Notes brèves 2016
Les autels de Languedoc et de Provence
Le meuble le plus important d’une église est bien l’autel dans lequel sont insérées des reliques et qui permet au prêtre de célébrer la messe. Dans l’Hérault, depuis les publications classiques du chanoine Jean Hébrard (Anciens autels du diocèse de Montpellier, Montpellier, 1942) et de l’abbé Joseph Giry (Autels romans inédits du département de l’Hérault, Bulletin de la Société archéologique de Béziers, 22, 1955, p. 5-12), notre département avait bénéficié d’un très large inventaire complété, au fur et à mesure, par de nouvelles découvertes.
C’est Yumi Narasawa, chercheuse à l’Université de Tokyo, qui, après une thèse dirigée par M. Fixot, à l’Université d’Aix-en-Provence en 2008, vient de publier un magnifique livre : Les autels chrétiens du Sud de la Gaule (Ve-XIIe siècles), Turnhout, 2015, collection Bibliothèque de l’Antiquité tardive n° 27, 604 pages. Il s’agit d’abord d’une recension des sites qui ont livré des autels, inventaire alphabétique riche de 454 numéros, qui est suivi d’une étude synthétique.
Notre département est particulièrement bien pourvu, puisque ce sont 103 numéros qui le concernent, dans 64 communes : certaines d’entre elles possèdent plusieurs autels, comme Saint-Guilhem-le-Désert (13), Villemagne (6), ou Villeneuve-lès-Maguelone (4).
Les notices sont accompagnées de dessins, de relevés et de photographies qui font de l’ouvrage un corpus directement utilisable.
Le problème posé reste celui de la datation. Certes, quelques-uns d’entre eux – comme les autels décorés de lobes – sont aujourd’hui datés du plein Moyen Age, ou bien, comme à Minerve, l’autel, provenant de Narbonne, possède une inscription qui permet de donner la date de 456/457. Mais la plupart des tables sont d’une grande simplicité, sans décor ni inscription, si bien qu’il est impossible de parvenir à une précision chronologique, d’autant plus que, très souvent, malgré des transformations ou reconstructions d’un édifice, l’autel primitif a été maintenu dans sa place éminente.
Bien entendu, l’enquête s’est étendue à tout le Languedoc-Roussillon et à la Provence, permettant de constituer des séries. Depuis 2008, de nouvelles découvertes ou des publications ont contribué à une meilleure connaissance ou datation. Tel qu’il est, ce corpus fait néanmoins de cet ouvrage la base de toute recherche ultérieure fondée sur l’archéologie, mais aussi sur les textes encore inédits qui sont très nombreux. Les noms de pèlerins qui ont été gravés sur certains autels, comme à Minerve, montrent bien que chacun voulait se mettre sous la protection divine et proche des reliques dont le rôle a été déterminant pour tout ce qui concerne les lieux et les cultes.
[Jean-Claude Richard Ralite]
Les cimetières au village
Les Journées internationales de l’abbaye de Flaran (Gers), depuis 1979, réunissent chaque année sur une thématique fixée à l’avance les meilleurs spécialistes du sujet considéré. Le volume 35, 2015, sous la direction de Cécile Treffort, réunit les Actes des Journées de 2013 consacrées au Cimetière au village dans l’Europe médiévale et moderne (Presses Universitaires du Midi, 2015, 256 p.).
Le sujet n’est certes pas nouveau et la bibliographie de plus en plus étendue (voir déjà celle publiée dans les Études Héraultaises, 45, 2015, p. 7-9). La communauté des morts – comme celle des vivants – se regroupe, en général, autour de l’église et le sol qui l’abrite est béni et sacré ! Cette situation est encore celle de nombreux cimetières de nos villages, même si, depuis les 18e et 19e siècles, pour des raisons diverses, les autorités ont engagé les municipalités à créer de nouveaux cimetières, ce qui n’implique pas nécessairement la suppression du cimetière primitif et des exhumations et transports dans le nouveau lieu qui, comme les précédents, est sacré et béni par les autorités religieuses. Parfois, la nécessité d’un cimetière pour les protestants ou pour les juifs a entraîné la création d’un autre cimetière qui reste toujours un lieu privilégié et religieux.
Le rapport introductif d’A. Dierkens et de C. Treffort fixe les termes du sujet et ses grandes lignes historiques : successivement, la diversité des espaces funéraires, la relation village/cimetière, l‘étude d’exemples, l’apport de l’archéologie, les relations avec les récoltes hébergées dans les églises et les cimetières, les ensevelissements d’enfants, les « mauvais morts » interdits de cimetière, la recherche des morts des grandes batailles du Moyen Age, l’impact des épidémies, tels sont les sujets des contributions qui nourrissent la réflexion. On n’ignore pas non plus que les cimetières, parce que, un jour ou l’autre, chaque famille visite ces lieux, restent un lieu d’affirmation sociale et que les édifices au-dessus des tombes sont parfois de vrais monuments, objets même de visites touristiques sinon même, comme la tombe de Jim Morrisson (1943-1971) au Cimetière du Père Lachaise à Paris, des lieux de vénération.
Parmi la bonne douzaine de communications, retenons particulièrement celle d’Isabelle Cartron, sur les espaces funéraires d’avant le cimetière, celle de Régis Bertrand sur les cimetières villageois français entre XVIe et XIXe siècles, et particulièrement celle signée par Aymat Catafau et Olivier Passarrius : « “Village ecclésial” et cellera en Languedoc-Roussillon : questions en débat et éclairages archéologiques ».
Les cimetières, les nécropoles, depuis l’aube des temps restent les lieux de mémoire et de souvenir, intégrés aux cultes de la Cité, et dont la permanence est la réponse à la fuite du temps et au départ de ceux qui restent chers.
[Jean-Claude Richard Ralite]
L’archéologie régionale 1942-2015
Depuis 1942 et la publication de la Loi – dite Loi Carcopino, la situation de l’archéologie nationale a énormément évolué. Avant la Loi, chaque chercheur, professionnel ou amateur, avait toute liberté d’engager des recherches et des fouilles. Dans les meilleurs des cas, ces recherches étaient signalées dans les revues nationales (Bulletin de la Société Préhistorique Française par exemple) ou régionales/départementales que des Sociétés faisaient paraître. Devant une situation aussi éclatée, le gouvernement de l’époque et Jérôme Carcopino en particulier ont promulgué une Loi qui instituait des Directions régionales des Antiquités préhistoriques et historiques. Leurs directeurs, nommés par Paris et bénévoles, devaient accorder des autorisations officielles de fouilles et recevoir les rapports qui en découlaient. Ces deniers, intégralement ou sous forme de notices résumées, étaient publiés dans la nouvelle revue Gallia qui, chaque deux ans, donnait, par région, un compte rendu des activités des directions régionales, toutes périodes confondues. Puis une nouvelle revue, Gallia-préhistoire, recueillit les informations et articles concernant la Préhistoire entendue depuis les origines jusqu’au premier âge du Fer. Les directeurs respectifs devenaient des personnages distincts jusqu’en 1984, date à laquelle les Conservateurs régionaux de l’Archéologie réunirent en leurs mains les deux domaines.
La constitution au début des années 60 d’un Bureau des fouilles et antiquités, après la création du Ministère de la Culture, donnera une réelle impulsion à l’archéologie nationale avec la création, pour aider les Directeurs régionaux bénévoles – membres de l’Université, du CNRS ou indépendants – d’une catégorie d’assistants à plein temps qui peu à peu quadrillèrent la France (ayant fait partie de la première volée de nominations en 1964, j’ai pu suivre l’évolution du service). Peu à peu, le développement du service, la nécessité de faire face aux permis de construire, permirent, non seulement d’accroître le personnel, mais d’aboutir à une nouvelle Loi, en 2000, relative à l’archéologie préventive et à la création de l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives). Ce dernier, désormais, allait se charger de tous les travaux préalables à toute construction, sous le contrôle des Conservations mais avec un budget autonome financé par les promoteurs.
Les chantiers de fouilles dites programmées continuaient à ne dépendre que des Conservations avec, pour directeurs des fouilles, des membres du Service, de l’Université, du CNRS ou d’indépendants.
La question de l’information et de la diffusion des résultats a été, alors, prise en charge, par le Ministère de la Culture et, depuis 1991, chaque région doit donner un Bilan scientifique régional (27 publiés annuellement) qui fait le point de l’activité archéologique, à partir des rapports de fouilles provenant des chantiers programmés ou de l’INRAP. La revue Gallia ne donne plus désormais que des articles soit en relation avec des chantiers de fouilles soit d’ordre thématique ; les chercheurs du CNRS quant à eux ont pour mission la publication d’études d’analyses ou de synthèses, mais non pas la responsabilité de fouilles, même si, en réalité, certains d’entre eux assurant les deux !
