La vie quotidienne à Paulhan (1939-1945)
PRÉFACE
On croit trop facilement que les événements proches de nous sont mieux connus et plus accessibles que ceux des siècles passés. En réalité, et pour des raisons diverses, une période comme celle de la seconde guerre mondiale reste encore très largement à découvrir.
C’est ce qu’avait constaté, en 1995, le Groupe de Recherches et d’Actions pour le Patrimoine Paulhanais, présidé par Madame Christine Vézian, en organisant une exposition à l’occasion du cinquantenaire de 1945. Les choses auraient pu en rester là – mais une exposition sans catalogue ou sans ouvrage parallèle n’est bientôt plus qu’un souvenir imprécis – le groupe s’est engagé à poursuivre des recherches sur l’ensemble de la période 1939-1945 et nous livre aujourd’hui son bilan.
Il convient, tout d’abord, de féliciter tous ceux, membres ou non de ce groupe, qui ont concouru à la quête des documents et témoignages selon un schéma chronologique qui a l’avantage de faciliter les repères.
On s’aperçoit alors que Paulhan, simple agglomération de la plaine héraultaise, est un miroir parlant de ces sombres années. Certes, la personnalité exceptionnelle de son maire, Vincent Badie, qui avait osé, dans des mois où les Français étaient tous maréchalistes, avec soixante-dix-neuf autres parlementaires, refuser au vainqueur de Verdun les pleins pouvoirs, est dominante. Cette personnalité va continuer, avant les délégations spéciales, de tenir le premier rôle, et même au-delà, dans les débuts d’une carrière politique qui se prolongera fort loin avec le succès que l’on sait.
Mais plus modestement, chaque villageois va tenir sa place afin que la vie quotidienne continue d’apporter un minimum de satisfactions. Ainsi, avec peu d’archives locales, avec des documents familiaux, avec les souvenirs ravivés, Paulhan sort de l’ombre et là, comme ailleurs, les engagements sont le fait de chacun. La présence des troupes allemandes n’entraînera pas de conséquences dommageables et la Libération clôturera cinq années que l’on tentera d’oublier d’autant que les espoirs de 1945 seront rapidement effacés.
On nous demande souvent s’il est opportun de raviver des périodes difficiles de notre histoire. Il n’y a aucune raison pour ne retenir que les moments heureux et le devoir de mémoire impose la même attention. De plus, les nouvelles générations, pour une si « drôle de guerre », ne peuvent penser seulement à la défaite, au maréchal, à Jean Moulin et aux victoires des armées alliées. Elles ont sous les yeux les vies de leurs parents qui n’avaient, alors, aucune de ces libertés pour lesquelles tant de femmes et d’hommes se sont sacrifiés.
Paulhan ajoute donc un nouvel acte à son histoire : que ceux qui, sur place, y verront des lacunes ne manquent pas d’apporter leur concours aux auteurs et que, d’autre part, les communes voisines s’attachent, elles aussi, à une telle recherche. C’est bien ainsi que l’Histoire départementale sera le reflet des réalités locales.
Jean-Claude RICHARD.
Directeur de recherche au C.N.R.S.
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AVANT PROPOS
C’est avec beaucoup d’ardeur, de passion même et un très grand intérêt que pendant plusieurs mois les membres du Groupe de Recherches et d’Actions pour le Patrimoine Paulhanais (GRAPP) ont recherché les dits, les documents, les informations, les photos, interrogé les témoins et les acteurs de cette période, circonscrite dans le temps, mais combien riche d’évènements majeurs ou de petits riens qui composent la mosaïque d’une vie quotidienne.
Ce ne fut cependant pas sans difficultés. Les archives municipales manquent. Tout ce qui concerne cette époque a semble-t-il été détruit après la guerre. Seul le registre des délibérations du conseil municipal a été conservé. Mais l’accès aux dossiers des archives départementales de l’Hérault que nous avons consultés, nous a permis de reconstituer une partie des éléments importants de la vie paulhanaise, et en particulier la vie publique mouvementée de ces années de guerre.
Les Paulhanaises et les Paulhanais ont, quant à eux et pour la plupart, conservé des souvenirs bien précis des événements petits ou grands qu’ils ont vécu et se sont ouverts à nous avec beaucoup de sincérité et d’émotion. Cependant, pour ne pas alourdir le texte par des redites, le même évènement n’est relaté qu’une fois mais chaque récit a été confronté à ceux d’autres témoins pour éviter des erreurs de dates, de lieux ou d’acteurs bien compréhensibles alors que cinquante ans ont passé. Il est certain que de nombreuses autres anecdotes auraient pu être rapportées mais nous avons eu le souci d’établir un certain équilibre entre les différentes composantes de la vie quotidienne.
Il s’agissait principalement pour nous d’effectuer un travail de collecte et de conservation de la mémoire encore vivante avant qu’elle ne se perde irrémédiablement afin de réaliser une sorte de film documentaire, la plume remplaçant la caméra. Les extraits des documents cités sont livrés au lecteur tel que relevés dans les dossiers des Renseignements Généraux, dans les notes du cabinet du préfet ou les rapports de gendarmerie. Ils ne font l’objet d’aucun jugement de valeur, d’aucune interprétation. Analyser les événements, les soumettre à la critique, étudier les comportements des peuples c’est le rôle des historiens, des sociologues que les rédacteurs de cet ouvrage n’ont eu en aucune manière la prétention de vouloir remplir.
Nous espérons seulement être parvenus à retranscrire une ambiance, une atmosphère dont les plus anciens se souviennent avec émotion et à décrire le plus fidèlement possible ce qu’ils ont vécu, subi, souffert afin de transmettre le témoignage aux générations les plus jeunes.
Que soient ici vivement remerciés toutes celles et tous ceux qui ont participé à ce travail de longue haleine avec patience, ténacité et que soient remerciés tout autant celles et ceux qui nous ont soutenus par leurs encouragements ou aidé financièrement. C’est avec leur concours que cet ouvrage a pu être réalisé.
La présidente du GRAPP
Christine Portefaix-Vézian
1re partie - 1938 - DES BRUITS DE BOTTES
La « Grande Guerre » a pris fin depuis à peine vingt ans, le temps nécessaire pour que grandisse une nouvelle génération d’hommes qui feront des citoyens et des soldats.
Vers l’est, on entend des bruits de bottes depuis quelques années déjà. En 1935, la Sarre a voté son rattachement à l’Allemagne. Quelques mois plus tard, Hitler a rétabli le service militaire obligatoire de l’autre côté du Rhin. En 1936, l’armée allemande réoccupe la zone rhénane que le traité de Versailles, en 1919, avait démilitarisée une précaution pour prévenir toute agression brusque ! France et Grande-Bretagne ont laissé faire sans réagir ; une faiblesse qui sera exploitée par un homme audacieux et sans scrupules.
En cette année 1938, c’est l’Autriche qui est occupée par les forces allemandes et annexée, sans aucune résistance du reste. Le chancelier Hitler exige davantage et somme la Tchécoslovaquie de céder à l’Allemagne la région des Monts des Sudètes. Bien que la France et l’État Tchécoslovaque soient liés par un pacte d’assistance, cette mainmise sera entérinée le 30 septembre par le traité de Munich. Dans l’espoir de sauver la paix, France et Grande-Bretagne cèdent cette fois encore, mais l’alerte a été chaude et la France a mobilisé.
A Paulhan, après les décès de M. Auguste Dumas, conseiller et adjoint, et de M. Paul Pelisse, sénateur et maire, des élections doivent avoir lieu.
Vincent Badie avait été élu conseiller général du 3ème canton de Montpellier en 1931 et réélu en 1937. Il avait également été élu député de la circonscription de Lodève en 1936.
Le décès du sénateur Pelisse en juillet 1938 laisse vacant le siège de conseiller général du canton de Gignac dans l’arrondissement dont V. Badie est député depuis deux ans et orpheline la mairie de Paulhan. C’est là une opportunité. « J’avais intérêt à renforcer ma position dans ma circonscription. D’autre part en devenant maire de Paulhan, cela permettrait d’avoir un pied dans le canton de Clermont l’Hérault… Ce double choix était un peu délicat à opérer… pour mon avenir, ma position législative était importante. Or, je peux la conforter sérieusement si j’obtiens le siège de conseiller général de Gignac et la mairie de Paulhan… », raconte lui-même Vincent Badie dans ses entretiens avec Jean Sagnes.1
C’est dans ces conditions qu’il a présenté sa candidature. Le 7 août, sont élus Vincent Badie et Paul Guérin. Le 11 août, le conseil municipal, présidé par M. Amédée Beautias est composé de Messieurs :
Vincent Badie ; Maurice Gely ; Pierre Maniabal ; Félix Négrou ; Raoul Arnaud ; Elisée Caumel ; Femand Léotard ; Romulus Ramon ; Félix Combet ; Adrien Munier ; Joseph Chaudon ; Jean Tailhade ; Maurice Bertrand ; Amédée Beautias ; Joseph Beaulès ; Junior Faugé ; Émile Léotard ; Joseph Bec ; Marcel Soulier ; Paul Guérin ; Jules Nègre.
Les conseillers ont procédé, au scrutin secret, à l’élection du nouveau maire et Vincent Badie a été élu par 20 voix.2
Passé le remue-ménage des élections, la vie reprend son cours dans le village : tel sollicite l’admission de sa fille à l’école primaire supérieure au mois d’octobre, tel autre demande un sursis à son incorporation sous les drapeaux afin de poursuivre ses études, celui-là enfin a besoin de l’assistance médicale gratuite.
Pour la vigne, les gelées d’avril ont fait craindre pour la récolte. Une délibération du mois de septembre du conseil d’administration de la Coopérative de vinification « La Clairette » de Paulhan – vieille d’un peu plus de quatre ans – « décide de mettre en application le tarif syndical de Béziers, soit 42 francs la journée de travail de 8 heures, 5 F 25 par heure supplémentaire de jour et 6 francs de nuit. Il est alloué trois litres de vin par journée de travail ».
Cette année s’achève dans le calme après une alerte sérieuse, mais chacun est conscient que l’avenir est lourd de menaces, à Paulhan comme dans le reste du pays.
1939 - LA DÉCLARATION DE GUERRE
Au printemps 1939, Hitler occupe la Bohème. Il exige ensuite le retour à l’Allemagne de la ville libre de Dantzig. La tension monte en Europe. Il devient de plus en plus évident que le chancelier veut la guerre.
Pourtant, en cette année 1939, rien n’avait changé dans la vie des Paulhanais si ce qui se passait « là-haut » ne les concernait pas… ou si peu.
Paulhan était un gros bourg très animé. Les cafés, celui du Nord et celui du Midi, le café Descouts, « Santou »… et les hôtels ne désemplissaient pas. Les activités du commerce et de l’artisanat s’articulaient essentiellement autour de la viticulture. Forgerons, marchands de fourrage et de produits agricoles, tonneliers, tartriers, courtiers en vins et négociants, distillateurs ne chômaient pas. Il y avait, par exemple, deux tonneliers, Messieurs Benaglio, route de Campagnan et Bourdiol, cours National. Ce dernier, équipé de machines électriques, offrait à ses clients une marchandise très soignée.
M. Benaglio effectuait toutes les opérations manuellement. Il n’avait évidemment pas le même rendement, mais c’était un plaisir de le voir raboter une douelle, cercler ses barriques et l’on voyait, étape après étape, façonnées de ses mains, naître de magnifiques futailles. Louis Poujol faisait le commerce des chevaux et pourvoyait de nombreux viticulteurs de la région.
C’était autour de la gare que se concentraient les activités de négoce du vin. Paulhan comptait deux gros négociants, les Maisons Coste et Vézian mais aussi Eugène et André Nèples. M. Teissier était « barriquailleur ». Gabriel Audemar faisait le transport des vins par camion-citerne ainsi que les frères Bonnal. On comptait également plusieurs courtiers : Honoré Gontier dit « Maginot » et Stanislas Pastourel qui faisait également le commerce du vin. Au bout de la chaîne, les distillateurs des marcs Bonniol, Grizard et Ricaud. La plupart de ces entreprises employaient plusieurs ouvriers, chauffeurs, cavistes,…
Les expéditions de vin s’effectuaient à la gare des marchandises située entre la gare des voyageurs et le dépôt. Un embranchement réservé et un quai surélevé permettaient le transbordement.
M. Teissier, pour faciliter le trajet de chez lui jusqu’à la gare, arrimait les fûts à un triqueballe (moyen de transport composé de deux roues, un essieu au-dessous duquel étaient suspendues les barriques par des chaînes ou des câbles et un timon) tiré par un cheval jusqu’au quai d’embarquement auquel on accédait par un long plan incliné. Les frères Nèples, depuis leur magasin, cours National, jusqu’à la gare, faisaient rouler leurs gros tonneaux à la main, « bordelaise » de deux cent quarante litres et demi-muids de six cents litres. Maurice Cayrel qui travaillait chez son oncle M. Teissier, nous a confié qu’il en faisait rouler, lui aussi, presque quotidiennement.
Les cheminots avançaient au fur et à mesure un wagon vide au bord du quai. On plaçait alors entre le wagon et le quai une sorte de passerelle de bois ou de fer pour faire rouler les fûts. Ils étaient ensuite arrimés et calés par de gros morceaux de bois taillés en pointe dont la partie la plus large était pourvue de crochets que l’on fixait au plancher du wagon.
C’est par camions citernes que les négociants du voisinage amenaient leur vin jusqu’à Paulhan. Il était aussitôt pompé et transvasé dans de gros foudres jumelés sur la plate-forme, reliés par une échelle en fer ou bien dans un wagon-citerne appelé « pipe », d’une contenance de cent hectolitres. Une fois le vin chargé sur le train, il fallait procéder aux formalités : remises des papiers au bureau, laissez-passer, acquits délivrés par la recette buraliste strictement tenue par M. Jalabert.
Trois fois par semaine, on formait un train d’une cinquantaine de wagons. Le quai ne désemplissait pas. Il y avait un va-et-vient permanent. Le soutirage terminé, on emportait la futaille vide et les négociants de Paulhan, de Clermont comme Guibal et Salasc, amenaient un nouveau contingent de barriques qui attendaient sur le quai pour l’expédition suivante. Les trains partaient vers l’Est, le Jura, le Cantal ou la région parisienne.
A la veille de la guerre, subsistaient encore quelques marchands ambulants et le très apprécié « bouilleur de cru ». Tous les ans, les viticulteurs pouvaient faire distiller pour leur consommation familiale une certaine quantité de vin que les textes des contributions indirectes, obscurs et compliqués, désignaient par les « 1 000 degrés ».
M. Adgé, père d’Albert et Marcel, « bouilleur de cru », installé dans un magasin situé cours National, distillait à l’aide d’un petit alambic. Il transformait le « gros rouge » en un liquide d’une limpidité d’eau de source… mais titrant 90 degrés d’alcool ! On calculait ainsi l’alcool revenant à chaque viticulteur : onze litres à 90° = 9 900…, plus un verre…, soit « 1000 degrés ».
Dédoublé, ce précieux 3/6 (c’est ainsi qu’on appelait l’alcool), servait à confectionner des apéritifs : vin de noix ou vin d’orange. Mélangé à des extraits de parfum, il devenait « Eau de Cologne ». Pur, on en désinfectait les plaies. Il ne faudrait pas oublier l’inégalable « pernod » maison que chaque famille préparait.
Les anciens se souviendront aussi de « Marie de l’huile », déambulant dans les rues du village, jusqu’aux écarts et Saint-Martin pour approvisionner les ménagères. Ses cruches calées dans une voiturette faite d’une caisse de bois montée sur des roues de bicyclette, les mesures de fer blanc, quart et demi, accrochées au bec des cruches, elle allait de maison en maison et versait, à l’aide d’un entonnoir, l’huile d’olive de belle couleur et bien fruitée dans la bouteille qu’on lui tendait.
Thérèse Genieys, pourvue du même moyen de locomotion avait ajouté au commerce de l’huile, le savon, le café et le chocolat. Pauline, la « Gitane », vendait de la dentelle et un peu de mercerie. Toujours très propre, cotillons et tablier noirs, une paire de ciseaux pendus à un cordon attaché à la taille, un grand panier au bras. Elle avait ses entrées dans les maisons du village. Aucune porte ne lui résistait et, du bas de l’escalier ou du fond de la cour, elle appelait : « Marie, viens voir. Achète-moi quelque chose ». Elle appelait toutes ses clientes « Marie »… Elle déroulait quelques mètres de dentelle, vendait quelques boutons, du fil, des épingles et autres pacotilles.
Pendant la guerre le refrain n’était plus le même : « Marie, j’ai quelque chose pour toi », et du fond de son panier, caché sous des flots de dentelle de rayonne, elle sortait une minuscule bobine de fil, une petite pelote de coton à repriser qu’elle faisait miroiter dans sa main, assurant que cet article était spécialement pour vous « et sans tickets ». On ne pouvait pas refuser. L’objet changeait de main contre quelques piécettes.
Alors que les petits métiers disparurent avec l’instauration des cartes d’alimentation, Pauline continua le sien bien après la guerre.
On ne peut évoquer ces petits métiers sans citer le marchand « d’oublies ». Il passait le dimanche en fin de matinée. Les enfants surveillaient sa venue aux coins des rues, et lorsque retentissait son signal, une poignée de fer mobile fixée sur un morceau de bois qui, en l’agitant, imitant le bruit d’une crécelle, tout le monde accourait. La voiturette qu’il poussait à bout de bras contenait des merveilles pour les enfants, des bonbons, des sucres d’orge multicolores, des pommes enrobées de caramel rouge, mais le « fin du fin » c’était les « oublies ». Il tenait, serrées dans une boîte cylindrique, ces fines gaufres roulées toutes chaudes sur un bâtonnet de métal, pas plus épaisses qu’un copeau de bois, qui excitait la convoitise des enfants. Lorsque d’un coup de dent on croquait cette délicieuse pâtisserie, le morceau fondait dans la bouche avec une saveur et un parfum de vanille et fleur d’oranger mêlés. Un délice ! Sa tournée terminée, il prenait place à l’angle de la rue des Variétés sur le trottoir de la maison Vézian où, aidé de sa femme, il écoulait à l’heure du cinéma tout son stock de gourmandises.
***
Cette année-là, le carnaval fût une réussite.
Le Comité des fêtes, autrement dit la bande du « Chenil » avait tout organisé. Le « Chenil », c’était avant tout des copains : Étienne Satger, Joseph Régis, Jean Soto, Lucien Véziac, Antoine Verdier, Néné Nouguier, Paul Nouvel, Paul Julian, André Arnaud, Raoul Satger, Edmond Bousquet, Maurice Recoules, Gaby Capely et d’autres qui se joignaient à eux. Ils avaient 18 ou 19 ans.
Les chars, le bal chez « Santou », rien ne manquait pour que le carnaval soit réussi. Il y avait le char de la coopé « La Clairette », très suivi car on y servait à boire tout au long du parcours ; le char de la Reine… Marcelle Capely. Le plus extravagant étant bien sûr celui du « Chenil », le char des « Sauvages ». La cabine de la camionnette du père d’Edmond Bousquet supportait une hutte faite de paillons. Sur le plateau, attaché au pilori, Étienne Satger pauvre blanc autour duquel dansaient, tout barbouillés de noir, les méchants sauvages… Sylvain Sénéga au saxo et Paul Julian à la clarinette animaient le cortège emmené par « Siplet ».
L’événement important de ce mois d’août 1939, était la fête du village organisée encore par l’équipe du « Chenil ». Elle avait pour siège le Café du Nord où Georges Arnaud, dit « Patatet » régnait en maître. Pendant que quelques-uns montaient à Lieuran-Cabrières ramasser des brassées de buis chargées sur une charrette tirée par un âne et confectionnaient des guirlandes pour décorer la place, d’autres faisaient la farandole à travers le village au son des trompettes pour récolter quelques pièces.
Comme chaque année, les forains étaient venus nombreux. L’orchestre Goût de Béziers, on disait alors le « Jazz », animait le bal. C’est avec les bénéfices du « Monaco » que l’équipe du « Chenil » payait l’orchestre. Le cafetier participait également. Il leur donnait 500 francs.
Les bénéfices conséquents, cette année-là, leur ont permis de s’offrir un pantagruélique repas copieusement arrosé… La fête terminée, chacun préparait activement les vendanges, faisant le tour de ses vignes pour juger de sa récolte. Mais déjà des bruits de bottes…
Mademoiselle Grizard s’en souvient également :
Ce mois d’août est magnifique. Dans les rues, les magasins (remises) sont grands ouverts et, au remue-ménage qui y règne, on comprend que les vendanges approchent. Dans le bassin de la Fontaine, des tonneaux et des comportes mis à étancher prennent une teinte luisante sous le gazouillement de l’eau claire qui arrose leurs flancs. Tout autour règne une grande activité. Dans quelques jours, c’est la fête locale. Les forains commencent à monter leurs baraques. La récolte s’annonce exceptionnelle. Tout pour être heureux, mais les bruits de la guerre se font persistants.
La fête commence. Les loteries, manèges, Monaco, les confiseries tintent un petit air d’insouciance, mais l’ambiance n’est pas au rendez-vous. Les visages sont graves.
Quelques jours plus tard, une affiche sinistre et lourde de menaces, surmontée de deux drapeaux tricolores en faisceaux, annonçant la mobilisation générale, le 2 septembre, est apposée sur le mur des halles, à côté du placard du cinéma des Variétés, où l’on voit dans des couleurs tapageuses un Fernandel hilare. Le lendemain, dimanche, la journée est belle, calme, pour ces derniers instants de paix. Le village est désert, tout le monde vendange. A cinq heures de l’après-midi, la radio annonce la déclaration de guerre. Les cloches sonnent le tocsin annonciateur de six années de peines, de drames et de deuils.
Les mobilisés commencent à partir. Certains avaient rejoint leur corps le premier jour de la mobilisation. Sur les quais de la gare, accompagnés d’un membre de leur famille : père, frère, ils attendent l’« Express » Bédarieux-Montpellier. Des petits groupes se forment, quelques « dandys » des environs, en costume clair, pantalon à pattes d’éléphant, attirent le regard. Le train arrive. Quelques timides inscriptions comme : « Dans trois mois nous serons là ». De pâles drapeaux s’agitent à quelques portières. Le train repart, emportant avec lui ceux qui vont défendre nos frontières.
