Aux débuts du journalisme sportif en Languedoc :
deux figures héraultaises, Henri Diffre et Emmanuel Gambardella

* Docteur en Sociologie

Si le journalisme est bien, en ce tout début de XXe siècle, l’une des possibilités offertes parmi un éventail bien plus large, aux jeunes gens en proie au démon de l’écriture, il faut nécessairement prendre en compte l’ensemble des expériences littéraires susceptibles d’être tentées. C’est d’autant plus vrai lorsque le champ littéraire local peine encore à dégager des profils de carrière bien spécifiés. C’est ainsi qu’on doit avancer avec la plus grande prudence lorsqu’on cherche à tracer à grands traits le tableau de la presse sportive avant 1914. Sans même remonter au Second Empire avec Le Sport, Journal des gens du monde1, dès la fin du XIXe siècle, une presse sportive autonome est déjà bien constituée en direction du public parisien, comme en font foi La Vie au Grand Air2 ou Le Sport Universel Illustré. Mais domine en effet une extrême hétérogénéité entre la situation parisienne, que l’on est tenté de prendre en exemple et de généraliser, et ce que propose la province, elle-même irréductible à un niveau moyen. Il faut prendre en compte un décalage chronologique manifeste entre Paris et les provinces lointaines, et pour ces dernières, des situations très hétérogènes. En introduction au recueil d’études régionales qu’il a dirigé 3, Philippe Tétart note que la période de 1890 à 1910 a connu la création de 192 titres à Paris et 369 en province : chiffres considérables qui démontrent la volatilité et la fragilité de la plupart de ces périodiques. Quant aux disparités régionales, Alex Poyer, qui étudie la présence du sport dans les deux quotidiens montpelliérains L’Éclair et Le Petit Méridional, observe que, dans une publication antérieure 4, Philippe Tétart « ne retient pas Montpellier parmi les principales villes de diffusion. Il place l’Hérault au dernier rang des départements de l’arc méditerranéen, bien loin des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône ou du Gard. Est-ce à dire que Montpellier et son département connaissent une faible pénétration du fait sportif avant 1914 ? Ou serait-ce que les deux quotidiens généralistes, ou au moins un des deux, pourvoient suffisamment aux besoins de diffusion de l’information sportive ? » 5

Le Languedoc se contente alors de maigres rubriques dans les quotidiens généralistes ou les feuilles mondaines. Lorsque Diffre et Gambardella font leurs débuts dans la presse locale, le développement des activités sportives n’est pas tel qu’il ait constitué un public avide d’informations en tant que supporters, ou aficionados à l’instar de la tauromachie. Ni l’offre ni la demande de spectacles sportifs ne justifient la naissance d’une presse spécialisée viable. Le ?champ? local du journalisme sportif balance entre maigres informations factuelles sur les rares événements au calendrier, éditoriaux moralisateurs sur les vertus et/ou les dangers du sport, et chroniques mondaines sur les loisirs des sportsmen. C’est ainsi que Diffre entre dans ce champ en revêtant le costume d’un amateur touche-à-tout, tandis que Gambardella se pose d’entrée en spécialiste du football sétois, peut-être déjà en recherche de professionnalisation.

Deux jeunesses, un attrait pour le sport

Ce que l’on sait de la société provinciale de la Belle Époque, et plus précisément des conditions d’existence de la jeunesse, permet de situer nos protagonistes au sein de deux univers sociaux qui façonnent les personnalités, orientent leurs goûts, dessinent des ambitions possibles. C’est le cas pour Henri Diffre, futur médecin par imprégnation familiale, et aussi pour Emmanuel Gambardella porté très vite par l’enthousiasme populaire pour les succès du football de sa ville natale.

Henri Diffre appartient à la moyenne bourgeoisie montpelliéraine, un père, Léon, médecin installé boulevard Victor Hugo, et un oncle pharmacien, Louis, boulevard du Jeu de Paume. Famille catholique qui lui fait faire sa scolarité dans des établissements religieux, en pleine crise anticléricale. D’abord au collège Saint-Elme des dominicains d’Arcachon, puis, lorsque ceux-ci sont interdits d’enseignement par le gouvernement Combes en1903, en Espagne au collège Captier de Saint-Sebastien fondé par les dominicains de Sorèze 6. Ce parcours scolaire, qui illustre les réactions « vent-debout » de bien des familles catholiques opposées à la République, suscite quelques réflexions. Le choix d’Arcachon, préféré au collège de Sorèze plus prestigieux et géographiquement bien plus proche, suggère l’hypothèse d’un possible attrait pour une carrière de marin, le collège Saint-Elme s’étant spécialisé dès les années 1870 dans la formation d’officiers de marine de commerce. Mais sur un plan plus général, il est évident que ces années critiques ont dû façonner une personnalité, des convictions, un ethos7 dont on retrouvera les traces et les manifestations tout au long de sa vie.

Puis, tout naturellement, Henri Diffre entreprend des études de médecine, comme son père, au terme desquelles il choisit de devenir médecin-militaire. Mais avant de rejoindre sa première affectation, en toute fin 1911, il épouse Adèle Forgue, fille du chirurgien renommé professeur à la Faculté de Médecine. C’est pour Henri ce que l’on peut appeler un beau mariage : la cérémonie religieuse, en l’église Saint Denis, se déroule en présence du cardinal de Cabrières, et parmi les témoins, on note Etienne Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts et grand-oncle d’Adèle, tandis que les Diffre ont fait appel au général de division Azibert, gouverneur de Belfort et cousin du marié.

Durant ces années d’étudiant, jusqu’en 1911, Diffre consacre beaucoup de temps au sport et aux activités physiques. Il est à l’affut des disciplines nouvelles, comme à partir de 1910 le hockey sur patins à roulettes – dit aussi le skating, ou rink, ou roller (l’anglais est obligatoire !) – pratiqué en salle dans des établissements qui aménagent des pistes appropriées, à Montpellier, Cette, Pézenas, Béziers ou Perpignan :

« Faites donc comme moi, puis-je dire aux rieurs : chaussez les patins, lancez-vous sur la piste, et à la troisième tentative, vous me direz, mais seulement alors, si patiner est un sport ou non. En tout cas, le sport est toujours un peu soumis au snobisme, et à ce point de vue, le « roller skating » détient le record. Ce n’est plus de la vogue, c’est presque de la folie. Soyez fou en cela, vous ne le regretterez pas. » 8

Diffre, gardien de but du Stade Montpelliérain. La date est fautive (probablement 1909)
Fig. 1 Diffre, gardien de but du Stade Montpelliérain
La date est fautive (probablement 1909) (Source : DUPONT 1973)

Des équipes se constituent, et des compétitions s’organisent, auxquelles participent Diffre et quelques camarades embarqués dans l’aventure.

Cependant, c’est dans deux sports bien précis que Diffre choisit de s’investir pleinement : le tennis et le football. Dans le premier, il est incontestablement, avant la guerre, le meilleur joueur du Languedoc,. Champion régional à plusieurs reprises dès 1907, tant en simple qu’en double, il occupe une place centrale, que ratifie son élection en 1908 à la commission Tennis du comité régional de l’USFSA 9. Il est vrai que les courts sont peu nombreux, ni les compétiteurs officiellement licenciés : peu d’émulation, donc. Mais il faut admettre qu’il a su atteindre un niveau de jeu élevé, comme le montrera sa pratique après-guerre dans un contexte beaucoup plus concurrentiel : nous y reviendrons. Le doute est aussi peu permis à propos de sa carrière de footballeur. Débutée dans un club estudiantin sans grands moyens, le Stade Montpelliérain, elle se poursuit au plus haut niveau régional, c’est-à-dire à l’Olympique de Cette, d’assez loin le meilleur club languedocien. (Fig 1)

Comme pour le tennis, Henri Diffre rejouera dans les années 1920, à Roubaix, c’est à dire au meilleur niveau national. Au-delà de l’excellence sportive, qui n’est pas contestable, il convient de relever quelques caractéristiques essentielles de ces choix disciplinaires. Notons donc la plus apparente, son implication dans l’organisation embryonnaire de ces sports. De même qu’il participe au sein de l’USFSA à la gestion du tennis, en particulier dans la commission de classement des joueurs, son passage au Stade Montpelliérain, club omnisports qui aligne des équipes de rugby et de football et prend part, l’été, aux championnats d’athlétisme, se marque par son élection au bureau de l’association en tant que secrétaire 10. Mais on peut penser aussi qu’à côté de cet investissement dans la vie collective du monde sportif, Diffre manifeste une certaine réserve, choisit de maintenir une distance physique dans l’action sportive en évitant les phases de jeu où les corps se rapprochent dangereusement. En effet, de façon significative, Diffre élit le tennis, sport hautement individuel, que la barrière du filet médian tient scrupuleusement à distance de l’adversaire, et plutôt que le rugby, sport bourgeois et universitaire mais qui favorise l’emmêlement des corps, préfère le football plus plébéien, mais dans un poste largement à l’abri des contacts rugueux, celui de gardien de but 11<. Poussons l’analyse un peu plus loin, au risque d’hypothèse fragile. Les choix de Diffre, autant positifs que négatifs dans ce qu’il refuse ou néglige, se dessinent les contours d’une personnalité dont les lignes de force semblent bien être la recherche de l’excellence jusqu’à l’élitisme, qui se démontre devant un public nombreux ou choisi – peut-être une forme de narcissisme qui a besoin de s’exposer, ce qui exclut des pratiques sportives confidentielles et quasi solitaires comme l’athlétisme de l’époque, tout en maintenant des distances évitant toute promiscuité. La sociologie bourdieusienne propose la notion de « distance au jeu », qui se manifeste en particulier par le fair-play, dans la décision de celui-ci de ne pas accorder au jeu plus d’importance qu’il n’en mérite, mais qui n’exclut pas pour autant l’engagement et l’effort nécessaires à la réussite sportive. En définitive, une forme de dandysme privilégiant l’affichage d’une singularité patiemment construite.

Si Henri Diffre n’a pas retenu l’attention des chercheurs, de son côté Emmanuel Gambardella a fait l’objet d’au moins deux excellents articles biographiques de la part de Roland Andréani 12. Il n’en reste pas moins une personnalité négligée, et Andréani peut avec raison s’étonner de l’indifférence que lui manifeste sa région d’origine. Les grandes lignes de sa carrière sont cependant connues, à partir des sources d’archives publiques. Des documents privés, conservés dans sa famille, nous ont été fort aimablement communiqués, à Christian Guiraud et à moi-même. Ce sont ces documents inédits qui ont servi à nourrir la présente étude.

Les Gambardella ne se distinguent probablement pas des nombreuses familles chassées d’Italie par la misère, et venues chercher à Sète de meilleures conditions d’existence. Nous ignorons la situation de la famille pendant ses premières années d’immigration, mais il faut penser que le père d’Emmanuel a réussi sa promotion sociale, puisqu’il a pu envoyer son fils faire des études classiques au collège de la ville. Le jeune Gambardella s’y est révélé un adolescent très entreprenant dans plusieurs domaines, manifestant des capacités de leader reconnues par ses camarades. À 16 ans, il est à l’origine d’un petit club de football, l’Union Sportive Cettoise, et y occupe le poste de gardien de but. Très probablement faut-il y voir un choix par défaut, Emmanuel a les pieds plats 13 et n’est pas fait pour les longues courses derrière le ballon. Cependant, on peut le retrouver en décembre 1909 ouvrant la saison officielle de championnat dans les fonctions d’arbitre, pour un match entre son équipe et le Montpellier Sportif 14. Un lycéen attiré par le ballon rond, voilà qui est banal, en ce début de siècle dans une ville dynamique et sensible aux exploits sportifs à de nombreux titres. Certainement moins courant est l’engagement de Gambardella dans un patronage d’obédience démocrate- chrétienne. Lié au Sillon de Marc Sangnier, il s’agit certainement de l’un de ces « cercles d’études» fréquents à cette époque, qui rassemblent la jeunesse autour d’idées sociales ou politiques les plus diverses 15. Les archives familiales auxquelles nous avons pu avoir accès nous montrent un Gambardella en position de leader, qui intervient à de multiples occasions. On trouve ainsi un « Rapport sur les résultats du Concours de novembre-décembre 1906 » discours qu’Emmanuel (il a alors 18 ans) adresse à ses jeunes « Camarades » en distribuant félicitations, encouragements et critiques concernant le travail et l’assiduité au patronage.