Le dernier Bilan scientifique 2014 du Languedoc-Roussillon vient de paraitre en 2015 (un volume A4 de 260 pages, diffusé par le Service) avec des informations classées par département et accompagnées de comptes rendus des programmes interdépartementaux. Il ne s’agit donc pas de publications de recherches, mais de synthèses des rapports adressés chaque année au Service. L’avantage, par rapport à l’ancien système, est de fournir plus rapidement ces informations qui laissent espérer des publications complètes et détaillées. Cela n’est certes pas la règle générale et on ne saurait énumérer les recherches qui, à ce jour, n’ont donné lieu à aucune autre publication. Un peu comme pour les Archives Départementales, faut-il se satisfaire de ces accumulations dont il y a gros à parier qu’elles ne donneront rien d’autre, et ne seront pas suivies d’études de synthèse ?
La défunte Fédération archéologique de l’Hérault (19702015) lors de la célébration de son trentenaire, en 2000, dans sa revue Archéologie en Languedoc (vol 23, 1999 et 24, 2000) a donné un large bilan régional auquel on peut se référer. La question est aujourd’hui posée au moment de la fusion entre Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, afin que la recherche archéologique ne donne pas lieu seulement, comme à Nîmes ou à Narbonne, à des musées mais bien à des actions importantes de terrain : le milieu urbain comme l’espace rural sont susceptibles de voir disparaître les vestiges de leur histoire sous l’impact des constructions et des restructurations.
[Jean-Claude Richard Ralite]
Passez la monnaie…
Philippe Sénac et Sébastien Gasc viennent de diriger un ouvrage de synthèse sur : Monnaies du Haut Moyen Age, Histoire et archéologie, Péninsule Ibérique-Maghreb, VIIe-XIe siècles, Toulouse, 2015, regroupant treize articles qui montrent l’importance dans la péninsule ibérique et dans notre Septimanie de la circulation des monnaies d’or ou de bronze visigothiques (on ne saurait oublier ici le magnifique corpus de Ruth Pliego Vazquez, La moneda visigoda, Séville, 2009, 2 volumes) et islamiques durant les siècles, encore mal connus, qui précèdent l’époque carolingienne. Les découvertes de monnaies d’or restent très rares même si les cartes de répartition pour les visigothiques couvrent le territoire de leurs rois avec de nombreux ateliers y compris celui de Narbonne. Il n’est pas possible d’envisager ces monnaies comme des espèces circulantes mais bien plutôt des thésaurisations, des frappes de prestige, des contributions aux impôts… Ce sont les espèces en bronze, reconnues depuis peu pour les visgothiques, qui pouvaient circuler de façon courante. Cette « soif de l’or » n’est pas propre à ces siècles, c’est une constante de nombreuses civilisations, depuis l’Antiquité. On rappellera ici que, encore au XIIIe siècle, le pape Clément IV, depuis Rome, avait fulminé contre l’évêque de Maguelone, Béranger de Frédol, accusé de faire frapper, dans son atelier de Melgueil, des imitations de monnaies d’or islamiques (A. Germain, De la monnaie mahométane attribuée à un évêque de Maguelone, Mémoires de la Société Archéologique de Montpellier, 1ère série, 3, 18501854, p. 683-704).
Cet ouvrage a aussi le grand intérêt d’éclairer les relations de la Septimanie avec la péninsule ibérique en ce qui concerne les monnaies islamiques et les tributs versés aux nouveaux maîtres du territoire en attendant la « Reconquête » carolingienne ( Ph. Sénac, Mahomet et Charlemagne en Espagne, (VIIIe-IXe siècles), Paris, 2015). Le site de Ruscino (Perpignan, Pyrénées-Orientales) a livré des plombs avec inscriptions en langue arabe, en relation avec les combats et les prises de villes. L’archéologie n’a pas encore révélé des architectures en relation avec les visigoths ou les populations musulmanes, mais ont-elles existé ou bien ces conquérants (réduits peut-être à des dirigeants, après la conquête) ne se sont-ils pas établis dans des édifices civils ou même religieux existants ? Les récents ouvrages sur ces siècles mal connus constituent une invitation à les inclure dans nos mémoires et ne pas envisager un « passage » de l’Antiquité aux Carolingiens sans aucune transition.
[Jean-Claude Richard Ralite]
Congrès d’Histoire de l’Art à Montpellier
C’est avec beaucoup trop de retard que nous signalons la publication des Actes du 4e Congrès de l’Association des Professeurs d’Archéologie et d’Histoire de l’Art des Universités tenu à Montpellier en novembre 1996, et qui concerne à plusieurs titres notre département et notre région. Ce volume, intitulé Arts et culture, une vision méridionale, sous la direction de Marianne Barrucand, a été publié en 2001 par les Presses de l’Université de Paris-Sorbonne.