Les vendanges doivent pourtant continuer. Dans les vignes et sous le soleil brûlant, les « colles » silencieuses s’échinent, composées de femmes, de jeunes et d’enfants. Le travail est réparti selon les âges. Chacun mène sa rangée, sauf les enfants à qui l’on confie à deux le soin de tenir le rang. Les jeunes essayent de détendre l’atmosphère pesante par quelques plaisanteries. Les hommes âgés conduisent les charrettes, soit vers leur « magasin » soit à la cave coopérative où certains ont adhéré par manque de personnel. La main d’œuvre féminine ne manque pas, le village est grand et une rentrée d’argent est toujours bonne, surtout quand les hommes sont au front. Des chevaux avaient été réquisitionnés dès le mois de juin comme le brave « Bijou » de Joseph Diaz. On s’entraide pour rentrer la récolte qui est surabondante, mais on n’arrive pas à tout vendanger. Des vignes sont abandonnées avec les raisins sur les souches. Mais ce ne serait rien, si la guerre finissait bientôt. Certains forains mobilisés ont laissé sur place (à Paulhan) leur famille et leurs biens avant de rejoindre leur régiment. Dès les premiers jours de la déclaration de guerre, il y eut des exercices d’alerte. Le soir, vers vingt-deux heures, la sirène retentissait. C’était l’affolement général. On voyait déjà les célèbres « Stukas » déversant des dizaines de bombes au-dessus des têtes ».3
Les familles ont encore en mémoire le souvenir de ceux qui ne sont pas revenus de la guerre « 14-18 », qui devait être la « der des der ». Un sondage, un des premiers, réalisé au mois de juillet, indique que 45 % des Français interrogés pensent que la guerre éclatera dans l’année. A la question « Si l’Allemagne tente de s’emparer de la ville libre de Dantzig, devrons-nous l’empêcher, au besoin par la force ? », « 76 % des personnes interrogées répondent oui », peut-être plus par mâle assurance que par réelle conviction. Fallait-il mourir pour Dantzig ?
La nouvelle de la signature d’un Traité de non-agression entre le Reich et l’URSS, le 23 août, résonne comme un glas. Hitler a les mains libres maintenant. Tout va très vite. Le 1er septembre, les Allemands envahissent la Pologne sans déclaration de guerre.
Le même jour, le gouvernement français, M. Édouard Daladier étant président du conseil et M. Albert Lebrun, président de la République, ordonne la mobilisation générale. Depuis quelques jours déjà, des rappels de réservistes ont eu lieu. Ce n’est donc pas un coup de tonnerre, pas même une surprise. La presse, la radio, le bouche à oreille, ont préparé l’opinion depuis quelques temps. Les hommes s’en vont vers les gares sans drapeaux déployés, sans crier « à Berlin », tout simplement parce que personne n’a envie d’aller là-bas. Ils partent avec plus de résignation que d’enthousiasme, avec aussi un brin de fatalisme – « Ça devait finir comme cela » – mais aussi avec patriotisme car le Français d’alors, gueulard et rouspéteur, aime son pays.
Certains diront que « la France entrait dans la guerre à reculons, les yeux tournés vers la paix ! ».
La population allemande fait preuve de la même réaction de morosité. Elle manque, elle aussi, d’enthousiasme. Pendant « l’autre » guerre, elle a également beaucoup souffert. Mais la machine est lancée, Français et Anglais adressent un ultimatum à Hitler : qu’il retire ses troupes du territoire polonais, sinon…
C’est la guerre. Elle est effective le 3 septembre à onze heures pour les Anglais et à dix-sept heures pour nous. Les deux puissances alliées tiennent enfin, serait-on tenté de dire, leurs engagements vis-à-vis des autres États.
Dans notre petit coin du Languedoc, les hommes partent, mobilisés. Véhicules, chevaux sont réquisitionnés. Tout se déroule dans le plus grand calme. Bien sûr, ce n’est pas de gaieté de cœur qu’on laisse femme et enfants, travail et outils pour s’en aller on ne sait où ni surtout pour combien de temps. Les cœurs sont gros. Pour les épouses, à la tristesse de la séparation s’ajoute le souci du lendemain. Il y a tellement de travail. Qui va vendanger ? Depuis vingt ans, on sait que la guerre fraîche et joyeuse n’existe pas. Tous les morts de la « Dernière » hantent les esprits.
Comme nombre de ses concitoyens, M. le maire, Vincent Badie, est mobilisé et rejoint son poste d’attaché d’intendance à la 3éme Armée.
Amédée Beautias, partant lui aussi, c’est M. Adrien Munier, troisième adjoint, qui remplit les fonctions de premier magistrat de la commune.
Le 10 septembre, le conseil municipal se réunit en session extraordinaire. En effet, dès les premiers jours du conflit, la commune a été retenue pour héberger des réfugiés. Il faut donc prendre des mesures. Aussi, la mairie, demande-t-elle au préfet d’autoriser l’affectation d’une subvention de 20 000 francs, prévue pour financer un « chantier de chômage », à l’achat de farine. Cet achat est réalisé, pour les communes de Paulhan et Aspiran, auprès du « Groupement Civil du Ravitaillement », en vue d’une pénurie ou de restrictions.
Le même jour, prévoyant « qu’en raison des événements actuels, il n’y aura aucune manifestation coûteuse » pour les cérémonies du 11 novembre, la municipalité décide d’employer le crédit prévu pour cette fête au budget primitif pour payer la somme de 1 500 francs due à « M. Genieys, maçon et peintre, pour travaux exécutés dans les écoles pendant les vacances scolaires ».
Un avis favorable est donné par ailleurs à toutes les demandes d’allocations militaires présentées par les familles des mobilisés. Comme dans les autres communes, des mesures « de défense passive » sont prises. Les ampoules des lampes éclairant les voies publiques sont enlevées, plongeant le village dans une quasi obscurité. Elles sont remplacées, par crainte des bombardements nocturnes, par des ampoules bleues dispensant une faible lueur invisible en altitude.
Petit détail, cette fourniture, faite pour un prix de 4 375 francs, n’a pu être payée aux Établissements Luminor, ceux-ci se trouvant en zone occupée en 1940. Quand cette société repliée se sera installée en Dordogne, le conseil municipal décidera « qu’il y a lieu d’effectuer le paiement ».
En peu de jours, la défaite de la Pologne est consommée : attaquée à l’Ouest par l’Allemagne, à l’Est par l’URSS, malgré son héroïsme, elle ne peut opposer une résistance durable, à ses deux puissants ennemis. Conséquence du pacte germano-soviétique, le parti communiste français est dissous le 26 septembre. Les municipalités communistes sont suspendues et remplacées par des délégations spéciales. Maurice Thorez, dirigeant du P.C.F, déserte et gagne Moscou, sans que ces événements n’émeuvent la population. Aucun trouble ne se produit dans le pays.
Sur le front français, c’est la « Drôle de Guerre » qui s’installe, comme la baptisera Roland Dorgelès. Pas d’opération d’envergure après une timide poussée en Sarre vite arrêtée et suivie d’un repli sur la position frontière. Quelques petites actions menées ici et là permettent d’inscrire quelques lignes dans les communiqués officiels. Pas trop de précisions, la censure veille. Tout est tranquille et calme. La France est confiante. Elle a foi en son armée sortie victorieuse du dernier conflit. Elle est optimiste quant à l’issue de celui-ci, rassurée aussi sans doute par la léthargie du front. Presse et radio, que l’on ne nomme pas encore les « médias » entretiennent cet état d’esprit. « Le Petit Méridional », « L’Éclair », comme beaucoup d’autres quotidiens, décrivent notre dispositif défensif comme bien au point et la ligne Maginot comme « un infranchissable barrage » dressé devant l’ennemi, ce qui est sans doute exact mais les Allemands passeront plus au Nord.
A la cave coopérative « La Clairette », une grande agitation secouait dirigeants et personnel. Ce n’étaient pas uniquement les préparatifs de la vendange.
Comprenant que la guerre était inéluctable, les administrateurs avaient convoqué les coopérateurs en assemblée générale extraordinaire pour le 22 août. Ils décidèrent qu’« en raison des événements, l’assemblée générale ordinaire, qui devait avoir lieu le 27 août 1939, sera repoussée à une date ultérieure ».4 L’assemblée générale est donc reportée au 1er octobre 1939. A cette date, ont eu lieu les élections du bureau du conseil d’administration de la cave. Le président est Louis Verdier, les vice-présidents Joseph Béloury et Léopold Fournier. Naturellement, on tire le bilan de la campagne précédente, la dernière d’avant-guerre et on s’interroge sur celle de 1939 qui traîne en longueur. Les hommes partis, les femmes ont bien du mal à rentrer la récolte. Les apports déclarés à l’issue des vendanges de 1938, s’élevaient à 4 466 hectolitres en rouge, 4 295 hectolitres en « Clairette » à 13°6 et 612 hectolitres en « Bourret », soit 9 373 hectolitres. On arrête les comptes au 31 juillet 1939. La cave dégage un bénéfice brut de 452 526,18 francs. On compte alors 240 adhérents.
Dès le début de la guerre, l’Intendance militaire achète de grandes quantités de vin pour les soldats. L’armée allemande sera tout au long de la guerre une grande consommatrice d’alcool qu’elle utilisera pour la fabrication d’essence synthétique. L’écoulement des stocks était assuré… théoriquement.
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La vie continue et, malgré les difficultés quotidiennes de toutes sortes, les Paulhanais n’oublient pas leurs soldats partis au front et s’organisent pour les aider et les soutenir.
Dès l’automne, des « Comités d’Entraide aux mobilisés » sont créés dans toutes les communes. A Paulhan, ce Comité est mis sur pied en novembre sous forme d’une association Loi de 1901. Il est enregistré à la Préfecture le 22 mars 1940. Le président d’honneur en est Vincent Badie ; le président Adrien Munier, Adjoint ; les vice-présidents M. Allard, Directeur de l’EPS et M. le Chanoine Martin ; la secrétaire Mademoiselle Vidoudez ; le trésorier M. Pastourel.
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Dès les premiers jours de son existence, cet organisme est sollicité. Le capitaine commandant la 10ème batterie du 195e régiment d’artillerie écrit « qu’un de ses canonniers, A. G., de Paulhan, ne reçoit pas de colis de lainages, ni friandises, en raison de sa situation nécessiteuse ». Il ajoute : « Je vous serais obligé de le signaler… pour qu’un colis puisse lui être bientôt adressé à la 10ème batterie de ce régiment au front ».
Un « Comité des tricoteuses » se constitue également. Quarante-cinq mères de famille, leurs filles, et « les fillettes de l’école libre » se sont offertes pour travailler les laines. Nous en avons retrouvé la liste.
Le journal « L’Éclair » du 3 mai 1940 publiera un article dans lequel le Comité de Paulhan fait connaître qu’il a pu, grâce à toutes les bonnes volontés et aux dons recueillis, envoyer soixante-quinze colis contenant en particulier, deux cent quatre vingt quatre paires de « chaussures chaudes » (sic). Il s’agit plus vraisemblablement de chaussettes. Nos soldats « touchent » de l’armée les godillots réglementaires et cloutés…
Durant ces premiers mois de guerre d’attente, les Paulhanais, nous le voyons, s’organisent en l’absence de nombreux hommes.
C’est un Noël triste et froid que le village célèbre. On ne le sait pas encore, mais ce ne sera pas le plus dur.
2e partie -1940 - LE DÉSASTRE
Le froid est vif en Lorraine et en Alsace lorsque commence l’année 1940. Toujours le même calme sur la frontière et la même absence de combats ! Pour beaucoup, on s’achemine vers une paix de compromis : ni vainqueur, ni vaincu, une solution qui contenterait l’opinion publique. Cette opinion publique qui déjà est manipulée par une propagande aussi sournoise qu’efficace : le journal « L’auto » du 23 mars décrit l’Allemagne souffrant de mille maux. Ainsi à Dortmund « 95 % des écoliers sont atteints de rachitisme » ! Finalement, notre sort ne se serait pas si terrible. D’ailleurs la vie continue. Il faut même payer ses impôts, du moins ne pas oublier d’envoyer sa déclaration avant le 30 mars, dernier délai, rappellent les journaux !
La cave coopérative doit s’organiser pour écouler la récolte. Une grande quantité de vin est achetée par l’intendance militaire. Pour avoir une plus grande liberté dans les transactions, le conseil d’administration, réuni à la cave le 10 janvier 1940, décide de porter à la mairie un échantillon de vin du degré moyen de la cave afin de pouvoir traiter de gré à gré avec l’Intendance.5 Le journal « L’Éclair » fait paraître un communiqué indiquant que le vin proposé ne doit pas dépasser les 10°.
A Paris, le jeu politique reprend. Le président du conseil, Édouard Daladier, démissionne mais reste ministre de la Guerre dans le cabinet formé par son successeur Paul Reynaud. Dans le pays, si l’absence des mobilisés se faisait autant sentir, on oublierait presque la guerre. Les journaux en parlent mais on s’habitue, et puis c’est loin.
Pas tellement ! Premier coup de semonce le 9 avril. Les Allemands envahissent le Danemark et la Norvège. La surprise est totale, le réveil brutal. Les choses bougent, l’inquiétude vient. Le 10 mai, la Hollande, la Belgique, le Luxembourg sont attaqués brutalement et avec des moyens modernes. Cette fois, le conflit est à notre porte. Il sera chez nous demain. Mais les journaux, les communiqués sont rassurants. Nous sommes prêts.
Dans notre village comme partout, chacun attend avec impatience des nouvelles de l’Est, et surtout de l’être cher qui est là-bas. On garde une confiance inébranlable dans l’armée française. Personne ne doute. Elle arrêtera rapidement la poussée Allemande, mais cela n’empêche pas un peu d’angoisse.
Au mois de mai, lors du déclenchement de l’offensive allemande, René Doumet est en permission à Paulhan. Il parvient à rejoindre son corps dans le Doubs, après bien des vicissitudes. Pris dans la retraite, il est fait prisonnier et, dans un premier temps, placé dans un camp de la région d’Auxerre (Yonne).
Après plusieurs semaines sans nouvelles, sa femme en reçoit enfin par l’intermédiaire d’un coiffeur, habitant non loin du camp, qui a des contacts avec les prisonniers. Moyennant une petite commission, cet homme sert d’agent de liaison tout en omettant parfois de remettre au prisonnier le billet de 500 francs glissé dans la lettre ! Grâce à ce courrier et avec l’aide d’amis, René Doumet et sa femme tentent de mettre sur pied une évasion. Le transfert des prisonniers vers l’Allemagne réduit leur espoir à néant.6
Très vite, on apprend que le front est percé à Sedan. Un accident ? On espère encore, mais l’illusion est de courte durée. Par milliers, les réfugiés, Belges et Français, sont sur les routes : une colonne interminable harcelée et bombardée par l’aviation allemande.
En gare de Paulhan, ce sont des Belges qui débarquent sur les quais, fatigués, désemparés. Un millier de personnes qu’il faut accueillir, nourrir, loger et surtout réconforter, tant leur détresse est grande comme leur désarroi de se retrouver aussi soudainement transplantés dans notre village à plus de mille kilomètres de chez eux.
La solidarité se manifeste aussitôt. Chacun propose ce qu’il a : une chambre, un logement qui sert habituellement aux vendangeurs, des articles de ménage, des lits, du linge, des vêtements. Les maisons vides sont réquisitionnées.
La Municipalité, en toute hâte, avait constitué un « Comité aux Réfugiés ». M. Félix Négrou s’en souvient parfaitement. Il nous a raconté qu’il en faisait partie avec Joseph Vidal et d’autres. La mairie avait réquisitionné le camion de Raoul Audemar et son chauffeur Jean Genieys dit « Tennerre » pour aller à la Préfecture à Montpellier, chercher des lits, des cuisinières,… Il fallait de toute urgence installer ces pauvres gens et leur permettre de vivre décemment. Personne ne pouvait dire combien de temps cela allait durer. Un de ces réfugiés belge, M. Georges Charlent a été marqué par ces événements. Il nous a autorisés à reproduire quelques pages tirées de son livre « Les sourires d’un Bruxellois » :
« C’est en tant que réfugié fuyant son pays que je partis pour la première fois pour la France. J’avais seize ans.
