A propos de la thèse d’Alain Alquier L’occupation allemande dans le département de l’Hérault 11 novembre 1942-23 août 1944
À propos de la thèse d’Alain Alquier :
L’occupation allemande dans le département de l’Hérault
11 novembre 1942-23 août 1944
* Chef honoraire d’Établissement de Formation
Chevalier de la Légion d’Honneur et de l’Ordre national du Mérite,
Commandeur des Palmes académiques et du Mérite agricole
P. 155 à 162
Le 22 octobre 2020 à 14 heures, dans la Salle des Actes 11 du Site Saint-Charles 1 de l’Université Paul-Valéry Montpellier III, Alain Alquier a soutenu publiquement sa thèse intitulée : L’occupation allemande dans le département de l’Hérault 11 novembre 1942-23 août 1944, préparée au sein de l’École doctorale 58 et du Centre de Recherches interdisciplinaires en Sciences humaines et sociales (CRISES), sous la direction du Professeur Jean-François Muracciole. Le jury, présidé par la Professeure Isabelle von Bueltzingsloewen (Université Lumière Lyon II), était également composé de Corinne Bonafoux (Maître de conférences à l’Université Savoie-Mont-Blanc), de Fabrice Grenard (Docteur en Histoire contemporaine, habilité à diriger des recherches, Chef du département Recherche et Pédagogie de la Fondation de la Résistance, rapporteur), de Bénédicte Vergez-Chaignon (docteure en Histoire – absente), et d’Olivier Wieviorka (Professeur à l’École normale supérieure de Paris-Saclay, rapporteur). Après quelque 4 heures d’échanges et une courte délibération, le titre de Docteur en Histoire contemporaine a été décerné à Alain Alquier par un jury unanime. L’arrêté du 25 mai 2016 les ayant supprimées, aucune mention n’a été attribuée.
Ce qui frappe d’emblée lorsqu’on a la thèse d’Alain Alquier entre les mains, c’est l’ampleur du travail accompli. Le manuscrit comporte plus de 1 000 pages dont 813 de texte, 40 de Bibliographie et une centaine d’Annexes. Il s’agit là d’une véritable somme, fruit de sept années d’études (2013-2020). Dans l’Avant-propos, l’auteur rappelle notamment son parcours universitaire et l’origine du choix de son sujet de thèse. Au cours de son Master I (2011-2012) et de son Master II (2012-2013), sous la direction du Professeur Jean-François Muracciole, il a rédigé deux mémoires de recherche consacrés à l’occupation allemande à Agde et Montpellier. Ce dernier travail a obtenu une Mention spéciale décernée par l’Académie des Sciences et des Lettres de Montpellier dans le cadre du Prix Sabatier d’Espeyran 2016. Alain Alquier présente par la suite ses nombreuses sources en premier lieu desquelles les Archives départementales de l’Hérault et les Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine. Pour la première fois par ailleurs – et c’est un grand point fort de la thèse – les Archives fédérales allemandes conservées dans les centres de Fribourg-en-Brisgau et Berlin ont été consultées. Au total, Alain Alquier indique qu’entre 45 000 et 50 000 documents sélectionnés ont servi à la rédaction de son travail (p. 13). Après un exposé minutieux de l’historiographie de son sujet au cours duquel il rappelle notamment que les études locales publiées jusqu’ici n’ont pas analysé en profondeur la période de l’Occupation, il annonce l’objectif de sa thèse : reconstruire au plus près le quotidien des Héraultais durant ces vingt-deux mois de présence allemande, démontrer le fonctionnement de l’occupation à l’échelon départemental, établir les relations qui se nouent entre l’occupant et l’occupé.
Consécutivement à une Introduction décrivant l’histoire de l’Hérault entre 1939 et 1942, le corps de la thèse se présente pour la période 1942-1944. Il s’articule en cinq chapitres :
- Les Héraultais à l’heure allemande (90 pages) ;
- Les Héraultais au quotidien (210 pages) ;
- Les Héraultais entre Vichy et l’occupant (176 pages) ;
- Les Héraultais entre Résistance et Collaboration (186 pages) ;
- Les Héraultais à l’heure de la Libération (70 pages).
Dans le premier chapitre, Alain Alquier s’intéresse aux origines de l’occupation allemande dans le département de l’Hérault ainsi qu’à l’arrivée des troupes et leur installation (essentiellement dans les communes du littoral). L’invasion de la zone sud par Hitler (opération Anton II) débute le 11 novembre 1942 – jour du vingt-quatrième anniversaire de la signature de l’armistice de 1918 – consécutivement au débarquement anglo-américain entrepris dans les territoires français d’Afrique du Nord quelques jours plus tôt (opération Torch). L’intérêt de ce chapitre est multiple. On découvre notamment que les rotations de troupes sont nombreuses. Les soldats allemands arrivés en novembre 1942 ne sont pas les mêmes que ceux qui partent au mois d’août 1944. Alain Alquier relève « quatre vagues » successives d’arrivées et de départs, décrit avec minutie l’ensemble des unités présentes, et établit des évaluations numériques s’amenuisant au fur et à mesure que la Libération se profile. Quelque 15 000 soldats peuvent être dénombrés à la fin de l’année 1942 (p. 70), ils seraient entre 8 000 à 10 000 au début de l’été 1944 (p. 81).
S’il s’intéresse à la « nuit bleue » qui se produit à Montpellier entre le 11 et le 12 novembre 1942, ainsi qu’au « baroud d’honneur du général de Lattre de Tassigny », commandant de la XVIe région militaire qui est un des seuls chefs de la zone sud à tenter une manœuvre de résistance, l’auteur étudie aussi l’organisation administrative de l’armée allemande dans le département. Montpellier abrite un État-major supérieur de liaison 563 (Hauptverbindungsstab) qui se transforme en Poste de commandement départemental 563 (Feldkommandantur) à la mi-février 1944. Les chefs de cet organisme sont successivement plusieurs colonels (Obersten) : Wolf, Distler et Dernen. Chaque commune compte aussi un Poste de commandement local génériquement appelé « Kommandantur » par la population, mais qui correspond à une Standortkommandantur ou une Ortskommandantur pour la Wehrmacht, selon l’importance du lieu. Alain Alquier présente également les forces de police allemandes qui se trouvent dans le département, notamment celles de la Sipo-SD – dont fait partie la Gestapo – qui comprend deux antennes (Montpellier et Sète-Béziers) ayant comme responsables le lieutenant-colonel (Obersturmbannführer) Hellmut Tanzmann, le capitaine (Hauptsturmführer) Fritz Hinrichs et le major (Sturmscharführer) Karl Mahren. Grâce à l’exploitation des archives conservées à Berlin et Fribourg-en-Brisgau, l’auteur nous expose leurs différents parcours agrémentés de photographies d’identité.
Après s’être intéressé aux multiples problèmes provoqués par l’installation des troupes dans le département : réquisitions massives des hôtels et des établissements scolaires, vols, déprédations… Alain Alquier présente les éléments qui épaulent les militaires allemands. Au fil de ces pages particulièrement stimulantes, nous découvrons que des soldats italiens se trouvent sur le littoral héraultais entre février et septembre 1943. Entretenant de mauvaises relations avec leurs alliés germaniques, ils font l’objet de moqueries de la part d’une population qui n’a pas digéré le « coup de poignard dans le dos » de 1940, malgré leur comportement presque exemplaire. Après la signature de l’armistice de Cassibile, les soldats italiens sont arrêtés par leurs anciens alliés, sauf s’ils ont choisi de continuer la lutte sous la bannière de Mussolini et de la République de Salò. Dans l’Hérault, les quelques Italiens qui demeurent aux côtés des Allemands sont rejoints par des troupes de l’Est (Osttruppen), soldats slaves qui se sont engagés volontairement dans la Wehrmacht après l’invasion de l’URSS (on trouve aussi des prisonniers enrôlés sous la contrainte et non armés). Alain Alquier s’intéresse notamment au comportement de ces hommes qui, souvent alcoolisés, provoquent de nombreux incidents dans les communes côtières où les populations sont terrorisées et où le commandement allemand prend des mesures de sécurité en déployant des unités de la Feldgendarmerie, la police militaire (c’est le cas à Agde ou à Sauvian).
Dans le deuxième chapitre, l’auteur traite du quotidien des Héraultais sous l’occupation allemande. La préoccupation essentielle de la population demeure le ravitaillement depuis l’instauration du rationnement à l’automne 1940. C’est d’autant plus le cas que les pénuries sont sévères dans ce département où prévaut la monoculture de la vigne. À travers une étude minutieuse des rapports hebdomadaires des Renseignements généraux, Alain Alquier nous présente les fluctuations du ravitaillement et les récriminations des ménagères qui laissent parfois éclater leur colère. Trois périodes sont relevées : novembre-décembre 1942 (la crise), janvier 1943-février 1944 (entre état stationnaire et état de choc), mars-août 1944 (la rechute). Cette dernière période est marquée par une « crise du pain ». Les boulangers ne reçoivent plus de farine ce qui entraîne de violents incidents au sein d’une population héraultaise à bout.
À Valros, des femmes et des enfants manifestent devant la maison du maire qui est menacé de mort (p. 170), à Cazouls-lès-Béziers, une effigie du maire est pendue en centre-ville. Des céréaliers accusés de cacher leurs grains sont menacés d’être « fouettés sur la place publique » (p. 172-173). S’intéressant également au marché noir, au troc et au « système D » qui découlent des pénuries, Alain Alquier aborde les difficultés de déplacement quotidiennes. Le carburant manque, les bicyclettes font l’objet de nombreux vols et de vastes trafics. À Montpellier, le réseau de tramways électriques doit faire face à une explosion de la fréquentation alors que le matériel n’est plus correctement entretenu. Les accidents deviennent journaliers. Le 16 décembre 1943, une rame se renverse sur la place Albert Ier. Le bilan est de 7 morts et de 20 blessés. Cet accident – qui est à ce jour le plus grave dans l’histoire du tramway à Montpellier – provoque une violente polémique dans la ville. Devant les contestations populaires, les autorités prennent des sanctions (p. 198-203).
Ce Chapitre II contient aussi une étude de la situation sanitaire dans le département. Le sujet est particulièrement novateur. L’auteur en a tiré un article publié dans le numéro 55 des Études héraultaises. Trois maladies prospèrent principalement dans le département de l’Hérault : la fièvre typhoïde, la diphtérie et la brucellose. Aucun aspect du quotidien n’est oublié par Alain Alquier qui présente par ailleurs une analyse rigoureuse de l’opinion publique héraultaise quant aux événements de la guerre qui se poursuit dans le monde, mise en perspective au regard des grands débats historiographiques. « Au cours de ces vingt-deux mois d’occupation, écrit-il, l’Héraultais majoritaire semble avoir été celui qui soutenait irrémédiablement les armées alliées tout en faisant preuve de quatre ambivalences principales reposant sur des craintes/peurs : que l’occupant répercute la frustration de ses revers sur sa personne et ses biens ; qu’un débarquement sur les côtes méditerranéennes françaises apporte les affres de la guerre trop près de chez lui ; que les victoires toujours plus éclatantes de l’Armée rouge ne finissent par profondément impacter le visage de sa France d’après-guerre et, enfin, que les attaques aériennes alliées, censées le libérer, ne le conduisent prématurément au cimetière. Ces ambivalences s’accompagnèrent d’une obsession qui, parfois, les surpassa toutes, que ce soit dans l’exaltation des victoires alliées, ou dans les luttes qui s’éternisaient sur les différents fronts : la paix. L’Héraultais majoritaire semble clairement avoir illustré le « penser double » du concept d’ambivalence que Pierre Laborie rappelait encore dans Le chagrin et le venin, et qui invitait à accepter que beaucoup de Français aient pu être longtemps et à la fois « ceci et cela, pas seulement ceci ou cela » (p. 235).
Le chapitre se poursuit par une intéressante analyse des divertissements de la population héraultaise qui se rend en masse dans les cinémas plutôt que dans les théâtres. Les « salles obscures des années noires » se révèlent être des lieux où les autorités viennent régulièrement sonder l’opinion. Le public siffle ou tousse lorsque des reportages présentent des membres du Gouvernement de Vichy et les armées allemandes. Il applaudit lorsque les Alliés sont à l’écran. La question méconnue des « bals clandestins » (p. 251-254) attirera particulièrement le lecteur de ce deuxième chapitre, tout comme le déplacement des œuvres conservées dans les musées héraultais à Saint-Guilhem-le-Désert où un dépôt est constitué et entretenu avec des moyens quasi dérisoires (p. 264-271). Alain Alquier aborde ensuite la question des activités sportives avant de se consacrer à la vie religieuse. Il démontre combien la population départementale se réfugie dans la foi pour espérer le retour rapide de la paix, ou d’un être cher. Les différentes cérémonies et processions sont suivies avec ferveur ce qui n’est pas chose anodine dans un département qui appartient historiquement au « Midi rouge ». Le pèlerinage de Notre-Dame-de-Boulogne, organisé au printemps 1944, est un des exemples les plus édifiants de ce renouveau de ferveur (p. 282-284).
La dernière partie du Chapitre II représente un des cœurs de la thèse puisqu’elle concerne le point de vue du soldat allemand et son comportement vis-à-vis de la population héraultaise. Cette question centrale, Alain Alquier l’approche sous des angles variés. Après avoir démontré l’impuissance des autorités françaises face aux membres de l’armée allemande, l’auteur s’intéresse aux agressions, aux violences et aux déprédations commises par l’occupant alors qu’il est sous l’emprise de l’alcool. La nuit tombée, dans les communes occupées, de nombreux incidents éclatent. Des dizaines d’exemples sont donnés. Chose plus étonnante par ailleurs, Alain Alquier nous apprend que les soldats allemands commettent un nombre considérable de vols alimentaires, preuve de l’insuffisance du ravitaillement des troupes occupant l’Hérault. Des questions particulièrement stimulantes et rarement étudiées dans des monographies départementales sont par la suite abordées quant au comportement de l’occupant : la fréquentation assidue des prostituées et aussi les (rares) agressions sexuelles. L’affaire la plus grave relatée est le viol collectif d’une jeune fille de 12 ans commis à Jacou au mois de mars 1944 (p. 324-326).
L’auteur conclut que le comportement des soldats allemands est en règle générale « korrekt ». De façon très inattendue, il nous démontre toutefois que l’occupant cherche principalement à éviter les conflits et à ne pas envenimer les relations avec les civils ou l’administration. Même si les militaires ont tendance à se comporter en maîtres, ils sont relativement conciliants vis-à-vis d’une population qui ne résiste que très faiblement car elle est obsédée par sa survie. De plus, l’armée allemande ne mène pas dans l’Hérault la même guerre que celle entreprise à l’Est. Les débordements provoqués par les soldats sont sanctionnés par le commandement. Bien plus heureux de se trouver sur la côte méditerranéenne plutôt qu’en URSS, les soldats qui occupent l’Hérault s’astreignent à une certaine discipline. Par ailleurs, les Héraultais semblent dénier la guerre et refuser ses contraintes. Ils se focalisent surtout sur le respect de leurs droits par l’occupant. Cette obsession de la souveraineté découle de la signature de l’armistice et est aussi encouragée par Vichy et son administration. Il découle de cette perception de l’occupation des négociations permanentes avec des militaires allemands qui acceptent de jouer ce qu’Alain Alquier qualifie de « jeu des vétilles » (p. 347).
Le Chapitre III s’intéresse aux mesures imposées par Vichy et/ou l’occupant et leur impact sur la population héraultaise. La première partie aborde la participation des Héraultais à « l’effort de guerre » via la Relève, la loi du 4 septembre 1942 ou le Service du travail obligatoire (STO). S’appuyant sur l’étude méconnue de Martin Charbaut, Alain Alquier établit un bilan du nombre d’Héraultais ayant pris la direction de l’Allemagne : entre 4 500 et 5 000 (p. 363). Du nouveau est aussi apporté sur la question à travers une étude du cas des ressortissants italiens habitant l’Hérault (soumis au STO après la signature de l’armistice de Cassibile), ou des vengeances et des jalousies motivant certaines dénonciations/délations. L’auteur présente en outre les différentes rafles qui se produisent dans le département, qu’elles soient menées par les forces allemandes ou les forces de Vichy : la rafle menée par l’intendant régional de Police Pierre Marty le 17 mars 1944, la rafle entreprise dans les cinémas de Montpellier par les autorités allemandes au soir du 19 avril 1944, ou encore les rafles de la « Bande à Sabiani » ayant lieu à Béziers et Montpellier aux mois de mai et de juin qui suivent. La participation à l’effort de guerre passe aussi par des réquisitions de chevaux entreprises à compter du printemps 1943. Quelque 350 têtes sont réclamées par les Allemands ce qui provoque de vives récriminations dans le département où la mortalité des équidés a explosé en 1942, à cause de la sous-alimentation.
Alain Alquier étudie par la suite plusieurs mesures impopulaires qui impactent lourdement le quotidien des Héraultais : la confiscation des armes de chasse à partir du mois de décembre 1942, ou encore l’instauration d’une garde nocturne des voies ferrées/ouvrages d’art et l’application du couvre-feu au printemps 1943. De nombreuses contestations surgissent et rien n’échappe à l’auteur qui s’appuie sur une quantité importante d’archives. À travers ce qu’il appelle le « durcissement de l’année 1944 », Alain Alquier aborde ensuite la parution d’un Journal d’ordonnances allemandes valable dans les départements côtiers de la Méditerranée à compter de la mi-février 1944. Il s’intéresse également à la fortification des villes et du littoral – qui entraîne départs de civils, vols et accidents – et l’évacuation qui devient obligatoire dans plusieurs communes côtières à partir de février 1944. Cette question est particulièrement méconnue et pourtant très importante. Après avoir accueilli les réfugiés de l’exode en 1940, certains Héraultais deviennent à leur tour des réfugiés. En quelques semaines, des communes sont presque vidées de la totalité de leurs habitants comme Agde ou Sète. Les récriminations de la population sont multiples. Les mairies tentent d’organiser les déménagements des moins fortunés, des garde-meubles municipaux sont créés.
Le Chapitre III se poursuit par l’étude des multiples tensions provoquées par les célébrations des commémorations et fêtes nationales (1er mai, 14 juillet, 11 novembre). Les actions de la Résistance se multiplient à partir de 1943 : dépôts de gerbes, distributions de tracts, inscriptions, « attentats ». Ce chapitre comprend aussi une analyse des répercussions des mesures antisémites dans le département. Si Alain Alquier s’appuie sur les travaux de Michaël Iancu, il approfondit certaines questions comme celle des spoliations entreprises par le Commissariat général aux Questions juives, grâce à la découverte de dossiers d’enquêtes menées à la Libération. Ces archives permettent d’avoir une vision du parcours de certains spoliateurs qui ont parfois « joué sur les deux tableaux », tel Alphonse Quemener qui, tout en ayant administré plusieurs commerce juifs, s’est aussi engagé dans la Résistance (p. 481-484). Les dernières parties du Chapitre III sont consacrées à un sujet jusqu’ici oublié : les écoles, les collèges et les lycées face à l’occupation. D’excellentes pages dépeignent les difficultés engendrées par la présence des soldats allemands et de leur matériel dans les établissements scolaires où une baisse des effectifs et une sous-alimentation sont constatées. Les vols et les rackets de nourriture ne sont pas rares (p. 495). Le personnel encadrant est parfois mis en cause (p. 499). Les inspecteurs d’Académie relèvent en outre une baisse générale du niveau des élèves. Alain Alquier s’intéresse enfin à l’Université de Montpellier. Sans oublier que c’est en son sein que née la Résistance, et que plusieurs professeurs se sont engagés, l’auteur décrit le pétainisme qui y règne à travers plusieurs exemples : les chahuts des professeurs gaullistes, le descellement de la plaque dédiée au ministre Jean Zay, l’opposition d’Augustin Fliche, doyen de la faculté des Lettres, à la nomination de l’historien juif Marc Bloch. Le déroulé des années universitaires sous l’occupation et les répercussions de la présence allemande sur la scolarité des étudiants sont de surcroît analysés. Des pages stimulantes abordent la situation des jeunes issus de l’empire colonial et de l’étranger (p. 519-523).
Le Chapitre IV est quant à lui consacré à la Résistance et à la Collaboration. D’emblée, Alain Alquier prévient toutefois que ce n’est pas dans sa thèse qu’il va dresser un état des lieux des mouvements de Résistance héraultais et établir une sociologie de ses membres. Ce sujet mérite des études dédiées qui ont par ailleurs déjà été réalisées par des chercheurs comme Gérard Bouladou, Patrick Néolas ou encore Marc Legrand. Dans ce chapitre, l’auteur indique qu’il souhaite surtout étudier le champ opérationnel qui demeure encore méconnu et survolé. C’est le cas des actions menées contre les collaborateurs et les collaborationnistes, ainsi que des luttes qui se produisent avec la Sipo-SD et les forces de la police française, notamment celles de la « brigade sanglante » dirigée par l’intendant régional de Police Pierre Marty qui se trouve à Montpellier entre octobre 1943 et avril 1944. L’auteur s’intéresse aux « attentats » contre les permanences politiques qui engendrent une « guerre des vitrines » à Montpellier (p. 525-529), aux menaces personnelles, aux agressions, aux tentatives d’assassinat… Cette partie se conclut par le récit de l’exécution de Léon Mazaury le 16 décembre 1943 à Sète. La mort de ce milicien, chef du Groupe Collaboration, est le point de départ d’une véritable « guerre ouverte » entre la Résistance et l’intendance régionale de Police et la Sipo-SD. Pierre Marty et Hellmut Tanzmann, épaulés par des agents doubles qui noyautent les réseaux (Louis Robert, Paul Berger, Henri Mouchet…) entament des coups de filet en série au cours de ce qu’Alain Alquier qualifie de « trimestre noir » (p. 555). Les Groupes francs de Sète et de Béziers sont démantelés, des résistants sont arrêtes et torturés, déportés ou exécutés. Les pages sur ces arrestations sont particulièrement haletantes. L’auteur nous plonge au cœur des événements et aborde aussi la question de la torture à travers un récit saisissant où est finement décrit le processus auquel est soumis un résistant qui vient d’être arrêté (p. 565-572). L’analyse se poursuit par une enquête approfondie sur l’affaire Marissal-Batany, symbole de la « gangrène » qui sévit dans le corps de la Résistance héraultaise et régionale ; ainsi que par la répression entreprise par la Milice et ses Cours martiales.
Consécutivement à une présentation des combats les plus importants opposant forces de Résistance françaises et troupes allemandes (combat du hameau de Douch du 10 septembre 1943, combat des Champs blancs de Caux du 12 mai 1944, embuscade de Fontjun du 6 juin 1944), la deuxième partie de ce Chapitre IV s’intéresse à la question des mouvements collaborateurs et collaborationnistes. Aucun n’échappe à l’auteur qui, à travers un minutieux examen appuyé par de nombreux documents d’archives, apporte des connaissances nouvelles. Les pages consacrées à la Milice, bien implantée dans l’Hérault, sont particulièrement remarquables (p. 637-651). En ce qui concerne les autres mouvements collaborationnistes, Alain Alquier écrit notamment : « Les groupuscules du PPF, du Francisme et du RNP ne comptent qu’une poignée d’adhérents dont les motivations ne sont pas toujours idéologiques. Certains membres cherchent à gagner de l’argent et à s’assurer de meilleures conditions d’existence, quelques-uns rêvent de pouvoir en profitant de la protection des Allemands, d’autres veulent échapper au STO… Dans ce département de l’Hérault – terre de gauche avant la guerre – le soutien inconditionnel à l’Allemagne nazie est rejeté en bloc par la population d’autant plus que Vichy demeure dans une sourde hostilité à l’égard des collaborationnistes dont la division, à l’échelon national, est habilement entretenue par l’ambassadeur Otto Abetz.
Excepté des réunions, des conférences, des distributions de tracts, des collages d’affiches, ou des traçages d’inscriptions pas toujours très habiles, aucune action sérieuse n’est entreprise par ces hommes qui, souvent, se désengagent ou s’éloignent quand ils sont menacés par la Résistance ou quand ils se rendent compte que la victoire des Alliés est devenue inévitable. Nous pouvons également constater que les divisions des grands chefs du collaborationnisme français se retrouvent à l’échelon local où des mois de discussions sont nécessaires pour parvenir à la création d’un Comité unifié d’Action révolutionnaire qui est en réalité une coquille vide semblable au Front révolutionnaire national. La représentation sociologique des membres est quant à elle assez variée. Il faut toutefois relever la présence de nombreux notables dans les sections du PPF qui, pourtant, voulait originellement attirer un grand nombre d’ouvriers » (p. 698).
Le cinquième et dernier chapitre de la thèse s’intéresse à la période de la Libération et aux semaines qui la précèdent. Après une présentation des origines de la retraite allemande (débarquements de Normandie et de Provence), ainsi que de l’état de l’opinion publique sur ces grands événements militaires, une exhaustive analyse des attaques aériennes alliées est entreprise par l’auteur qui s’appuie sur une importante quantité d’archives. L’Hérault est bombardé à huit reprises entre le 27 janvier et le 27 août 1944. Le bilan humain établi est de 205 morts et quelque 350 blessés civils auxquels s’ajoutent 200 tués et près de 430 blessés dans les rangs de l’armée allemande (p. 745). Contrairement à d’autres départements français, l’Hérault a relativement été épargné par les attaques alliées. Le chapitre se poursuit par l’étude des actions menées par la Résistance pour accentuer la pression sur les forces de l’ordre françaises. Des lettres de menaces réclament des passages au maquis immédiats sous peine de sanctions à la Libération. Des centaines de départs de gendarmes sont relevés par Alain Alquier qui compte 1 500 à 2 000 résistants dans une dizaine de maquis à la veille du débarquement de Provence dans l’Hérault et ses environs immédiats (p. 757). Depuis février 1944, qu’ils soient gaullistes (MUR-Armée secrète) ou communistes (Francs-tireurs et partisans français), tous sont rassemblés sous la bannière des Forces françaises de l’Intérieur (FFI).
La dernière partie de ce chapitre s’intéresse au processus de Libération. Les soldats allemands évacuent l’Hérault à compter du 18 août 1944. Alain Alquier présente les conditions de départ d’une Wehrmacht qui a perdu de sa superbe et dont les moyens sont désormais limités. Sur fond de destructions dans les villes qui ont été fortifiées, les camions, voitures, motos, bicyclettes, charrettes et équidés sont massivement dérobés aux civils par des militaires qui n’hésitent pas à faire preuve de violence. Rien n’est délaissé. À Sète, les corbillards et les tombereaux à ordures sont emportés (p. 760). En trois jours, la plupart des villes qui étaient occupées sont désormais libérées. Cachés derrière leurs fenêtres, les Héraultais savourent le spectacle de cette piteuse retraite à laquelle participent les miliciens les plus zélés et leurs familles. L’auteur nous expose par la suite les « multiples escarmouches » qui se produisent entre les colonnes allemandes venant d’autres départements et la Résistance héraultaise mal équipée, jusqu’au combat de Montferrier-sur-Lez (25 août 1944). Le Chapitre V s’achève sur une présentation des « drames de la dernière heure » qui entraînent la mort de civils. Deux événements sont décortiqués : la fusillade de Mèze (20 août 1944) et la fusillade de la place de la Comédie (21 août 1944). À travers une fine analyse, Alain Alquier nous démontre que, même dans les dernières heures de l’occupation, les Héraultais continuent de parlementer avec des soldats allemands qu’ils n’envisagent pas d’attaquer, préférant se focaliser sur le ravitaillement et les règlements de comptes.
Vient alors la Conclusion de la thèse qui, pour sa première partie, fait office de court sixième chapitre consacré à l’après-libération. Alain Alquier s’intéresse aux nouveaux pouvoirs locaux qui succèdent aux autorités de Vichy, ainsi qu’à l’épuration (sous toutes ses formes). Entre le 30 août et le 14 septembre 1944, les Cours martiales FFI siégeant à Montpellier et Béziers condamnent 88 personnes – parmi lesquelles de nombreux miliciens – à la peine de mort (p. 783). Des thématiques jusqu’ici délaissées sont abordées comme celles de la reconstruction et du déminage des communes côtières (effectué par des prisonniers allemands). L’Hérault sort exsangue de ces années de guerre. La viticulture est lourdement impactée. Le rendement à l’hectare n’est plus que de 34 hl en 1944. Il se portait à 77 hl en 1939 (p. 791). Essentiel pour effectuer les travaux agricoles, les chevaux manquent cruellement. Le département comptait 24 633 équidés en 1938. Il en compte 15 497 en 1945 (p. 792). L’auteur étudie par ailleurs le retour des Héraultais qui ont été déportés, ainsi que la traque et le jugement des anciens responsables de l’intendance régionale de Police et de la Sipo-SD. Le 9 juin 1948, à la Cour de Justice de Toulouse, après un procès rocambolesque où des révélations fracassantes ont mis en lumière la gangrène qui sévissait dans le corps de la résistance héraultaise et régionale, le verdict du procès des sbires de la Sipo-SD tombe. L’agent double Paul Berger est condamné à mort, tout comme Louis Robert. Quelques semaines plus tard, le 24 juillet 1948, les anciens policiers de la « brigade sanglante » et leur chef Pierre Marty sont aussi condamnés. L’ex-intendant régional de Police écope de la peine de mort avec quatre autres de ses inspecteurs. Sur les seize peines de mort prononcées au cours des deux procès, trois sont réellement appliquées. La plupart des condamnés sont déjà en liberté en 1954. Leurs nombreuses dégradations nationales sont levées en 1959. L’auteur s’intéresse enfin aux anciens membres de la Sipo-SD de Montpellier ou de Sète-Béziers – qui sont jugés en novembre 1953 à Marseille – ainsi qu’à leurs chefs. L’habile Karl Mahren, responsable du noyautage de la Résistance, est mort mystérieusement le 13 août 1944 au cours d’une perquisition à la caserne de gendarmerie de Montpellier. Le capitaine Fritz Adolf Hinrichs n’a jamais été retrouvé alors que le plus haut responsable, le lieutenant-colonel Hellmut Tanzmann, est arrêté en Écosse après s’être embarqué dans un sous-marin. L’homme est assassiné au début du mois de mars 1946 dans une prison spéciale des beaux quartiers de Londres, la London Cage, aussi appelée la « Gestapo britannique » (p. 805). L’exposé post-libération s’achève sur les pénuries alimentaires qui perdurent après la fin de la guerre, ainsi que par la question mémorielle. De nombreux stigmates de l’occupation allemande sont encore visibles aujourd’hui dans le département.
En définitive, les constats d’Alain Alquier sont multiples et particulièrement novateurs. Entre novembre 1942 et août 1944, dans l’Hérault occupé, l’armée allemande a fait preuve de conciliation malgré une répression sévère à l’égard des résistants et des minorités honnies par le nazisme. Face à une population obsédée par son ravitaillement qui ne lui opposait pas une résistance farouche, l’occupant n’a employé que rarement la force. Il n’a pas écrasé de sa botte des Héraultais qui cherchaient sans cesse à négocier pour atténuer les contraintes qui pesaient sur leurs épaules, déniant une guerre qui se déroulait loin de chez eux. Fort de ce constat, Alain Alquier tente de développer le concept d’accommodation présenté par l’historien suisse Philippe Burrin en 1995 dans La France à l’heure allemande. Pour la première fois, une étude démontre l’existence d’une double accommodation : de l’occupé à l’occupant mais aussi de l’occupant à l’occupé. « En août 1944, écrit-il, il découle de cette [double accommodation] une étrange libération qui s’apparente plutôt à une tranquille évacuation malgré, il est vrai, quelques violents affrontements ponctuels avec des résistants peu nombreux et mal armés, sauf de courage. Aucune véritable insurrection ne peut être rapportée dans ce département de l’Hérault qui fait pourtant partie d’un Midi historiquement contestataire. La grève générale est décrétée le 18 août alors que les Allemands entament leur retraite. À Paris, les premières grèves débutent dès le 10 août et défient directement l’occupant. Sans doute, l’absence d’insurrection est-elle due à la faiblesse – avant et pendant la guerre – du Parti communiste. L’Hérault se range parmi ces régions où, comme l’a montré Philippe Buton, la double faiblesse de la Résistance et du PCF rend impossible le déclenchement d’une insurrection populaire et libératrice » (p. 811). L’auteur poursuit : « S’il est possible d’expliquer l’attitude de la population par les souffrances imposées par la faiblesse du ravitaillement général découlant de la monoculture de la vigne, plusieurs raisons semblent motiver [le comportement des] soldats allemands. D’abord des questions raciales, les Héraultais font partie d’une Europe de l’Ouest dont les peuples sont mieux considérés dans l’idéologie nazie que ceux de l’Europe du Sud et de l’Est. On trouve aussi des motivations liées au régime de Vichy. Les Héraultais font partie de la population dirigée par cet État français qui collabore ouvertement avec l’Allemagne pour garantir sa place dans un futur Reich européen. Mais ces facteurs, très généraux, se retrouvent partout en France. Il convient donc d’envisager aussi des facteurs locaux. La Résistance héraultaise ne représente pas une menace de taille, ce qui incline au compromis plus qu’à la répression. Enfin, beaucoup de militaires savent que la rotation des troupes est permanente et ont une crainte aiguë de quitter trop précipitamment la région. Tous les soldats allemands qui arrivent dans le département ont le sentiment d’une demi-permission : l’absence totale de combats, la douceur du climat, la beauté des paysages et des sites, les bains de mer, l’absence de bombardements aériens jusqu’au début de l’année 1944, la grande faiblesse de la Résistance, le calme de la population, tout est réuni pour susciter ce sentiment. Heureux de se trouver sur la côte héraultaise plutôt que dans les steppes d’URSS, ils se relâchent, profitent de la puissance du Reichsmark et recherchent avant tout les plaisirs faciles. Excepté de nombreux vols, des agressions, des rixes, ainsi que quelques viols et homicides – peu de choses comparativement au déchaînement de violence sur le front de l’Est – les occupants donnent l’impression de s’être « tenus à carreau » pour ne pas être sanctionnés et rester le plus longtemps possible à l’abri dans cette belle région préservée des désastres » (p. 812-813).
Indéniablement, comme a pu le souligner la Professeure Isabelle von Bueltzingsloewen lors de la soutenance, le style d’Alain Alquier est agréable et la lecture plaisante : l’auteur a des « talents de conteurs ». Malgré tout, il a parfois tendance à aller trop loin dans la description et le détail. C’est sans doute la critique principale que l’on peut faire à cette remarquable thèse, bien que ce soit aussi un parti pris assumé par Alain Alquier et son directeur Jean-François Muracciole pour lesquels c’est par une analyse scrupuleuse que l’on arrive à extraire la substantifique moelle des caractéristiques de cette occupation allemande dans l’Hérault. Par ailleurs, la thèse comporte quelque 3 400 notes de bas de page. Si l’on apprécie l’honnêteté avec laquelle Alain Alquier cite l’ensemble de ses sources, certaines d’entre elles demeurent longues et alourdissent la démonstration sans être toujours indispensables. On peut également regretter un manque de comparaison avec d’autres départements, excepté sur la question des bombardements et des mouvements collaborateurs ou collaborationnistes. Mais l’auteur pouvait-il faire mieux ? Les monographies départementales publiées jusqu’ici n’atteignent pas le même degré d’exhaustivité, comme l’a souligné le Professeur Jean-François Muracciole au cours de la soutenance.
En conclusion, la thèse d’Alain Alquier marquera incontestablement l’historiographie de la Seconde Guerre mondiale dans le département de l’Hérault et en Languedoc. Cette étude « colossale », pour reprendre le terme employé par le Professeur Olivier Wieviorka lors de la soutenance, est aussi pionnière par son exhaustivité et son ampleur. Espérons qu’elle sera rapidement éditée et qu’elle entraînera avec elle une nouvelle vague d’études monographiques départementales sur la période de l’occupation allemande. Quant à l’auteur, on ne peut que lui souhaiter une belle carrière universitaire.
Jean-Louis REQUENA
Chef honoraire d’Établissement de Formation
Chevalier de la Légion d’Honneur et de l’Ordre national du Mérite,
Commandeur des Palmes académiques et du Mérite agricole
Référence complète de la thèse
Alain ALQUIER, L’occupation allemande dans le département de l’Hérault 11 novembre 1942-23 août 1944, Thèse de Doctorat en Histoire, sous la direction de Jean-François Muracciole, Montpellier, Université Paul-Valéry Montpellier III, 2020, 1 104 p.
N.B. : Le manuscrit de thèse a récemment été déposé aux Archives départementales de l’Hérault où il peut être consulté sur dérogation, en attendant une prochaine publication.