On retiendra plusieurs communications : celle de Luce Barlangue (Université de Toulouse) sur la sculpture dans la ville en Languedoc, celle de D. Saudron sur l’architecture gothique, de Thierry Janin (CNRS) sur les importations dans les communautés protohistoriques, de Sylvie Aubenas (BNF) sur les premiers usages de la photographie dans les ouvrages d’histoire de l’art en France, et celle d’A. Goudal sur le centralisme artistique.
Mais nous voudrions attirer l’attention sur la contribution de la regrettée Ghislaine Fabre : « Identification d’une vue gravée de Montpellier au XVIe siècle » qui étudie, de façon très détaillée et comparative une vue de Montpellier, la plus ancienne, datée par elle de 1562. Elle est due à Antoine Du Pinet qui l’a publiée dans son livre sur les représentations de villes à Lyon en 1564. L’auteure montre que c’est bien cette représentation et non pas celle de la Cosmographie universelle de S. Münster qui est la première et qu’elle a été utilisée de façon plus ou moins servile ultérieurement.
Ce sujet a été travaillé ultérieurement par cette auteure, avec d’autres, dans le Bulletin historique de la ville de Montpellier et dans les volumes monographiques sur Montpellier publiés dans le cadre des travaux de l’Inventaire Général des Monuments. (Cette vue gravée fait également l’objet d’un article détaillé dans le numéro spécial d’Études Héraultaises en hommage à Jean Nougaret, à paraître).
[Jean-Claude Richard Ralite]
L’Audois André Héléna, « prince noir du roman noir francophone »
Il existe des auteurs de romans fort connus et célébrés ailleurs que dans leur terre natale : c’est le cas d’André Héléna (Narbonne 1919-Leucate 1972) dont l’œuvre est, disons-le, considérable : il a écrit de la poésie, des romans noirs, des reportages, des scénarios… qui révèlent un anticonformiste libertaire et provocateur, n’hésitant pas à écrire en 1946-1947 : « Nous, nous ne sommes pas seulement des bohèmes, nous sommes la Bohême. Ceux que l’on ne connaît pas parce qu’ils ne fréquentent pas les bars américains ni les cafés qui n’ont de littéraire que le nom… Il n’est qu’un moyen de sauver la Librairie française d’une mévente grandissante au bénéfice des étrangers : c’est la Vérité », salué par M. Lebrun dans un Dictionnaire des auteurs de romans policiers : « Il mourut alcoolique et ignoré, sa vie fut celle d’un forçat de la plume ».Grâce à quelques amis fidèles, il est possible aujourd’hui de trouver des ouvrages restés longtemps épuisés.
Fils de Philippe Héléna (conservateur de bibliothèque et de musée à Narbonne, auteur de : Les origines de Narbonne, Toulouse-Paris, 1937), André Héléna publie d’abord des poèmes, rejoint Paris en 1936 où il est assistant de Henri Diamant-Berger (Arsène Lupin détective) puis gagne l’Espagne en pleine guerre civile. Réformé en 1939, il demeure à Leucate avant de rejoindre le maquis dans les Pyrénées. La guerre terminée, il se trouve à Paris où il exerce mille métiers tout en prenant le temps d’écrire et inaugurant une très longue série de romans policiers (les n° 23, 2000, et 24, 2001 de la revue Polar sont presque entièrement consacrés à A. Héléna).
Bon nombre de ces romans se passent dans notre région : Perpignan, Leucate, Narbonne, Montpellier… souvent dans l’atmosphère très glauque de la dernière guerre mondiale et dans la période qui a suivi la Libération où se rencontrent des personnages de tout acabit, cherchant à se sauver, n’hésitant pas à dénoncer ou collaborer, commettant des méfaits, etc. On ne saurait les citer tous, mais seulement un choix subjectif dans les réimpressions disponibles : Les clients du Central Hôtel (2000), Le festival des Macchabées, (2001), Les voyageurs du vendredi (2001), Le Bon Dieu s’en fout (2002), Les flics ont toujours raison (2002), Les salauds ont la vie dure (2001), tous aux éditions e-dite à Paris, choisis dans une œuvre de 200 romans ! Ces réimpressions sont en général accompagnées de préfaces détaillées qui apportent un éclairage bienvenu.
[Jean-Claude Richard Ralite]
Raoul Lambert… Nîmes, Montpellier, Paris, le Vercors, le Pic Saint Loup…
Il faut être montpelliérain de longue date pour avoir connu le peintre Raoul Lambert et apprécié ses œuvres exposées dans plusieurs galeries, celles qui sont au Musée Fabre ou dans des collections privées. Ses enfants avaient commencé un Catalogue (voir Études Héraultaises, 30-32, 1999-2001, p. 388) mais l’ampleur de la tâche et, surtout, la dispersion des œuvres n’ont pas permis d’aboutir. Il faut espérer qu’un jour ou l’autre, le Musée Fabre, comme il l’a fait pour Camille Descossy ou Georges Dezeuze, nous donnera un ouvrage consacré à l’un des meilleurs peintres du Clapas.
Nous rappellerons que Raoul Lambert, né à Nîmes en 1914, fils de militaire, fait ses études au lycée de Montpellier, commence des études de notariat en même temps qu’il peint, mais entre à l’École des Beaux-Arts en 1932, part à Paris mais revient à Montpellier en 1939… En juillet 1940, il entre dans la Résistance et s’engage dans la lutte contre l’occupant dans la Drôme et le Vercors. Retour à Montpellier qu’il ne quittera plus ; il ouvre un atelier, les Tonnelles, dans la rue Saint-Louis où vont se retrouver une pléiade de peintres devenus célèbres depuis (nous devons tous nos renseignements biographiques et artistiques à Mme Andrée Lambert-Tremblay que nous remercions ici).
Sur l’œuvre de l’artiste, nous n’avons pas de meilleures appréciations que celles de l’excellent critique d’art du Midi Libre, J.-L. Gourg, qui écrivait dans un article de 1956 :
« Point d’artiste qui donne davantage l’impression qu’il obéit à une nécessité intérieure. Dès l’abord, on est frappé par la véhémence, le mouvement, le lyrisme de ces toiles qui représentent des paysages du Languedoc : garrigues, vignes, oliviers, de cette Provence que Lambert connaît bien pour en avoir contemplé souvent, près de son ami Chabau, le visage noble et grave. Certes nous sommes devant un coloriste qui a retenu la leçon des Fauves tout en l’accordant avec les exigences de son tempérament. Raoul Lambert sait exalter à son paroxysme un rouge, un bleu profond lui permet d’obtenir les accords les plus sonores. Mais, ce faisant, il donne aux volumes leur pleine valeur, car il part d’un dessin vigoureux, incisif, d’une étonnante autorité. A l’occasion d’ailleurs, il use d’une palette aux ressources volontairement limitées. Ainsi cet amoureux fervent de la nature qui fixe, en quelques taches d’aquarelle, une impression fugitive, un état d’âme, atteint des effets pathétiques, d’une prenante austérité. Il n’est pas de ceux enfin à qui les longs ouvrages font peur. Nous en voulons pour preuve des compositions à plusieurs personnages, aussi importantes que ses scènes de vendanges, les nus qu’il campe en plein air, soucieux de donner à leurs chairs nacrées la transparence même de la vie. Que dire des tableaux d’amples dimensions sur le thème de la Passion dans laquelle Raoul Lambert donne vraiment la mesure de sa science de la construction et du rythme ? ».
Nous voudrions attirer l’attention sur un ensemble de fresques qu’il réalisa en 1955 pour décorer la chapelle Saint Joseph en haut du Pic Saint Loup. Certes Raoul Lambert ne se prenait pas pour le nouveau Michel Ange… mais celui que ses amis dénommèrent « l’ermite du Pic Saint Loup » avait sur place réalisé des fresques en relation avec la passion du Christ. Malheureusement, le fameux hiver sibérien 1955-1956 eut raison de ces œuvres. L’artiste dépité dans son atelier de Montpellier va refaire la composition sur des panneaux d’isorel susceptibles de résister aux infiltrations et humidité de la chapelle.
Mais ce travail n’aboutit pas, les panneaux ont disparu et on ne dispose pas de documents sur l’ensemble de la composition. Seules quelques photographies gardent le souvenir d’une œuvre forte, très colorée, riche de portraits de dix personnages grandeur nature dont il ne reste aucune trace aujourd’hui dans cet ermitage.
Raoul Lambert continuera d’exposer dans plusieurs galeries, principalement de Montpellier, poursuivant jusqu’à sa fin en 1969, à 55 ans, une belle œuvre de plus de trois mille toiles. Citons encore J.-L. Gourg qui, dans le Méridional, fait son éloge funèbre : « Il y a chez lui une fureur de créer, d’entrer ainsi en sympathie avec les êtres et les choses, une allégresse communicative que traverse bien souvent un sentiment tragique de l’existence. »
[Jean-Claude Richard Ralite]