Un photographe primitif en Languedoc : Jean-Marie Taupenot (1822-1856)

Jean-Marie Taupenot occupe une place dans l’histoire de la photographie grâce au procédé du collodion albuminé sec, ou « procédé Taupenot », qu’il publia en 1855 et qu’il utilisa dans les deux années suivantes, jusqu’à sa mort soudaine le 15 octobre 1856, alors qu’il était professeur au Prytanée impérial militaire de La Flèche. 1 Sa production photographique antérieure n’était pas connue, qui nous est révélée ici au travers d’épreuves contenues dans deux albums auxquelles s’ajoutent une douzaine d’épreuves isolées. 2 Parmi ces dernières figurent des images identiques à certains tirages des albums, mais de dimensions et de qualité différentes : plus soignées, montées sur carton et légendées, et surtout datées et signées. 3 L’album le plus important par le nombre d’images, qui fut offert à Madame Claire Glaize à l’occasion de sa fête, le 12 août, contient des photographies, des dessins, des poèmes, des dédicaces, sur le modèle du keepsake, « des mots anglais keep, garder, et sake, marquant le but, la destination à garder » 4. Très en vogue sous la Monarchie de Juillet, les keepsakes sont des livres « élégamment exécutés et reliés, qui sont destinés à être offerts en cadeau et comme souvenir au jour de l’an ou à l’occasion d’une fête. La poésie, la gravure, parfois la musique, contribuent à les orner » 5. Ici, il s’agit d’un keepsake entièrement « fait main » et non d’un album acheté dans le commerce sur lequel on écrit ensuite ; ses maladresses, ses irrégularités, en font un objet unique et très émouvant. 6 Les sujets de ces photographies sont variés : un petit quart consiste en reproductions de tableaux, dessins ou gravures ; le reste en portraits (vingt-cinq) ou vues diverses (paysages, architecture, vues urbaines). Ces clichés, inédits à ce jour, furent vraisemblablement réalisés entre 1848 et 1851, en Bourgogne, région natale de Taupenot, à Chaumont (Haute-Marne) et en Languedoc, où il vécut quelques temps 7. Nous nous intéresserons ici plus particulièrement au séjour de Taupenot à Montpellier et aux photographies qu’il prit dans la région. En préalable, nous retracerons brièvement son parcours antérieur.

Taupenot à Montpellier

Givry : rue de l’Horloge, 1851
Fig. 1 - Givry : rue de l’Horloge, 1851, tirage sur papier salé d'après un négatif papier

Jean-Marie Taupenot est né le 15 août 1822 à Givry en Saône-et-Loire, bourgade ancienne de la côte chalonnaise qui comptait 2 900 habitants en 1836 (Fig. 1). Jean-Marie est le cinquième enfant de Benoît Lazare Taupenot (Saint-Martin de Laives, 1789–?) et de Jeanne Marie Dugrivel (La Truchère, 1789 – Chalon-sur-Saône, 1868), tous deux issus de familles de propriétaires de la région 8. La famille Taupenot habitait au Moulin-Madame, ancien moulin situé sur l’Orbize, à 2 km de Givry 9. Benoît Lazare Taupenot était meunier et viticulteur.

Jean-Marie Taupenot obtint ses deux baccalauréats en septembre 1838 et en septembre 1839. Il dut quitter le domicile familial à l’automne 1841 pour se rendre à Chaumont (Haute-Marne) 10 (Fig. 2 et 3). Là, il exerça comme instituteur, ce qui lui valut d’être dispensé du service militaire 11. On le retrouve ensuite (dès 1842) comme enseignant les mathématiques et la physique au collège de Romans (Drôme), d’abord comme chargé de cours puis, à partir de 1844, comme régent de la chaire de mathématiques 12. En 1846, il participe à la fondation de l’Athénée des belles-lettres de Romans aux côtés d’Antoine Philippe Mathieu dit Mathieu de la Drôme (1808-1865), enseignant récemment arrivé de Lyon 13. Mathieu s’est ensuite engagé dans la carrière politique, évoluant vers un réformisme républicain et socialisant de plus en plus accentué.

Elu député en 1848, il s’opposa à la politique du prince – président et fut exilé quelques mois en Belgique. Sous le second Empire, il se fit connaître par son ouvrage De la prédiction du temps (1862) basée sur l’observation des phases lunaires. Il se peut qu’un intérêt commun pour les matières scientifiques ait rapproché Mathieu et Taupenot, en plus d’idéaux politiques.

Chaumont : la rue de l’Etappe au Vin avec l’hôtel de ville dans le fond, 1851
Fig. 2 - Chaumont : la rue de l’Etappe au Vin avec l’hôtel de ville dans le fond, 1851, tirage sur papier salé d'après un négatif papier
Chaumont : l’église des Jésuites et le lycée, 1851
Fig. 3 - Chaumont : l’église des Jésuites et le lycée, 1851,
tirage sur papier salé d'après un négatif papier

Désireux sans doute de progresser dans son cursus scientifique, mais aussi semble-t-il, contraint par des problèmes de santé, Jean-Marie Taupenot quitte Romans pour Montpellier à l’automne 1847 14. Le choix de la faculté des sciences de Montpellier lui fut peut-être suggéré par le chimiste Louis-Jacques Thénard (1777-1857), qu’il connaissait sans doute depuis l’enfance 15. Le baron Thénard avait été nommé conseiller de l’université puis chancelier, et il avait entre autres la mission de désigner, parmi les jeunes chimistes et physiciens, les chargés de cours dans les lycées et les facultés 16. À Montpellier, la faculté des sciences, fondée en 1808, comptait une chaire de chimie dont le premier titulaire fut Antoine-Jérôme Balard 17. En 1841, Thénard usa de son influence pour faire nommer, en remplacement de Balard parti à Paris, Charles-Frédéric Gerhardt (Strasbourg, 1816-idem, 1856), brillant chimiste qui avait étudié en Allemagne, notamment dans le laboratoire de Liebig (dont il traduisit les œuvres en français), puis à partir de 1838 à Paris, où il travailla avec Chevreul 18. Gerhardt, qui possédait déjà un riche cursus bien qu’à peine âgé de 25 ans, arriva à Montpellier le 30 avril 1841 comme chargé de cours. Un daguerréotype anonyme pris au moment de son arrivée le montre en jeune homme sérieux et légèrement mélancolique 19. Gerhardt ne s’habitua jamais à la vie montpelliéraine et déplorait souvent dans sa correspondance le manque de moyens pour travailler dans des conditions convenables, ne disposant que « de 150 francs par an pour tous les frais de cours et 300 francs pour la collection » 20. On citera un extrait d’une lettre envoyée à Liebig21 environ un an après son installation à Montpellier, qui brosse un portrait assez féroce de sa situation : « Vous croyez peut-être que maintenant, ayant une chaire de Faculté, je dois être parfaitement à mon aise pour me livrer à des recherches scientifiques ? Mais vous ne connaissez pas l’état pitoyable de notre enseignement en province. Vraiment, quand on aime un peu la science, on en est bientôt dégoûté. Nous avons ici la seconde Ecole de médecine du royaume, avec deux professeurs de chimie, une Ecole de pharmacie et un Collège royal avec deux autres professeurs de chimie, mais ces messieurs s’occupent de gagner de l’argent, ils n’ont jamais vu un appareil de combustion pour l’analyse, ils ne travaillent pas. Dans les autres sciences, c’est absolument la même chose. Je suis donc le seul à ma Faculté à travailler, mais aussi personne ne m’appuie, au contraire, j’excite plutôt la jalousie des autres. Ensuite, le gouvernement ne donne presque rien pour l’entretien du laboratoire, et cela se conçoit puisqu’il pense que cela suffit pour faire un cours deux fois par semaine. Or, vous savez combien il est difficile de retourner à Paris une fois qu’on est enterré en province. Encore, si j’étais chez moi, dans ma famille, je me trouverais fort heureux d’avoir la position que j’ai ici, mais isolé comme je le suis, éloigné de toute ressource scientifique, avec la perspective presque certaine de rester dans la même position (car, enfin, je n’ai pas découvert le brome, comme Balard), je trouve cela insupportable… ».

Son éloignement de la capitale (en 1841 il n’y avait pas encore de chemin de fer et le voyage en malle-poste jusqu’à Paris durait plus de soixante heures) et sa situation de célibataire lui permirent du moins d’avancer dans ses recherches, dont la première étape fut la publication en deux volumes d’un Précis de chimie organique (1844-1846). En 1844, sa situation s’améliora puisqu’il fut nommé professeur avant le délai de rigueur et se maria 22. Gerhardt conserva officiellement son poste jusqu’en 1851 mais en réalité il prit un congé en 1848 et fut contraint de donner sa démission. À Paris, il fonda une Ecole pratique de chimie et mena à bien son grand œuvre, première classification des substances organiques, publiée à partir de 1854 sous la forme d’un Traité de chimie organique en quatre volumes. En 1854, il regagna Strasbourg comme professeur à la faculté des sciences et à l’Ecole de pharmacie, et mourut deux ans plus tard. Avec son ami Auguste Laurent (1807-1853), Gerhardt incarnait alors la nouvelle école de chimie.

On ne sait si Thénard suggéra à Taupenot de se rendre à Montpellier, mais si c’est le cas, son intention était peut-être de le mettre en contact avec Gerhardt pour qu’il ait l’occasion de se former au travail de laboratoire auprès d’un savant reconnu. Dès son arrivée à Montpellier à l’automne 1847, Taupenot adressa une pétition au conseil d’administration de la faculté pour demander à passer sa licence en avance, ce qui lui fut refusé en date du 15 décembre ; aussi dut-il patienter quelques temps, jusqu’au 16 mars, date de l’obtention de sa première licence en sciences physiques 23. Pendant l’hiver, il travailla effectivement dans le laboratoire de Gerhardt. Au printemps 1848, ce dernier écrivait à son élève Gustave Chancel (1822-1890), qui avait accepté de le suppléer à Montpellier pendant son congé à Paris : « Je vous recommande aussi M. Taupenot (ancien professeur de mathématiques au collège de Romans) qui est à Montpellier pour sa santé, et qui a travaillé avec moi pendant l’hiver passé. C’est un brave jeune homme, très serviable. Il travaille beaucoup et a des relations avec beaucoup d’élèves » 24. Le 29 juillet 1848, Chancel écrivait à Gerhardt : « Quant aux étudiants, je sais par M. Taupenot qu’ils sont contents de moi, et ils me l’ont prouvé aujourd’hui par de vifs applaudissements (…). Je vois de temps en temps M. Taupenot, comme je sais que vous vous intéressez beaucoup à lui, je crois devoir vous dire que la semaine dernière (mercredi 26) il a passé devant la Faculté son examen pour la licence ès sciences naturelles, avec MM. Dunal, Marcel de Serres et Gervais ; il a été reçu avec une blanche et deux rouges, la boule blanche est de M. de Serres » 25.

Muni de ses deux licences, Taupenot doit réfléchir alors à la suite de sa carrière, en une période particulièrement instable, marquée par d’importants événements politiques puis par le choléra qui sévit dans toute la France. En 1849, il commence à travailler à sa thèse. En introduction de celle-ci, il esquisse la genèse de son travail, évoquant cette époque où il arpenta la région en compagnie de Marcel de Serres ou de Jules de Christol : « C’est en 1849 que nous avons vu pour la première fois le calcaire lacustre du midi de la France, dans une excursion avec M. Marcel de Serres, qui nous a inspiré l’idée d’étudier ce calcaire dans les environs de Montpellier, pour faire connaître ce qu’il présente d’intéressant et établir d’une manière exacte sa circonscription (…). Enfin, M. de Christol, toujours dans le courant de la même année 1849, a bien voulu visiter avec nous les terrains qui s’étendent derrière le Jardin-des-Plantes de Montpellier, et nous y avons recherché ensemble les traces du passage des eaux qui ont dû s’y déverser soit brusquement, soit d’une manière continue, pendant la durée de la débâcle du grand lac placé derrière les collines de la Valette et de Montferrier. M. de Christol a eu la complaisance de nous conduire aussi jusqu’aux collines qui avoisinent Bouzenac, au nord de Montferrier, où les calcaires d’eau douce présentent des caractères de glissement très singuliers qu’il avait observés dès 1827 » 26.

Tout en poursuivant son travail scientifique, et sans doute dans l’obligation de travailler, Taupenot repart à Chaumont (sans doute fin 1849, pour la rentrée scolaire) comme professeur de physique au lycée de la ville, qui vient d’être reconstruit à l’emplacement de l’ancien collège des Jésuites (Fig. 3). C’est là qu’il réside, rue de Buxereuilles, en compagnie d’autres enseignants 27. On l’imagine pendant quatre ans (entre 1847 et 1851) allant et venant entre la Bourgogne, la Champagne et le Languedoc, prenant sans doute à Chalon un des bateaux à vapeur qui sillonnaient la Saône jusqu’à Lyon, puis un bateau sur le Rhône jusqu’à Beaucaire et ensuite le train jusqu’à Montpellier, la ligne Nîmes-Montpellier étant ouverte depuis 1845 ; soit au total deux bonnes journées de voyage. Trois photographies qu’il prit à cette époque représentent d’ailleurs un viaduc en arceaux et un pont ferroviaire métallique (non localisés), ainsi que la gare de Dijon, sujets qui devaient l’intéresser en tant qu’ouvrages d’art et exploits techniques, mais aussi peut-être comme témoins de ses voyages.

Le 23 août 1851, à Dijon, Jean-Marie Taupenot soutient sa première thèse en histoire naturelle 28. Au début, il rend largement hommage aux professeurs qui l’ont aidé : Marcel de Serres, Jules de Christol, Félix-Michel Dunal. Quelques passages nous renseignent sur la façon dont il a travaillé : « Quand des géologues éminents, aidés du concours d’une administration éclairée, consacrent de longues années à la carte d’un seul arrondissement, comment un jeune homme, à son début dans la carrière et livré à ses seules ressources, pourrait-il, en moins d’un an, suffire à la même tâche ? Nous eussions même abandonné bientôt ces recherches, si nous avions été complètement privés de secours et d’appui (…) M. Dunal, doyen de la Faculté des sciences de Montpellier, qui nous a donné tant de facilités et d’encouragements dans nos recherches botaniques, nous a fourni aussi, pour ce travail de géologie, des indications bien précieuses. Ainsi, c’est à lui que nous devons de connaître le petit bassin très curieux des Quatre-Pilas et le calcaire d’eau douce des environs de Frontignan. M. Dunal a poussé la bonté jusqu’à nous conduire dans ces deux localités qu’il jugeait intéressantes pour nos recherches, et qui, en effet, la seconde surtout, nous ont présenté le fait le plus remarquable que nous ayons à signaler ». Il remercie aussi Emilien Dumas (1804-1870), géologue et paléontologue du Gard : « M. Dumas de Sommières, à qui le département du Gard doit les cartes les plus belles et les plus exactes qu’on puisse voir, a eu la bonté de nous accueillir et de nous conduire lui-même en divers lieux intéressants du bassin qui s’étend de Sommières à Saint-Drézery. Il a bien voulu nous permettre de comparer le résultat de nos observations avec les limites qu’il avait lui-même déterminées ; et ça a été pour nous un encouragement précieux au milieu de rudes fatigues, de voir que nous avions jugé des terrains difficiles presque exactement comme M. Dumas lui-même, et plus encore de lui entendre dire que nous avions pris la bonne manière d’observer. Le temps nous aurait manqué pour étudier plusieurs points éloignés au nord et à l’est du département. Les observations de M. Dumas nous permettent de combler cette lacune, et c’est, grâce à lui, que nous pouvons offrir une carte presque complète de l’arrondissement » 29.

En 1851, Jean-Marie Taupenot soutient une seconde thèse en histoire naturelle, portant sur les synanthérées 30. Contraint d’y travailler en même temps que sur son premier sujet, il a dû en restreindre les limites : « En commençant nos recherches, nous pensions cependant pouvoir faire la monographie des chicoracées… nous avons voulu partir du fond de la question et étudier dans les moindres détails toute l’anatomie de la famille. Alors, nous avons entrevu, sinon parfaitement établi, sur la structure de l’ovule et la fécondation, des faits très nouveaux pour nous, et qui le seront peut-être pour d’autres botanistes. Il nous a fallu bien du temps et de laborieuses études microscopiques pour arriver à ce résultat. Retenu d’autre part par les soins d’un travail géologique fort étendu, nous avons vu s’avancer rapidement le terme fixé pour la présentation de nos Thèses ; nous avons alors forcément renoncé à donner la monographie des chicoracées des environs de Montpellier, pour laquelle M. Dunal, doyen de la faculté des sciences, avait cependant l’extrême obligeance de mettre à notre disposition tous les matériaux nécessaires. Qu’il en reçoive ici tous nos remerciements, et nous permette d’exprimer aussi nos regrets que l’obligation où nous avons été de reprendre trop tôt nos fonctions universitaires ne nous ait point permis de profiter aussi longtemps que nous l’aurions voulu de ses lumières et de ses bontés. Nous avons donc abandonné la partie descriptive, que nous avions d’abord en vue, pour nous renfermer dans les recherches anatomiques. » 31

À quelles fonctions universitaires Taupenot fait-il ici allusion ? Et pourquoi n’a-t-il pas soutenu sa thèse à Montpellier, d’autant plus que la chaire de géologie, occupée par Marcel de Serres, était une des plus anciennes de France, dans une région particulièrement riche et variée dans ce domaine ? 32 Voulut-il suivre Jules de Christol, qui venait d’être nommé professeur à la faculté des sciences de Dijon ? Quoiqu’il en soit, les travaux de Taupenot furent remarqués en leur temps, régulièrement cités par les géologues, notamment par Paul de Rouville, qui établit la carte géologique au 80 000e du département de l’Hérault en utilisant celle que Taupenot avait joint à sa thèse 33.

Les photographies

Lorsqu’il n’était pas absorbé par ses études, Jean-Marie Taupenot consacrait une partie de ses loisirs à la photographie. Nous ne savons dans quelles circonstances il s’est initié à la photographie, mais son village natal de Givry étant distant de quelques kilomètres seulement de Saint-Loup-de-Varennes, où Nicéphore Niépce vécut et fit ses expériences, on peut supposer que, dès son enfance, il entendit parler du nouveau médium (à la mort de Niépce, en 1833, il était âgé de onze ans). On imagine aisément l’adolescent, curieux et attiré par les matières scientifiques et techniques, apprenant à dessiner à l’aide d’une chambre claire ; plus tard, il s’essaya sans doute au daguerréotype (divulgué en 1839, l’année de son second baccalauréat) et au négatif papier. En 1848, date supposée des premières photographies qu’il prit à Montpellier, coexistent en effet trois procédés photographiques : le daguerréotype, le négatif papier et le tout nouveau procédé à l’albumine. Le daguerréotype, image unique obtenue sur plaque de cuivre argenté, était majoritairement utilisé dans les ateliers professionnels pour le portrait. Le négatif papier, mis au point dès 1839 par Fox Talbot en Angleterre (Talbotype) et par Hippolyte Bayard en France, était très prisé des amateurs pour son potentiel artistique et pour ses effets de matière qui l’apparentent à l’estampe 34. Le procédé à l’albumine, mis au point en 1847 par Niépce de Saint-Victor, petit cousin de Nicéphore Niépce, permettait d’obtenir, sur une plaque de verre, une finesse remarquable, mais était d’une sensibilité très faible. En 1851, l’année où Taupenot quitte Montpellier, un nouveau procédé fit son apparition, le collodion humide sur plaque de verre, qui supplanta très vite le daguerréotype et fut la technique la plus utilisée pendant une trentaine d’années. Taupenot s’en servit pour mettre au point un nouveau procédé, le collodion albuminé sec 35.

Les photographies dont il est ici question ont été obtenues sur négatif papier et sur albumine (peut-être sur collodion pour quelques-unes, mais cette technique était alors très récente, Taupenot la connaissait-il déjà ?), et tirées sur papier salé. L’ensemble est de qualité inégale, comprenant des tirages plus ou moins réussis en fonction des produits utilisés pour le virage ou le fixage et certaines images sont d’ailleurs presque effacées. Quelques-unes existent en double, dans des tonalités différentes, tirant sur le jaune ou sur le rouge (virage à l’or ?) ; d’autres sont inversées, comme par jeu, pour juger de l’effet obtenu. Tout cela relève d’une production de type artisanal qui atteste d’une pratique amateur encore récente. C’est aussi ce qui fait le charme de cet ensemble, conçu comme une œuvre intime, destinée à quelques proches, à l’exception peut-être des tirages plus soignés et légendés, destinés à une diffusion plus large.

Un petit cercle d’amis

Outre la beauté indéniable de certaines images, les photographies prises par Taupenot en Languedoc nous renseignent sur la vie qu’il menait pendant ses loisirs et surtout sur les personnes qu’il fréquentait. Si nous ne connaissons pas avec certitude l’identité des modèles, nous pouvons du moins émettre des suppositions à partir des noms qui figurent dans les albums, sous forme de dédicaces ou de signatures. Trois patronymes reviennent souvent, sur lesquels se sont concentrées nos recherches : Cadilhac, Fabreguettes, Glaize 36.

La famille Cadilhac de Madières était établie à Puisserguier, boulevard du Portail de la Fontaine. Il se peut que les photographies de groupe aient été prises par Taupenot dans la cour de cette maison (Fig. 4, 5, 6, 7). Le père, Fortuné Cadilhac (Pégairolles, vers 1794 – Puisserguier, 1852) était un des principaux propriétaires fonciers de la commune (terres et vignes) 37. En 1818, il épousa Marie-Victoire Fournialis dont il eut trois enfants : Jean-Joseph-Marie Désiré (Puisserguier, 1819 – Idem, 1867), Marie-Gabrielle-Mélanie (Puisserguier, 1821 – idem, 1907) et Jean-Marie Ciprien Paulin (Puisserguier, 1824 - ?). Désiré devint avocat puis suppléant du juge de paix à Montpellier 38. Peut-être malade ou trop pris par ses autres activités, il dut cesser son activité professionnelle vers 1860 et revint vivre à Puisserguier aux côtés de son frère et de sa sœur Mélanie, restée célibataire. Il mourut le 23 janvier 1867 sans postérité. Son frère cadet Paulin s’installa comme médecin à Puisserguier et vécut aux côtés de ses parents, devenant chef de ménage après le décès de son père 39. Les deux frères s’engagèrent dans la vie publique, l’aîné comme conseiller général, le cadet comme conseiller municipal. Tous deux aimaient aussi à taquiner la muse ; dès 1844, on trouve des poèmes et récits de voyages de Désiré dans la Revue du Midi, dirigée alors par Achille Jubinal 40.

Groupe dans une cour, tirage sur papier salé
Fig. 4 - Groupe dans une cour, tirage sur papier salé d'après un négatif papier
Groupe dans une cour, tirage sur papier salé
Fig. 5 - Groupe dans une cour, tirage sur papier salé d'après un négatif papier
Groupe dans une cour, tirage sur papier salé
Fig. 6 - Groupe dans une cour, tirage sur papier salé d'après un négatif papier
Groupe d’hommes et un garçon autour d’une table, tirage sur papier salé
Fig. 7 - Groupe d’hommes et un garçon autour d’une table, tirage sur papier salé d'après un négatif papier

La famille Glaize était établie à Montpellier, 15 rue du Plan-d’Agde. Madame Claire Glaize41, à qui fut offert un des albums pour sa fête, née Claire Ricard, avait épousé Isidore Adolphe Etienne Glaize, négociant montpelliérain. Ils eurent deux fils, Paul (1832 - ?) et Antonin (1833-1914) qui s’orientèrent vers la carrière juridique 42.

Le couple Fabreguettes, auteur d’une double dédicace à Claire Glaize dans l’album qui lui fut offert, était également originaire de Montpellier 43. À leur mariage figuraient parmi les témoins Jean-Pierre-François Ricard, père de Claire Glaize, et Jean-Pierre Glaize, entrepreneur de diligences, beau-père de cette-dernière, tous deux âgés de 77 ans, ainsi que Noël Fabreguettes, maître de pension, âgé de 46 ans, oncle paternel de l’époux. Ce qui permet d’établir un lien, sinon de parenté, du moins amical entre les deux familles. Noël Fabreguettes avait deux fils, Jules, né en 1821, et Martial, né en 1823, qui firent tous deux des études de médecine 44.

Trois femmes et un homme posant, tirage sur papier salé
Fig. 8 - Trois femmes et un homme posant, tirage sur papier salé d'après un négatif papier
Femme âgée avec fleurs, tirage sur papier salé
Fig. 9 - Femme âgée avec fleurs, tirage sur papier salé d'après un négatif papier

On le voit, les relations de Taupenot appartenaient à un milieu aisé, représentatif sans doute de la bourgeoisie languedocienne : avocats, médecins, négociants, viticulteurs. Eloigné des siens, il devait apprécier la compagnie de la famille Cadilhac, qui présentait certaines similitudes avec sa propre famille : un père propriétaire foncier, viticulteur (l’homme aux cheveux blancs et à moustache sur les photographies ?), une propriété dans une petite bourgade. On peut imaginer qu’il connut les deux fils (à peu près de son âge) à l’université, même s’ils n’étudiaient pas les mêmes matières. Les frères Fabreguettes étaient aussi du même âge et étudiants en médecine, comme Paulin Cadilhac. Tous posent sans doute sur les portraits pris par Taupenot, qui comptent plusieurs jeunes gens : un jeune homme assis par terre sur un coussin à carreaux, un autre avec un chapeau posé sur ses genoux, un autre encore, assis devant des livres, incarnant le parfait étudiant. Les deux frères Glaize, Paul et Antonin, étaient plus jeunes d’une dizaine d’années, encore adolescents, qui peuvent correspondre à deux garçons présents sur des photographies. L’identité de la femme plus âgée, portant un châle, posant à côté d’un bouquet de fleurs reste très incertaine : peut-il s’agir de Madame Cadilhac, âgée de 55 ans environ en 1848 ? (Fig. 9).

Si, bien sûr, on aimerait pouvoir préciser davantage l’identité des modèles, la beauté et l’intérêt de ces photographies reste intact. Le grain du négatif sur papier et la texture du papier salé produisent des effets de matière veloutée et les formes tendent à se diluer dans la lumière. Les personnages posent complaisamment en plein soleil, malgré la chaleur (plusieurs hommes portent un chapeau ou une casquette, les femmes portent des coiffes) par amitié sans doute pour le jeune photographe amateur et séduits peut-être aussi par le nouveau médium qui constitue encore une curiosité (à Montpellier, le premier atelier professionnel ouvrit vers 1860). Les modèles sont assis ou debout, fixant l’objectif pour la plupart d’entre eux. Si la plupart de ces photographies semblent prises sur le vif, même si les personnages posent, il en est où les personnages semblent obéir à une mise en scène parfaitement ordonnée, évoquant un tableau de genre. Les portraits individuels proposent un parti très simple, sans décor ni fioriture : les modèles posent assis, les bras croisés, l’air pensif, à côté d’une table ou d’un guéridon, sur lequel sont posés un vase de fleurs ou des livres (Fig. 10).

Plusieurs portraits semblent avoir été réalisés au cours de la même séance, dans une cour, devant un mur avec un portail (une grange ?) et de la végétation autour ; on retrouve sur plusieurs clichés la même chaise et la même nappe. Trois autres ont été prises dans une cour devant une grille ; on y voit des vases d’Anduze, des plantes en pot, une cage à oiseau au-dessus de la porte, quelques chaises. Sur l’une d’elles, on distingue une échelle posée contre le mur du fond et un chapeau gisant à terre.

Garçon aux livres, tirage sur papier salé
Fig. 10 - Garçon aux livres, tirage sur papier salé d'après un négatif papier
Groupe autour d’un puits à roue, (1851 ?) tirage sur papier salé
Fig. 11 - Groupe autour d’un puits à roue, (1851 ?)
tirage sur papier salé d'après un négatif papier

On trouve souvent ces objets ordinaires dans les clichés des premiers photographes amateurs, qui prennent pour modèle leur propre maison, leur jardin avec des ustensiles, au point qu’ils sont presque devenus des icônes de la photographie primitive (Talbot, Bayard, Humbert de Molard…) Il est peu probable que Taupenot se soit référé à ces images, qu’il ne connaissait sans doute pas, mais le rapprochement a posteriori est toujours tentant.On pense aussi dans certains cas aux portraits pris par Victor Regnault (1810-1878) à Sèvres à la fin des années 1840 : portraits de ses proches (sa femme, ses enfants) ; même si, chez Regnault, la technique est mieux maîtrisée.

Ces portraits paraissent très statiques, ce qui s’explique par la durée du temps de pose ; on y voit ça et là des « fantômes », une personne qui a bougé, un geste qui a laissé une trace sur la couche sensible. Plus animés sont les trois clichés où l’on voit des personnes posant devant un puits à roue (Fig. 11), dans un jardin ou dans la campagne, qui relèvent à la fois du portrait et de la récréation photographique. Taupenot lui-même pose au milieu de ses amis, qui sont tentés de bouger, comme des enfants, sans doute las de poser au soleil.

En prenant ces clichés, Taupenot immortalise le souvenir de belles journées d’été entre amis, et en les offrant, il remercie ses hôtes de l’avoir invité. Portraits de groupes ou portraits isolés, excursions dans la campagne autour d’un puits à roue ou à l’abbaye de Valmagne, une poésie particulière se dégage de ces images, malgré les nombreuses maladresses qu’on y remarque, par exemple dans la maîtrise de la lumière, preuve qu’il s’agit là sans doute de ses premiers essais.

Vues de Montpellier et des environs

Les paysages sont en nombre plus restreint que les portraits, se limitant, pour le Languedoc, à quelques vues de Montpellier et des environs. Ces images montrent des compositions rigoureusement construites, avec une prédilection pour les premiers plans dégagés. La vue prise depuis une contre-allée du Peyrou (Fig. 12) donne à voir une partie de la ville et la cathédrale, dont le clocher est inachevé. L’image est construite à partir d’un jeu de lignes géométriques, un grand vide au premier plan et une diagonale accusée conduisant le regard vers le fond, le tout produisant un effet très dynamique. La vue de la tour de la Babote avec le télégraphe installé à son sommet est plus traditionnelle, le monument occupant une place centrale dans l’image, le premier plan vide et quelques rares éléments venant distraire l’attention : une chaise abandonnée sur le trottoir à droite, des inscriptions sur les murs, un étalage. La vue prise depuis le pont Juvénal, qui montre l’usine de la Glacière à gauche (ancienne usine textile), le moulin Juvénal à droite et le moulin de l’Evêque au fond, avec une retenue du Lez au premier plan (Fig. 13) est aussi d’une composition assez classique : l’image est encadrée de part et d’autre par deux bâtiments, le premier plan est dégagé, mais animé par les reflets à la surface de l’eau ; au second plan, un arbre légèrement décentré entraîne le regard vers le fond, où l’on aperçoit le second moulin. Cette vue fait écho aux dessins de la mare de Grammont sur lesquels nous reviendrons plus loin. Ce site, qui devait séduire Taupenot, fait l’objet de plusieurs tirages et l’usine de la Glacière, à gauche (Fig. 14) constitue le sujet principal d’un autre cliché 45.

Vue de Montpellier prise depuis le Peyrou, 1851
Fig. 12 - Vue de Montpellier prise depuis le Peyrou, 1851, tirage sur papier salé d'après un négatif papier
Usine et moulins au bord du Lez : vue d’ensemble, 1851
Fig. 13 - Usine et moulins au bord du Lez : vue d’ensemble, 1851, tirage sur papier salé d'après un négatif papier
Usine de la Glacière, tirage sur papier salé
Fig. 14 - Usine de la Glacière, tirage sur papier salé d'après un négatif papier
Abbaye de Valmagne : vue d’ensemble, 1851
Fig. 15 - Abbaye de Valmagne : vue d’ensemble, 1851, tirage sur papier salé d'après un négatif papier
Abbaye de Valmagne : détail de l’architecture, 1851
Fig. 16 - Abbaye de Valmagne : détail de l’architecture, 1851, tirage sur papier salé d'après un négatif papier
Abbaye de Valmagne : fontaine du cloître avec personnages
Fig. 17 - Abbaye de Valmagne : fontaine du cloître avec personnages, tirage sur papier salé d'après un négatif papier

L’abbaye de Valmagne et ses abords constitue aussi le sujet de plusieurs clichés : les rochers, l’église abbatiale (Fig. 15), un détail de la tour (Fig. 16), la fontaine du cloître (Fig. 17) ; comme si Taupenot souhaitait s’approprier le site sous tous ses aspects : la nature environnante, la monumentalité de l’architecture (l’église, qui mesure 82 mètres de long, est montrée dans toute son ampleur), la dimension ornementale du style « ogival ». Depuis 1838, l’abbaye46 était la propriété du comte de Turenne, qui avait entrepris des travaux : restauration des toitures, réfection de l’amenée d’eau de la source de la Diane. L’abbaye était alors fermée au public, mais les guides touristiques la mentionnaient et il n’était peut-être pas bien difficile d’y accéder. Sur l’image de la fontaine du cloître, on aperçoit plusieurs personnages, sans doute les amis de Taupenot, s’amusant comme des enfants, l’un d’eux étant debout sur la vasque.

Le regard d’un scientifique, entre tradition et modernité

La richesse du medium photographique permet, à partir d’une même image, des lectures multiples : analyse formelle(construction, lumière, effets de texture, etc.), lecture biographique, ou en fonction de l’usage auquel l’image est destinée. Par exemple, le choix du site au bord du Lez peut avoir été déterminé par la beauté du lieu, avec les effets de reflets dans l’eau ; mais le photographe pouvait aussi se remémorer une promenade le long du Lez, où se trouvaient d’autres sites pittoresques et d’autres moulins ; il pouvait encore y être venu avec son maître Marcel de Serres pour étudier la végétation des bords du fleuve : enfin, les moulins pouvaient aussi lui rappeler Moulin-Madame, le lieu où il grandit, à Givry.

Nous avons souhaité mettre ici l’accent sur la formation scientifique de Taupenot, qui nous semble apporter un éclairage particulièrement intéressant sur certaines de ses photographies. On choisira, pour une première démonstration, non pas une photographie, mais deux dessins que Taupenot nous a laissés de la mare de Grammont ; l’un d’eux est signé et daté de 1848, et porte comme légende La mare de Grammont (souvenir d’une promenade) (Fig. 18). Le dessin est un peu naïf, on y voit, au premier plan, trois personnages assis sur un talus, à droite deux chiens s’approchant de l’eau, et au fond à gauche, trois personnages qui pourraient être des chasseurs ou des botanistes. Grammont était en effet, depuis le XVIème siècle, un haut-lieu de la botanique, considéré comme une sorte de conservatoire de la flore locale. 

Mare de Grammont, dessin, 1848
Fig. 18 - Mare de Grammont, dessin, 1848.

Cela était dû à une situation particulière : « constitué de cailloutis siliceux charriés par le Rhône pliocène, le plateau de Grammont représente la terminaison occidentale d’un pays de coteaux, « la costière » intercalé entre la garrigue calcaire et le marais littoral. Au centre de ce plateau une dépression abrite la mare jadis fameuse (….) Dans ces cuvettes, l’eau s’accumule au cours des saisons pluvieuses, permettant ainsi le développement d’une végétation remarquable de type hygrophile-méditerranéen » 47. LIsoetion, en est un spécimen, considéré comme un véritable joyau de la flore méridionale. Linné reçut des échantillons venant de Grammont et Ebenstreit s’émerveillait de « n’avoir vu nulle part tant de plantes dans un si petit espace » 48. Ce qui, au premier abord, pourrait être un dessin tout à fait innocent, n’a sans doute pas été choisi au hasard par le jeune étudiant en sciences naturelles ; il y est certainement venu avec Marcel de Serres, qui travaillait sur les terrains d’eau douce. En 1848, Taupenot en était encore à ses tous premiers essais photographiques et le site n’était peut-être pas facile à rendre (couleur verte de la végétation, forme circulaire, terrain pentu etc.) ; aussi, en bon scientifique, a-t-il choisi le crayon…

Un autre site naturel photographié par Taupenot est celui des rochers de Valmagne (Fig. 19), appelés « dentelles » en raison de leur forme très découpée, site pittoresque qui attirait les artistes mais aussi les géologues 49. En 1852, Marcel de Serres rendait compte d’une étude sur le sujet : « L’ancienne abbaye de Valmagne est un lieu aussi connu des artistes que les Rochers des Dentelles qui en sont fort rapprochés… Ces lieux n’ont pas moins d’intérêt pour le géologue : à l’aspect de ces rochers percés à jour et que leur verticalité fait ressembler à des murailles de quelque forteresse démantelée, il suppose être en face de terrains d’une assez grande ancienneté. Toutefois, lorsqu’il en examine de près la structure, ainsi que leurs dispositions générales et les rapports qu’ils présentent avec les formations qui en sont rapprochées, des doutes nombreux s’élèvent dans l’esprit » 50. La discussion autour de la formation calcaire des rochers et certaines de leurs particularités divisait les spécialistes et Taupenot y avait pris part : « Ces observations, tout incomplètes qu’elles sont encore, prouvent que M. Taupenot a rapporté à tort les rochers des dentelles aux formations oxfordiennes, et que M. de Rouville avait pressenti avec plus de justesse qu’ils se rapportaient plutôt aux terrains d’eau douce. Les faits que nous venons d’énumérer sont suffisants, à ce qu’il semble, pour lever les doutes que fait naître aussi bien la verticalité des roches calcaires des dentelles que l’aspect général des lieux » 51.

Rochers de Valmagne, 1851
Fig. 19 - Rochers de Valmagne, 1851, tirage sur papier salé d'après un négatif papier

Ce cliché pris par Taupenot montrant les rochers sur lesquels sont assis ses amis, qui n’est pas sans rappeler certaines photographies prises à peu près à la même époque en forêt de Fontainebleau, se prête là encore à une double lecture : s’il le prit certainement dans l’intention de se remémorer une excursion avec ses amis, il n’en photographiait pas moins un site bien connu de lui, étudié dans le cadre de sa thèse.

Taupenot était de toute évidence attiré par les milieux aquatiques, et ses recherches portaient d’ailleurs sur les terrains d’eau douce. C’est encore le thème de l’eau qui domine avec la source de la Diane ou la fontaine à Valmagne, ou dans les moulins et les noria. Dans ces deux derniers cas, on peut penser qu’il s’intéressait aux aspects techniques, au mécanisme des machines. Sur trois clichés différents on voit des puits à roue, devant lesquels il fait poser ses amis (Fig. 20).

Groupe autour d’un puits à roue, tirage sur papier salé
Fig. 20 - Groupe autour d’un puits à roue, tirage sur papier salé d'après un négatif papier

On aperçoit les godets en terre-cuite servant à puiser l’eau et le mécanisme en bois pour actionner le tout ; ces caractéristiques techniques permettent de les localiser dans les environs immédiats de Montpellier, et de les dater du début du XIXème siècle, peut-être plus tôt (les rares qui subsistent aujourd’hui, à structure métallique, sont de fabrication plus récente) 52.

Le télégraphe sur la tour de la Babote, 1851
Fig. 21 - Le télégraphe sur la tour de la Babote, 1851, tirage sur papier salé d'après un négatif papier

Nous terminerons avec l’image du télégraphe sur la tour de la Babote (Fig. 21). À l’époque, ce bâtiment avait déjà une histoire très riche : ancien élément des fortifications de la ville (qui pouvait rappeler à Taupenot sa ville natale, anciennement fortifiée), la tour avait abrité l’observatoire de la Société royale des sciences de Montpellier, fondée en 1706, qui contribua à l’essor de l’astronomie, enseignée dès la fin du XVIIème siècle. La société royale fut dissoute en 1793, mais le lieu fut toujours utilisé comme observatoire. À la création de la Faculté des sciences en 1808, on lui annexa l’observatoire et une chaire d’astronomie fut créée 53. En 1832, la tour, qui menaçait ruine, fut finalement convertie en télégraphe aérien avec logement du directeur. Une charpente en bois sur la terrasse portait l’appareil à signaux et à lunettes (deux lignes furent ouvertes, vers Lyon-Paris et vers Toulouse-Bordeaux). En 1854, le télégraphe de Chappe fut remplacé par le télégraphe électrique et la tour fut à nouveau mise à disposition de la faculté. Cette histoire ne pouvait laisser le jeune scientifique indifférent. En 1851, le télégraphe, qui favorisait le commerce, symbolisait le progrès technique et une certaine modernité, au même titre que l’industrie (usine de la Glacière) ou les chemins de fer, présents dans l’œuvre de Taupenot 54.

Conclusion

Ce corpus singulier du fait de l’insertion de ces images dans des albums du type keepsake, au lieu des traditionnelles gravures, pose des questions sur les usages liés à la photographie dans les années qui précèdent les procédés standardisés et la production de masse qui en découlera, illustrée par la carte de visite ou la vue stéréoscopique. Outre la beauté intrinsèque de certaines images, qui font penser à des photographies anglaises, cet ensemble nous apporte un témoignage précieux sur la vie de Jean-Marie Taupenot, qui a saisi à travers l’objectif les différents lieux où il a vécu et les personnes qu’il a connues. Plusieurs années avant la mise au point du procédé qui l’a fait connaître au sein de la communauté photographique, il était déjà attiré par les expériences d’ordre chimique liées au nouveau médium, facilitées par sa formation scientifique. Ce qui au premier abord pourrait s’apparenter à la production de nombreux amateurs éclairés de l’époque, qui photographiaient leur domaine, leur famille, leurs amis, parfois sous forme de « récréation photographique » (OlympeAguado), revêt ici un intérêt supplémentaire du fait du profil scientifique de l’auteur. Comme le notait Gilbert Beaugé, la photographie à Montpellier s’est bien développée au sein des milieux scientifiques et universitaires, dans le sillage des découvertes de Balard sur le brome.

NOTES

 1.  Voir Daniel Potron, « Un pionnier de la photographie sous le Second Empire : Jean-Marie Taupenot, professeur au Prytanée impérial militaire », Revue prytanéenne, n° 165, janvier 1986, pp. 19-26 (première parution dans le Cahier fléchois, n° 5, 1983) et Luc Chanteloup, Les trésors du Prytanée national militaire de La Flèche, Le Mans, éditions de la Reinette, 2004, pp. 83-105. Sur les photographies prises au Prytanée, voir Des photographes pour l’empereur. Les albums de Napoléon III, Paris, Bnf, 2004.

 2.  Respectivement 47 photographies dans un album rouge (monogramme de Claire Glaize) et 12 photographies dans un album noir. L’ensemble est conservé dans la collection Serge Kakou à Paris.

 3.  L’inscription, le plus souvent en bas à gauche, est toujours la même : « JMTaupenot 1851 ».

 4.  Marie-Nicolas Bouillet, Dictionnaire universel des sciences, des lettres et des arts, Paris, L. Hachette, 1854.

 5.  Ibid.

 6.  Dans le fonds Cadilhac de Madières conservé aux Archives départementales de l’Hérault se trouve un recueil intitulé Poésies, qui contient des poèmes manuscrits dont un identique à l’album, dédié « À Madame Adolphe Glaize pour le jour de sa fête (Ste Claire) », écrit à Puisserguier le 10 août 1847 par Paulin Cadilhac (AD 34, 10 J 86).

 7.  Seul le Télégraphe avait déjà été publié, dans l’ouvrage de Gilbert Beaugé, La photographie en Provence, Marseille, Jeanne-Laffitte, 1995, p. 103. Si l’on excepte les vues datées de 1851, la plupart des autres images, et notamment les portraits, d’après des négatifs papier (calotypes) sont plus anciennes ; ce qui, compte tenu de la technique photographique, de la présence de Taupenot à Montpellier et de certaines dates figurant sur les albums, autorise une datation vers 1848.

 8.  Ils se marièrent le 3 février 1812 à La Truchère. Nous ignorons la date et le lieu du décès de Benoît Lazare, encore en vie en septembre 1856, au mariage de son fils Jean-Marie. Son épouse s’installa à Chalon vers 1860, près de son fils aîné, au 9 faubourg Eschavannes, où elle mourut le 27 janvier 1868. Si l’on excepte les enfants morts jeunes, Jean-Marie avait une sœur, Marie-Claudine (1816 – après 1870), mariée en 1841 à Benoît Joseph Long, géomètre, dont elle eut plusieurs enfants. Et un frère, Jean-Baptiste (Laives, 1817 – Chalon-sur-Saône, 1876), fabricant de fécule, qui dirigea une des principales féculeries de Chalon-sur-Saône, faubourg Eschavannes, sur l’île Saint-Laurent ; marié le 25 août 1846 à Anne Colin, fille de propriétaires du Creusot, il eut aussi plusieurs enfants. Jean-Marie, qui vivait alors à Romans, fut témoin au mariage de son frère (AD 71 : recensement et état-civil).

 9.  Le moulin, dont les origines remontent au XIVème siècle, fut acquis par la famille Taupenot au début des années 1820. Benoît Lazare et sa femme y habitèrent avec leurs enfants (recensements de 1836 et 1841) ; dans les années suivantes, on les retrouve rue de Beaune, dans le centre de Givry ; Etienne Taupenot (23 nivôse An II – 1872), frère de Benoît Lazare, vécut à son tour au moulin avec son épouse (recensements de 1846 à 1861). Le moulin fut revendu en 1863.

10. Au début de l’année 1841, il vit encore à Givry (acte de mariage de sa sœur Marie-Claudine et registre de recensement).

11. Sur le registre des conscrits de 1842, Taupenot, qui a tiré au sort le n°37, est décrit avec les yeux bleus, le nez moyen, le menton relevé, le teint coloré, le sourcil châtain foncé, le front large, la bouche grande, le visage ovale ; il mesure 1,60 mètres. Affecté au 75ème de ligne, il est dispensé de service car engagé dans l’instruction primaire (instituteur, résidant au collège de Chaumont dans la Haute-Marne), ce qui sera confirmé par le conseil de révision ; il sera libéré définitivement de ses obligations militaires le 31 décembre 1849 (AD 71 : 1 R / TS / 1842 ; 1 R / LC / 1842 ; 1 R / CR/ 1842 (Conscription de Chalon)).

12. Un courrier envoyé le 11 mars 1843 par le ministère de l’instruction publique au recteur évoque un engagement décennal contracté par Taupenot chargé du cours de mathématiques au collège de Romans (A.M. Romans, 5 T 9/3). Les annuaires du département, qui recensent les professions à partir de 1845, le mentionnent comme professeur de mathématiques et de physique au collège de la ville jusqu’en 1847.

13. Sur Mathieu de la Drôme, voir Fabien Locher, Le savant et la tempête. Etudier l’atmosphère et prévoir le temps au XIXème siècle, Presses universitaires de Rennes, 2008. Un hommage fut rendu à Taupenot à l’occasion d’un banquet donné en l’honneur des fondateurs de l’Athénée : « M. Taupenot nous a initié, avec une netteté, une concision, un charme inexprimable, aux grands phénomènes de la Physique » (Compte rendu du banquet offert le 22 avril 1846 à MM. Philippe Mathieu, Lombard, Taupenot et le docteur Peloux, fondateurs de l’Athénée de Romans ; comprenant le discours prononcé par M. Philippe Mathieu sur l’avenir de Romans, du Péage et du nord du département de la Drôme. Romans, imprimerie-librairie de E. Bossan, 1846).

14. On ne sait de quel mal il souffrait ni si cela peut avoir un rapport avec sa mort précoce en 1856 à l’âge de 34 ans. Un article paru juste après sa mort dans L’Echo du Loir parle d’une courte maladie (Nécrologie. La Flèche, 19 octobre 1856, retranscrit dans le Courrier de Saône-et-Loire, 1er novembre 1856). Par ailleurs, la notice nécrologique publiée dans la revue de photographie La Lumière en date du 3 janvier 1857 évoque un caractère nerveux et fantasque.

15. Le chimiste séjournait chaque été au château de la Ferté-sur-Grosne, dont sa femme avait hérité, situé sur la commune de Saint-Ambreuil, voisine de Givry. Thénard avait un fils, Paul, né en 1819, qui épousa en 1842 une jeune fille élevée à Givry, Fanny Derrion-Duplan ; Paul s’orienta également vers une carrière scientifique. Voir Anne-Claire Déré, Autour du chimiste Louis-Jacques Thénard : grandeur et fragilité d’une famille de notables au XIXème siècle, Chalon-sur-Saône, Université pour tous de Bourgogne, 2008.

16. Eloge de M. Thénard par Frédéric Dubois d’Amiens, Paris, 1863.

17. Voir Louis Dulieu, La faculté des sciences de Montpellier de ses origines à nos jours, Avignon, Presses universelles / Montpellier, Les Rêves, 1981.

18. Sur Gerhardt, on consultera Gustave Chancel, Gerhardt, sa vie et ses travaux, 1857 ; Edouard Grimaux et Charles Gerhardt fils, Charles Gerhardt, sa vie, son œuvre, sa correspondance, Paris, Masson, 1900 ; la Correspondance de Gerhardt et Chancel, Paris, Masson, 1925 ; Ernest Kahane, « La vie et l’œuvre scientifique de Charles Gerhardt », Bulletin de la société chimique de France, 1968, n° 12, pp. 4733-4742.

19. Reproduit dans R. de Forcrand, Gerhardt et Chancel, discours prononcé le 11 juin 1896 à l’occasion de l’inauguration des bustes de ces savants, Montpellier, impr. Gustave Firmin et Montane, 1896.

20. Lettre du 18 juin 1841 adressée à Cahours, citée par Edouard Grimaux, op. cit., p. 55.

21. Lettre du 29 mars 1842 adressée à Liebig, citée par Edouard Grimaux, op. cit., p. 60.

22. Le 22 mai 1844, il épousa Jane Megget Sanders, fille d’un médecin et universitaire d’Edimbourg décédé. Parmi les témoins figuraient trois professeurs de la faculté de Montpellier : Bérard, Lallemand et Taillandier. Les époux Gerhardt eurent deux enfants nés à Montpellier : Charles James, en 1845, et Gaston-Victor en 1847.A la naissance du second, le 14 août 1847, un des témoins était Paul Gervais, professeur à la faculté des sciences, âgé de 30 ans. Le ménage habitait dans une maison appartenant au banquier Antoine David Levat, rue Pila-Saint-Gély et rue Descente d’Embarrat.

23. Nous remercions Flore César pour les informations provenant des archives de la Faculté des sciences.

24. Correspondance de Charles Gerhardt, T. II, Gerhardt et les savants français, Paris, Masson et Cie, 1925.

25. Félix-Michel Dunal (1789-1856) était professeur de botanique et doyen de la faculté depuis 1830 ; Marcel de Serres (1783-1862) était professeur de géologie et de minéralogie, auteur d’un Mémoire sur les terrains d’eau douce, ansi que sur les animaux et les plantes qui vivent alternativement dans les eaux douces et dans les eaux salées (1818) ; concernant Gervais, il doit s’agir de François-Louis-Paul Gervais (1816-1879), chargé de cours de zoologie à partir de 1845, ensuite professeur de zoologie et d’anatomie comparée ; et non de Paul Gervais de Rouville (1823-1907), qui intègre la faculté en 1862 comme chargé de cours de minéralogie, avant de succéder à Marcel de Serres.

26. Jean-Marie Taupenot, Etudes géologiques sur les terrains en général et spécialement sur le terrain d’eau douce des environs de Montpellier, thèse publiée en un volume (132 pages), Dijon, impr. Loireau-Feuchot, 1851, p. 4. Jules de Christol, élève de Marcel de Serres, avait soutenu en 1834 la première thèse de géologie de la Faculté de Montpellier.

27. AD 71 : recensement de Chaumont, 1851.

28. Op. cit. Le jury était composé de MM. Sené, De Christol, Brullé, Billet, Perrey, Despeyrous, professeurs et, comme examinateur adjoint, de M. Lavalle, professeur d’histoire naturelle médicale à l’Ecole secondaire de médecine, directeur du Jardin botanique de Dijon. Sur la page de titre, le nom de l’auteur est suivi des mentions « licencié ès sciences. Professeur de physique au lycée de Chaumont ». L’ouvrage comporte une dédicace au baron Thénard : « … votre bienveillance tutélaire s’étend jusqu’aux moindres efforts : elle accueillera ce faible hommage d’un cœur reconnaissant et dévoué. » Taupenot avait apporté au jury un ensemble d’échantillons destinés à être déposés au cabinet d’histoire naturelle de la faculté des sciences de Dijon : au total 500 échantillons étiquetés et classés dans 16 casiers numérotés. Il y joignit également une grande carte géographique avec les sites décrits dans son étude.

29. Sur Emilien Dumas, voir Etude sur la vie et les travaux d’Emilien Dumas, par Armand Lombard-Dumas, Nîmes, Typographie Clavel-Ballivet, 1878.

30. « Nom donné par Linné à la vaste famille de plantes connue aujourd’hui sous le nom de Composées, ainsi nommées parce qu’un de leurs caractères principaux est d’avoir leurs anthères soudées entre elles » (Marie-Nicolas Bouillet, op. cit.).

31. Recherches sur l’organisation des synanthérées par J. M. Taupenot, docteur ès sciences, professeur de physique au lycée de Chaumont, Dijon, imprimerie Loireau-Feuchot, 1851. L’étude est dédicacée à M. Huart, recteur de l’Académie de la Côte d’Or. Les professeurs sont à peu près les mêmes que précédemment : MM. Sené, doyen, De Christol, président. Brullé, Billet, Perrey, Despeyrous. L’examinateur adjoint est M. Lavalle. Cette étude est illustrée d’une série de neuf planches de lithographies réalisées à partir de dessins exécutés par Taupenot lui-même à la chambre claire : « Toutes nos figures ont été dessinées très exactement à la chambre claire, avec un grossissement d’au moins 25 fois, pour qu’on pût bien voir les détails. Quelques-unes, comme celles qui suivent, ont été réduites, pour occuper moins de place dans les planches. Le chiffre placé au-dessous de chacune indique le grossissement, toujours mesuré au micromètre après chaque dessin » (p. 6, note 1).

32. M. Denizot, « Deux siècles de géologie à Montpellier » Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, numéros 82-83, 1952-1953, p. 93-94 (séance du 25 février 1952).

33. Joseph Blayac, La géologie à Montpellier. Ses ressources ; son histoire, Montpellier, Firmin et Montane, 1922 ; Paul de Rouville, « Coup d’œil historique sur les études géologiques, paléontologiques et minéralogiques de l’Académie de Mont-pellier », extrait de la Revue des sociétés savantes, T. III, 1860 ; Philippe Matheron, « Recherches comparatives sur les dépôts fluvio-lacustres tertiaires des environs de Montpellier, de l’Aude et de la Provence », Mémoires de la Société d’émulation de la Provence, tome premier, 1861, Marseille, 1862, pp. 173-280.

34. Sur le négatif papier ou calotype (du grec « Kalos », beau) voir les catalogues d’expositions récentes : Roger Taylor, Impressed by Light. British Photographs from Paper Negatives, 1840-1860, The Metropolitan Museum of Art, New-York / National Gallery of Art, Washington /Yale University Press, New-Haven and London, 2007-2008, et Primitifs de la photographie. Le calotype en France (1843-1860), Paris, Bnf, 2010.

35. L’idée ingénieuse de Taupenot fut de prolonger la sensibilité du collodion humide en lui superposant, comme un vernis, une légère couche d’albumine, plus lente, que l’on faisait sécher, et de combiner ainsi la sensibilité du premier à la finesse de la seconde. En 1855, il présentait son procédé à l’Académie des sciences puis à la Société française de photographie (SFP), qui constitua un comité chargé de l’examiner ; il ne souhaita pas déposer de brevet. Des épreuves furent exceptionnellement admises à l’exposition universelle de Paris après l’ouverture et d’autres furent montrées à la première exposition de la SFP, la même année. Ce procédé, qui porte son nom, permettait d’obtenir des images d’une grande finesse et d’une bonne conservation, que l’on pouvait utiliser plusieurs semaines après préparation, mais moins sensibles qu’avec le collodion humide. Ce procédé fut particulièrement apprécié pour les prises de vue en plein air et les instantanés. Il l’utilisa pendant son professorat au Prytanée, notamment pour rendre compte des cérémonies et des exercices des élèves. Le procédé Taupenot fit quelques émules en France et à l’étranger, essentiellement dans le milieu des photographes amateurs. Voir Daniel Potron, op. cit. et Hélène Bocard, « Trois amateurs dans la Sarthe : Jean-Marie Taupenot, Dominique Gaumé, le duc de Chaulnes », Revue 303, n° 113, 2010, pp. 48-57.

36. D’autres noms figurent sur les albums, sur lesquels aucune information précise n’a été retrouvée : Adrien et Honorine Delanquine, Rosalie Jallet ou le docteurAuguste Ferrand. Nos sources biographiques proviennent pour l’essentiel des Archives départementales de l’Hérault (AD 34) : registres d’état-civil et recensements, ainsi que des Annuaires de l’Hérault ou du Dictionnaire de biographie héraultaise des origines à nos jours, Montpellier, Librairie Pierre Clerc / Nouvelles Presses du Languedoc, 2006, de Pierre Clerc et de diverses sources bibliographiques (thèses publiées).

37. Sur cette famille, voir le fonds conservé aux AD 34 (cote 10 J 1 à 100).

38. Né le 13 janvier 1819, Désiré Cadilhac fut inscrit à l’ordre des avocats en 1845. Son étude était située au 7, rue du Palais (Annuaire, 1850) puis, place de la Canourgue, dans la maison Sarran (Annuaire, 1855-1860). Le 14 février 1848, il épouse Marie-Louise-Augustine Renard, fille de Jean Renard, avocat à la cour d’appel et procureur général près la cour royale de Montpellier. Au recensement de 1851, il habite au 4, rue du Palais, chez sa belle-famille. Désiré Cadilhac fut conseiller général pour le canton de Capestang de 1855 à 1865.

39. Né le 17 septembre 1824, Paulin Cadilhac soutint sa thèse de médecine le 26 août 1850 : Essai sur la chlorose (dir. H. Golfin, professeur en thérapeutique et matière médicale). En 1853, suite à un arrêté sur la vaccine, il fut désigné médecin vaccineur par le sous-préfet. Il épousa Pauline Castan, dont il eut trois fils nés entre 1860 et 1869. Il fut membre du conseil municipal de Puisserguier entre 1860 et 1865. On ignore la date de son décès, qui eut lieu après 1906.

40. Désiré Cadilhac publia de nombreux recueils de poésies dont Renouveau, Paris, Ambroise Bray, 1865. Achille Jubinal (1810-1875) fut nommé professeur de littérature étrangère à la faculté des lettres de Montpellier en 1845. Un de ses poèmes, écrit à Montpellier le 19 juin 1849, figure d’ailleurs dans l’album de Claire Glaize, aux côtés de ceux des frères Cadilhac.

41. Marie Edme Sophie Claire Ricard est née le 20 Pluviose an XI à Versailles ; fille du citoyen Jean-Pierre-François Ricard, commissaire de guerre du département de Seine-et-Oise, 47, rue de l’Orangerie à Versailles, et de Dame Claire Marie-Françoise Feiques (AD Yvelines). Son mari était né le 22 Pluviôse An V (1797) ; il est mort à une date inconnue, avant 1851 ; nous n’avons pas retrouvé la trace du mariage des deux époux, ni à Montpellier ni à Versailles. Aux recensements de 1851 et 1856, on y trouve Lucie Glaize, veuve, ses fils Paul, 19 ans et Antoine, 18 ans. En 1861 et en 1866, Mme Glaize vit avec son fils Paul, avocat. Dans l’annuaire de 1875, Paul est avocat à la même adresse en compagnie de sa mère et son frère Antonin, juge suppléant, 7 place Louis XVI. Au recensement de 1876, Claire Glaize est toujours à la même adresse. On ne sait s’il s’agit bien de la même, mentionnée dans un annuaire de 1890 : « veuve Glaize, rentière, 18 rue D. Vaissette ».

42. Paul Glaize est né le 26 mai 1832. Il exerça comme avocat, au 15, rue du Plan d’Agde, où il vivait avec sa mère. Pierre Ricard AntoninGlaize est né le 3 août 1833 ; après des études enmathématiques, il soutint sa thèse de droit en 1859 et fut inscrit la même année à l’ordre des avocats (son étude était située au 7, place Louis XVI). Il cumula ensuite les fonctions d’avocat et de juge suppléant du tribunal de première instance. Il fut également chargé de cours à la faculté de droit puis professeur de procédure civile (Leçon d’ouverture du cours de procédure civile, Montpellier, 1881, impr. Centrale). Il fut aussi membre de sociétés savantes, de la Grande-Loge et Majoral du Félibrige en 1881.

43. Claire Elisabeth Valtet, née à Montpellier le 27 août 1822, était la fille de Jean-Henri Emilien Valtet, commis négociant. Le 3 décembre 1847, elle épousa Jean Alexandre Justin Fabreguettes, négociant, né à Lodève le 1er juin 1818, fils d’un sous-lieutenant d’infanterie).

44. Fulcrand Louis Jules né le 24 mai 1821, fils de Céleste Fine Fanny, originaire de Lodève, décédée le 26 mai 1845 à Montpellier, et de Noël Fabreguettes, rentier, âgé de 53 ans au recensement de 1851. Son frère, Jean PhilippeMartial, né le 31 décembre 1823, était « maître de pension ». Ils vivaient au 15, rue du Petit-Saint-Jean, avec Louis, 18 ans et Camille, 12 ans. Jules soutint sa thèse de médecine le 31 mars 1858 (De L’Hématocèle) et son frère Martial le 20 décembre 1862 (Quelques mots sur l’affection bilieuse et sur quelques-unes de ses localisations observées à l’hôpital Saint-Eloi pendant les mois de juillet et août 1862).

45. Nous remercions vivement Jean-Louis Vayssettes, à la DRAC Languedoc-Roussillon, pour avoir identifié le site représenté sur cette image.

46. Sur l’abbaye, voir le dossier de la CRMH à la DRAC Languedoc-Roussillon ; Alfred Cabanis, « L’abbaye de Valmagn », Mémoires de la Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron, t. V, 1844-1845, Rodez, 1845, pp. 424-427 ; et Diane de Gaudart d’Allaines, Abbaye de Valmagne, Moisenay, Ed. Gaud, 2000.

47. Hervé Harant, Pierre Quezel, Jean Rioux, « L’Isoetion de la « Mare de Grammont » », Bulletin de la Société botanique de France, T. 97, 1950, pp. 173-175. En 1867, le domaine sera acquis par le professeur Etienne-Frédéric Bouisson, doyen de l’université de médecine, et les bâtiments légués à la Faculté de Médecine.

48. Ibid.

49. Parmi les nombreuses illustrations qu’ils suscitèrent, voir par exemple la lithographie contenue dans les Monuments de quelques anciens diocèses de Bas-Languedoc, expliqués, dans leur histoire et leur architecture, par Jules Renouvier, Montpellier, 1840.

50. « Géologie. De la nature et de l’époque de formation des terrains connus sous le nom de Rochers des Dentelles, près de l’abbaye de Valmagne (Hérault) ; par M. Marcel de Serres », Académie des sciences et lettres de Montpellier, année 1851-1852 (séance du 12 juillet 1852), pp. 30-36.

51. Ibid.

52. Nous remercions Jean-Louis Vaysettes, de la DRAC Languedoc-Roussillon, pour ces précisions.

53. Voir Edouard Roche, Notice sur l’observatoire de l’ancienne société des sciences de Montpellier, Montpellier, Boehm et Fils, 1881.

54. Passionné par la technique, Taupenot, aimait inventer ou perfectionner des appareils : outre le procédé photographique auquel il attachera son nom, il imagina un modèle de syphon (« Note sur un siphon propre à transvaser les liquides malfaisants, et sur une nouvelle disposition de l’appareil Woolf », par M. Taupenot, professeur au collège de Romans (Drôme), Annales de chimie et de physique, 3ème série, t. 21, septembre-décembre 1847, p. 503) et un anémomètre enregistreur ou anémométrographe, qui fait connaître en même temps la vitesse et la direction du vent (Grand dictionnaire universel du XIXème siècle, p. 351).