Nous arrivâmes à Paulhan dans le midi trois jours plus tard, vers les cinq heures. On nous rangea sur le quai. Des villageois qui avaient formé un Comité d’accueil vinrent nous chercher pour nous héberger. Mon père fut prié de suivre un marchand de vin, M. Vézian, qui nous logea avec Mme Harvengt et ses deux filles pendant quatre mois dans une maison à moitié vide annexe de la sienne et proche de la gare. Nous dînâmes à une grande table dressée dans la cour de la demeure, finalement heureux d’avoir échappé aux Allemands et d’être reçus dans un milieu accueillant sous les platanes. Ainsi s’acheva la première étape de mon premier grand voyage international.
Le lendemain, tandis que ma mère prenait conscience de notre situation de réfugiés dans son appartement à moitié vide, réservé d’ordinaire aux vendangeurs saisonniers et que mon père faisait connaissance avec M. Vézian, bonhomme barbichu tiré à quatre épingles, je descendis l’escalier vers la cour où nous avions dîné la veille. Une table garnie nous attendait dressée dans la cour pour le petit déjeuner, après quoi, la famille s’organiserait et pourvoirait désormais à ses besoins. Au cours du repas, une main malhabile renversa du café brûlant sur le bras de mon frère. Raoul Sabatier fût dépêché avec nous à toute allure par Mme Vézian chez la rebouteuse du village.
Quelques jours après notre arrivée, Raoul nous emmena à travers la vigne jusqu’à un moulin actionné par l’eau de la rivière. Le meunier nous salua avec un étonnant respect, il souriait de toutes ses dents qu’il avait longues et jaunes comme la paille de son chapeau. Voici un verre pour vous donner la joie des cigales dit-il, et nous bûmes une rasade de vin rouge et âcre qui nous brûla la poitrine. Il s’intéressa à notre pays d’origine.
Quelques temps plus tard, revenant de quelque promenade, maman nous accueillit avec émotion, je vis qu’elle avait pleuré et sus que c’était à cause de son exil loin de chez elle et parce que les Allemands avaient ce jour-là occupé toute la Belgique.
Nos armées avaient capitulé, ce qui avait provoqué chez quelques villageois français une colère dont ils s’excusèrent peu de jours après lorsque l’armée française à son tour signa l’armistice. Le Premier ministre français Paul Reynaud avait ce soir-là stigmatisé la capitulation belge et maman n’avait pas osé sortir tandis que M. Vézian consolait mon père en lui faisant goûter son vin le plus vieux. Quelques semaines plus tard, les armées françaises furent vaincues à leur tour, personne ne parla haut ce jour-là. Le soleil était d’une triomphante indifférence et notre cœur déjà habitué à l’échec et aux capitulations se tourna une fois de plus vers la beauté de la nature, le chant des cigales et l’église éternelle qui bénéficiait à Paulhan d’une assistance à la messe dominicale plus nombreuse que jamais de mémoire d’hommes on n’avait vu. La guerre était terminée, du moins provisoirement. Les Allemands s’étaient arrêtés au milieu de la France et avaient poursuivi les débris de l’armée anglaise et de l’armée française du Nord jusque sur les plages de Dunkerque.
La préoccupation principale des Français était désormais redevenue l’entretien de leurs vignes et celle des Belges la recherche de leurs parents dispersés dans tout le midi de la France et aussi le désir de s’organiser en une communauté plus unie. Tout le monde respirait et reprenait goût à la vie civile, certains pensèrent même organiser le retour en Belgique mais ils déchantèrent vite car il apparut qu’il fallait une autorisation spéciale difficile à obtenir pour le moment, des Allemands. Il y avait, face à la gare, un grand café entouré d’un jardin planté de Platanes. Il s’appelait le Café du Commerce et la patronne, fort avenante au demeurant, aimait les Belges et même, particulièrement l’un d’entre eux, disait ma mère.
Peu après notre arrivée, mon père était consacré trésorier du Comité des Belges créé dans l’enthousiasme et la discipline. Le Comité se rendit à Montpellier pour rencontrer le gouverneur de la province de Namur, dépositaire de fonds publics.
Il résulta d’ailleurs de cette visite une distribution hebdomadaire de dix francs par jour et par réfugié. Cette somme suffisait pour subsister et notre famille réussit sans difficultés à ne plus entamer les réserves financières que Maman avait emportées. Je me souviens qu’un litre de vin coûtait quatre-vingts centimes et un pain vingt-cinq centimes, les fruits étaient bon marché et le raisin passait gratuitement de la vigne à la table familiale.
Un jour, mon père fut chargé d’une mission à Béziers où nous arrivâmes vers douze heures et prîmes livraison d’un plein chargement de vêtements pour les réfugiés de Paulhan et, oh mystère, aussi de quelques sacs de pommes de terre alors même que notre réputation de mangeurs de « frites » ne nous avait pas encore précédée en France.
Le Comité dura jusqu’en septembre et devint l’interlocuteur privilégié de la mairie, de la gendarmerie, du curé et du comité d’accueil qui fut remercié publiquement au cours d’une cérémonie bon enfant sur la place de la gare peu avant notre départ.
Un des membres assidu du comité était un voisin que je considérais avec terreur la première fois que je le vis. Il s’agissait de Gustave : il était une « gueule cassée » brûlé au lance-flammes pendant la guerre 14-18.
En haut d’une rue étroite, il y avait sur la gauche, l’école municipale et l’église côte à côte. Comme nous remontions l’une des allées vers l’église, une fenêtre de cuisine-cave s’ouvrit soudain à hauteur de nos pieds et un diable d’homme mal rasé parut. Il avait sur la tête la barrette du prêtre d’autrefois et sur les épaules la cape de Chanoine bordée d’un liseré mauve. Les yeux noirs du prêtre nous immobilisèrent, il avait l’air d’un démon plutôt que d’un homme de Dieu. Cependant, sa voix nous surprit par sa douceur toute ecclésiastique. L’abbé Martin nous distribua les rôles : « Vous les filles, vous chanterez dans la chorale, devant, près du chœur et ainsi j’aurai une église renouvelée avec des Belges fiers de voir leurs enfants à l’honneur. Ici, ajouta-t-il plus bas, la jeunesse ne vient plus assez à l’église sauf les filles de dix à dix-huit ans parce que les jeunes gens les attendent à la sortie ». C’était un homme terrible, adorant ses paroissiens qui le lui rendaient eux aussi, encore que quelques-uns étaient devenus ses ennemis.
Ah, ce vingt et un juillet ! L’abbé Martin avait soudoyé mon père. Ayant appris que ma mère avait une belle voix, il avait amené Papa à convaincre Maman de chanter un Te Deum en l’honneur de la Belgique après la messe. Gisèle Bonniol tiendrait l’harmonium et moi je servirais la messe en grand uniforme d’enfant de chœur. Qu’il était beau ce dimanche et qu’il fut mémorable ! L’abbé Martin apparut dans le chœur. S’adressant d’une voix forte aux paroissiens, il leur souhaita bonne dévotion et les pria de demeurer après la messe pour un Te Deum en l’honneur de la Belgique. Puis il entonna en latin une messe solennelle en dialogue avec la chorale de jeunes filles qui prononçait le latin avec un délicieux accent du midi plus proche sans doute de la vérité antique que le nôtre venu du Nord.
A la communion, maman chanta le « Panis Angelicus » de César Franck et, à la fin de la messe, l’Ave Maria de Gounod. Puis l’abbé Martin remonta en chaire de vérité pour commenter la fête nationale du vingt et un juillet. A ce moment précis, une paroissienne française se leva bruyamment et se dirigea d’un pas alerte vers la sortie. L’abbé Martin s’arrêta net, puis à haute et intelligible voix, il s’adressa à la foule en disant : « Laissez-la sortir celle-là, c’est toujours comme ça avec elle et puis il vaut mieux qu’elle parle dehors ! ».
La vie à Paulhan se déroulait au rythme lent des jours de vacances. On eût dit que la guerre n’avait jamais eu lieu. Rien dans la vie quotidienne n’était marqué du sceau de l’inquiétude, au contraire, jamais les Allemands ne viendraient ici et puis il y avait le maréchal Pétain. Le héros de la guerre 14-18 régnait dans le cœur de tous.
Le Comité des Belges demeurait actif bien qu’on fût au mois d’août et que le petit millier de réfugiés se fût adapté à son état avec la complaisance de la population locale. Chaque jour arrivait cependant au Comité l’un ou l’autre message permettant à l’un d’entre nous de retrouver un membre de sa famille réfugié quelque part dans le sud de la France. Quand le Comité des Belges n’avait rien à faire, il se réunissait pour deviser autour d’un vin blanc de la région qui donnait du courage à ceux qui en avaient trop peu et de l’optimisme à revendre à ceux qui en avaient assez. Quoi qu’il en soit, la pétanque devant le café du commerce ne ralentit pas et le Comité continuait à ronronner par force acquise. Et puis, tout alla très vite. Nous apprîmes que dans quelques jours un train belge viendrait nous chercher pour nous reconduire dans notre Nord étranger. Mon père était au courant de notre prochain départ et méditait, ma mère était heureuse. Ce soir-là, j’eus la nausée. Pourquoi faut-il qu’il y ait tant de beauté ailleurs que là où on est né et qu’on s’y attache si vite ? ».7
A leur retour en Belgique, de nombreux réfugiés se sont souvenus de leur famille d’accueil. Par l’intermédiaire de la Croix Rouge Belge, ils ont donné de leurs nouvelles s’inquiétant du sort de leurs hôtes, remerciant et émettant le souhait de pouvoir revenir un jour. Certains sont restés fidèles à ces souvenirs, à Paulhan, et y reviennent régulièrement comme M. Raymond Luchi et son épouse dans la famille Capely ou en « pèlerinage » comme Georges Charlent, il y a trois ans.
Durant le mois de mai, le remaniement ministériel auquel procède Paul Reynaud ne manque pas de surprendre. Le haut commandement des forces françaises change également, ce qui inquiète. Le général Weygand remplace le général Gamelin. Le maréchal Pétain, rassurant avec son auréole de vainqueur de quatorze/dix-huit, est vice-président du conseil. Un officier inconnu, mais qui fera parler de lui, est nommé, le 5 juin, sous-secrétaire d’État à la guerre, le général de Gaulle.
La bataille se durcit. Le 28 mai, l’armée belge cesse le combat. De grave, la situation devient critique puis catastrophique. Le 14 juin, Paris est occupé. L’armée française ne peut rétablir la situation. Le gouvernement démissionne le 16 juin. Le nouveau gouvernement est présidé par le maréchal Pétain. Il ne perd pas de temps et, dès le lendemain, dit sans ménagement aux Français : « Il faut cesser le combat ». Ce n’est pas l’avis du sous-secrétaire d’État à la guerre qui, de Londres, le 18, lance un appel pathétique sur les ondes de la B. B. C, appel peu entendu et n’ayant eu que peu d’écho bien qu’il ait été imprimé par plusieurs journaux du sud de la France.
Dans notre petite patrie comme dans le reste de la France, le discours de Pétain fait l’effet d’un coup de massue. Nous en sommes donc là ! La stupeur est mêlée d’un immense soulagement pour toutes ses familles qui ont un homme mobilisé. Bien peu oseraient maintenant l’avouer, mais nombreux étaient ceux, qui, à ce moment-là, pensaient que le maréchal Pétain avait permis d’éviter le pire. Même s’il n’y avait pas « 40 millions de pétainistes » (loin s’en faut), comme on a pu l’écrire, « le pétainisme indéniable des mois qui suivirent la défaite, laisse penser qu’au mal absolu, les Français préféraient le moindre mal ».8
L’avance de l’ennemi a tout désorganisé et l’on est sans nouvelles des soldats. Pour certains, la douloureuse nouvelle arrive brutalement. Tous ceux qui ont un homme aux armées redoutent la visite du maire ou des gendarmes porteurs de la mauvaise nouvelle. Ce sont les familles Jaurion et Cambon, les premières touchées.
Sur la Loire, dans le Morvan, dans les Charentes, c’est la déroute. L’armistice est demandé. Beaucoup de soldats, désorientés, découragés, démoralisés surtout, se plaisent à imaginer que la guerre est finie. Une délivrance… qui n’aura lieu que cinq ans plus tard, à quelques jours près, pour un million et demi d’entre eux, parmi lesquels, des Paulhanais comme les frères Clergue. Marcel adresse à ses parents sa première carte d’Allemagne : « Dimanche 22 décembre 1940. J’ai quitté l’Eure-et-Loir le 5 courant et me voici ici depuis le 12. Après être passés au camp, nous sommes dans des fermes depuis jeudi dernier. Dès que vous le pourrez, envoyez-moi un cache-col, un passe-montagne et des gants, un peu de chocolat, confitures ou sucre. Affectueusement. Marcel. »
La liste des prisonniers est longue, trop longue : Desfour Roger ; Carles Louis ; Peremiquel Étienne ; Cavalier René ; Farre François ; Malaterre Amédée ; Font René ; Audemar Georges ; Quintieri Lucien ; Delmas Jean ; Lapeyre Louis ; Clergue Louis ; Sigal René ; Mialet Jean ; Fournier Robert ; Vidaller Georges ; Taillades André ; Faugé Fernand ; Verdier Raymond ; Léotard Sylvain ; Doumet René ; Satger Lucien ; Laborie Robert ; Caumel Edmond ; Barthès Henri ; Faugé André ; Ricaud Pierre ; Pascas Hubert ; Delprat Lucien ; Vidal André ; Rey Jean ; Soulanet Henri ; Agasse Georges ; Nouguier Edward ; Moulinier Pierre ; Clergue Marcel ; Caumel Georges ; Jean Victor ; Satger Gaston ; Boyer Eugène ; Tournier Louis.
La nouvelle de l’armistice, signé le 22 juin, crée un choc. Puis c’est la résignation. On ne s’attarde pas, il y a tant à faire. La France est divisée en deux grandes zones : occupée et libre, celle-ci représentant les deux tiers du territoire national. Bientôt, les départements d’Alsace et de la Moselle seront réunis de fait au Reich.
Replié d’abord à Bordeaux, le gouvernement s’installe à Vichy au bout de quelques jours. C’est dans cette ville que se réunissent, début juillet, les députés et sénateurs. L’idée est dans l’air de modifier la Constitution vieille de soixante-cinq ans, pour donner les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. Une idée qui rallie beaucoup de suffrages, même si elle ne plaît pas à tout le monde.
Vincent Badie, député radical modéré de Lodève, et Gaston Marient font signer par 26 parlementaires une motion hostile à ce projet, refusant même l’idée de révision constitutionnelle. Le 9 juillet, la motion est présentée. Elle doit être discutée le lendemain au casino de Vichy où sont réunis Assemblée et Sénat. Ce jour-là, 10 juillet, ce sont dix orateurs qui doivent prendre la parole. Vincent Badie est le neuvième mais il ne peut se faire entendre. Au milieu d’un énorme vacarme, de nombreux députés réclament la clôture des débats. Celle-ci est adoptée à main levée. Vincent Badie s’approche de la tribune pour tenter de parler. Il est repoussé sans ménagement par les huissiers et par un député.
Quatre-vingt « non » sortiront des urnes sur six cent soixante-six votants (il y a dix-sept abstentions, outre les vingt-sept absents, passagers du « Massilia » et les communistes emprisonnés).