Dans ce cercle créé cette même année 1906, au climat militant, on le voit aussi orchestrer les campagnes de vente à la criée du journal sillonniste L’Éveil démocratique16, en jouant les « camelots du Bon Dieu ».

La tentation littéraire

Emmanuel Gambardella, à l’évidence, s’est rêvé en écrivain à succès. Son adolescence est jalonnée de tentatives littéraires, dans des directions qui rompent avec le modèle du jeune poète parnassien ou symboliste, créateur de revues éphémères et disciple dévot du « grand écrivain ». Nous sommes avec Gambardella dans une veine constamment populaire, qui arpente les genres les plus appréciés du grand public. Certainement déterminante sur bien des aspects de sa vie, l’expérience du patronage sétois dans les années 1906-1908 mérite qu’on s’y arrête. C’est là que Gambardella a forgé sa vocation d’écrivain, lié des amitiés ou fait des rencontres au long cours. Les jeudis du patronage sont l’occasion d’écrire et de monter des pièces de théâtre, aussi ambitieuses que naïves : Paria !!!, drame en trois actes, contant les aventures de soldats français et anglais chez le sultan de Mydore ; Albert de Saxe, drame historique en quatre actes ; Attentat nihiliste, trois actes se déroulant entre la rue et un poste de police ; ou encore Les Vautours, qui pourraient bien être une tragédie médiévale. (Fig 2)

Un final dramatique ! (coll. Privée)
Fig. 2 Un final dramatique ! (coll. Privée)

Gambardella prend certainement ses modèles dans les pièces à succès des théâtres parisiens, que relaient les journaux de large diffusion. Dès ce moment de grande effervescence créatrice, il fait l’apprentissage de la scène pour les œuvres d’après-guerre destinées au boulevard ou au music-hall. Dans une veine plus militante au sein d’une organisation de jeunesse, des productions versifiées qui balancent entre emphase patriotique et entrain fantaisiste. Sur le premier versant, le chant « Au Drapeau ! » claironne des accents guerriers. Mais d’un autre côté, « Pour l’éveil ! » sur l’air de la Tonkinoise, laisse deviner déjà l’auteur de revues de fin d’année friand de caf’conc’. Cet Éveil vendu à la criée, c’est L’éveil démocratique qui est le lien entre les militants du Sillon.

La verve potache de Gambardella s’exerce aussi dans le domaine inépuisable des rivalités sportives. Un pastiche hugolien plutôt réussi évoque ainsi les matchs entre équipes sétoise et montpelliéraine :

Pour l’éveil !
(sur l’air de La Tonkinoise)
I

Pour l’Éveil et pour la Cause,
A Mir’val on est parti :
Ah ! quel beau pays, mes frères,
Il y a des fortunes à faire…
Les soeurs, les frères, les belles-mères
Et les beaux pères aussi
Sont charmants en ce pays,
Les bourgeois y sont exquis

II

Notre voix forte et sonore
Réveille tous les alentours ;
Des hommes qui dorment encore
Viennent à nous, ça les honore.
Nous débitons not’marchandise
En hurlant avec entrain…
Not’journal, quoiqu‟on en dise,
S’vend comme des petits pains.


Refrain

Sur la place du village,
On vend l’éveil, on vend l’éveil avec courage,
Nous, nous crions à la ronde,
Nous vendons à tout le monde ;
La jeunesse, la vieillesse
Accourt à nous le coeur tout rempli d’allégresse
Et nous dit : « Votre journal
Est vraiment phénoménal »

Waterloo !

Montpellier ! Montpellier ! Montpellier ! morne plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
La foule se pressait pour voir les combattants,
Et déjà des mots doux s’échangeaient dans ses rangs…

Ceux du Clapas, ravis, sur leurs cordes vocales
Préparaient les hourras, les clameurs triomphales,
Et pensaient, contemplant les footballeurs locaux :
« Nous battrons les Cettois par trois buts à zéro ! »

Dès qu’au coup de sifflet eut commencé le drame,
L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme
Et l’on vit tout à coup chez ceux de Montpellier,
Les rires se figer et les nez s’allonger :

Sur le ground, les Cettois opérant à leur aise,
Se passaient l’ustensile, et filaient… à l’anglaise
Et quand dans les filets pénétrait le ballon,
Les Clapassiers criaient : « Vernet ! »… c’était Gibson !

Ils vécurent ainsi de mortelles angoisses,
Accusant tour à tour et l‟arbitre et la poisse.
Puis quand tout fut fini, maudissant le destin,
Ils rentrèrent chez eux par les plus courts chemins…

Et calme, souriante, un tantinet narquoise,
Notre équipe revint vers les rives cettoises. 17

Mais il n’est pas sûr qu’il ait, déjà, franchi le pas vers le journalisme, sinon dans le bulletin des Dauphins de Sète. Mais ses fonctions administratives au secrétariat du comité régional de l’USFSA, sous la houlette de Georges Bayrou, l’initient aux rouages du mouvement sportif et lui font découvrir le monde des dirigeants de clubs, relations qui lui seront indispensables plus tard dans sa carrière.

À peu près à la même époque, Henri Diffre aiguise sa plume, dans une perspective bien différente. Il se lance dans le journalisme sportif au printemps 1906, dans les colonnes de la Vie Montpelliéraine et Régionale (VMR) avec des comptes rendus de la Coupe Tunmer de tennis jouée à Montpellier et à Cette, ainsi qu’une note de présentation du Montpellier Sportif, club populaire qu’il loue pour son courage et son énergie. La rubrique sportive du magazine mondain était alors tenue depuis quelques années par un certain Alinnet dont nous ignorons tout, et que Diffre vient d’abord seconder, puis progressivement remplacer. Cette rubrique de la VMR, bien qu’alors peu abondante, fait alterner des échos ou comptes rendus anonymes avec des papiers au ton plus personnel et signés. Mais les pseudonymes utilisés, comme chez la plupart des publicistes installés dans une vie rangée pour qui l’écriture de presse est un passe-temps discret, peuvent masquer tout un jeu de cache-cache sur la réalité du groupe de sportsmen effectivement sollicités. En signant ses papiers Drive, terme de tennis, Diffre sème un indice pour laisser deviner son identité, tout en jouant sur le côté select de ce sport confidentiellement bourgeois. Il est peu probable qu’il ait été gagné par le prurit littéraire et qu’il ait nourri des ambitions de ce côté-là, mais le personnage de dandy qu’il se construit alors trouve dans des billets plus consistants, l’occasion de se dessiner une silhouette élégante. Des croquis au ton vif illustrent parfaitement le talent de l’observateur ironique qu’est alors Diffre. Ainsi de son papier sur le diabolo, paru dans la rubrique mondaine de la VMR :

« Les jeux à la Mode

Le Diabolo

Que n’a-t-on fait pour rendre le séjour de la mer agréable aux coquettes et aux désœuvrés ? La mer les attire, non pour elle, qu’ils ne savent pas voir, mais pour les plaisirs qu’elle excuse. À ce prix, ils remplissent les devoirs qu’elle impose. Pour eux, la mer, c’est l’étalage de toilettes tri-quotidiennes, c’est le déballage des bijoux au Casino, ce sont les rendez-vous de tennis ou de golf… Un seul endroit, peut-être, ne les tente pas : la plage. Mais là vivent les enfants qui passent indifférents au milieu de ce faste et de ce luxe. Ils sont la marge de la vie des grands. Et l’on ne jette que rarement sur eux un regard interrogateur pour discerner leurs jeux modernes, cerf-volant ou diabolo.

Hélas ! pourquoi délaissent-ils leurs pelles d’antan ? Et si déjà ces « messieurs » refusent de se commettre avec ces mioches qui ne leur ont pas été présentés, qu’en sera-t-il des fils de leurs fils ! Peut-être alors le suprême chic les obligera-t-il à valser avant que de marcher, à tenir la raquette avant de savoir tenir la plume, à flirter, qui sait ? avant de parler.

On se moque du siècle de grâce mièvre où nos grands-mères jouaient précieusement aux grâces ou au volant. Que diront ceux qui jugeront, après cent ans, la folie « diabolique ». Appelez l’acte comme vous le voudrez, il n’en est pas moins typique. De 5 à 25 ans, chacun joue au diabolo. Deux cônes réunis par leur sommet, et voilà captivée toute l’attention de ces « sportmen ».

C’est que bien jouer n’est pas à la portée de tout le monde, et que si chacun peut posséder la bobine sacrée, bien peu savent s’en servir. C’est déjà bien de faire tenir cet appareil en équilibre, mais c’est bien mieux de le lancer à des hauteurs souvent prodigieuses et le rattraper ensuite sur le cordonnet de soie.

Les fillettes, oh ! pardon, les demoiselles sont les plus enragées, leur facile élégance l’emporte sur l’adresse inutilement dépensée des petits garçons. On peut bien, du reste, les encourager d’un compliment, avant que cette élégance ne se change en raideur, pose ou dédain. Et chacun de s’ingénier à se faire obéir le mieux possible du diable : on y joue longtemps, et avec quelle frénésie…

Il en est du diabolo comme de tout : ce qui, entre les mains d’un enfant, n’était qu’un jeu, est devenu un sport dans les mains des jeunes gens. Maintenant que la transformation est opérée, chacun jongle du diable de bois, fer, celluloïd ou feutre.

Malgré tout, on ne peut nier que le diabolo ne mérite la faveur dont il jouit. Il est à peu près l’équivalent du tennis dans l’échelle de violence des sports, mais il lui est supérieur parce qu’il est plus gracieux, parce qu’il est plus difficile, parce qu’il est plus hygiénique, enfin et surtout parce qu’il est à la mode.

Et puis il représente si bien l’image de notre époque. Son « vol », tout en conservant quelque harmonie, est sans cadence, son allure est légère, ses courses sont folles et baroques, ses caresses mêmes sont dangereuses. C’est l’inconstance et l’impertinence même. Essayez-vous à le mater, vous vous exercerez au moins à la patience.

Drive » 18

De la même façon, un après-midi passé autour d’un court de tennis est l’occasion de ‘croquer’, non sans quelque cruauté, les travers de tout un milieu ; il s’agit alors davantage d’observer une petite société que d’un reportage sportif :

« Lawn-Tennis

Silhouettes de joueurs (portraits d’après nature)

Deux heures de l’après-midi. Sur l’irréprochable nivellement du « court », vient de passer un jeune homme : premier arrivant, il va disposer le filet, sortir les balles, etc. … Successivement vont arriver jeunes filles et jeunes gens, les premières obligeant à tout instant les joueurs à s’arrêter (Oh ! elles ne désirent qu’une poignée de mains et un compliment), les seconds saluant seulement d’un léger coup de chapeau ceux ou celles qui les ont précédés.

Dès que le nombre de 4 arrivants est atteint, on tire les camps ; question importante, où le sort souvent injuste à certains se permet même de froisser des susceptibilités.

Naturellement, ce sont 4 jeunes gens qui arrivent d’abord et qui jouent : Deux camps et deux joueurs dans chaque camp ; un nouveau et un fort forment le premier.

Le nouveau est un jeune joueur, imberbe, les yeux bleus, la taille élégante. Il ne possède pas le secret du « drive » déroutant ou de l’étourdissant « scratch 19 ». De très bonne composition, il admire les beaux coups, les envie, s’essaie à les pratiquer, descend jusqu’à demander un conseil ou une leçon à plus fort que lui. Peu ambitieux, ne désire que se distraire sans ennuyer d’un jeu trop monotone ses adversaires. Très timide, cause peu, ne fait pas du tout la cour aux jeunes filles pour lesquelles il représente le parfait partner. Chargé des intérêts matériels de la Société, s’en acquitte avec tact et à la louange de tous.

Avec lui joue un fort. Celui-là est grand, svelte, élancé, le type accompli du jeune gentleman. Joueur de longue date, il joint à une correction parfaite, une parole élégante et persuasive, une science du jeu qui n’a pas d’occasion suffisante, à son avis, de se manifester. Il est tout nerfs et met son point d’honneur à gagner les jeunes filles quand il joue contre elles. Réputé pour son service, il en est fier et désirerait prolonger les succès qu’il lui vaut. Réussit auprès des jeunes filles, peut-être parce qu’il ne se résout jamais à quitter même ses manchettes à boutons d’or.

Le deuxième camp est composé d’une façon plus homogène. Les deux partners sont de sérieux joueurs. Ce sont des champions, ou au moins ils aspirent à l’être. Le premier n’a pas encore atteint sa forme complète. Il est très occupé, puisqu’ il cherche à gagner sa vie, et ne peut s’entraîner que le dimanche. Malgré cela, possède un jeu bizarre, presque déroutant pour celui qui n’est pas habitué à l’attaque aisée et rapide faite du filet, au « drive » rasant toute la longueur du court. Ne pourra jamais faire un bon joueur en « single » s’il ne fait pas plus de « practice », mais sera toujours un aide sérieux dans les parties doubles.

Le second est un vieux joueur, malgré son apparente jeunesse. Possède tous les secrets du jeu, mais s’en sert peu ou pas. Certains coups classiques ont ses préférences : un « scratch » est toujours tenté par lui. Au fond, joue ordinairement très mollement, ne s’employant à fond que s’il est vexé, dans son amour-propre de fort qui se sait fort, par la perte d’un jeu ou d’une partie. Heureux de l’inaptitude de ses adversaires à relancer ses balles, moqueur à l’excès, gêne souvent ceux qui jouent avec lui. Ne constitue et ne constituera jamais un bon partner pour un joueur quelconque. Avare de compliments, remplit d’aise, par la franchise de ses applaudissements, l’âme des jeunes filles qu’il félicite. Espère devenir champion. Se laissant rarement gagner, est surtout furieux quand une jeune fille arrive à lui dérober une partie.

Mais voici que des jeunes filles sont arrivées, leur étui de toile à la main ; on se salue, on cause, tandis que la partie s’achève. Puis, le couple gagnant vient, la tête haute, réclamer auprès des spectateurs les félicitations qu’on ne manque pas de lui adresser avec force clichés plus ou moins usés, cependant que, tête basse, le couple vaincu cherche les balles.

On choisit de nouveau les camps. Les heureux favorisés du sort jettent à terre, sans respect aucun, leur « Drida » ou leur « Frezo », désignant ainsi eux-mêmes la nouvelle distribution des joueurs. Et l’on recommence à tennisser. Cette fois-ci, comme des jeunes filles vont mêler leur grâce à la vigueur des jeunes gens, les mamans cessent leur bavardage, toutes absorbées par la préoccupation des progrès de leur fille, qui seule occupe leurs pensées, attire leur regard.

Heureusement que vient d’arriver un joueur qui ne jouera pas, un de ceux qui viennent simplement pour admirer les progrès des autres. Celui-là est très fort joueur, mais ne joue jamais. On dit qu’il a des peines de cœur, peut-être des chagrins d’amour. Cela n’étonne pas ceux qui le connaissent avec son air… vainqueur… j’allais dire tentateur. C’est lui qui, obligé par les convenances, d’aller saluer les mamans, recevra l’avalanche désordonnée de ces compliments sans cesse ressassés. Et qu’il soit ou non de l’avis de la maman laudative, il devra écouter sans broncher jusqu’ au bout, quoique ses yeux fixés éperdument sur la porte, cherchent, dans la vision des passantes, une distraction à ses sombres pensées. Du reste, sitôt que sonnera quatre heures, il s’en ira chercher ailleurs le bonheur qu’il ne peut trouver.

« Play » crie une voix fraîche avec un accent de parfaite anglaise. C’est une de nos jeunes filles qui veut attirer sur son service l’attention de tous. Comme toutes celles qui se respectent, Mademoiselle a appris l’ anglais, peut-être même visité l’Angleterre… au stéréoscope. Elle choisira toute occasion de montrer son savoir. Sitôt que l’obligatoire « ready ! » lui aura répondu, la balle part vite, lancée d’une main… qui n’est pas sûre, franchit la limite permise ou ne l’atteint pas. Une seconde balle, souvent bonne celle-là : « Out side » ou « Double Fault », crie un jeune homme qui, lui aussi, a appris l’anglais et en profite pour en copier le type flegmatique. Et le jeu se poursuit. De temps en temps, la jeune fille se détache sans qu’on s’en aperçoive, vient aux limites extrêmes du jeu où un jeune homme (oh ! n’importe lequel, celui qui se trouve là comme… par hasard) va recevoir on ne sait quelles confidences ! Tout cela pour le plaisir pur et simple de causer.

Il est à peine 3 heures et il faut jouer (que ne sacrifierait-on pas pour la mode), jusqu’ à 4 heures et demie. À cette heure-là, on se retirera chacun de son côté, les intimes seuls se réunissant chez l’un d’eux pour absorber une tasse de thé et, sous cet audacieux prétexte, continuer derrière des tentures un flirt si délicieusement commencé en plein air.

Ride. » 20

L’une des caractéristiques remarquables des interventions journalistiques d’Henri Diffre est la liberté de ton dont il use fréquemment à l’occasion de polémiques avec les acteurs du petit monde sportif languedocien. Le phénomène est en soi courant dans la presse régionale : faute de traitement de l’information sportive par des journalistes spécialisés, celle-ci est laissée aux acteurs eux-mêmes sous forme de communiqués de presse, et les rubriques de L’Éclair ou du Petit Méridional regorgent d’éclats de voix et d’emballements juvéniles qui peuvent faire penser à ce qu’offrent aujourd’hui les réseaux sociaux – toutes proportions gardées, évidemment. Les chamailleries et insinuations diverses sont alors le sel de l’information sportive, et Drive y prend sa part, armé de sa maîtrise de plume. Il peut, à l’occasion, faire la leçon :

« Des méfaits de l’anglomanie

Il semble à certains Français qu’il n’est pas possible de faire du sport sans parler anglais. C’est du moins l’erreur du club cettois qui s’est opposé aux Étudiants [de l’USEM]. Il est à regretter que pas un de ses membres ne parle anglais. Ils pourraient voir le ridicule dont ils menacent de se couvrir en s’intitulant Club de l’étoile rouge (Red Star Club) et en choisissant des couleurs qui ne contiennent ni étoile ni rouge. À bon entendeur salut !

Drive » 21

Henri Diffre ne craint pas l’anglomanie dans ses propres analyses tennistiques, mais ne peut s’empêcher de faire état de sa supériorité culturelle et sociale, et de taper sur les doigts des jeunes Cettois imprudents.

Les polémiques entre Montpelliérains et Cettois l’atteignent parfois directement, mettant ainsi en évidence le statut ambigu du journaliste-joueur, de l’observateur-acteur. Drive/Diffre s’engage alors dans des controverses avec ses lecteurs, comme on peut le voir en janvier 1910, puis au mois d’octobre de la même année, sur le thème de la crise sportive à Montpellier.

Le football se meurt à Montpellier

Serait-ce les tristes effets de la fusion en un seul des divers clubs de la ville ? Toujours est-il que dimanche dernier, sur le terrain de la Croix-Bonhomme où se disputaient deux championnats, il n’y avait pas 100 personnes. Je sais bien que le jeu fourni permet d’excuser les abstentionnistes. Mais à qui s’en prendre sinon aux joueurs eux-mêmes. Je m’adresse en particulier aux joueurs de rugby qui devraient être légion dans une ville universitaire comme la notre. Hélas ! Le premier club de la ville ne peut mettre sur pieds deux Quinze capables de vaincre. Je le répète, c’est la faute des joueurs, et des joueurs moyens qui se désintéressent trop des intérêts et des besoins de leur club…

Nos voisins de Cette, en revanche, enregistrent succès sur succès ! Songez donc : ils ont tenu tête au Stade Helvétique champion de France, et par deux fois au FC Barcelone, champion de Catalogne….» 22

Le 23 janvier, un lecteur, supporter du Montpellier-Sportif, et qui signe son courrier « Schoot » répond à Drive en défendant les joueurs montpelliérains qui manqueraient seulement d’expérience et de soutien de leur public ; et il poursuit : « L’Olympique de Cette que Monsieur Drive vante dans son article n’a absolument rien de comparable au Montpellier-Sportif. L’OC ne peut être fière d’aucun de ses succès, si tant il est vrai qu’elle a eu des succès. Ses meilleures unités ont été attirées à Cette par une rémunération plus ou moins grande selon les classes de la société à laquelle appartiennent ses joueurs… »

Le dialogue ainsi engagé se poursuit le 30 janvier. Constatant un effort de recrutement du Montpellier-Sportif qui rappelle de « vieilles gloires », Drive écrit :

« Je crois sincèrement à ce retour à la forme d’il y a six ans, au moment où le SBUC champion de France, ne pouvait, une mi-temps durant, venir à bout du courageux Quinze montpelliérain. J’ai pu interviewer la plupart des joueurs du M-S qui se remettent aux luttes du rugby. Ils ont le feu sacré, et c’est tant mieux. On parle d’au moins deux entrainements par semaine. (…) Plusieurs furent les élèves de Fabregat, les autres ont fait leurs preuves. À quand le match contre Perpignan ? Les deux teams sang et or aux prises, quelle belle perspective, et quelle belle annonce à faire. »

Puis Diffre répond au « jeune collégien » Schoot :

« Quant à votre insinuation sur la façon de racoler des joueurs de l’Olympique de Cette, je la trouve méchante, n’ayant pas de preuves en main. Il est de mon devoir de défendre un club sous les couleurs duquel je joue. Pour ma part, je ne cours pas après une pièce de cent sous, et je ne l’ai jamais demandée. Mais ne la demandez pas pour vous, vous auriez l’affront d’un refus. Est-ce pour cela que vous êtes en colère ? Henri Diffre ».

Mais à l’automne 1910, le constat d’échec des clubs montpelliérains est patent.

« Il n’y a guère que deux sports à Montpellier qui aient des représentants : le football et le tennis. Et pourtant nous sommes dans une des villes les mieux placées de France (…) Tristes nouvelles, le football se meurt, le football est mort. Nos jeunes gens ont encore laissé péricliter la seule société qui eût pu leur procurer des dimanches en plein air, loin de la poussière des concerts dominicaux. Dorénavant, les Montpelliérains iront jouer chez leurs voisins de Cette où l’on a tout fait pour les attirer. Et dire qu’il y a dans notre Université plus de 2000 étudiants ! C’est honteux de constater un pareil résultat. »

« Ceux qui ont quitté le Montpellier-Sportif ont bien fait pour plusieurs raisons (…). Il vaut mieux pour de bons équipiers comme la plupart des soi-disant fuyards, servir la cause du sport dans une équipe de valeur, que de se sacrifier pour des dirigeants sans énergie et incapables d’un effort personnel. » 23

Le jugement en forme de plaidoyer pro domo, puisque Diffre fait partie de ces transfuges montpelliérains jouant à Cette, exprime bien la nature du journalisme de l’époque, qui ne craint pas d’afficher ses opinions.

« L’expérience de la guerre

Henri Diffre, qui a choisi de devenir médecin militaire, se retrouve en 1912 à Cambrai à sa sortie de l’École d’application du Service de santé militaire, et affecté au 1er régiment d’infanterie. C’est à Cambrai que naissent ses deux premiers enfants, Thadée en 1912, Henriette l’année suivante. La vie de garnison lui laisse le loisir de continuer ses activités sportives. Si le football « civil » est peut-être mal vu pour un officier, il n’en garde pas moins les buts de l’équipe militaire de son régiment. Par contre le tennis est un passe-temps parfaitement admis, et il mène de front les compétitions militaires (il sera champion de France militaire de l’USFSA) et au sein du club local. Il participe par exemple, début 1914, au Critérium du Nord ; il joue les simples et les doubles contre le RC Roubaix et le TC Armentières, et gagne tous ses matches 24. On le voit aussi participer à l’important tournoi de Wimereux 25 en août 1913. Le Grand Hebdomadaire Illustré relate la compétition : Diffre n’est battu qu’en ½ finale du simple par Fremaux, et gagne le double avec Pierrard. Mais il est aussi associé à la toute jeune Suzanne Lenglen, âgée de 14 ans et qui commence sa carrière éclatante en remportant le simple dame ; ils perdent le double mixte 10-12 au 3e set. Ce sont des résultats qui font de Diffre l’une des meilleures raquettes de la région, bien plus riche que le Languedoc en talents confirmés. S’il ne semble plus s’exprimer dans la presse locale, il reste assurément le sportman avide de performances qu’il était à Montpellier.

Henri Diffre en 1915 au 1er Régiment d'Infanterie
Fig. 3 Henri Diffre en 1915 au 1er Régiment d'Infanterie (coll. Privée).

En 1914, sa situation de médecin militaire plonge Henri Diffre au cœur du conflit. Durant les années de guerre, il passe dans plusieurs régiments d’infanterie successifs, sur les zones de bataille les plus dures. En dernier lieu, au printemps 1918, il est affecté à l’état-major du 15e RI qui est engagé sur la bataille des Flandres. Début mai, le régiment se trouve dans le secteur du mont Kemmel, dans les monts de Flandre au nord de Lille, où se poursuivent depuis quelques semaines des combats acharnés face à des troupes d’élite allemandes. Selon l’Historique de son régiment 26, entre le 14 et le 16 mai, « le régiment avait perdu dans ces deux journées : dix-huit officiers [sur 57] et six cent quatre-vingt-treize hommes ». (Fig. 3)

Il paraît plausible de faire du traumatisme de la guerre, et tout particulièrement de cette bataille paroxystique du mont Kemmel 27 un tournant dans la carrière d’Henri Diffre et, plus encore peut-être, dans sa personnalité. Le fait qu’il ait publié, à compte d’auteur, dès 1919, son témoignage de la bataille dans un opuscule de quelques dizaines de pages, Le 15éme au Kemmel. 3 au 16 Mai 191828, donne à penser qu’il a vécu là un choc traumatique majeur.

Henri Diffre démissionne d’ailleurs de l’armée dès 1921, et s’installe à Roubaix comme médecin. Il reprendra ses activités sportives, tennis et football qu’il pratiquera dans les buts du RC Roubaix. Il prendra même quelque responsabilité dans la gestion de son club, renouant ainsi avec son implication manifestée au Stade Montpelliérain. Mais ses nombreux écrits de l’après-guerre auront un autre ton, se centreront sur des préoccupations nouvelles, loin du dandysme ironique des années de la Belle Époque.

Emmanuel Gambardella, de son côté, aura vécu une guerre à l’abri des traumatismes des tranchées. Versé, en raison de déficiences physiques, dans le service de santé, c’est loin à l’arrière qu’il passe les années de guerre, au dépôt de la 16e Section d’infirmiers, entre Perpignan et Amélie-les-Bains. Il peut ainsi revenir à Cette à l’occasion de ses permissions, et participer tant soit peu à la vie mouvementée du comité du Languedoc de l’USFSA, et assister à la transformation de l’Olympique de Cette en Football Club de Cette sous l’impulsion de quelques joueurs non mobilisés menés par Victor Gibson.

Dans son centre d’infirmerie, Gambardella ne reste pas inactif. Roland Andréani note qu’il y côtoie le compositeur Déodat de Séverac : ce dernier l’accompagne au piano lorsqu’il pousse la chansonnette à l’occasion de fêtes ou de soirées. Mais s’il continue à développer son goût pour l’opérette et le music-hall, il noircit également des cahiers d’écolier de textes divers. Il s’essaie à chroniquer la vie quotidienne de sa petite garnison, passe d’un récit de permission à Paris aux anecdotes caustiques sur les travers de la bureaucratie militaire.

Képis et Cornettes

Au début de la guerre (chacun sait cela), les hôpitaux se sont multipliés comme des champignons après un jour de pluie. Tous les gens un peu huppés voulaient avoir le leur : les gens qui n’étaient pas huppés se mettaient à plusieurs pour en organiser un. À Gaillac (connaissez-vous Gaillac ?), les bonnes sœurs se sont dit qu’elles ne pouvaient pas rester en arrière dans ce grand élan de générosité ; elles ont pris conseil de leur aumônier, lequel s’est chargé de toutes les démarches. Un beau matin s’est ouvert « l’hôpital bénévole 51bis St Vincent » de Gaillac.

Mais elles croyaient, les bonnes sœurs de Gaillac, qu’il suffisait de soigner des malades dans un hôpital. Erreur, mes bonnes sœurs, erreur. On vous a inscrites sur les registres du service de santé, on vous a envoyé un infirmier militaire, et dès ce jour, vous avez été prises dans le formidable et vétuste engrenage de « l’organisation militaire ». Et c’est pourquoi, après bien d’autres, les religieuses de Gaillac ont reçu ces jours-ci une circulaire leur prescrivant formellement d’envoyer tous les mois au dépôt de la 16e Section d’infirmiers une « situation des armes ». L’aumônier étant mobilisé, les pauvres nonnes terrifiées … ont demandé à tout Gaillac des renseignements sur cette situation, et comme personne ne leur en pouvait donner, elles ont écrit au commandant de la Section la lettre suivante, qu’il convient de lire, de relire et de savourer :

Gaillac, le 2 février 1916,

La Supérieure de l’hôpital bénévole 51bis St Vincent, à Monsieur l’Officier d’administration commandant la 16e Section d’Infirmiers militaires,

Sur les deux infirmiers qui desservent notre hôpital, un seul est muni d’un sabre N° 36458. Nous vous serions bien reconnaissantes de nous fournir quelques indications pour remplir l’état que vous nous avez envoyé à la date du 21 janvier.

Agréez… etc. »

« Écrire sur le sport

Diffre et Gambardella ont une trentaine d’années au sortir de la guerre, dont ils tirent un bilan bien différent. Gambardella va s’investir de plus en plus pleinement dans l’organisation du football après avoir abandonné ses ambitions littéraires. Le premier continue certes à pratiquer les sports qu’il aime, mais se découvre une mission sociale en tant que médecin. Désormais, la parenthèse militaire refermée, ses efforts vont tendre à la promotion de l’éducation physique chez les enfants.

Henri Diffre contre l’évolution du sport

Tout au long des années 20 et 30, Diffre publie plusieurs ouvrages médicaux à l’usage du grand public, dont les titres suffisent à laisser entrevoir la finalité. Ainsi de Nos enfants seront beaux si…, en 1925, ou Éducation et Rééducation fonctionnelles de l’enfant en 1932. Les préoccupations hygiénistes sont évidentes, qui croisent des points de vue volontiers eugénistes, comme il apparaît dans ce dernier ouvrage :

« L’enfant se trouve tiraillé, dans le même temps, entre deux forces exactement opposées : d’une part, l’appel de la nature qui le veut fort, ardent, habile, résistant comme le furent ses ancêtres des temps héroïques ; d’autre part, l’attrait de la civilisation qui l’arrête dans tous ses élans et le diminue, l’affaiblit, l’amollit, le minimise à l’égal de ses compagnons de route du moment. C’est […] le parallèle qui s’impose entre l’éducation, science à l’usage des forts, et la rééducation, science à l’usage des médiocres. » 29 Un peu plus loin, l’éloge de la vie naturelle rapproche Diffre des conceptions de l’hébertisme en matière d’éducation physique, mais en faisant le détour par une sorte de darwinisme social où Félix Le Dantec (« Être, c’est lutter : vivre, c’est vaincre ») côtoie la « déchéance de la race » et les pathologies héréditaires causées par un excès de civilisation.

Ces divers manuels d’éducation ou de rééducation fonctionnelle sont accompagnés d’un travail de diffusion journalistique, ou même médiatique, dans des organes variés. Il participe ainsi du mouvement novateur de la radiodiffusion, en utilisant les ondes de Radio Paris pour diffuser, pendant quelques années, des cours de culture physique réunis ensuite en volumes.

L'un des principaux ouvrages du Dr Diffre
Fig. 4 L'un des principaux ouvrages du Dr Diffre

Sur le thème quasi exclusif des bienfaits de la culture physique, le docteur Diffre propage son message dans diverses publications du nord de la France, et sa signature apparait aussi bien dans le bulletin des patronages catholiques de Roubaix 30 que dans les quotidiens régionaux 31. (Fig. 4)

Mais il est également très présent dans la presse nationale. Faute d’une recension exhaustive de cette activité journalistique, les quelques articles glanés dans la presse de l’époque suggèrent l’hypothèse d’une progressive évolution des positions d’Henri Diffre à l’égard du sport.

Il campe d’abord, dans les années 20, sur l’affirmation de la nécessité pour les sportifs d’un entrainement physique, et plus généralement d’une culture athlétique. Dans ces années d’immédiat après-guerre, il a repris ses activités de tennisman et de footballeur à Roubaix, et les poursuit pendant quelques années encore. Son statut de sportif en activité légitime ses interventions dans les medias sportifs, où il milite auprès des pratiquants en faveur d’une assise athlétique qui leur assure tout autant une protection contre les blessures qu’une amélioration de leurs performances sportives. Dans un ouvrage général sur le football coécrit avec l’international Henri Bard 32, Diffre s’attache aux questions physiologiques, d’hygiène et d’entrainement propres au joueur de football 33.

Dans ces mêmes années, il cherche à diffuser ses idées alors novatrices, dans la presse à grand tirage, en particulier dans L’Auto, le journal d’Henri Desgrange 34. Mais il s’expose également dans les feuilles de province, ainsi dans un article paru dans Le Ballon rond publié à Bordeaux où il s’efforce de convaincre les footballeurs de l’utilité d’une meilleure préparation physique :

Les footballeurs sont-ils des athlètes ?

On reproche souvent aux joueurs de football de négliger tout entrainement pendant l’été, et l’on n’a pas tort. Il faut pourtant reconnaitre qu’il y a quelque chose de changé à ce point de vue dans nos clubs et il en est un certain nombre qui, partis du seul football, ont abouti à l’athlétisme. C’est très bien, mais il faut que ce soit un exemple qui entraine tous les joueurs de football sans exception.

Notons d’abord que ce n’est pas la seule recherche du champion qui doit guider les sociétés lorsqu’elles demandent aux adeptes du ballon rond de pratiquer l’athlétisme en été. Qu’elles se mettent d’abord en présence de ce fait que l’athlétisme sagement conçu est peut-être la meilleure préparation au football lui-même, sport qui exige des qualités physiques très considérables.

Parmi les sportifs, il n’y a pas que les « as », heureusement, car cela restreindrait singulièrement le champ de notre action. Il y a encore la foule, beaucoup plus nombreuse et beaucoup plus intéressante, pourrait-on dire, de ceux qui ont choisi le sport comme moyen à la fois de distraction et de développement physique. Cette majorité ne peut être négligée.

Nous ne comprendrions pas qu’un dirigeant, au lieu d’être l’individu noble et désintéressé qui poursuit l’éducation de la masse, se cantonnât dans ce rôle parfois flatteur mais aussi souvent ingrat de manager d’étoiles. Pour nous, le sport est et demeure le degré supérieur de l’enseignement de l’éducation physique. C’est pourquoi nous estimons que ceux qui font l’hiver du football, doivent continuer pendant l’été leurs cours de culture physique, sous la forme qui leur convient le mieux, sports athlétiques, natation, tennis, aviron, etc.

Cherchons l’harmonieux développement de notre corps. Il ne se trouve pas grâce à un geste stéréotypé, mais dans un ensemble de pratiques sportives. Ne négligeons pas ce que j’appelle les sports d’encadrement de notre sport favori. Rien ne sera plus utile à un ailier que de perfectionner en été ses pointes de vitesse, et la pratique des sports athlétiques évite le déséquilibre organique, dû à la spécialisation définitive de certains groupes musculaires.

La gamme si variée des sports athlétiques permettra à tous les footballeurs de trouver les sports d’encadrement qui leur sont nécessaires. Ainsi continueront-ils à entretenir leur machine musculaire. Ils y trouveront certainement plaisir momentané et profit lointain. L’émulation aidant, ils atteindront peut-être aux performances enviables grâce auxquelles leur renommée de footballeur se doublera d’une solide et non moins glorieuse réputation d’athlète.

Si la saison qui commence avait le double avantage de voir grossir les rangs des athlètes, par les recrues venues du football, et si au surplus, cette surprise allait jusqu’à nous révéler quelque candidat aux honneurs olympiques de 1928, auxquels il faudrait déjà songer, rien de pourrait nous donner plus de joie.

Docteur Henri Diffre
(du Languedocien Sportif) » 35

Le journal girondin présente ainsi Henri Diffre, en rappelant ses origines méridionales. C’est en effet en 1924 que Diffre se rapproche (momentanément) de Gambardella et de son nouveau journal lancé à Montpellier. Ils se connaissent évidemment, ne serait-ce que par leur commune appartenance au comité régional de l’USFSA d’avant-guerre et par la présence de Diffre dans les rangs de l’Olympique de Cette, club cher à Gambardella. L’apport d’une analyse médicale visant à améliorer les performances des footballeurs ne peut qu’intéresser un Gambardella entrainé dans le sillage de Georges Bayrou à la recherche de l’excellence pour le club cettois, et à l’amélioration du spectacle sportif.

Diffre, qui a quitté l’armée en 1920, ouvre un cabinet à Tourcoing où il réside, mais oblique rapidement vers la formation des professeurs d’éducation physique au sein de l’IREP de Lille ouvert en 1928. Ces Instituts régionaux d’éducation physique, dont le premier est créé à Bordeaux en 1927 sous l’influence du docteur Tissié, le fondateur de la Ligue girondine et créateur des lendits, sont rattachés aux facultés de médecine et dirigés par des médecins professeurs d’université qui ne sont pas nécessairement des spécialistes. C’est pourquoi l’État décide rapidement de leur adjoindre un directeur technique, choisi parmi les médecins sportifs pratiquants. Henri Diffre est coopté à ce titre 36. À Lille, Diffre trouve ainsi une tribune, mais aussi un poste qui lui permet de mettre en pratique ses conceptions de la rééducation physique. C’est ainsi qu’on le voit participer à la revue Sport et Santé, « revue illustrée de l’éducation physique et des sports » qui est largement alimentée par le corps médical et proche à ce titre des IREP. En particulier en 1934, il publie dans un même numéro un article de biométrie pratique sur « le poids normal », un autre en commun avec Suzanne Batton sur « Six exercices d’éducation physique à l’usage des jeunes filles » et une chronique bibliographique.

Henri Diffre collabore plus particulièrement, au tournant des années 20 et 30, à La Culture physique, dirigée par Émile Valtier et créée par le docteur Edmond Desbonnet, l’un des fondateurs de la culture physique et du culturisme en France. Cette revue mensuelle, résultat de la fusion de La santé par les sports et de L’Athlète, « organes de la régénération morale et physique de la race », était aussi l’organe officiel de l’association des professeurs de culture physique de France.

Le nom de Diffre apparaît plusieurs fois au sommaire de cette publication qui défend des positions assez nettement anti-sportives à la manière de Hébert 37. Et c’est là que se manifeste le virage progressif de Diffre, depuis un apport méthodologique à l’excellence sportive vers des positions beaucoup plus critiques à l’égard de l’évolution des sports.

La culture physique et la compétition sportive

[…] Ce que l’on demande à l’exercice, c’est une assimilation cellulaire meilleure, c’est une respiration amplifiée, c’est une circulation mieux réglée, c’est le synchronisme dans le fonctionnement de tous les organes. Pourquoi le sport, qui est l’exercice physique poussé à l’extrême limite de l’effort, le donnerait-il mieux que la culture physique qui a du moins le mérite de ne faire courir aucun risque à l’individu ?

Et si l’on jette les yeux sur le passé pour tirer la leçon de l’expérience, les conclusions s’imposent avec une conviction plus grande encore. Que de sportifs morts à 30 ans, quand ce n’est pas l’excès lui-même qui les tue sur le coup ! Que de déchets dans le monde de la boxe, dans celui de la course à pied, dans les deux grandes familles du rugby et de l’association ! Et c’est ça qu’on voudrait nous donner en modèle ? Ah ! non ! L’excès en tout est un défaut, répète-t-on sans cesse ! La compétition sportive, c’est l’excès du sport qui est lui-même, avec son « goût du risque » et sa « recherche de la performance » l’exagération de la culture physique (1). Donnons droit de cité à celle-ci sur nos stades, dans nos écoles, dans nos familles, mais ne perdons pas notre temps à prôner des pratiques sportives dont le plus clair résultat est de mobiliser vingt mille personnes pour en voir évoluer vingt-deux.

C’est un médecin qui l’écrit en connaissance de cause : 1° Pour avoir pratiqué lui-même le sport de compétition, ce qui lui a permis de bien le juger ; 2° pour se rendre compte aussi que ce cri d’alarme est un devoir, dussent les médecins eux-mêmes en pâtir.

Et ils en pâtiront d’autant plus évidemment que le simple bon sens indique qu’ils recrutent nombre de leurs malades dans cette clientèle de spectateurs assez naïfs pour se geler les pieds deux heures durant pour le plaisir de voir les antres se réchauffer.

Docteur Henri DIFFRE » 38

Le sport aux abois

Il est amusant de constater le vent de panique qui souffle en ce moment dans les milieux sportifs. Les mauvais bergers qui président aux destinées du sport s’aperçoivent, en effet, et un peu trop tard, que leur évolution vers le professionnalisme n’est pas sans entraîner à des incidences inattendues. Comme ils donnent bien ainsi la preuve qu’ils ne sont que de mauvais bergers !

Car enfin, avec un minimum de jugeote et de bon sens, il était facile de comprendre que le mercantilisme éhonté qui, depuis un ou deux lustres, n’a même plus pris la peine de se cacher, – par conséquent bien avant la reconnaissance officielle du sport pour l’argent –, allait aboutir à une désaffection des milieux honnêtes et sains. Et il ne fallait pas non plus une intelligence exceptionnelle pour deviner que les mirifiques recettes encaissées aux guichets des stades spectaculaires décourageraient aussi la bonne volonté de ceux qui, détenant les cordons de la bourse, avaient accoutumé de grassement subventionner Fédérations et Clubs. Ou alors c’est que les dirigeants, conscients de ce qu’ils faisaient, avaient cru les dispensateurs des mannes officielles plus bêtes qu’ils ne sont !

Je ne sais pour ma part si les réactions des défenseurs de sport qui se font jour ici et là dans la presse datent de la nomination au sous-secrétariat de l’Éducation Physique d’un homme compétent… ce qui ne s’était pas encore produit, n’en déplaise à ses prédécesseurs. Mais comme il y avait cette fois dans la maison quelqu’un qui s’y connaît, il était bien certain que la partie n’était plus aussi belle pour les pêcheurs en eau trouble.

Je passe sur les qualités personnelles de l’ancien grand-maître de l’Éducation Physique qui sont suffisantes pour que personne n’ait songé à critiquer le choix du Président du Conseil : ce qui est un critérium. Mais les faits subsistent. Adolphe Chéron, depuis toujours, a suivi les efforts des sportifs et vu la peine qu’ils se donnaient à dépenser toutes leurs énergies en manifestations extérieures et publicitaires sans se soucier beaucoup d’un travail en profondeur qui serait pourtant le seul sage et productif. En revanche, il a été bien placé pour connaître le dévouement inlassable de tous ces pionniers de l’éducation physique attelés à la besogne la plus ingrate en apparence, manquant de moyens et y suppléant par une foi et une ardeur jamais en défaut, poursuivant leur tâche malgré rebuffades et moqueries, et construisant, grâce, à leur ténacité, un monument solide et durable, avec des assises profondes et une organisation impeccable, capable de défier à présent vents et marées.

Comment un pareil homme n’établirait-il pas un parallèle ? Et je comprends fort bien l’angoisse de certains milieux désagréablement surpris de voir s’éloigner d’eux des faveurs que peu de choses justifiaient jusqu’ici.

Alors, on fait flèche de tout bois ! Il faut sauver le sport, même le sport spectaculaire, et on bat le rappel de tous ceux qui, disposant d’une tribune quelconque, peuvent servir utilement une cause si compromise. C’est la raison pour laquelle on a pu lire dans Excelsior, cet article de M. Jean R. de Besneray que la Culture Physique a reproduit dans son numéro de janvier et qui est bien de nature à soulever une douce hilarité. Comme ces questions d’argent arrivent à fausser les jugements les plus sains ! Et quelle pauvre argumentation va-t-on mettre en avant quand il s’agit de défendre sa cause, j’allais dire sa peau !

Voyez-vous, mon cher Le Besnerais, vous devriez vous souvenir de ces vieilles émotions sportives, si saines, si loyales, que vous ressentiez comme moi il y a dix ans, lorsque nous étions face à face de part et d’autre du filet, luttant joyeusement pour une victoire sans trophée, uniquement pour la gloire… et pour les pauvres. Alors, vous ne vous lanceriez pas dans des affirmations gratuites et ne sortiriez pas, pour sauver une cause indéfendable, des arguments qui sont susceptibles de vous retomber sur le nez.

Sachez donc, vieux camarade, que les onze Instituts régionaux d’éducation Physique ont un budget de 54 000 francs, et non de 600 000. Cela fait juste onze fois moins ! C’est ce chiffre onze… les deux as… qui a dû vous hypnotiser… Et si vous trouvez que c’est beaucoup, 54 000 francs, pour essayer d’organiser l’éducation physique, c’est-à-dire le salut de la race, je vous dirai, moi, que je préfère voir cet argent à cette œuvre nationale que la moindre obole tomber dans les caisses du Racing-Club de France qui est, je crois, votre Club, et servir à payer une partie de l’indemnité de 125 000 francs que les excellents et pratiques dirigeants de l’Arsenal ont exigé, paraît-il, pour venir faire à Paris, contre votre Club, un match de charité.

C’est avec des procédés de cet ordre que ces responsables tuent l’idée sportive qui fut longtemps le noble mobile de vos efforts.

Faites machine en arrière, je vous en supplie. Faisons tous machine en arrière en reconnaissant nos erreurs. Il s’agit de la France que je préfère à ces deux ou trois centaines de métèques accourus de partout pour « renforcer » nos équipes.

Docteur HENRI DIFFRE. » 39

La diatribe finale contre les métèques envahissant nos équipes vise assurément les footballeurs professionnels venus de nombreux pays européens engagés par les clubs nouvellement professionnels depuis 1932 40. Mais La Culture physique toute entière glisse progressivement vers une fascination pour les régimes autoritaires voisins de la France. Le culte du corps est à la fois un hommage à la beauté physique et une religion de la force pure. Les photographies pleine page qui illustrent la revue exaltent les modèles allemand et italien : « La femme allemande doit devenir forte pour avoir des enfants forts a dit Hitler, le restant nous viendra par surcroît sans que nous le cherchions. La force est douée d’un pouvoir d’attraction qui s’exerce sur tous les éléments indécis qui viennent aussitôt grossir cette force d’une façon démesurée. Si la France, l’Angleterre, l’Allemagne et l’Italie s’associaient, tous les peuples du monde voudraient faire partie de l’association, il y aurait pas d’hésitants et ce serait la véritable Société des Nations » en commentaire d’un cliché du Berliner Illustrierte Zeitung représentant un groupe d’athlètes danseuses féminines 41.

Diffre participe de l’obsession de régénération de la race qui se retrouvera peu après dans la politique sportive de Vichy 42. Il n’est pas étonnant qu’on le retrouve sous l’Occupation parmi les cadres territoriaux de « l’éducation générale et sportive ». Il est probable qu’il ait joué de ses relations tennistiques avec Jean Borotra, son cadet de dix ans, devenu, fin 1940, Commissaire général à l’éducation générale et aux sports, pour se faire nommer à Montpellier. Il n’est pas facile de retracer son action administrative dans cette période en raison de la dispersion des archives, et faute d’un dépouillement systématique de la presse locale. Dans ses fonctions de directeur régional, il est chargé d’appliquer les directives de Vichy en matière de politique sportive. Un entrefilet de L’Éclair du 20 janvier 1943 43 traite des équipements sportifs à Montpellier :

« M. H. Diffre a réuni, lundi, à 18 h, les secrétaires des comités sportifs régionaux pour les entretenir des divers programmes en préparation ou en cours d’exécution. Il leur a annoncé son intention de rendre ces réunions bimensuelles, en principe les premier et troisième lundis de chaque mois. Les inspecteurs à l’éducation générale et aux sports des cinq départements de l’Académie y assisteront, ce qui permettra de maintenir un contact fécond.

M. Diffre a ensuite exposé avec détails comment il avait conçu et organisé l’équipement sportif de la ville de Montpellier avec ses terrains sportifs et ses terrains scolaires. Un crédit de huit millions va permettre l’exécution d’une première tranche de travaux. Une deuxième tranche est déjà en vue, M. Diffre ayant pu obtenir un deuxième crédit de vingt millions de francs.

Enfin, l’inspecteur principal à l’Éducation générale et aux sports a décrit quelques-uns des grands travaux qu’il concevait pour doter Montpellier de deux institutions vraiment remarquables.

La première, sur le plan régional, serait la construction d’un centre régional d’éducation physique et sportive au Plan des Quatre-Seigneurs. Dans ce site particulièrement bien choisi, des bâtiments seraient construits pour y loger 350 élèves.

La seconde serait réalisée dans la ville même et consisterait dans l’édification d’une Maison des sports.

M. Diffre indique aussi que Béziers a reçu des crédits s’élevant à 10 millions et Sète 7 millions. »

Même s’il s’agit de projets avortés, Henri Diffre semble bien s’être montré entreprenant, ce que confirme, toujours en 1943, une appréciation élogieuse du préfet délégué de l’Hérault :

« Conformément aux prescriptions de votre circulaire citée en référence, j’ai l’honneur de vous donner ci-dessous mon appréciation personnelle sur la manière de servir des 2 délégués aux sports que j’ai eu l’occasion de voir à l’œuvre dans mon département ; il s’agit de MM Diffre et Got, inspecteur principal et inspecteur adjoint, tous deux en résidence à Montpellier.

Je ne puis, en ce qui me concerne, que donner un avis très favorable à la titularisation de ces deux fonctionnaires.

Le docteur Diffre remplit à mon entière satisfaction les fonctions de directeur régional à l’Éducation générale et aux sports. D’une activité débordante, M. Diffre joint à une éducation parfaite une intégrité morale peu commune. Je le considère comme particulièrement digne d’occuper le poste auquel il a été appelé (…). » 44

Emmanuel Gambardella, artisan du football professionnel

La paix revenue, Gambardella retrouve sa place au nouveau FC Cette, successeur de l’Olympique, et y occupe les fonctions de secrétaire général jusqu’en 1929 : tâche certainement absorbante, mais mal ou pas rémunérée 45. Il faut bien vivre pourtant, et Gambardella mord à pleines dents dans les Années folles en se lançant dans la production pour les scènes de music-hall, les théâtres lyriques, et pour des troupes en tournées. Opérettes, revues de fin d’année, se succèdent, souvent en collaboration avec des compositeurs régionaux (Raymond Aubert, Jean Pons…). Son adhésion à la Société des auteurs permet de cerner approximativement ses œuvres abouties et jouées sur les scènes méridionales, de Nice à Bordeaux, et parfois aussi à Paris. Mais les projets restés dans les tiroirs semblent être aussi nombreux. Au total, une production effrénée durant plusieurs saisons, qui émarge à des genres bien catalogués : revue, sketch, comédie, vaudeville, opérette. Ainsi, pour la seule année 1921, on peut décompter pas moins de 7 titres : “Vous y viendrez !”, “Heure d’été”, “Quand vient l’printemps”, “Comme la plume au vent”, “Nous voila !”, “Le dernier quart d’heure”, “Une poule survint…”. La production de Gambardella s’essouffle après 1925 : deux opérettes encore en 26, et deux comédies en 1927, terme probable de sa carrière littéraire.

La grande majorité de ces œuvres ont été écrites à Sète ou à Frontignan (où il réside avec son épouse) et tout au long de l’année : le travail de Gambardella est régulier, ce qui donne à penser qu’il peut s’agir là de son activité principale, et que l’insuffisance des ressources qu’elle lui procure le conduit à bifurquer progressive ment vers le journalisme sportif 46. Il faut cependant noter que, parmi toutes ces œuvres tendues vers le music-hall, ressortent deux comédies à thème footballistique. L’une, écrite durant le printemps 1927, a disparu et n’a probablement jamais été jouée. Cette « comédie sportive pour 12 hommes », intitulée “John Williamson, footballeur”, évoque irrésistiblement les affaires du FC Sète à propos de ses joueurs britanniques. L’autre, par contre, “Le Supporter”, a été publiée 47, et si elle n’a pas connu de succès public, c’est peut-être en raison de sa critique incisive de l’amateurisme marron 48, sur laquelle nous reviendrons. Cette comédie en un acte, alerte et bien menée, mériterait pourtant d’être reprise car elle reste d’actualité. (Fig. 5)

Le passage d’Emmanuel Gambardella au journalisme sportif a été décrit, dans ses débuts languedociens, avec suffisamment de précision par Roland Andréani pour qu’il ne soit pas utile d’y revenir ici. Rappelons simplement qu’il débute en 1921 à L’Information méridionale, le quotidien local dirigé par Auguste Augé qui fut député radical-socialiste avant la guerre 49 et au supplément bihebdomadaire L’Information sportive méridionale dont il est le secrétaire de rédaction. Puis il passe à Montpellier où il prend en mains Le Languedocien sportif jusqu’à la fin des années 20, tout en continuant à vivre à Frontignan jusqu’à son déménagement dans la capitale régionale en 1932.

Fig. 5 La mise en scène de l'amateurisme marron
Fig. 5 La mise en scène de l'amateurisme marron
La manchette du Languedocien Sportif qui réunit Diffre et Gambardella
Fig. 6 La manchette du Languedocien Sportif
qui réunit Diffre et Gambardella

C’est dans les colonnes du Languedocien sportif qu’il se forme véritablement à ce nouveau métier. Il peut y approfondir les questions relatives au fonctionnement du football, puisque la feuille sert de bulletin officiel du District du Sud-Est de la Fédération.

C’est aussi dans ce journal que Gambardella a l’occasion en 1924 de renouer avec Henri Diffre à qui il offre une tribune, certainement au nom des souvenirs communs de l’Olympique de Cette. (Fig. 6)

Parallèlement, Gambardella travaille de plus en plus régulièrement pour la presse sportive nationale. Sa signature apparaît dans des journaux tels que Sporting, France Football, Match, Miroir des Sports à la fin des années 30, où il parcourt tout le Midi au gré des rencontres de football dont il fait le compte rendu.

En même temps, il alimente la rubrique sportive du Petit Méridional, où il peut atteindre un public plus large que celui des journaux spécialisés et mieux diffuser ses idées sur l’organisation du sport.

Gambardella a joué un rôle prépondérant dans la mise en place du football professionnel. Avec son collègue Gabriel Hanot, il fait campagne dans l’opinion sportive, aussi bien par des reportages que dans des articles de fond fortement argumentés. Une évolution très significative se fait jour dans la presse spécialisée tout au long des années 1920.

Le Miroir des Sports, par exemple, passe d’une critique ferme du professionnalisme, considéré comme le tombeau du sport, critique menée dans les années 20-25 au nom de la morale sociale (la déchéance de l’ancien joueur professionnel due aux habitudes d’argent facile et de fainéantise) à une défense tout aussi affirmée à partir de 1928 : la question du professionnalisme ne se posant réellement qu’à propos du football, les exemples des pays passés au professionnalisme, tels que l’Autriche, la Tchécoslovaquie ou la Hongrie ne révélaient aucune conséquence catastrophique ; et quant à parler de morale, pourquoi ne pas s’en prendre à l’hypocrisie de l’amateurisme marron ? Dans un grand reportage étalé sur cinq numéros du journal au printemps 1929, Gabriel Hanot et Marcel de Laborderie parcourent l’Hérault (pour le football) et l’Aude (pour le rugby) en glorifiant leurs résultats sportifs sous le titre : « Une tournée sportive dans la province du Languedoc, première région de France en football comme en rugby », et précise : « Le Midi méditerranéen a en effet fourni, cette saison, les finalistes des grandes épreuves nationales du ballon rond et du ballon ovale : Montpelier et Sète pour la Coupe de France de football, Quillan et Lézignan pour le Championnat de France de rugby. » 50 Et Hanot ne rate pas l’occasion de mettre au premier plan le duo Bayrou-Gambardella. Il dessine un portrait de son confrère que l’on retrouve chez tous les témoins du temps, et qui insiste sur la personnalité fascinante et la force de conviction exceptionnelle du Sétois 51. (Fig. 7)

Gambardella en 1929 (Miroir des Sports n° 486 du 11 juin 1929).
Fig. 7 Gambardella en 1929 (Miroir des Sports
n° 486 du 11 juin 1929).

Mais on peut aussi penser que Gambardella a vu son influence grandir au sein des instances fédérales grâce au soutien de Jules Rimet, président de la FFFA depuis 1919, qui avait lui aussi une approche sociale du sport et de sa démocratisation dans les classes populaires. Il avait dans sa jeunesse milité au Sillon de Marc Sangnier 52 et cet engagement commun ne pouvait que le rapprocher de son cadet méridional. Il y a donc tout lieu de supposer que Rimet a introduit Gambardella dans les arcanes de la Fédération lorsqu’il s’est agi de promouvoir le professionnalisme, comme il a probablement favorisé son élection à la présidence de la Fédération en 1949.

Au Conseil directeur de la Fédération (FFFA), le représentant des clubs du Sud-Est galvanisés par l’exemple sétois, était Georges Bayrou, Gambardella participant à titre de journaliste expert à une commission d’étude initiée par les dirigeants fédéraux. Le premier proposa la création d’une Ligue professionnelle, ce qui fit peur. Mais Gambardella, en novembre 1930, imagina, pour faire avancer le dossier qui s’enlisait, de faire répondre à des questions précises : Veut-on conserver le statu quo ? Veut-on créer le statut de joueur rétribué ? Veut-on instaurer le professionnalisme ? et fit ainsi basculer le conseil de la FFFA dans le monde professionnel. Alfred Wahl et Pierre Lanfranchi notent à ce propos que « l’idée que des jeunes gens pourraient n’avoir comme seule activité que le football semblait toujours tétaniser les dirigeants. Ils se promettaient en tout cas d’exercer un meilleur contrôle sur les joueurs pros qui seraient leurs employés. » 53 La dernière phrase est, très probablement, l’une des clés du passage au professionnalisme. Au-delà des invocations morales ou, plus prosaïquement, des progrès techniques et physiques attendus d’un entrainement régulier, le professionnalisme cherche à régler en faveur des dirigeants des clubs le rapport de force continuel qui les oppose aux joueurs amateurs libres de leurs mouvements : c’était la leçon délivrée par la comédie de Gambardella, “Le Supporter” dès 1926. Le bon joueur qui fait gagner son équipe est en situation de faire chanter ses dirigeants avec des exigences financières occultes ou un emploi de pure forme qui empoisonne le chef d’entreprise contraint de l’accueillir.

On voit que le passage au professionnalisme a été fortement aidé par la presse spécialisée et par des journalistes de renom tels que Gabriel Hanot, à Paris, ou Gambardella dans le Sud-Est 54. En retour, Gambardella devient rapidement incontournable en tant que président de la commission des « clubs autorisés » (autorisés à utiliser des joueurs rémunérés), commission mise en place à partir de 1932 et de la première saison du championnat professionnel.

Où mène le journalisme sportif…

L’exil de Diffre

Le Dr Diffre attaqué par La Voix de la Patrie du 25 octobre 1944
Fig. 8 Le Dr Diffre attaqué par La Voix de la Patrie du 25 octobre 1944.

C’est en tant qu’expert en éducation physique et en sport qu’Henri Diffre a saisi l’opportunité d’une carrière administrative susceptible de mettre en pratique ses conceptions médicales et hygiénistes. L’adhésion à l’État français et à son idéologie pouvait lui permettre un tremplin, que la fin de la guerre a brutalement détruit. Dès les premières semaines de la libération de Montpellier et du Languedoc, de violentes critiques à son encontre sont remontées jusqu’au Commissaire de la République Jacques Bounin 55. La Voix de la Patrie, quotidien communiste qui occupe à la Libération les locaux abandonnés par le Petit Méridional, sonne la charge contre les fonctionnaires de Vichy encore en place, et Diffre fait partie du lot. Celui-ci se débat dans une situation devenue critique, tente de faire intervenir le recteur d’Académie, et adresse au nouveau commissaire de la République une longue défense, passablement maladroite dans son empressement à se trouver des actes de résistance et des témoins de moralité. C’est ainsi qu’il invoque les activités de ses deux fils, le cadet qui aurait suivi le général De Lattre de Tassigny dans sa tentative de résister aux Allemands envahissant la zone libre en novembre 1942 56, et l’ainé se battant en Afrique 57. Ce qui ne lui évite pas la radiation administrative, et le contraint à une relative reconversion. (Fig 8)

Il semble bien que le docteur Diffre se soit replié sur la Bourboule, où il travaillait déjà avant la guerre durant la saison thermale pédiatrique (voies respiratoires et troubles du développement de l’enfant, qui sont ses domaines de compétence privilégiés). C’est là qu’il participe à la conception des parcs d’enfants, appelés à essaimer en France, auxquels il consacre deux ouvrages dès 1934. Cette innovation médico-sociale est suffisamment reconnue pour que Diffre soit en 1948 le premier président du Syndicat des maisons d’enfants.

L’autre activité repérable d’Henri Diffre après la guerre concerne les Rotary Clubs. Celui de la Bourboule a été créé en 1934 par des médecins de la station, dans une période de grande affluence de la clientèle bourgeoise. Henri Diffre en fut évidemment un membre assidu, puisqu’il consacra à cette institution deux ouvrages référencés à la BNF : Vingt ans d’action rotarienne, histoire du club n° 3792 : le Rotary-club La Bourboule-Le Mont-Dore, opuscule publié localement en 1956 58, et trois ans plus tard, alors qu’il est présenté comme « gouverneur » du Rotary, Histoire du Rotary en France publié à Lyon.

L’apothéose de Gambardella

Face à l’exilé Henri Diffre, Emmanuel Gambardella fait figure de personnalité omniprésente de la vie héraultaise et montpelliéraine. Bien qu’il ait continué jusqu’à la fin de sa vie son métier de journaliste sportif, on le voit élargir continument le périmètre de ses activités.

Une première étape est franchie quand il prend des responsabilités nouvelles dans la presse généraliste. C’est d’abord à Sud, l’éphémère quotidien montpelliérain qui tente, au début des années 1930, de frayer une troisième voie entre L’Éclair conservateur et le Petit Méridional radical-socialiste. Roland Andréani décrit « son dynamisme [qui] lui vaut d’être promu rédacteur en chef en juin 1931. (…) Gambardella apparaît, au total, comme la personnalité la plus marquante de la rédaction, un journaliste à l’aise dans les sujets les plus divers, dissertant sur le théâtre de Marcel Pagnol ou prenant position pour le vote des femmes, tout en assurant au sport une place particulière qui fait alors l’originalité du Sud à Montpellier. » 59

Ce nouveau statut de journaliste généraliste est d’ailleurs officialisé par son élection à la présidence du syndicat des journalistes professionnels de Montpellier en 1935.

Emmanuel Gambardella interviewe le joueur sétois Koranyi (années 1945-50)
Fig. 9 Emmanuel Gambardella interviewe le joueur sétois Koranyi (années 1945-50) (Source : LANFRANCJI et WAHL 1995).

Cette première expérience lui confère une visibilité professionnelle qui va le propulser dix ans plus tard au comité directeur (1944) puis à la présidence du conseil d’administration (1945) du Midi Libre naissant à la Libération sur les ruines de L’Éclair. Gambardella est alors la figure de proue de la presse héraultaise. Ce que ne fait qu’amplifier sa nomination à la tête de Radio Montpellier, le poste régional né en 1927. Ici encore, c’est sa renommée d’homme aux multiples talents qui le pousse en avant. Ses facilités oratoires le prédestinaient à une carrière radiophonique, et Gambardella s’exprime « dans le poste » en toutes circonstances, depuis des interviews des personnalités les plus diverses (par exemple le RP Carré, célèbre prédicateur) jusqu’à des retransmissions de matches de football. (Fig. 9)

Mais l’énergie déployée par Gambardella se manifeste toujours, et de plus en plus, dans les institutions sportives, puisqu’après la parenthèse vichyssoise ayant tiré un trait sur le sport professionnel, la FFF le replace au centre du jeu en lui confiant la présidence du Groupement des Clubs Autorisés (c’est à dire professionnels), l’ancêtre de l’actuelle Ligue Professionnelle. Mieux encore : Jules Rimet, qui était conjointement président de la Fédération Française et de la Fédération Internationale (FIFA), démissionne de la première en 1949, et laisse son fauteuil à Gambardella. Celui-ci a désormais, pendant les 4 ans qui lui restent à vivre, le pouvoir sur l’ensemble du football français, amateur et professionnel.

C’est donc ce personnage considérable, grand patron de presse, grand dirigeant sportif, dont Andréani s’étonnait que ne lui eût jamais été consacrée une biographie digne de ce nom. Mais ses contemporains lui firent des funérailles solennelles, au lendemain d’une opération chirurgicale de routine mais ratée. (Fig. 10)

La dépouille d'Emmanuel Gambardella sort du siège de Midi Libre rue d'Alger
Fig. 10 La dépouille d'Emmanuel Gambardella sort du siège de Midi Libre rue d'Alger (Miroir des Sports du 7 septembre 1953).

Conclusion

À défaut de véritables biographies, que la rareté documentaire rend improbables, notre tentative de dresser un parallèle entre deux figures contemporaines du début du XXe siècle permet d’éclairer quelque peu les conditions d’apparition d’une information sportive en province.

Dans la mesure où ne sont que très progressivement réunies les conditions de constitution d’un champ du journalisme sportif, avec ses organes de presse, ses spécialistes dûment formés, son organisation autonome, il est primordial de prendre en considération la diversité et l’hétérogénéité des premiers acteurs qui s’aventurent sur un terrain encore vierge. C’est pourquoi les quelques ressources biographiques ici réunies ne peuvent en aucun cas dessiner le profil-type du journaliste sportif (qui ne viendra que plus tard), mais elles sont essentielles pour saisir la multiplicité des possibles qui s’ouvraient alors, et la diversité des voies empruntables.

Diffre et Gambardella, pourtant contemporains et voisins, ne se ressemblent guère, et ils ont tiré l’écriture sportive vers des horizons différents et dans des styles souvent contrastés. Il faut donc supposer que les personnalités individuelles – ce mélange d’éducation, de convictions acquises, d’expériences de vie non partagées – ont joué un rôle majeur dans les trajectoires de chacun lorsqu’elles se sont heurtées aux aléas de l’histoire.

Les silhouettes de Diffre et de Gambardella illustrent en partie les discordances entre l’éducation physique et le sport – vieille histoire ! – mais aussi les conflits politiques et idéologiques du XXe siècle. C’est une autre façon de dire que l’histoire du sport n’est pas un exercice vain.

BIBLIOGRAPHIE

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TETART et VILLARET 2010, Tétart (Philippe) et Villaret (S), Les Voix du sport, Biarritz-Paris, Atlantica/Musée National du Sport, 2010.

TETART 2015, Tétart (Philippe) (dir.), La presse régionale et le sport, Presses Universitaires de Rennes, 2015.

NOTES

1. Le Sport paraît à partir de septembre 1854, et traite tout aussi bien du turf et de la chasse que de la boxe, du canotage, du jeu de paume ou de la natation, et fait une large place à l’ensemble des loisirs tels que la danse, l’Opéra, la vie de salon et de villégiature. Une collection de l’hebdomadaire est disponible sur Gallica.

2. Le premier numéro de La Vie au Grand Air, bimensuel illustré, paraît le 1er avril 1898.

3. TETART 2015, p. 12.

4. Ph. Tétart, « Tableau de la presse sportive de province (1845-1914) », in TÉTART et VILLARET 2010, t. 1, pp. 23-97.

5. Alex Poyer, « Le Petit Méridional et L’Éclair. Deux quotidiens montpelliérains face au sport (1883-1914) » in TETART 2015, pp. 105-124.

6. En l’absence de renseignements plus précis, je suis l’article du Dictionnaire de biographie héraultaise de Clerc, lui-même inspiré de la notice du Who’s who de 1972, année de son décès. L’historique de ce collège de dominicains (Arcachon puis Saint-Sébastien) figure sur le site de la Société Historique et Archéologique d’Arcachon et du pays de Buch.

7. Pierre Bourdieu définit l’ethos comme « le système de valeurs implicites que les gens ont intériorisées depuis l’enfance et à partir duquel ils engendrent des réponses à des problèmes extrêmement différents » (Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1984, p. 228).

8. Vie Montpelliéraine et Régionale (VMR), du 25 décembre 1910.

9. Christian Guiraud, « Le Comité du Languedoc de l’USFSA », Cent ans de sport dans l’Hérault, Études héraultaises, hors série, 2010, p. 71.

10. Il signe en 1908 une demande de subvention adressée au maire de Montpellier Paul Pezet, radical de gauche mais médecin et pharmacien.

11. Il semble bien s’être testé sur des postes de joueur de champ, attaquant et demi, mais a très vite opté pour la spécialisation dans le rôle de gardien de but.

12. ANDREANI 1992 et 1995.

13. Selon une affirmation familiale.

14. L’Éclair du 11 décembre 1909. La rareté des arbitres officiels conduit chaque club à désigner un de ses membres pour diriger les parties.

15. Augé, Cédric, Le Sillon de l’Hérault (1906-1910), Mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, Université Paul Valéry 1995 (dir. Gérard Cholvy et Yves Marchand).

16. Fondée par Marc Sangnier, cette feuille n’a eu qu’une existence assez éphémère, entre 1905 et 1910, et fait le lien entre les militants du Sillon. 1905 est la date à partir de laquelle Sangnier fédère de nombreux « cercles d’études » catholiques, dont très certainement celui de Sète.

17. Ce texte est difficile à dater précisément, d’autant que les licences poétiques peuvent avoir pris le dessus sur la véracité chronologique. Le joueur Vernet fut l’attaquant du Stade Montpelliérain jusqu’en 1909 avant d’émigrer vers l’Olympique de Cette. Quant à Gibson, Écossais qui fut le joueur puis l’entraineur du club sétois avant et après la guerre, il n’aurait été recruté par Georges Bayrou qu’en 1912.

18. VMR du 8 septembre 1907.

19. L’utilisation de ce terme laisse le lecteur dubitatif. Il n’apparait pas dans le manuel technique du tennis publié par le champion Max Decugis en 1913, et figure avec un sens tout différent dans le Dictionnaire Robert de la langue des sports. Il semblerait que Diffre veuille parler d’un smash, ce qui révélerait quelque faille dans sa maîtrise de l’anglais ou dans celle du typographe.

20. VMR du 24 février 1907. La signature (Ride) est-elle le résultat d’une mauvaise lecture du typographe, ou faut-il plutôt y voir un pseudonyme de circonstance à fin de masquer la part d’autoportrait ironique du tennisman bien connu Diffre/Drive ?

21. VMR du 16 décembre 1906.

22. VMR du 16 janvier 1910.

23. VMR des 2 et 23 octobre 1910.

24. L’Écho du Nord du mardi 12 mai 1914.

25. Station balnéaire très fréquentée de la côte d’Opale, au nord de Boulogne.

26. Historique du 15e Régiment d’Infanterie (1914-1918), Imprimerie F. Cocharaux, Auch, 1920, 31 p.

27. Le simple soldat Jean Giono est un rescapé du Kemmel, et a évoqué la sauvagerie des combats dans son roman Le Grand Troupeau paru en 1931 et dans Refus d’obéissance (1937).

28. Le 15e au Kemmel. 3 au 16 Mai 1918, Imprimerie Danel, Lille, 1919. Cet ouvrage semble difficile à trouver : il n’est pas mentionné dans les bibliothèques publiques de l’agglomération lilloise, et ne figure pas dans les notices bibliographiques consacrées à Henri Diffre par la BNF.

29. DIFFRE 1932, p. 8. Les italiques sont d’origine.

30. « Les avantages et les dangers du Football » dans le numéro du 15 mai 1926 de l’organe des patronages Les Petits gars, où il donne des conseils médicaux aux jeunes footballeurs.

31. Dans la page sportive du Grand Écho du Nord et du Pas-de-Calais, du 14 février 1922, figurent côte à côte un article signé du Dr Diffre sur « La préparation militaire » et le compte rendu d’un match du Racing Club de Roubaix, dont Diffre garde les buts.

32. Henri Bard (1892-1951) a eu une carrière de footballeur entre 1907 et 1925, soit tout à fait contemporaine de celle d’Henri Diffre. Plusieurs fois international et capitaine de l’équipe de France, il partage avec Diffre la caractéristique, fréquente à l’époque, de mener de front activité sportive de haut niveau et vie professionnelle accomplie en tant qu’architecte.

33. DIFFRE et BARD 1927.

34. Par exemple « Sport et culture physique » (1er août 1921), « Quels sont les indices de robusticité dont on se sert » (31 mars 1922) qu’il signe le plus souvent : Docteur Henri Diffre, du RC Roubaix.

35. Le Ballon rond, n° 243 du 5 juillet 1924.

36. Sur le fonctionnement des IREP, voir DEFRANCE 2005, SAINT-MARTIN 2006 et MIERZEJEWSKI 2007. L’IREP de Montpellier a été créé par décret d’octobre 1929, sous la direction du professeur Hédon.

37. Ainsi en 1932 : « (…) le sport et son dérivé, la compétition sportive, ne font partie en aucune façon, ne peuvent pas dépendre de la culture physique. Ils ne peuvent donc être l’exagération de cette dernière qui, rappelons-le une fois de plus, se suffit largement à elle-même, pas plus que la guerre n’est l’exagération de la paix, ou l’ombre l’exagération de la lumière. Ce sont trois choses absolument différentes et voici pourquoi :

  1. La Culture Physique est une gymnastique des organes qui n’a qu’un seul but : la beauté corporelle, condition essentielle de la santé.
  2. La compétition sportive vise simplement à faire des recettes par l’exhibition de phénomènes, professionnels ou non. Pas plus qu’un métier manuel, elle ne saurait viser à développer harmonieusement le corps, à supprimer les tares. Le but de l’ouvrier est de gagner sa vie, celui du champion de battre l’adversaire ou un record. Les spectateurs payants sont amenés au stade grâce à une réclame effrénée, à une publicité intensive dans les journaux, lesquels participent à la recette sous forme de pourcentage. Supprimez les recettes, vous supprimerez le tam-tam, les spectateurs, et par voie de conséquence les championnats et tous ceux qui en vivent : champions, managers, organisateurs, etc.
  3. Le sport n’a qu’un but : le jeu, sans amusement, le sport sera vite moribond. La Culture physique n’est pas un jeu, ni une compétition. C’est un devoir envers soi-même d’abord, sa famille et la race aussi. Elle n’a nul besoin de record, de spectacle, de lutte pour étendre ses bienfaits, pour sauver des vies humaines en accomplissant parfois de véritables miracles. Il est donc impossible d’associer trois choses aussi dissemblables. Autant vouloir marier l’eau et le feu, la carpe et le lapin, ou la baleine et le faisan. » (La Culture physique n°511, novembre 1932)

38. La Culture physique n°511, novembre 1932. C’est cet article de Diffre, pourtant critiqué, qui suscite la note de la rédaction citée ci-dessus : note 37.

39. La culture physique, n° 530, juin 1934.

40. Sur ce sujet, voir en particulier BARREAUD 1998, LANFRANCHI – WAHL 1995.

41. La Culture physique d’août 1936, p. 246.

42. Sur la politique sportive de Vichy, voir en particulier GAY-LESCOT 1991, PECOUT 2012.

43. A cette date, Jean Borotra a été remplacé par Joseph Pascot, ancien rugbyman catalan, nommé par Pierre Laval.

44. Minute du Cabinet du Préfet de l’Hérault, en date du 19 avril 1943, adressé au Ministre de l’Éducation nationale, Commissariat général aux Sports. (AD Hérault)

45. Selon le témoignage de Gabriel Hanot (Le Miroir des Sports, du 11 juin 1929, p. 374). Il est à remarquer que Gambardella et Diffre suivent une trajectoire très voisine, puisque Diffre au début des années 20 occupe les mêmes fonctions au RC Roubaix.

46. D’après les renseignements obtenus auprès des héritières de Gambardella, c’était le petit salaire de son épouse, institutrice en poste à Frontignan, qui « faisait bouillir la marmite » du ménage. L’entrée dans le journalisme sportif apparaît alors comme une porte de sortie sanctionnant l’échec littéraire.

47. Le Languedocien Sportif l’a publiée en feuilleton, puis elle est sortie en volume chez un imprimeur d’Avignon.

48. L’expression, très usitée entre les deux guerres, désigne la situation de sportifs statutairement amateurs mais rémunérés en cachette par leur club.

49. Et à qui il dédie sa comédie “Une poule survint…”, jouée la même année au théâtre des Variétés de Cette.

50. Le Miroir des Sports, n°484 à 488, du 28 mai au 25 juin 1929.

51. « Journaliste sportif abondant et incomparable dans la polémique, librettiste d’opérettes, poète, auteur dramatique, orateur d’une facilité et d’une faconde étincelantes, Emmanuel Gambardella aime passionnément son pays. (…) Il est Sétois. Il aime, par conséquent, le football passionnément. Il ne rêve que de prosélytisme, de propagande du ballon rond, de conquête de nouvelles régions ; il voudrait gagner tout le Vaucluse, l’îlot de Toulon, Perpignan même au ballon rond. Ainsi Sète est un foyer d’agitation du football. » (Le Miroirs des Sports du 11 juin 1929).

52. Selon Yves Chenal : « Né le 14 octobre 1873 dans un milieu populaire, en Haute-Saône, Jules Rimet s’affiche d’abord en militant chrétien proche de Marc Sangnier et du Sillon. Passionné par le sport, il se sent prédestiné à le promouvoir auprès des classes populaires plus encore qu’à le pratiquer… À ses yeux, le sport doit permettre à toutes les couches sociales de se confronter et pour cela, il faut le professionnaliser : rien n’est plus éloigné de sa pensée que l’amateurisme aristocratique. » (Disponible sur le site www.herodote.net)

53. LANFRANCHI et WAHL 1995, p. 53.

54. L’influence déterminante du journaliste Gambardella est très probable dans le fait qu’en 1932, sur les 20 premiers clubs français à choisir le professionnalisme, 9 sont situés sur le pourtour méditerranéen.

55. Je remercie Christian Guiraud qui m’a communiqué des documents d’archives sur cette période agitée de la vie d’Henri Diffre.

56. Voir de Christian Bouquet « Saint-Pons, 12 novembre 1942. Une journée particulière dans la vie du soldat De Lattre », Études héraultaises, n° 48, 2017, pp. 161-169.

57. La famille Diffre, catholique et conservatrice, est assez représentative de toute une part de la bourgeoisie montpelliéraine et de son attitude durant l’Occupation. Le nom de Diffre apparaitrait sur une liste de miliciens détenue par les Archives départementales (probablement un frère d’Henri). Quant au fils ainé, Thadée né en 1912 à Cambrai, il a un destin exceptionnel en porte-à-faux par rapport à sa famille. Compagnon de la Libération pour son action en Afrique au service de De Gaulle, il a participé activement en 1948 à la guerre dans le Neguev lors de la naissance de l’État d’Israël. Décédé dans un accident de la route près de Tarbes en1971 après avoir eu un rôle influent dans les milieux gaullistes de Toulouse.

58. Partiellement consultable sur Gallica.

59. ANDREANI 1989.