Description
A Sète au milieu du XVIIIe siècle : tensions religieuses et émotion populaire
Pendant l’été 1751, un soulèvement populaire a lieu à Sète, petite ville du littoral languedocien, spécialisée dans la pêche et le cabotage méditerranéen. Il ne s’agit pas de ces troubles habituellement liés à la cherté ou à la disette des grains. Cette émeute est déclenchée par l’arrivée de l’official, juge désigné par l’évêque d’Agde, pour enquêter sur les mœurs du curé de la ville ; avant la Révolution, Sète fait partie du diocèse d’Agde.
Un grand nombre d’hommes et de femmes veulent ainsi manifester leur soutien au curé, Marc-Antoine Causse. Les témoins qui déposent contre ce prêtre sont menacés, les vicaires, pris à parti, l’official, insulté. Le curé porte plainte devant le sénéchal de Béziers pour subornations de témoins et diffamation. Affaire peu banale que celle d’un curé, accusé de libertinage, mais soutenu par une grande partie de ses fidèles, qui s’oppose à son supérieur hiérarchique et accuse les personnes qui témoignent contre lui. Dans cette affaire, l’examen des « mémoires » n’apporte pas d’explications précises, pour essayer de comprendre, il convient d’étudier la personnalité des protagonistes, leur famille et leur milieu social.
Le doute s’installe dans l’esprit de l’intendant lorsqu’il apprend cette nouvelle les Sétois sont connus pour leur particularisme, mais de là à fomenter des troubles contre le juge représentant l’évêque Aussi l’intendant demande-t-il des renseignements à son subdélégué sétois le curé est-il vraiment un prêtre libertin ? Quelle est sa personnalité, sa valeur spirituelle ? S’oppose-t-il à l’évêque seulement pour des questions morales, dans un siècle peu regardant en ces matières, ou bien la contestation vient-elle de questions religieuses et dogmatiques ? L’historien peut s’interroger aussi sur l’attitude des autorités municipales, qui n’interviennent pas ou peu lors de l’émeute. On peut s’interroger sur l’attitude de l’évêque d’Agde, seigneur et comte de l’île de Sète ? Que penser enfin des deux enquêtes judiciaires simultanément entreprises par l’official et le sénéchal ?
Il faut essayer d’abord d’établir une chronologie des faits d’après les dépositions des témoins et le dossier conservé par les services de l’intendance, de nombreuses lettres ont été réunies à quatre « mémoires ».
- « La relation de ce qui s’est passé à Sète contre le curé de cette ville », envoyée à Monseigneur l’intendant, le 19 septembre 1749, l’auteur ne nous est pas connu, il disculpe le curé de l’accusation portée contre lui ;
- « Le mémoire du sieur Pouget, lieutenant général de l’Amirauté et subdélégué, au sujet de l’affaire du sieur Causse », du 30 juillet 1751, essaie de faire un rapport précis et événementiel, mais pas toujours impartial, des événements arrivés à Sète ;
- « Le mémoire sur l’affaire de Monsieur Causse, curé de Sète », dont on ne connaît ni la date, ni l’auteur, fait preuve de plus de neutralité que les deux précédents mais se rapproche sur plusieurs points de celui du subdélégué ;
- « L’analyse de la procédure faite par le sénéchal de Béziers à la requête du sieur Marc Antoine Causse, curé de Sète », conclut à la culpabilité du curé et semble être écrite par le subdélégué ou inspiré par lui.
I. Les faits
Cette affaire atteint son paroxysme en 1751, mais elle a débuté bien plus tôt. En septembre 1745, le curé de Sète est incarcéré au fort de Brescou, prison d’État, car des bruits ont couru dans la ville et l’évêque à reçu des plaintes concernant les mœurs du prêtre. Cette mesure sévère s’explique par la parenté du curé sétois avec « celui qu’on nommait le frère Augustin, qui dans le temps des convulsions, prétendit être Élie en personne, annonça la fin du monde et se fit suivre dans Paris comme un prophète… ». Il s’agit d’un rappel des manifestations jansénistes et des « miracles » qui ont eu lieu sur la tombe du diacre Paris. Des « miracles » auraient eu lieu aussi à Montpellier, Pignan, Pézenas). Le curé de Sète a un autre frère, négociant à Barcelone, qui se rend à Paris, fait agir des personnes influentes de sa connaissance, fait signer un certificat de bonne vie et mœurs à Sète, « où personne ne refusa, même les curés du diocèse ». Il réussit au bout d’un an à faire sortir son frère de prison. L’évêque l’envoie momentanément à Montauban et accepte son retour dans sa cure en novembre 1747. Le curé est acclamé à Sète, le peuple allume même des feux de joie comme pour les victoires ou les naissances royales.
Presque deux ans après, l’évêque reçoit une plainte plus grave, la fille d’un pêcheur sétois se déclare enceinte des œuvres du curé. Celui-ci, accusé, parle de machination abominable, fait donner à cette pauvre fille un peu d’argent « à titre d’aumône » par l’intermédiaire de l’un de ses vicaires. L’évêque délègue son official pour enquête : il arrive le 25 août, jour de la Saint-Louis, date mal choisie car les Sétois assistent aux joutes et le juge entend seulement quelques témoins ; il revient à Sète peu après, mais ne peut poursuivre son enquête car « toute la ville se souleva en faveur du curé ». L’official menacé, repart vite pour Agde, le tumulte et les cris de la foule se poursuivent pendant plusieurs jours. Prévenus en faveur du curé, les Sétois, gens du peuple et bourgeois, signent de nouveau des certificats de bonne vie et mœurs. L’évêque propose alors au curé une pension ou un autre bénéfice, en échange de sa démission « on en était venu au point de faire jouir le sieur Causse d’une pension de 400 £. en échange d’une congrue de 300 £… ».
La ville de Sète retrouve un calme relatif pendant à peu près deux ans, comme l’évêque reçoit de nouvelles plaintes, il envoie de nouveau l’official, Jacques Gohin, son vicaire général. Le lendemain de son arrivée, le 29 juin 1751, nouveau soulèvement populaire : hommes, femmes et enfants s’attroupent devant la maison où réside le juge, huent les témoins soupçonnés de déposer contre le curé, les insultent, leur jettent des pierres, brisent portes et fenêtres de leurs maisons. Les deux vicaires, en désaccord avec leur curé, accompagnent l’officiai dans sa retraite à Agde. Pour manifester son triomphe, le peuple prépare un feu de joie, « le curé empêcha qu’on allumât le feu et fit porter le bois à l’hôpital… ». Le 30 juin, le curé ou ses partisans, déposent plainte devant le sénéchal de Béziers pour subornation de témoins et diffamation, le commissaire désigné par le sénéchal entend, sans opposition ni difficulté, 74 témoins. Le 24 juillet, le sénéchal fait arrêter plusieurs personnes, les partisans du curé recueillent plus de cent signatures de chefs de famille sétois, les troubles se poursuivent tout le mois d’août, des ceps de vigne sont même arrachés. Le 25 septembre, l’intendant écrit au maire et consuls de Sète, de maintenir le bon ordre et « d’être extrêmement attentifs à m’instruire… ». La brigade de maréchaussée de Loupian devra prêter assistance si nécessaire. […]
Informations complémentaires
Année de publication | 1990 |
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Nombre de pages | 4 |
Auteur(s) | Jean-Claude GAUSSENT |
Disponibilité | Produit téléchargeable au format pdf |