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Agde : Fouilles archéologiques terrestres. Recherches sous-marines

Raymond ARIS (article complet)

Les recherches archéologiques de ces dernières années ont fait mieux connaître l’histoire de notre région aux siècles qui précédèrent la conquête romaine.

En notre Méditerranée occidentale, et dès le VIIe et VIe siècle avant J-C, Ioniens, Étrusques et Grecs établirent leurs comptoirs, leurs premières colonies. Ils apportaient chez nous ces beaux vases de bronze, ces poteries peintes, véritables œuvres d’art qui font aujourd’hui la richesse des musées, depuis Ensérune ou Mailhac jusqu’à Saint Julien de Pézenas.

Ils apportaient aussi leurs vins tellement appréciés, des outils des pacotilles diverses. En retour notre pays fournissait des matières premières, des minerais, des esclaves, ressources naturelles du pays encore « barbares ». Ces échanges s’intensifièrent au cours des siècles et les centres les plus importants du trafic étaient les ports grands ou petits de la côte.

La voie maritime était alors la route commerciale la plus suivie, étant relativement plus sûre et plus commode que la voie de terre. C’est pourquoi les fouilles pratiquées à Lattes, port de la région montpelliéraine, ont déjà fourni de véritables « trésors ». Quant aux fouilles d’Agde, port de la vallée de l’Hérault, elles ont donné des résultats aussi importants. A terre elles ont montré l’emplacement du site grec, en mer et dans le port les recherches sous-marines ont enrichi nos musées d’un matériel archéologique abondant et d’une œuvre art de grande classe : l’éphèbe d’Agde.

Nous allons, en ces quelques lignes, dresser le bilan des résultats obtenus sur le site d’Agde, faire le point des connaissances récemment acquises sur Agde grecque et romaine, périodes naguère encore peu connues de notre histoire locale.

La ville d’Agde fut, à l’origine, au VIe siècle avant J-C., une colonie des Grecs de Marseille, AGATHE TYCHE : « la Bonne Fortune ». Quelques auteurs antiques attestent l’existence de cette colonie en précisant sa situation : « près des bouches de l’Hérault » et dans une « île d’Agde ». Et c’est là tout ce que l’on connait en fait de documents historiques sur Agde antique.

Après la décadence de Marseille, Agde devient ville romaine. Dès le Ve siècle après J-C., elle est le siège d’un évêché et c’est là que commence en fait notre histoire locale. Si les informations sont rares pour la période antique, l’historien est au contraire comblé en ce qui concerne le Moyen Age et les Temps Modernes. Les Cartulaires de l’Évêché, les cartulaires du Chapitre, les cartulaires municipaux ont conservé une documentation importante dont l’étude a été reprise, tout récemment, en quelques ouvrages de haute tenue scientifique(1). Au Moyen Age, après le déclin de Narbonne et d’Aigues-Mortes, Agde fut le seul port actif du Languedoc et le resta longtemps encore. Mais aux derniers siècles, la concurrence du port de Sète, mieux outillé pour recevoir des navires d’un tonnage toujours croissant amena la décadence. A la fin du siècle dernier, Agde était comptée au rang des « villes mortes du golfe du Lion », ces villes qui, repliées sur elles-mêmes, ne vivaient que des souvenirs de leur long passé.

LES FOUILLES TERRESTRES

Le premier chapitre de notre histoire locale était donc pratiquement inexistant et le sol de la ville d’Agde et des environs n’avait jamais livré le moindre document archéologique révélateur. A tel point qu’archéologues et chercheurs locaux s’étaient mis à rechercher Agde antique non sur l’emplacement actuel mais plutôt sur des sites voisins et en particulier près du Cap d’Agde. Une tradition fort ancrée dans l’esprit populaire situait en cet endroit une ville disparue : Embonne(2). Des ruines informes, quelques découvertes de poteries et de vestiges antiques faisaient accepter avec vraisemblance l’hypothèse que là étaient les rares restes de la colonie grecque. C’était faire fausse route car les premières fouilles pratiquées dans la ville d’Agde, vers 1938, nous révélèrent le site depuis longtemps oublié. Nos premiers sondages découvrirent quelques restes d’habitations grecques et romaines et les indices recueillis au cours d’importants travaux publics de terrassement nous permirent de délimiter le site. La ville antique occupait, au centre de la ville actuelle et au bord de la rivière, un quadrilatère de deux cents mètres environ. Les couches archéologiques les plus anciennes sont datées par quelques poteries du VIe ou Ve siècle avant J-C. Ces dates concordent grosso modo avec les données de l’histoire(3). Les habitations retrouvées sont de types déjà bien connus depuis la cabane aux murs de clayonnage et de torchis assise dans une encoche du rocher jusqu’à la maison romaine au plancher recouvert de béton, de poteries en passant par la maison aux murs de pierre sèche à piliers verticaux. Une découverte intéressante a été celle d’une inscription grecque sur feuille de plomb, du IVe siècle(4).

Les couches archéologiques sont riches en débris de tous objets d’usage domestique. Nous avons trouvé par endroits, des amas d’arêtes de poissons parmi les débris d’amphores. C’étaient des restes de fabriques de saumure et de sauce de poisson. Ces conserves de poissons étaient très appréciées dans l’antiquité. On en faisait un important commerce et à Agde c’était une industrie locale bien active(5).

Aux derniers siècles de la colonisation grecque, période de prospérité, la ville s’agrandit. L’agrandissement s’établit selon un plan en damier caractéristique des villes héllénistiques, les rues se coupant à angle droit. Très curieusement, ce même tracé des rues antiques s’est conservé pendant plus de vingt siècles jusqu’à nos jours. De telle sorte que nous avons trouvé très exactement la rue antique au dessous de la rue actuelle. Une rue romaine a même conservé les grandes dalles dont elle était pavée et quelques seuils de portes qui la bordaient. Ce plan en damier est apparent sur le cadastre et même sur des vues aériennes de la ville. Marseille, Naples, parmi d’autres villes, montrent de même dans leurs vieux quartiers le plan encore apparent des habitats antiques primitifs.

Cippe funéraire grec. Hauteur 60 cm. Indiquait l'emplacement d'une tombe

Cippe funéraire grec. Hauteur 60 cm. Indiquait l'emplacement d'une tombe

La ville était entourée d’un rempart dont avons retrouvé quelques restes au fond d’une fouille. Le rempart grec était fait de gros blocs sans mortier et a servi d’assise au rempart du Moyen Age qui a suivi, par endroit, le même tracé. Ce rempart est resté apparent, de toute la hauteur de sa courtine et sur quelques dizaines de mètres de long, au bas de la promenade, près de l’Hôtel des Postes. On peut y reconnaître, à la base, quelques gros blocs presque cyclopéens, assemblés sans mortier et encore en place. C’est là un type de rempart grec classique tel qu’on le trouve à Ampurias. De nombreux matériaux antiques ont été réemployés dans des parties plus modernes. On y reconnait de grands blocs quadrangulaires bien appareillés avec mortaises d’assemblage caractéristiques des constructions de cette poque que l’on retrouve identiques aux remparts grecs ou romain de Marseille, Glanum ou Tarragone(6).

Les cimetières se trouvaient hors de l’enceinte, à proximité des anciennes sorties de la ville. Nous avons fouillé trois d’entre eux qui étaient près des premières églises d’Agde Saint-André, Saint-Sever et Saint-Jean(7). C’est dans la « basilique » Saint-André que se réunit en 506, le concile d’Agde. A Saint-Sever, nous avons retrouvé les fondations de l’Église du VIe siècle. C’est dans cette dernière que fut inhumé au VIe siècle Saint-Sever, le Saint local d’Agde, encore très vénéré. Le tombeau du Saint est encore inconnu. Nous avons découvert de nombreuses tombes qui s’étaient placées sous sa protection, au voisinage « ad sanctum ». Ces tombes sont des sépultures sous tuiles, en bâtière des sarcophages, des tombes d’enfants dans des amphores, des tombes constituées de dalles grossièrement assemblées. Découvertes significatives : des restes d’inhumations grecques et romaines. Il s’agit d’un cippe funéraire grec avec inscription(8) et deux tombes à incinération. Ces tombes sont bien antérieures aux tombes chrétiennes. Elles indiquent que les cimetières chrétiens ont pris la place de nécropoles grecques ou romaines, les détruisent en grande partie. Ces cimetières antiques sont pour l’instant inconnus. Ils pourraient se trouver dans quelque quartier de la ville que l’on ne peut fouiller, ou ensevelis près des berges du fleuve sous quelques mètres d’alluvions.

LE PORT D’AGDE au XVIIe siècle (d’après une gravure ancienne)

LE PORT D’AGDE au XVIIe siècle (d’après une gravure ancienne)

La vue est prise vers l’aval. Au premier plan le Moulin de l’Évêques et le barrage (XIIIe siècle). Le barrage est à sec aux basses-eaux. On y débarque des marchandises pour les embarquer sur le bief supérieur. De nombreux navires sont accostés dans le port. Agde était à ce moment le seul port actif du Languedoc. Le port Grec était exactement au même endroit. Au second plan : une barbacane, une porte, des tours, le rempart. Les créneaux, le chemin de route sont recouvert d’une toiture de tuiles. Il en est de même de la cathédrale fortifiée (XIIe siècle) entièrement recouverte. Il n’y a pas de pont. Le passage de la rivière se faisait sur un bac ou un pont de bateaux. Le pont de pierre était écroulé depuis le XVe siècle.

En ville, les travaux de terrassement permettent toujours d’intéressantes observations. Nous avons pu découvrir ainsi des tombes à tuiles, des sarcophages plus ou moins isolés. Place Molière nous avons trouvé en place les bases de deux colonnes romanes et, à quelques distance, un chapiteau en basalte du XIe siècle. Ce sont probablement les restes d’une église disparue : Sainte Marie, souvent mentionnée dans les cartulaires. Dernièrement, les travaux du pont ont fait découvrir les restes d’un ancien quai et des couches archéologiques profondes. Nous pouvons ainsi établir le profil primitif de la berge sur laquelle le quai actuel a empiété d’une vingtaine de mètres.

Ces mêmes travaux ont mis à jour deux piles de l’ancien pont de pierre, trois autres piles étaient encore visibles. Le pont enjambait de ses sept arches tout le cours du fleuve et nous pouvons maintenant en rétablir à peu près le profil. C’était un pont étroit en dos d’âne, à peu près identique au vieux pont de Béziers et construit vers la même époque, le XIVe siècle. Écroulé au XVe siècle, il ne fut jamais reconstruit(9).

Au moyen-âge, ce pont séparait obligatoirement la navigation maritime de la navigation fluviale. Il y avait ici une « rupture de charge » dans le transport des marchandises. Cette rupture avait dû s’établir de tout temps en cet endroit, ce qui avait motivé le choix même du site d’Agde. Les marchandises transbordées prenaient alors la voie de terre, étaient prises en charge vers l’amont par des « utriculaires » ou par des bateaux plus petits qui naviguaient sur les étangs. On allait ainsi autrefois très commodément et malgré quelques transbordements depuis le Rhône jusqu’à l’Aude au long des étangs côtiers. L’arrivée à Agde depuis l’étang de Thau se faisait par une branche orientale du delta de l’Hérault. Cette branche est aujourd’hui atterrie et le Canal du Midi actuel en indique l’ancien cours(10).

Le résultat de ces premières fouilles est donc la découverte de la ville grecque, d’un habitat comparable par ses dimensions aux colonies grecques contemporaines d’Agde et déjà bien connues : Antibes, Olbia, Ampurias.

FOUILLES A EMBONNE

Les premières fouilles nous donnèrent l’explication du site et des « ruines » de la ville légendaire d’Embonne. Mais des conclusions furent prises trop hâtivement : nous étions en présence d’une ville indigène, d’une ville ibérique. Il en est ainsi à Ampurias, où une ville indigène a existé tout contre la ville grecque. Ici la vérité est plus nuancée et voici, en l’état actuel des fouilles, ce qu’il en est d’Embonne. C’est avant tout une vaste carrière, un atelier important, une fabrique de meules à broyer le grain(11). Dans l’antiquité, le petit moulin à main où l’on broyait le grain pour la consommation journalière faisait partie du matériel domestique. Il était fait de meules plates ou légèrement coniques de trente à quarante centimètres de diamètre. Ce moulin rotatif(12) était un appareil très perfectionné, d’un modèle apporté par les Grecs ; il dût remplacer dans notre pays le broyeur primitif à va-et-vient, fait de deux pierres plates entre lesquelles on écrasait le grain. Parmi les meules trouvées sur les champs de fouilles de notre région, nombreuses étaient les meules taillées dans du basalte, pierre de choix pour cet usage. C’était des meules d’Agde. Les plongeurs en trouvent sur des épaves, c’est qu’elles pouvaient être transportées fort loin par les navires qui touchaient Agde. Cette marchandise lourde était un fret tout désigné. On ne connait en Méditerranée occidentale que quelques centres exportateurs de meules de basalte. Il en existe en Italie du Sud, un autre près de Toulon, un autre en Catalogne. Le site d’Embonne s’étend sur une cinquantaine d’hectares. Le plateau de basalte est tout percé d’excavations d’une dizaine de mètres de diamètre, comblées aujourd’hui d’éclats de pierres, de meules brisées, d’ébauches de meules. C’étaient là les carrières et les fabriques sur lesquelles s’affairaient de nombreux artisans ou esclaves. Quelques habitations devaient s’élever de place en place sur le site ; il n’en reste que des ruines méconnaissables, des débris d’amphores des poteries diverses. Nous avons reconnu dans des creux de rocher quelques tombes à incinération des environs du IIIe siècle, dont l’une avec son urne funéraire, et quelques vases d’offrandes.

Mais sur le site s’élèvent aussi des murs qui auraient pu être des murs d’enceinte, des remparts. Or ce lacis de murs est trop important, trop complexe et sans orientation définie pour être une défense quelconque d’un refuge ou d’un habitat. En réalité des ensembles analogues existent sur des sols pierreux en beaucoup d’endroits et correspondent à une occupation relativement récente de ces terroirs pour des exploitations agricoles.

On connait de tels ensembles à Gordes, en Provence, aux environs de Nîmes, et plus près d’Agde à Faugères(13). Ces murs entourent des enclos, sont des murs d’épierrement, des abris contre le vent, quelquefois des parcs à bestiaux. On y trouve des cabanes avec toit en voûte d’encorbellement, des « jasses » pour les moutons. Il s’agit au total, de terrains communaux qui depuis le XVIe ou XVIIe siècle devenaient propriété du premier occupant qui les mettait en culture. Dès que l’entretien des murs était provisoirement abandonné l’ensemble prenait un aspect ruiniforme qui avait fait naître la légende de la ville d’Embonne.

Au pied du plateau d’Embonne s’étend l’étang de Luno dont quelques auteurs auraient fait sinon le port d’Embonne, du moins un antique mouillage signalé ; semble-t-il, par un auteur ancien : Avienus. En réalité cet étang n’a jamais été qu’un marais peu profond, inaccessible aux navires(14). Le mouillage d’Avienus aurait pu, par contre, se trouver en avant même de l’étang, en mer et à l’abri des hauts fonds du Cap d’Agde, en direction de l’îlot de Brescou.

Il n’y aurait donc pas de port d’Embonne, ni de ville de légende. Il existait simplement un village important de tailleurs de pierres, de fabricants de meules dont les productions en séries devaient alimenter un actif commerce d’exportation.

LES VILLAE GALLO-ROMAINES.

La paix romaine favorisa l’exploitation extensive du sol. Autour d’Agde, nous retrouvons des restes de nombreuses villae, plus ou moins importantes, des maisons de colons. Nous savons que ces exploitations réunissaient des domaines d’une cinquantaine d’hectares. Les études d’archéologie aérienne retrouvent même l’ancien cadastre romain qui dessine plus ou moins les limites ou les chemins de desserte de ces domaines(15). Ce qu’il faut signaler c’est qu’en plus de ce cadastre qui recouvre la région on retrouve un cadastre d’orientation différente qui serait un cadastre plus ancien, un cadastre grec qui s’étendrait autour d’Agde vers l’étang de Thau.

Déjà donc la colonie grecque avait commencé la mise en valeur du sol et introduit probablement chez nous la culture de la vigne, dont on pense, le plus souvent, qu’elle est une importation romaine. Ces villaes s’installaient sur des terrains de coteaux aussi bien que sur des terres plus fertiles de la plaine. On sait qu’on y associait des cultures variées qui assuraient tous les besoins du domaine. Chaque villae avait ses artisans pour les fabrications d’objets à usage domestique, comme des poteries, des briques, des tuiles ou des amphores. On a trouvé des fragments de sole de four de potier, et sur une brique de fabrication locale la marque, le nom même du potier d’Agde, VINICI (us).

Toutes ces exploitations ont laissé des vestiges plus ou moins importants qui apparaissent aux travaux de défoncement profonds. Les plus anciennes, au bord de l’étang, ont fourni des fragments de céramiques grecques. Les restes les plus importants donnent de nombreuses céramiques gallo-romaines de la Graufesenque. Il y eut probablement régression de ces terres de culture lors des invasions barbares, mais dès le Haut Moyen-âge les exploitations s’établirent aux mêmes endroits. C’est à ce moment qu’apparaissent les petites églises champêtres ou églises de hameaux, aujourd’hui disparues, mais dont le nom est souvent mentionné dans les anciens cartulaires. Trois de ces églises Saint Michel, Saint Pierre de Faricolis, Saint Martin du Pioch, situées près des étangs percevaient les revenus des leudes sur le sel et la pêche(16). C’étaient des églises de hameaux où se poursuivait, depuis une haute antiquité, l’exploitation des salines. Les marais salants antiques étaient semblables aux salines modernes mais, construits de simples levées de terre, ils ont complètement disparu. Seul le souvenir en est resté dans ces exploitations du Moyen Age et dans les chemins saliniers qui convergent vers Agde et vers l’Étang.

Autre exploitation des terrains marécageux et salés impropres à d’autres cultures : « le salicor ». Le mot désigne des plantes de terrains salés aussi bien que le produit que l’on retirait de leurs cendres après incinération. C’était un carbonate de soude impur que l’on utilisait dans la fabrication du verre. La préparation du salicor était encore effectuée à Agde au début du XIXe siècle. Nos plongeurs ont trouvé une amphore romaine pleine de cendres. C’était la matière première pour la préparation de ce « salicor » que Grecs et Romains connaissaient déjà et exploitaient sur la côte. Ils récoltaient encore de la résine. Les plongeurs ont trouvé une amphore pleine de résine dont l’analyse pollinique a montré qu’elle provenait d’une formation botanique méditerranéenne de nos pays. C’était encore une production locale(16).

Nous avons donc déjà un tableau assez complet avec les saumures de poissons et salaisons diverses, les meules le sel et toutes les productions agricoles, des ressources du pays d’Agde. C’est une contribution intéressante à l’étude de l’économie du littoral à l’époque antique.

LA PRÉHISTOIRE

On avait déjà trouvé aux fouilles d’Embonne quelques pointes de flèches et de galets taillés. Un gisement plus important avait été signalé en bordure de l’avenue de Sète en un endroit recouvert depuis par un lotissement. Il semble même que des encoches creusées dans le rocher et près du gisement étaient des fonds de cabane. Le matériel fourni doit être classé de la fin de l’époque néolithique. Les chercheurs sont maintenant plus nombreux et signalent quelques découvertes significatives d’outillages bien plus anciens(17). Jusqu’à présent, dans le domaine de la préhistoire, les découvertes étaient plutôt rares. Les restes préhistoriques sont-ils ici inexistants ou mieux cachés dans les terres alluvionnaires de nos basses plaines ? Quelques découvertes de silex taillés dans des sables extraits des fonds de la rivière le laisseraient supposer.

RECHERCHES SOUS-MARINES

Les premiers plongeurs sous-marins ont trop souvent visité les épaves les plus accessibles pour le plus grand dommage du site archéologiques qu’il aurait fallu explorer avec méthode. La plongée est maintenant mieux surveillée. Un grand secteur en mer a été pris en charge par le groupe de la Société Archéologique de Béziers, tandis que le groupe de plongée d’Agde Le GRASPA, dirigé depuis ses débuts par Monsieur Denis Fonquerle, exploite un autre secteur en mer, toute la rivière et le port. Partout les épaves ou les gisements isolés ou épais sont nombreux. La plus belle découverte en mer revient au groupe biterrois avec le gisement des bronzes de la pointe de Rochelongue(18). Des objets de bronze en grande quantité, plus de quinze cents pièces : haches, lingots, bijoux divers, colliers, bracelets ou perles ont été recueillis. Quelques questions se posent au sujet de la datation de ces objets d’époques différentes et disparates. On ne peut que faire un rapprochement avec les « dépôts ou cachettes de fondeurs » de l’âge du bronze, assez connus dans notre région. Un de ces dépôts a été trouvé non loin d’Agde, près de Vias. Le bronze était un métal de prix que l’on resserait dans des « cachettes » et dont on récupérait les plus vieilles pièces en vue d’une refonte. Ici le fondeur avait fait naufrage avec sa précieuse cargaison. Il faut rapprocher cette découverte d’une autre plus récente faite au cours des dragages du nouveau port du Cap d’Agde. Il s’agit d’une hache, d’un fragment d’épée et de deux bouterolles de bronze. Tous ces objets de bronze proviennent d’épaves très anciennes et signalent le passage des premiers navigateurs méditerranéens.

Le groupe des plongeurs d’Agde a opéré avec autant de succès dans la rivière et le port où les gisements se chevauchent parmi les sables mouvants du fond du fleuve.

Les amphores qui constituaient la charge la plus importante des navires antiques ont été trouvées en grand nombre. Le Musée d’Agde possède à coup sûr la collection d’amphores la plus variée qui soit. Les plus anciennes sont ioniennes ou étrusques. De plus nombreuses provenaient de Marseille, de l’Italie du Sud, de l’Espagne, des comptoirs puniques(19). Bref toutes les amphores des pays méditerranéens et du proche Atlantique, depuis les temps archaïques jusqu’au Bas-Empire sont ici présents et témoignent de l’importance de la route maritime côtière aussi bien que de l’activité du port d’Agde.

OEnochoè Bronze à deux anses Diamètre : 25 cm.

OEnochoè Bronze à deux anses
Diamètre : 25 cm.

De nombreuses ancres en pierre, en bois, en plomb, en fer montrent l’évolution des Techniques à travers les âges et l’ingéniosité des constructeurs de ces appareils.

Un « dolium » de huit cents litres a été trouvé près du port. Deux autres de ces énormes jarres fabriquées à Agde même, ont été trouvées en aval. Ces grands récipients dans lesquels on stockait le blé provenaient des docks installés sur la berge. Un bâtiment avec ces mêmes jarres en place a été trouvé près du port de Marseille.

Cinq à six vases de bronze dont quelques uns seulement ont conservé leurs anses délicatement ornées constituaient les pièces les plus précieuses des antiques cargaisons naufragées. La plupart provenaient des ateliers réputés de l’Italie du Sud et se datent de la fin de la période grecque, période de grande prospérité du port.

De grandes pierres percées, pour l’instant assez énigmatiques, trouvées en assez grand nombre pouvaient être soit des « chandeliers de pied de mât » que l’on disposait à fond de cale pour lester des navires soit de grosses dalles qui coiffaient la tête de pilotis soutenant les quais. Pareilles constructions existaient et sont signalées au port de Marseille ou au port de Vaison.

Éphèbe d'Agde statue antique en bronze découverte en 1964

Éphèbe d'Agde
statue antique en bronze
découverte en 1964

Mais la découverte la plus spectaculaire a été celle de l’Éphèbe d’Agde. Près du port…, dégagée d’une couche de sable où les travaux de construction de nouvelles piles auraient pu l’ensevelir à jamais, gisait cette statue de bronze. Haute de un mètre quarante, elle représente un éphèbe soutenant de son bras une chlamyde légèrement rejetée sur l’épaule Des journaux de grande presse en on fait connaître l’effigie au grand public. C’est probablement une œuvre romaine d’inspiration hellénistique. Était-elle l’ornement d’un édifice public ? Était-elle l’ornement de la demeure de quelque riche armateur ? Elle est actuellement exposée au Musée du Louvre et reviendra à Agde dès que le nouveau Musée de la Mer sera en état de la recevoir, un Musée de la Mer destiné à abriter en même temps, espérons-le, toutes les découvertes faites au site d’Agde.

Une importante et récente découverte sous-marine a été celle d’une maison à colonnes écroulée dans la rivière à quelques milliers de mètres en aval d’Agde. Des fûts de colonnes cannelées ou lisses de quelques soixante centimètres de diamètre indiquent qu’il s’agit d’un édifice de belles proportions. Un chapiteau a été remonté du fond. Il est taillé dans du calcaire et montre des volutes d’inspiration ionique. De grandes tuiles à rebord, des clous de charpente, des fragments de béton de pavement parsèment le gisement dont l’exploitation est à peine commencée. Il s’agit probablement d’une construction romaine de style hellénistique qui s’élevait sur le bord de la rivière. Un bord de rivière peu résistant qui lors d’une crue a dû s’affaisser, entrainant la ruine de l’édifice.

Signalons enfin, ce qui pourrait expliquer l’existence de cette construction à cet endroit, que nous sommes ici à quelques centaines de mètres de Notre-Dame du Grau d’Agde et nous sommes prés sinon de l’ancien grau lui-même, du moins de l’endroit où commençaient les dunes de sables et la plage. L’Église était le sanctuaire des marins d’Agde et la chapelle doit remonter au VIe siècle. La découverte d’un gros dolium et de débris de poteries caractéristiques indiquent qu’il existait en cet endroit un habitat antique. C’était en aval d’Agde le premier habitat près de la source aujourd’hui tarie de Notre-Dame des Aigues Vives, et près de l’embouchure du fleuve.

Tels sont les résultats obtenus au site d’Agde. Déjà importants, ils permettent d’espérer mieux encore puisque nous avons maintenant des éléments de comparaison avec des sites déjà bien connus. Un élément nouveau entre en jeu, l’aménagement du littoral. De grands travaux de terrassement sont en cours qui permettent des observations intéressantes mais parfois aussi bouleversent des sites archéologiques inconnus. Les carrières de meules d’Embonne seront en grande partie recouvertes par des constructions, par un camping. L’Étang de Luno, le port et mouillage antiques supposés, le grand môle de Richelieu seront compris dans le vaste ensemble portuaire du Cap d’Agde. Des dragages ont révélé des gisements d’épaves antiques et modernes. Que restera-t-il de ces gisements à la fin des travaux ?

Il faut souhaiter que dans le cadre de ces travaux les pouvoirs publics facilitent à Agde l’installation du Musée de la Mer, et la conservation du Musée local. Il faudrait encore mettre en valeur dans les vieux quartiers les restes architecturaux qui, malgré les mutilations subies au cours des ans, font tout le charme des villes anciennes. Le bel ensemble de la résidence de l’évêque, cathédrale, cloître, salle capitulaire, bâtiments du chapitre est en partie bien reconnaissable et bien conservé. Quelques hôtels et belles demeures XVIe et XVIIe siècles ont été aménagés, divisés en logements incommodes. Il en reste quelques plafonds, quelques fenêtres et surtout de belles portes d’entrée aux pierres bien taillées et ornées qui faisaient le luxe principal de ces habitations. Avec les sites archéologiques, ces souvenirs de vingt siècles d’histoire constituent un beau patrimoine local et régional que les chercheurs locaux, urbanistes, historiens et archéologues ont pour tâche de faire connaître et de conserver.

Raymond ARIS

Informations complémentaires

Année de publication

1970

Nombre de pages

14

Auteur(s)

Raymond ARIS

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf