Catégorie : Étiquette :

Description

A propos du village languedocien « vu » par un roman du XVIIIe siècle

Question : Le roman de l’abbé Fabre, intitulé « Jean-l’ont-pris » est-il vraiment, comme on l’a souvent soutenu, la description réaliste des mœurs et de la vie du village languedocien au XVIIIe siècle ?

La publication toute récente par Daniel Fabre des Récits et Contes populaires du Languedoc, permet de faire une constatation fort intéressante, quant à l’histoire de la littérature occitane. D. Fabre a en effet republié dans cet ouvrage le conte rural et narbonnais qui est intitulé Jean-de-Trop ou le Filleul de la Mort ; il fut recueilli et édité pour la première fois par L. Lambert, en occitan et en français, dans la Revue des Langues Romanes en 1885.

Existent en France méridionale ou septentrionale, et dans l’Europe entière, enfin plus largement dans toute la chrétienté (et accessoirement dans les mondes juif et turc) de très nombreuses versions de ce conte, le Filleul de la Mort ; il a pris son origine, semble-t-il, dans les pays germaniques à la fin du Moyen-âge ; il est largement attesté dès le XVIe siècle ; il porte dans la classification internationale des contes, due à Aarne-Thompson le numéro 332 (Titre : la mort-parrain, autre façon de dire le filleul de la mort).

Or, une comparaison terme à terme de la version spécifique et narbonnaise de Jean-de-Trop avec le célèbre roman languedocien, plus précisément gardois, de l’abbé Jean-Baptiste-Castor Fabre, Jean-l’ont-pris (écrit vers 1755-1765), ouvrage unanimement considéré par les spécialistes comme le plus grand roman de la littérature occitane, paraît bien indiquer que Jean-l’ont-pris et Jean-de-Trop dérivent d’une source folklorique commune, autrement dit d’une version, précisément individualisée du conte « Aarne Thompson » n° 332 elle circulait en Languedoc pendant la première moitié du XVIIIe siècle. Aujourd’hui perdue, cette version hic et nunc a inspiré à l’abbé Fabre son récit Jean-l’ont-pris ; et indépendamment de cela, elle a donné pendant le siècle suivant, par transmission orale au fil des générations, le conte Jean-de-Trop qui sera recueilli par un folkloriste aux années 1880. Non sans différences, bien sûr, entre les deux textes ainsi obtenus, la mise à jour de cette parenté textuelle est importante du moins dans le cadre particulier de la culture occitane ; jusqu’à ce jour, en effet, Jean-l’ont-pris était considéré purement et simplement comme une description romancée certes, mais « réaliste » et burlesque, de la vie du village languedocien au XVIIIe siècle. Cette considération n’est pas forcément fausse, mais il apparaît qu’elle est incomplète.

À titre d’éclairage, je donne ci-dessous un schéma comparatif des deux récits Jean-de-Trop (« JDT ») et Jean-l’ont-pris (« JLP »).

Je compte publier une étude détaillée à ce propos ; elle sera précédée, par les soins éclairés de l’occitanologue Philippe Gardy, d’une édition définitive, avec traduction française, des deux versions occitanes de Jean-l’ont-pris, telles qu’elles furent originellement rédigées par l’abbé Fabre.

E. LE ROY LADURIE (Paris – Collège de France).

Informations complémentaires

Année de publication

1980

Nombre de pages

2

Auteur(s)

Emmanuel Le Roy LADURIE

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf