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Description

A propos de la thèse de Jean Nougaret :
Évolution urbaine et architecturale de Pézenas du XVIe s. à la fin du XVIIIe s.

Claude ALBERGE (professeur au Lycée - article complet)

Le 20 décembre 1969, notre ami Jean Nougaret était promu Docteur de Troisième Cycle : Histoire de l’Art. Sa thèse sur « L’évolution urbaine et architecturale de Pézenas du XVIe à la fin du XVIIIe siècle », obtenait la mention très bien.

Le jury, présidé par M. Louis Dermigny, professeur d’histoire moderne à la Faculté des Lettres de Montpellier, était composé de MM Claparède, rapporteur, professeur d’histoire de l’art, conservateur honoraire du Musée Fabre, Dupont, professeur honoraire d’histoire du Moyen-âge et Gloton, chargé d’enseignement de l’histoire de l’art à la Faculté des Lettres d’Aix en Provence.

Nous avons pensé qu’il pouvait être intéressant de présenter une analyse critique de ce travail et de rappeler les diverses interventions qu’appela sa présentation.

Six années de travail ne sont pas de trop pour conduire Jean Nougaret à la connaissance scientifique d’une ville d’art comme Pézenas. Six années qui virent naître et se conforter une amitié. C’est pourtant sans faiblesse aucune, en toute objectivité, que nous voudrions informer un public qui n’a pas eu encore le privilège de lire Jean Nougaret. Mais au delà de cette amitié, il faudrait encore dégager d’une formation universitaire quelque peu différente, oublier les propos d’un jury un jour de soutenance… Alors, la tâche deviendrait impossible, si elle n’avait par avance l’indulgence de Jean Nougaret, qui décidément aurait pu trouver meilleur rapporteur.

Malgré de nombreuses difficultés : la disparition de certains monuments, les lacunes de la documentation archéologique notamment, l’auteur sût heureusement allier les méthodes de ses maîtres avec celles de l’Inventaire général des monuments historiques dont il est le secrétaire pour la région Languedoc-Roussillon. Le jury insista d’ailleurs sur la très grande honnêteté intellectuelle d’un travail monumental : trois cents trente pages de texte, une bibliographie, des pièces justificatives, un glossaire des termes d’art d’origine locale, une liste alphabétique des artisans piscénois et ayant travaillé à Pézenas, une liste des immeubles étudiés, deux index onomastique et topographique, soit au total quatre-cent dix pages, plus cinq volumes de plans et photographies. L’auteur y apporte certes des nouveautés plus documentaires que théoriques. Mais comment pouvait-il en être autrement dans un travail qui se devait d’être essentiellement analytique. Il est vrai que le découpage du développement, selon les méthodes de l’inventaire, lui donne une allure plus descriptive qu’explicative. Il offre surtout l’incontestable mérite de définir, sans facilité aucune, un art original, « savoureusement provincial » qui, au delà des formes, autorise à découvrir les profondeurs de l’âme d’une cité.

Les cents premières pages de l’ouvrage traitent de l’évolution urbaine de Pézenas de l’Antiquité à nos jours. La deuxième partie, plus considérable à pour thème l’évolution architecturale : le monde des artisans, les processus et procédés de construction préparent à une connaissance plus approfondie de la Maison Consulaire, de la demeure civile, de la maison des champs (la Grange des Près) et de l’architecture religieuse enfin.

Là où Jean Nougaret définit deux urbanismes, le premier à la charnière du Moyen-âge et des Temps Modernes, le second, avec le déplacement de l’enceinte vers l’Ouest, à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, le jury découvre quatre, étapes, à partir de la fin XVe-début XVIe. Car en deçà aucune trace de la ville médiévale proprement dite ne subsiste. L’on peut s’étonner dès lors que Jean Nougaret ait accordé de longs développements à une histoire de l’Antiquité à Pézenas, encore mal connue et qui, en tout cas ne concernait pas directement son propos.

Façade de l'hôtel de Wicque

Façade de l'hôtel de Wicque

Comme le souligne M Dupont, l’originalité artistique de Pézenas tient d’abord à l’absence de tout monument médiéval. Roman et gothique sont ici oubliés, si l’on excepte les croisées d’ogive de l’escalier de l’hôtel de Lacoste, prélude intéressant, parce que exemplaire unique, d’une évolution. Sur les origines médiévales d’une ville apparue aux IXe-Xe siècles nous n’avons aucune précision. Castrum certes, mais château féodal ou enceinte fortifiée ? Villa ? M. Dupont pense plutôt à une villa qui eut du mal à se développer en raison de la proximité des places d’Agde, Béziers et Saint-Thibéry. Au hasard des textes, le consulat apparaît, au XIIIe siècle seulement, attestant une organisation sociale et administrative. Grâce aux travaux de MM Combes et Dermigny nous connaissons mieux l’influence que jouèrent les foires de Pézenas-Montagnac sur le développement de la cité. Cette influence n’alla-t-elle pas – comme le suggère M. Dermigny -, jusqu’à intéresser certes l’évolution urbaine mais aussi les formes architecturales ? La composition pyramidale de la façade de l’hôtel de Wicque fait penser à bien des exemples lyonnais. Rien d’étonnant à une époque où les relations entre Lyon, capitale économique et financière du royaume et les foires de Pézenas-Montagnac sont étroites.

Certes le XVe siècle prépare le passage de la vieille ville à la nouvelle. Mais sur le plan de l’urbanisme il reste une période bien mal connue, bien que, ici plus qu’ailleurs maintenu, le parcellaire moderne soit hérité du Moyen-âge. Inexplicable en tout cas par la connaissance que nous pouvons avoir de la démographie. Quel crédit peut-on accorder à des variations déconcertantes du nombre des feux durant les XIVe et XVe siècles ? Elles témoignent d’une diminution sensible, voire épidémique, de la population, en contradiction absolue avec la poussée urbaine qui aboutit au début du XVIIe siècle à la démolition de l’enceinte médiévale.

A la charnière des deux villes, l’aménagement du « Quay » en 1627, sur l’initiative d’Henri II de Montmorency, constitue – comme n’hésite pas à le qualifier M. Gloton – une ébauche originale de ce que sera l’œuvre urbaine des intendants au XVIIIe siècle, Modernité, qui se satisfait cependant de ce que l’on pourrait qualifier d’inachevé, comme le fait Jean Nougaret : l’ordonnancement des façades d’immeubles construits en bordure de cette promenade. Cela est certes bien loin de la rigueur déjà classique des constructeurs de places royales. L’urbanisme piscénois se distingue par sa précocité et son caractère provincial et méditerranéen.

Mais déjà la première Renaissance – fin XVe-début XVIe– a marqué le paysage urbain dans un respect des formes architectoniques médiévales. Sans doute la niche Renaissance a-t-elle subi l’influence italienne, sans qu’il soit, pour l’instant, possible de le prouver expressément. Cette œuvre s’inscrit cependant dans une première vague d’urbanisation, s’accompagnant d’ailleurs de la convection d’un nouveau compoix.

La seconde Renaissance laisse des traces plus importantes. En architecture civile, la reconstruction de la Maison Consulaire en 1552, l’édification de nombreux hôtels particuliers, dont celui de Montmorency hors les murs. Comme en architecture religieuse : chapelles, couvents, maison des Oratoriens, mais aussi retables, pièces d’orfèvrerie dont il ne reste malheureusement plus rien.

Sur les transformations de la Maison Consulaire, connues à travers quelques documents dont trois croquis à la plume, M. Gloton émet quelques réserves. Si le plan de 1552, d’ailleurs côté, lui paraît d’une authenticité incontestable, parce que fait pour servir au maître d’œuvre, les représentations des fenêtres Renaissance latérales lui paraissent dessins assez gauches du XVIIe siècle, effectués à partir d’éléments déjà existants.

La porte biaise

La porte biaise

Le début du XVIIe siècle, qui connût l’aménagement du Quay est, souligne M. Gloton, incontestablement teinté de maniérisme. Le baroque n’est-il pas né en Méditerranée ? La porte biaise, avec sa frise dorique des plus orthodoxes, sa décoration classique de grands éléments tréflés avec motif trilobé au centre, n’apporterait rien de bien neuf si sa composition dans l’espace n’était aussi « fantaisiste ». Elle n’est pas le seul témoin d’une époque sophistiquée. Le goût de l’ostentation, de l’apparat, de la mise en scène marque les escaliers de cette époque, tel celui de la rue Triperie Vieille. Sa composition parait sortie tout droit d’un traité d’architecture de Philibert Delorme. Mais que de fantaisie! En place les acteurs ! Tout est prit pour la comédie : le XVIIe siècle baroque entre en scène.

Grille de balcon de l'hôtel Malibran (2e moitié du XVIIIe siècle)

Grille de balcon de l'hôtel Malibran (2e moitié du XVIIIe siècle)

On retrouve au siècle suivant ce caractère maniéré, non sans grandeur toutefois, à l’hôtel Malibran, l’un des ouvrages sans nul doute les plus significatifs de l’architecture piscénoise. Sa datation donne quelque peine : si le mouvement des ferronneries de façade est assurément du XVIIIe siècle, le plan de l’édifice et le rez-de-chaussée le rattachent à l’architecture du XVIIe, plus précisément même des années 1660-1670 qui virent l’apogée et en même temps le déclin de la fortune politique de Pézenas, avec la mort d’Armand de Bourbon à la Grange en 1666. M. Gloton trouve l’heureuse formule d’un édifice de l’époque Conti avec des reprises dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il se plait à insister sur la structure cohérente d’un édifice qui n’est pas sans rappeler les plans que Philibert Delorme, – encore lui -, fit pour les Tuileries, avec ce souci d’assurer, ici comme là, une double circulation : horizontale entre la rue et la cour intérieure et verticale au moyen d’un escalier fait d’un assemblage de colonnes. Ce même goût de la mise en scène se retrouve encore au XVIIIe siècle dans la Maison des Pauvres.

La colonne joue le rôle essentiel dans l’escalier de l’hôtel Malibran. C’est là le résultat d’une longue évolution des galeries et des escaliers à vis, amorcée depuis la fin du XVe siècle, que Jean Nougaret se plait à caractériser à chaque étape. Sans cesse les vieux schémas sont transmis, repris, introduits dans les compositions différentes où la colonne est partout présente avant de devenir escalier elle-même : « à la Malibran ».

Outre les grands travaux d’édilité (aqueducs, égouts, pavement des rues) qui marquent cette période, deux monuments sont reconstruits : la Collégiale Saint-Jean à la suite de l’effondrement du clocher et la Maison Consulaire.

S’appuyant sur une solide documentation, J. Nougaret a pu étudier pas à pas, par le menu, les transformations de l’édifice, confiées à l’architecte avignonnais, Jean Baptiste Franck, constructeur de Notre-Dame des Pommiers de Beaucaire.

Le choix entre les deux conceptions pour la reconstruction de la façade de la Maison Consulaire paraît à M. Gloton intéressant. Il qualifie le projet de 1765 de provincial, « à la Pézenas » dit-il même. Alors que celui de 1769 appartient à la grande architecture nationale, de coloration avignonnaise. Le balcon continu fait pour « le bain de goule » des consuls, est d’inspiration moderniste.

Cette longue évolution de la fin du XVe siècle aux débuts de l’époque contemporaine permet de retrouver quelques constantes de l’art piscénois que Jean Nougaret s’est efforcé de dégager avec succès.

L’importance des artistes locaux, en est une. Bien que leurs rapports avec les maîtres d’œuvre montpelliérains et régionaux aient pu être fréquents, comme le suggère M. Claparède, il y eût assurément des dynasties de bâtisseurs et d’artisans locaux. Revient à J. Nougaret le mérite de camper ce petit monde sympathique des artisans du bâtiment. Quelle figure que ce Lorrain Jean Thomas qui, abandonnant Toulouse après y avoir construit le Pont Neuf, fait de Pézenas en 1624 le champ d’exploits fameux ! Construire le pont de Montagnac, démolir le château, réparer la place couverte, hisser et fixer deux cloches au clocher de Lézignan-la-Cèbe, aucun travail ne le laisse désarmé. Rue de Béziers, hors toutes règles établies, il construit sa maison… En commençant par le toit !

Hôtel de Lacoste, galerie du 1er, étage sur cour détail du voutement

Hôtel de Lacoste, galerie du 1er, étage sur cour détail du voutement
La douceur des jardins. « Les quatre saisons » du jardin Michel

La douceur des jardins. « Les quatre saisons » du jardin Michel

Pourtant des règles très strictes président à la construction aussi bien des édifices publics que des demeures particulières. Les nombreux prix-faits, contrats et baux de toutes sortes ont été patiemment étudiés et habilement utilisés par l’auteur. On y découvre le sens de l’économie, la recherche de la qualité des matériaux, le goût de la belle ouvrage. A travers les défauts et les maladresses, répétées dans le temps, accentuées plus encore ici qu’ailleurs, on reconnaît finalement les auteurs d’un art local, qui doit finalement assez peu à l’extérieur.

Le goût pour les formes héritées aussi semble être, avec l’importance de l’architecture et de ses annexes, le deuxième caractère de l’art piscénois. Ce souci de perpétuer les anciennes formes, nous l’avons retrouvé à chaque étape d’une évolution. Le meilleur exemple, le symbole, en est la croisée d’ogive de l’Hôtel de Lacoste, venue du Moyen-âge et pourtant placée ici dans la première moitié du XVIIe siècle. La permanence du parcellaire médiéval que le gigantisme effraie, des plans simples, la suppression progressive de la corniche, une décoration toujours simple parfois même sévère, où les sobres bossages sont préférés à d’autres ornementations plus riches (mis à part le haut-relief italianisant des enfants musiciens) sont les éléments originaux de cette architecture prédominante.

Et si, au delà du ciseau de l’artiste, l’on pouvait quêter une âme, sans doute la trouverait-on partagée entre la douceur de vivre des jardins que J. Nougaret a senti auprès notamment de ce qu’il appelle « La Maison des Champs » – (la Grange des Près) – et l’austérité toute janséniste des Oratoriens. Du maniérisme provincial au rigorisme oratorien, tel est le partage intime d’une cité, perçu au travers d’un paysage.

A Jean Nougaret revient le mérite de cette découverte. Espérons que son travail remarquable, apprêté pour l’édition, pourra être un jour prochain publié afin que les amoureux de Pézenas y apprennent à mieux connaître une ville et son âme.

Claude ALBERGE
Professeur d’Histoire-Géographie au Lycée de Pézenas

Informations complémentaires

Année de publication

1970

Nombre de pages

8

Auteur(s)

Claude ALBERGE

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf