignerons pour éradiquer la fraude

Tandis que l’assemblée départementale réunie à Béziers, en juillet, à l’instigation d’Antonin Palazy, rallié – disent les observateurs biterrois – à Clemenceau, n’a pas fait autorité 38, l’assemblée interdépartementale réunie le 1er août sur la base d’un projet préparé par une fraction du Comité d’Argeliers (autour de Blanc), pose les jalons d’une défense syndicale, relayée par les ferroulistes et… les royalistes. Les fédérations de comités de défense viticole se structurent sous forme de syndicat, la loi de 1907 les autorisant à se porter parties civiles dans la répression des fraudes. Les syndicats de vignerons du Midi (Aude, Gard, Hérault, Pyrénées-Orientales, Var, Vaucluse, Bouches-du-Rhône) se fédèrent et se constituent en une Confédération Générale de Vignerons 39 (C.G.V.) dont le siège social est établi à Narbonne. En bout de parcours, c’est Ernest Ferroul, qui réussit à imposer ses vues : « la fraude sous toutes ses formes est un force que seule une autre force peut terrasser. Divisés, nous voyons quel est notre sort. Unis, nous forcerons la victoire 40 ».

Le 22 septembre, à Narbonne, sous la présidence d’Ernest Ferroul 41, les syndicats confédérés s’érigent en une organisation interprofessionnelle (récoltants, négociants, commerçants, professions connexes). Les notables de la viticulture (Marès, de Crozals…) siègent aux côtés de Ferroul, qu’ils soient royalistes ou républicains.

Les producteurs s’engagent les premiers à respecter le contrat « en ne mettant en vente que du vin parfaitement naturel, c’est-à-dire provenant uniquement de la fermentation alcoolique du jus de raisin frais » 42. A chaque intermédiaire suivant d’établir et de respecter sa profession de foi.

Organisation syndicale et économique résultant de la fédération des syndicats déjà existants, la C.G.V. constitue la réponse collective, responsable et déterminée, à l’offensive meurtrière des fraudeurs. Il s’agit là d’une association unitaire et professionnelle. Unitaire, parce qu’elle représente l’ensemble de la société vitivinicole ; chacun dispose d’un nombre de voix proportionnel à son importance économique. Professionnelle parce qu’elle entend défendre les intérêts de la vitiviniculture.

La Confédération Générale des vignerons tient une place à part dans l’histoire du Midi. Prolongement institutionnel du mouvement d’union des classes forgé au printemps 1907, elle se veut au-dessus des partis : chargée de regrouper tous les syndicats vignerons du Languedoc et du Roussillon, elle propose d’œuvrer pour une association unitaire professionnelle ; « corporatiste » ne tardant pas à accuser les partisans de la lutte syndicale révolutionnaire. Seule l’acuité de la crise subie par l’ensemble de la population explique qu’un même mouvement puisse réunir, spontanément, différentes catégories de propriétaires (petits et grands), d’exploitants (patrons et salariés), d’intérêts vitivinicoles (producteurs, négociants, et tous ceux qui vivent de la vigne et de ses produits).

Les cinq grands syndicats (Montpellier, Béziers, Narbonne, Carcassonne, Perpignan) y siègent ; ils sont eux-mêmes composés de sections communales ouvertes à ceux qui vivent du vin. Ils entendent avant tout sauvegarder la vitiviniculture, support économique de leur société méridionale.

La C.G.V. prend alors l’allure d’une organisation hiérarchisée : au dogme de l’égalité sociale accusé d’encourager à la lutte des classes, les confédérés choisissent celui de l’équité, censé préserver les situations acquises, et supprimer les conflits violents du capital et du travail. Dès lors, l’influence de chacun doit dépendre, au sein de l’organisation, de son importance économique : le nombre de voix accordées est proportionnel à l’importance des intérêts représentés.

Ainsi, selon l’article 14 des statuts du Syndicat de Béziers : tous les membres de la section communale disposent d’une voix.

Les adhérents récoltants disposent en plus, par hectare planté en vignes :

  • 1 voix jusqu’à 5 ha
  • 2 de 5 à 10 ha
  • 3 de 10 à 30 ha
  • 4 de 30 à 50 ha
  • 5 + de 50 ha

A ce nombre de voix s’ajoutent :

  • 1 voix de 1 à 100 hl
  • 2 de 100 à 500 hl
  • 3 de 500 à 1000 hl
  • 4 de 1000 à 2000 hl
  • 5 + de 2000 hl

Des dispositions analogues sont prévues pour les négociants en vins. Ce mode de calcul permet de définir la puissance syndicale de chaque section, de son importance dans le syndicat, puis dans la confédération.

Chaque syndiqué s’engage à ne vendre que du vin naturel, provenant de la fermentation alcoolique du jus de raisin frais, conformément à la loi. Fort de ce principe, chaque syndicat de vignerons se donne pour objet général de lutter contre la fraude, d’où qu’elle vienne ; au niveau confédéral, la mission consiste à contrôler le marché du vin et exercer les poursuites en justice.

La C.G.V. se met au travail. Elle s’apprête à discipliner le marché afin d’en enrayer les dysfonctionnements. La défense des intérêts vitivinicoles passe, pour l’heure, par la lutte contre les vins fraudés. Pour faire respecter son programme, elle se dote, en toute légalité, de son propre service de répression des fraudes. Sans tarder, la C.G.V. lance sur le terrain des inspecteurs syndicaux qui tiennent leur pouvoir de son Président ; celui-ci les habilite à constater des fraudes afin de recourir à l’intervention motivée des agents de l’État. Les confédérés obtiennent du Préfet la caution de leurs agents, mais le ministre de l’Agriculture n’entend pas donner trop de publicité à cette nouvelle forme de police professionnelle.

La situation est d’autant plus délicate que, dans le passé, la police professionnelle était l’apanage des corporations. C’est d’ailleurs ce souvenir qui a inspiré les fondateurs de la C.G.V. comme le rappelle Maître Caupert, bâtonnier du barreau de Béziers ; il précise même que les nombreuses corporations de métier de jadis ont dû leur existence à la nécessité de lutter contre la fraude : « les modernes inspecteurs de la C.G.V.nous apparaissent comme les héritiers de ces grands jurés de la corporation des marchands de vin qui tenaient des statuts de 1641 le droit d’entrer dans toutes les caves et celliers où l’on vendait du vin au détail et même chez les bourgeois quine vendaient que le vin de leur cru » 43.

Le mauvais vin est clairement désigné : il résulte de coupages aux composantes douteuses (piquettes 44, vins de sucre et autres breuvages venus des coulisses des chais et entrepôts). Les prélèvements faits par le Service de Répression des fraudes s’avèrent condamnables à plus de quarante pour cent ! Autant de preuves des dysfonctionnements qui paralysaient les efforts faits par les législateurs pour assainir le marché. Preuves que la « délinquance en col rouge » bénéficie de puissants appuis.

Face au laxisme institutionnel, la C.G.V. se présente en véritable réponse collective, responsable et déterminée, déploie une vive activité sur le terrain économique pour la défense du vin naturel et de son prix. Cette organisation entend servir l’intérêt des vignerons, et l’intérêt des consommateurs, en s’efforçant de sauvegarder la loyauté, voire la moralité économiques.

Avant d’analyser les réactions politiques à cette inattendue défense professionnelle, évoquons un autre aspect de l’organisation vigneronne, concomitante et complémentaire.

Le mouvement coopératif, bastion de la petite propriété marchande

En 1907, « il s’est formé, dans presque toutes les communes agricoles des quatre départements du Midi, des Syndicats qui ont déjà pris des dispositions en vue d’enrayer la fraude, et pour parer surtout aux années d’abondance. Les caisses de crédit agricole vont commencer à fonctionner, les caves communales vont être construites, où les propriétaires pourront loger les excédents de leurs récoltes 45 ».

Les petits vignerons mesurent leur infériorité par rapport aux propriétaires de chais, lesquels disposent d’importantes vaisselles vinaires pour résister aux offres basses des négociants, attendre que le marché se stabilise et vendre au meilleur prix. L’association doit permettre de ne pas céder la récolte à vil prix, même lorsque s’annonce la suivante.

Les caves « communales » se font caves « coopératives » dès que leurs membres comprennent que seuls la vinification et le logement dans des chais communs, parfaitement outillés, garantiront la qualité de leurs vins.

A ce niveau là, les petits vignerons engagent un nouveau combat : il ne s’agit plus seulement de s’imposer sur les marchés, concurremment à la grande propriété, mais aussi de rivaliser, dans l’élaboration des vins, avec le matériel vinicole utilisé dans les celliers des grands propriétaires, en matière de vinification comme de conservation. Forts de la supériorité de leur nombre, ils peuvent acquérir de la vaisselle vinaire de qualité, loger d’importantes quantités de vins sains, à la qualité stable tout au long de l’année ; en outre, le poids des déchets se réduit, et le coût de vinification s’abaisse dans de fortes proportions : une dizaine d’hommes assurent, à eux seuls, les opérations de fermentation, la surveillance et la bonne conservation des vins dans une cave de vingt mille hectolitres (capacité importante à l’époque).

Tandis que foulo-pompes et pressoirs neufs font rêver les petits récoltants, un vaste débat s’ouvre sur le renom des vins produits collectivement dans les « vineries » 46 : quel vin sortirait des tombereaux de raisins dans une cuve anonyme ? Les temps sont plus à la défense collective qu’à la dégustation élitiste. Celle-ci reste cependant présente dans l’esprit des Frontignanais (Hérault) : en 1909, Victor Anthérieu, négociant en vins et maire de la ville, propose aux producteurs du Muscat de constituer une coopérative de production ; en échange de la qualité « irréprochable » garantie par ses fournisseurs, il s’engage à acheter l’intégralité des volumes annuellement produits. Les vignerons de Maury (Pyrénées-Orientales) envisagent de se doter d’une cave de réserve et de vieillissement (1911). Dans le département du Gard, Charles Gide, l’un des théoriciens du mouvement coopératif, se plaît à énumérer divers crus dans les colonnes de la Revue d’Économie Politique : Chateauneuf-du-Pape, Tavel, Lédénon, Langlade, Costières de Saint-Gilles ; pour ce propriétaire de Bellegarde, il ne saurait y avoir de noyade du bon vin sous l’effet de la solidarité vigneronne.

Ici et là, des hommes actifs regroupent les volontaires, déjà membres de syndicats professionnels, organisent une assemblée générale pour élire un bureau, échafaudent des plans de construction pour les caves communes. Le choix du terrain répond à deux exigences au moins : la proximité d’un point d’eau et la facilité d’accès aux voies de communication, tant ferroviaires que routières. Dossiers et devis sont déposés auprès des Services du Génie Rural et de la Caisse de Crédit Agricole Mutuel. L’État propose de faciliter les opérations techniques et financières 47. Une aide qui peut être assimilée à une action d’ingérence dans une institution associative.

Entraînées par les expériences du début du siècle, de solides réalisations voient le jour dans l’ensemble des départements méridionaux : les Vignerons de Siran (1907,Hérault), les Vignerons de Lézignan (1909, Aude), Marsillargues, Frontignan (1910, Hérault), Durban, Tuchan (1913, Aude), Aigues-Mortes 48, Beaucaire, Le Cailar, Saint-Laurent-d’Aigouze (1913, Gard), Estagel, Villelongue-de-la-Salanque, Espira-de-l’Agly, Mas Llauro (Pyrénées-Orientales)… Une première distillerie coopérative se met en place à Olonzac (1910) pour traiter les sous-produits de la vinification.

D’ores et déjà, l’originalité de l’association coopérative n’échappe à personne ; l’élan coopératif pour s’imposer sur les marchés se généraliserait après la guerre : à la mi-siècle, chaque village, bourg ou ville retardataire se serait doté de caves coopératives. La cave, ou plutôt « la coopé », est devenue avec l’église, la mairie et l’école, une grande maison de la communauté ; partout, elle prend l’aspect d’une construction neuve, bâtie sur un terrain en contrebas ou adossée à la roche afin que soit maintenue la fraîcheur à l’intérieur.

C’est dire combien est importante leur place dans l’économie et la société vigneronnes, sur les bords de la Méditerranée occitane ou catalane.

Les statuts font des caves coopératives des associations volontaires de vignerons, dans le prolongement de l’organisation syndicale : chaque sociétaire doit être membre du syndicat agricole de la commune ; il souscrit généralement un nombre de parts, proportionnel à sa récolte ; l’ensemble des parts constitue le capital social de la cave coopérative. La « part »n’est pas une « action », et sa gestion ne génère pas de spéculation financière.

Les sociétaires se réunissent, chaque année, en assemblée générale ; selon le principe « un homme, une voix », ils élisent ou renouvellent les membres du conseil d’administration choisis parmi eux ; ce Conseil a la charge de la direction générale des affaires et rend compte, régulièrement, du bilan. Il élit, en son sein, un bureau, avec ses présidents, vice-président, trésorier et secrétaire ; le président veille à la bonne exécution des décisions du Conseil et représente, à l’extérieur de la cave, l’ensemble des vignerons-coopérateurs. Un gérant ou directeur, un comptable, divers autres salariés, complètent, au fur et à mesure des besoins, les postes utiles à la bonne marche de l’entreprise. Il s’agit d’un personnel exécutant placé sous l’autorité des coopérateurs. Ces assemblées, calmes ou houleuses, assurent la gestion du vin ou du budget avec, semble-t-il, lors de la nouveauté coopérative, une haute idée de leurs responsabilités : rares sont les absents les soirs de réunion.

Association volontaire de personnes et non-société de capitaux, la solution coopérative est originale en ce début du vingtième siècle : le vigneron gère son exploitation à sa guise, s’associe pour vendre son vin (coopérative de vente), puis pour faire son vin (coopérative de vinification) afin de renforcer son poids face au négociant comme face au propriétaire de chai. Le coopérateur exerce une responsabilité directe, par le vote, sur la gestion de la cave entièrement assurée par les coopérateurs élus.

Syndicats agricoles, caisses de crédit agricole, caisses d’assurance mutuelle, complètent, en Languedoc comme ailleurs, l’organisation associative des campagnes. Remarquable est le dévouement de ceux qui acceptent d’ouvrir chez eux et pour tous, un bureau de la mutualité agricole lorsque les Caisses locales, organisées par la loi du 4 juillet 1900 prennent en charge la défense contre l’incendie, la grêle, la mortalité du bétail et plus tard les risques essentiels (1925) ; les adhérents disposent d’une voix au sein de l’assemblée générale pour élire le conseil d’administration, ils sont à la fois sociétaires et assurés ; au sein du Crédit agricole, ils sont sociétaires et clients.

Le guichet du Crédit agricole est cependant plus discrètement établi à l’écart des « Grand’Rue » et « rue principale » ; leurs premiers clients y viennent « avec honte »solliciter un prêt ; plus tard, leurs cohortes grossiraient de ceux qui, fièrement, viendraient « porter » leur argent à la banque. Depuis, la « banque des pauvres » est devenue la « banque verte ». Ses bureaux sont cossus et ses fonds plus garnis que ceux des agriculteurs !

Les collectivités viticoles ont su recréer, au vingtième siècle, des liens de solidarité entre leurs membres, pourtant convertis à l’individualisme foncier. L’engagement idéologique a cédé le pas au pragmatisme : l’efficacité de l’instrument coopératif s’est imposée. Le principe de « la porte ouverte » garantit la liberté d’entrée à toute personne physique, indépendamment de ses options philosophiques ou de ses opinions politiques.

Dès 1912, les vignerons du Midi ont suscité une Fédération des Associations Viticoles de France dont le président de la Confédération Générale des Vignerons (C.G.V.) fait office de secrétaire général ; ainsi était couronné, en quelques années à peine, un système défensif complet, dans lequel chaque catégorie de producteurs trouve la force de continuer à naviguer sur l’océan commercial. Non sans demander à l’État de légiférer conformément aux nécessités ressenties. Ni sans faire face aux critiques.

Le ralliement d'une fraction des socialistes au corporatisme vigneron

Les contempteurs de la C.G.V. n’ont pas manqué. Ils ont immédiatement condamné ce type de syndicat professionnel, accusé d’actualiser les anciennes corporations ou confréries, chargées de faire respecter les intérêts d’un corps de métier et de ses clients. Aigre est ensuite leur surprise de voir une telle réalisation présidée par le socialiste Ferroul, en présence de royalistes (dont de Crozals).

Lors du vote des statuts, les critiques émanent de ceux qui restent attachés au principe égalitaire « un homme, une voix ». Les ripostes fusent : « le but de la C.G.V. n’est pas de répondre à des aspirations idéologiques ; il est de sortir de la crise un pays exsangue ». Des socialistes applaudissent : « aujourd’hui, grâce à l’initiative de quelques militants dévoués, parmi lesquels il faut citer le docteur Ferroul, la C.G.V. est en bonne voie » 49. Le Roussillonnais Manaut, réputé « ardent socialiste », y va de son autorité : « nous ne pensons pas qu’on puisse faire grief à ceux de nos amis qui ont donné leur adhésion à la C.G.V… Ce sont, pour la plupart, des petits propriétaires, ayant besoin de faire quelques journées, au cours de l’année, pour obtenir leur pitance » 50.

La F.T.A.M. tente une contre-attaque, en excluant immédiatement de ses rangs ceux qui se rallient à la C.G.V.Le Dr. Ferroul et son entourage sont dénoncés comme « collaborateurs de classe ». Le fossé se creuse entre le syndicalisme révolutionnaire et la défense régionale cautionnée par les socialistes locaux. En 1908, le comité fédéral de la F.T.A.M. refuse de tenir son congrès dans les locaux de la Bourse du Travail de Narbonne : son secrétaire, Victor Daïdé, a invité les ouvriers et petits propriétaires à rejoindre la C.G.V., tandis que P. Ader, responsable national des syndicats d’ouvriers agricoles et coordinateurs des grèves de 1904 en Languedoc, s’en est tenu au combat de classe : « admettre la similitude d’intérêts pour toutes les classes de la population viticole, c’est autant anti syndicaliste qu’antisocialiste ».

  • Mais la F.T.A.M. perd pied :
  • 1904 : 14 800 syndiqués
  • 1905 : 4 471 “
  • 1907 : 1721 “

De son côté, le Parti socialiste prend aussi la C.G.V. pour cible. Il la juge « antidémocratique » en raison du mode de scrutin qui la fonde (nombre de voix proportionnel au poids économique de chacun des membres). Cependant, lorsque le socialiste héraultais Ernest Lopez dénonce les statuts de la C.G.V.M., en 1909, sa motion n’obtient qu’onze voix. Le Radical, organe de presse faisant entendre la voix gouvernementale contre toute règle jugée antidémocratique, ne convainc pas davantage. Il faut dire que depuis la répression organisée par Clemenceau, le radicalisme recule en terres vigneronnes 51.

De telles condamnations n’intimident pas Ferroul qui réussit à rallier, à coup de discours d’anthologie méridionale, les hésitants à la Confédération : « Laissons parler les politiciens, le gouvernement, ceux qui en vivent, ses agents, ses policiers, ses salariés, ses quémandeurs. Ils nous disent : ouvriers, n’allez pas avec les propriétaires ; et ils disent aux propriétaires : n’allez pas avec les ouvriers. S’ils parlent ainsi, c’est parce que leur fortune et leur domination sont intéressées à notre division. Répondez-leur qu’avant d’être propriétaires ou prolétaires, nous sommes des hommes ayant besoin de vivre pour défendre nos opinions, nos principes et nos préférences. L’outil de la vie, notre moyen d’existence, la vigne, est sur le point de périr. Notre premier devoir à tous est de la sauver. Et quand elle sera sauvée, quand la vie méridionale aura été mise hors de toute atteinte, nous reprendrons nos discussions sur la répartition des produits, sur l’attribution des moyens de subsistance ».

D’autres relais suivent. L’élection d’Édouard Barthe à la députation, en 1910 et sa promotion à la tête de la Fédération socialiste de l’Hérault maintiennent les liens entre la S.F.I.O. héraultaise et la C.G.V. ; ce qui vaut à Barthe d’être taxé, à son tour, de « faux socialiste » par l’aile gauche du Parti ouvrier.

Les combats menés par la F.T.A.M. en 1910-1911 se traduisent par des grèves : Capestang, Vendres (1910), Marsillargues, Florensac (1911) où un cortège de six cents ouvriers défile avec tambours et drapeaux rouges ou noirs, Thézan-les-Béziers et Quarante. (1912). Ces grèves sont motivées par la hausse générale des prix du vin, hausse que les travailleurs voudraient voir répercuter sur leurs salaires. La F.T.A.M. uniformise les revendications : journée de travail de six heures payée trois francs. Les ouvriers français sans travail s’en prennent également aux propriétaires qui embauchent des ouvriers étrangers. A Puisserguier comme à Poilhes (1913), elles débouchent sur une augmentation dérisoire des salaires. A Marsillargues, les interventions de la force armée, les condamnations en justice, les mises à l’index des ouvriers congédiés affaiblissent encore les résistances. Partout le reflux s’opère dans l’indifférence.

Avec la C.G.V., le Midi viticole a anticipé sur une nouvelle forme d’organisation professionnelle agricole, catégorielle et non « classiste » 52 ; une bonne discipline économique au service d’un bon produit devrait être garante d’une plus grande équité sociale pour tous ceux qui espèrent « vivre et travailler au pays ». En conséquence, la lutte contre la fraude constitue leur arme principale au service d’une meilleure économie viticole ; les résultats obtenus par la police professionnelle déployée parallèlement à l’action de l’État se révèlent immédiatement décisifs, assurant la sauvegarde de la qualité des produits.

A tel point, que la C.G.V. fait rapidement des émules en Gironde, en Bourgogne ; en 1911, les Vignerons de la Marne et ceux de l’Aube, en conflit au sujet de la dénomination « champagne », font appel à son arbitrage. La C.G.V. du Sud-Est (un temps incluse dans la C.G.V.), la Confédération des Associations viticoles de la Bourgogne, la Confédération algérienne se déploient successivement. La Fédération des Associations viticoles de France, mise sur pied en 1912, s’élargit conséquemment.

Les confédérés reprennent leur offensive, chaque fois qu’ils le jugent nécessaire ; ils multiplient les avis syndicaux à l’adresse des parlementaires. Ils obtiennent satisfaction avec le décret du 22 janvier 1919 sur la procédure de poursuite des fraudes, avec la loi du 6 mai sur les appellations d’origine 53 ; le décret de 1921 renforce celui de 1907 sur la définition du vin ou ses manipulations licites. « Plus de qualité et moins de fraude », un slogan d’avenir sur le grand marché vinicole.

Après avoir été le bastion de la lutte contre la fraude, la C.G.V. entend pleinement assumer son rôle de Parlement de la viticulture. Elle négocie avec l’Association des planteurs de betteraves les accords de Béziers (1921) : aux vignerons, les alcools de bouche et aux betteraviers les alcools industriels. Elle combat la loi autorisant la chaptalisation (1929).

En 1907, ne négligeant aucun moyen susceptible de protéger leur activité, bon nombre de vignerons languedociens et roussillonnais ont sollicité, et obtenu des lois et des institutions pour la défense de leurs vins. Un siècle plus tard, après d’autres combats et d’autres victoires 54, le vignoble du Languedoc-Roussillon est traversé de nouvelles ondes de choc qui menacent, dans leur existence économique, des milliers de producteurs. Les générations précédentes ont su vaincre les obstacles qui se dressaient devant leurs activités professionnelles ; la sauvegarde de la culture vigneronne dépend aujourd’hui de la réponse aux défis lancés par la dérégulation du marché.

Notes

   1.Remises en cause des traités avec l’Italie et l’Espagne, tarifs Méline.

   2.Archives municipales, Montpellier, lettre de Fézou fils, propriétaire-vigneron à M. Le Maire, le 21 novembre 1904.

   3.Il paraît utile de préciser que la « fraude » résulte de toutes sortes de « manipulations » illicites : vinage et mouillage, sucrage excessif, enrichissements de toutes sortes… qui dénaturent le vin. D’autres procédés visent à fabriquer chimiquement un produit qui n’a de commun avec le vin que le nom : la recette consiste à mixer eau tannin, glucose, alcool, crème de tartre, extraits… Un tel « produit » se vend à Paris vingt-cinq centimes, un prix qui défie toute concurrence ! Les lois de 1889, 1890, 1894, 1905 sont restées lettre morte. Par-delà les variantes qu’elle peut revêtir, la fraude consiste, in fine, à ruiner le producteur consciencieux en le mettant en concurrence avec des procédés malhonnêtes, prompts à dénaturer le produit pour en abaisser le prix de revient.

   4.Cultivateurs de la betterave et industriels du sucre.

   5.La loi du 29 juillet 1884 a diminué les droits fiscaux sur le sucre afin de favoriser les vins de sucre ; elle décide que la taxe de consommation sur les sucres sera désormais perçue sur la betterave, encourageant ainsi les recherches portant sur la teneur en sucre des racines, Louis de Vilmorin s’illustre dans la sélection de semences permettant de doubler la teneur en sucre.

   6.Le Code pénal ne punit en effet que la vente ou le débit de boissons falsifiées (art. 318, 423, 475, 477).

   7.Quartier parisien spécialisé dans les entrepôts de vin.

   8.Élu républicain progressiste aux législatives de 1893, et radical-socialiste en 1898 ; sénateur en 1905, ministre de l’Agriculture en 1911, candidat radical-socialiste à la présidence de la République en 1913.

   9.La chaptalisation augmente le titre alcoolique, et diminue l’acidité.

 10.Cf. Journal d’Agriculture Pratique, 1893, t. 2, p. 593. En 1901, réaffirmation du programme de surveillance et répression des fraudes, ainsi que de suppression du sucrage à prix réduit (cf. L. FERRER, Bulletin de la Société Agricole, Littéraire et Scientifique des Pyrénées-Orientales, 1902).

 11.Louis SECONDY « Les Pailhasses au secours de la viticulture – Un syndicat de choc face à la crise de mévente de Cournonterral 1893-94 », dans La vigne et la civilisation du vin en pays languedocien et catalan, Actes du LVIIe Congrès de la Fédération Historique du Languedoc Méditerranéen et du Roussillon, Montpellier, 1984.

 12.Le Petit Méridional, 12 et 13 décembre 1893.

 13.Législation déjà étudiée par Geneviève GAVIGNAUD, Propriétaires-viticulteurs du Roussillon, op. cit., t. 2. Pour le rôle joué à la Chambre par le député audois A. Turrel, cf. Jean-Louis ESCUDIER, Viticulture et politique en Languedoc, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 1995.

 14.Le Progrès Agricole et Viticole, après 1884 Journal d’Agriculture Méridionale, n° 20, 17 mai 1896.

 15.Suppression définitive en 1918.

 16.En 1903, toute opération devra être déclarée à la Régie.

 17.Entrepreneur des Travaux Publics, grand propriétaire (Mas Durand, 1873-1884, Saint-Génis-des-Fontaines), républicain modéré élu député des Pyrénées-Orientales (1889-1893 ; 1902-1910).

 18.Il regroupe les Pyrénées-Orientales, l’Aude, l’Hérault, le Gard, les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse, le Var.

 19.J. P. LEGROS et J. ARGELES, La Gaillarde à Montpellier, Montpellier, ENSA, 1986.p. 192 et p. 202.

 20.Jean Baptiste BENET et alii, 3000 ans de viticulture en Occitanie, Montpellier, Éditas, 1979 (coord. A. Nouvel).

 21.Selon le témoignage de sa parente – interview 2002/2003 – Albert-père avait été employé dans les services de l’administration turque en Afrique du Nord.

 22.« La cigale » ou « la tête légère ».

 23.Déjà, la loi du 22 germinal an XI visait les contrefaçons, celle du 18 juillet 1814 cherchait à protéger le nom commercial et les appellations d’origine.

 24.Michel AUGE-LARIBE, La Politique agricole de la France, Paris, P.U.F., 1950, p. 187.

 25.« Les Petits Vignerons » s’associent à Mudaison (octobre 1901), « Les Vignerons Libres » à Mauraussan (décembre) ; leur exemple est suivi, entre 1903 et 1906, par « L’Avenir Social » de Maureilhan-et-Ramejan, « Les Petits Vignerons » de Puisserguier, « L’Égalitaire »de Cébazan, « Les Vignerons-Paysans » de Bessan… Cf. Geneviève Gavignaud-Fontaine, Vignerons, Publications de l’Université Paul-Valéry, 2005 ; cent ans d’histoire coopérative y sont retracés.

 26.Avocat, grand propriétaire à Vendres, président du Comité Régional de Défense Viticole des Intérêts du Midi ; adversaire de Lafferre élu en 1902 et accusé, avec le maire radical de Béziers, de protéger les fraudeurs.

 27.Pyrénées-Orientales, Aude, Hérault, Gard, Bouches-du-Rhône, Var.

 28.C. GIDE, « La crise des vins dans le Midi de la France », op. cit., p. 498.

 29.Lettre de G. Clemenceau aux maires démissionnaires, publiée par F. NAPO, 1907, La révolte des vignerons, Toulouse, Privat, 1971, p. 239.

 30.En mars 1907, les liens semblent pouvoir être resserrés avec le Syndicat Régional du Négoce, mais ses membres sont autorisés à adhérer à titre individuel et non collectif, pour s’approvisionner de façon exclusive à la société civile, laquelle s’engage à consentir une ristourne dégressive aux commerçants adhérents et leur garantit une vente exclusive

 31.Bartissol se replie sur les vins de Banyuls.

 32.Télégramme signé Marcelin Albert, 18 février 1907.

 33.C. GIDE, « La crise du vin dans le Midi de la France », dans Revue d’Économie Politique, p. 218.

 34.J. E. COSTE, Le vignoble de l’Hérault en 1900, Montpellier, 1900.

 35.Le 28 avril, Léon Castel, négociant et ami d’Albert Sarraut, harangue les « gueux » à Lézignan.

 36.Bourges a été écarté.

 37.Taxe de quarante francs pour remonter le degré alcoolique, qui rapproche le prix du vin chaptalisé du prix du vin naturel.

 38.Les radicaux du Midi, en étroite liaison avec ceux d’outre-Méditerranée, portent désormais, en Languedoc et Roussillon, le poids de 1907.

 39.Dite « du Midi », après la deuxième guerre mondiale.

 40.La République sociale, 22 août 1907.

 41.Palazy reste à l’écart. Elie Bernard est aux côtés de Ferroul.

 42.Clause incluse dans les statuts.

 43.CAUPERT, Essai sur la CGV, 1921. L’édit de 1691 avait créé des offices de syndics chargés de la surveillance des marchands artisans qui ne formaient ni corps ni communauté ; les corporations liées aux métiers du vin font respecter le correct exercice du métier, la garantie des produits concernés, et veillent à ne pas encombrer les marchés ; le contrôle de la valeur loyale et marchande des produits permet de limiter la fraude. En 1804, les marchands de vin réclament le rétablissement de leurs corporations détruites par la loi des 14-17 juin 1791 (Isaac Le Chapelier avait fustigé l’esprit vénal qui avait gangrené les corporations ), afin de lutter contre la fraude et limiter la concurrence : « la corporation se propose d’opérer la restauration du commerce, d’obtenir la cessation des abus, de faire cesser le désordre dans lequel il est tombé, d’empêcher une quantité excessive d’hommes non avoués par le commerce, sous le titre usurpé de courtiers, marchands ou commissionnaires n’abusent de l’inexpérience et de la bonne foi de ceux qui leur enlèvent des marchandises pour en faire la vente » (projet de statuts) ; ils entendaient faire cesser « le désordre, les abus et les vols de fonds de marchandise ». Vital Roux, chargé d’un rapport, y conteste le retour à des règles « inexécutables, dispendieuses, inutiles » assimilées à des « moyens de persécution à l’encontre de citoyens acquis à la liberté commerciale ».

 44.Obtenues par épuisement des marcs avec addition d’eau et sans sucre ; vins de deuxième cuvée après deuxième presse.

 45.Le Socialiste des Pyrénées-Orientales, 11 octobre 1957.

 46.Progrès Agricole et Viticole, 28 janvier 1910.

 47.La loi du 29 décembre 1906 fixe les avances de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel au double du capital versé parles vignerons, la durée du prêt à vingt-cinq ans. La subvention versée par l’État, via le Génie Rural, représente le sixième de la somme totale.

 48.Cave « Les Remparts » inaugurée par Gaston Doumergue.

 49.Le Socialiste des Pyrénées-Orientales, 11 octobre 1907.

 50.Ibidem.

 51.Cf. la thèse de Fabien NICOLAS, « La construction du parti républicain radical et radical-socialiste à Béziers (1901-1939), ressources privées et mobilisation politique », université Montpellier I, Sciences Politiques, 2004, direct. Paul Alliès. La prochaine thèse de Jean-Marc BAGNOL sur les députés héraultais dans l’entre-deux-guerres met en relation réputation parlementaire et action viticole(direct. G. Gavignaud-Fontaine, soutenance novembre 2007).

 52.Le Congrès syndical fédéral de l’Hérault réitère en 1919 sa condamnation à l’égard de la C.G.V.

 53.Loi votée à la suite d’incidents entre vignerons de l’Aube et vignerons de la Marne opposés sur la dénomination « champagne ».En raison de son prestige, la C.G.V. fut invitée à tenter de concilier les intérêts en jeu.

 54.Geneviève GAVIGNAUD-FONTAINE, Le Languedoc viticole, la Méditerranée et l’Europe au siècle dernier (20e s.), Montpellier, Université Paul-Valéry, 2000, 2ème édition 2006.