Au cours de ces deux journées, aucun des parlementaires ne remet en cause l’armistice. Peu d’entre eux ignoraient cependant l’appel du général de Gaulle.9
Les quatre-vingt sont persuadés que leur vote les conduira en prison. De fait, le casino de Vichy, où les séances ont lieu, « est cerné par plusieurs camions de gendarmes, gardes mobiles, police, on dit que les opposants pourraient être arrêtés à l’issue de la séance ».10
Dès son retour à Montpellier, dans les jours qui suivent ce vote, Vincent Badie est convoqué par le préfet de l’Hérault, qui lui interdit de quitter la ville et de se livrer à une quelconque activité politique. Il est prévenu qu’il va être surveillé.11
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Vichy le 10 juillet 1940
A Paulhan, ces événements ont peu d’écho et passent à peu près inaperçus. Les soucis sont d’un autre ordre : on attend de recevoir des nouvelles de ceux qui sont encore aux armées, car la démobilisation de certains corps est en cours. Même chez nous on démobilise : une compagnie de Construction de Sapeurs des Chemins de Fer, la 567ème, est dissoute à Paulhan en juillet 1940. On espère des nouvelles des membres de la famille qui ne vivent pas sur place. Les services publics sont quelque peu désorganisés. On attend la paix avec confiance, elle ramènera chacun chez soi.
Le mot « armistice », chez beaucoup de personnes, est synonyme de paix. Les démobilisés commencent à rentrer et reprennent le travail. Manquent les prisonniers : quand rentreront-ils ?
A partir du 15 juillet, la carte d’alimentation entre en vigueur. Elle le restera bien après la fin de la guerre. Assez légères au début, les restrictions vont vite se faire sentir, la viande et l’essence manquent en premier. Bientôt, ce seront toutes les denrées, tous les produits qui seront distribués avec parcimonie. Les personnes sont réparties par catégories de consommateurs :
Catégorie E : | Regroupant les enfants jusqu’à 3 ans. |
Catégorie J1 : | Regroupant les enfants de 3 à 6 ans. |
Catégorie J2 : | Regroupant les enfants de 7 à 12 ans. |
Catégorie J3 : | Regroupant les enfants de 13 à 21 ans. |
Catégorie A : | Regroupant les adultes de 22 à 70 ans. |
Catégorie V : | Ceux de plus de 70 ans. |
Par la suite apparaissent, parmi les « A », une catégorie « T » pour les travailleurs de force et « C » pour les cultivateurs ; « T » et « C » bénéficiant de rations « améliorées », qui sont de… 1 400 calories par jour. A titre de comparaison, les besoins sont de 1 900 à 2 000 calories pour un enfant de 8 ans, d’environ 3 000 pour un adolescent de 16-17 ans et de 3 200 à 3 800 pour un travailleur de force. Les consommateurs doivent se faire inscrire chez le commerçant de leur choix ou imposé par les circonstances, et ne peuvent recevoir que chez lui, en échange de leurs « tickets », les denrées auxquelles ils ont droit.
Les journaux mettent en garde les Françaises. Sous le titre « Ménagères, attention aux restrictions », « Tante Marcelle » donne des recettes qu’il est bien difficile d’exécuter tant les denrées de première nécessité (beurre, farine) font déjà cruellement défaut… sauf à suivre la publicité de la marque « Alsa » qui vous assurait de réussir la pâtisserie presque sans œufs et sans beurre… à condition, naturellement, d’utiliser la « levure Alsacienne Alsa »… ! Pour se consoler un peu, les Paulhanais qui ont une voiture (et de l’essence) ou un vélo peuvent aller applaudir Fernandel dans « Barnabé » au cinéma de Pézenas.
Au mois de septembre, un arrêté préfectoral précise les quantités allouées à chacun dans le cadre du ravitaillement : 300 grammes de pain par jour (à une époque où un adulte consomme allègrement ses 500 grammes), 360 grammes de viande par semaine, 250 grammes de pâtes par mois. Cette abondance (relative) ne durera pas.
Quant aux ménagères, elles doivent combiner des menus, déployer des trésors d’ingéniosité, remettre en usage les recettes des grands-mères ou faire preuve d’imagination et en inventer de nouvelles. Au moment des vendanges, dans chaque famille on confectionne le « raisiné », une confiture de raisin très sucrée qui constituera le seul dessert à mettre sur la table pendant une bonne partie de l’année.
Très concentré en sucre, le raisiné se cristallisait et était souvent utilisé pour cuire des confitures faites avec d’autres fruits. Un bocal de ce produit sucré prend souvent place dans les colis adressés aux prisonniers, malgré le risque de casse en cours de route, bien calé entre une paire de chaussettes et quelques paquets de cigarettes, souvenir de la famille et du pays, en même temps qu’apport énergétique bienvenu.
Zézé Genieys se souvient que durant toute la période des vendanges, Rosa Vézian, utilisant le moût de raisin de la distillerie, préparait du raisiné dans d’immenses chaudrons en cuivre qu’elle faisait cuire pendant des heures. Le soir, à l’aide d’une grande louche, elle versait la confiture brûlante dans des pots qui étaient ensuite distribués à la Croix Rouge ou au Comité d’entraide aux prisonniers.
Plus d’armée, mis à part une centaine de milliers d’hommes sans matériel ni armement lourd, pas d’avions, du moins en métropole, des bateaux bloqués à Toulon, faute de mazout. Pour ne pas rendre à la vie civile les jeunes gens récemment incorporés, dont certains sont originaires de la partie occupée de la France qu’ils ne peuvent rejoindre, le gouvernement de Vichy crée des Chantiers de Jeunesse le 30 juillet. Estimant également que le désarroi causé par la retraite et l’effondrement de l’armée peut avoir démoralisé ces jeunes gens, Vichy pense qu’il faut les aider à se « forger une âme neuve, éprise d’idéal » à « goûter la joie de l’effort et de la franchise » et « insuffler un esprit nouveau de camaraderie et d’union ».12
Les garçons de vingt ans, regroupés pour une durée qui variera selon les années de 6 à 9 mois, sont employés la plupart du temps à effectuer des travaux agricoles et surtout forestiers. Le temps passé dans ces camps doit les aider à devenir « des hommes sains, honnêtes, communiant dans la ferveur d’une même foi nationale ».
« Exécuté en équipe, le travail auquel tous les membres participent est effectué dans l’intérêt général, non pour un gain matériel : production de bois, de charbon, construction de routes, plantation de forêts, mise en culture de terres abandonnées ». Tels sont les travaux auxquels ils sont astreints. Le gouvernement du Maréchal pense que « les chantiers par leur éducation virile, sont une bonne école pour la France de demain ».13
Dans notre région, certains de ces jeunes sont mis à la disposition, pour de courtes périodes, des cultivateurs et des vignerons pour les vendanges. Ils mènent une vie parfois rude, vivent sous la tente, avec un ravitaillement précaire et dans des conditions d’inconfort certaines. Malgré cela, la plupart d’entre eux ne conservent pas un trop mauvais souvenir de cette période de leur vie. Ils avaient vingt ans.
Sachant qu’il peut compter, au sein de la population, sur l’appui des anciens combattants qui ont pour le Maréchal Pétain une grande vénération, le pouvoir de Vichy crée le 29 août la « Légion Française des Combattants »14, à laquelle ils peuvent adhérer d’autant mieux que, dans le même temps, leurs anciennes associations sont dissoutes. Par essence, tout dévoué au Maréchal, le mouvement va être, en fait, une courroie de transmission du gouvernement qui s’avérera terriblement efficace. Les événements qui se produiront à Paulhan en 1941 en seront une parfaite illustration.
Les adhésions sont nombreuses et la Légion s’implante jusqu’au niveau local dans tout le pays. Pour notre village, la section locale a pour président M. Py et Joseph Vidal pour vice-président.
Partout la Légion organise des manifestations ou des cérémonies à caractère patriotique.
A Paulhan, la section prend le contrôle du « Comité d’entraide aux prisonniers », un organisme dont l’action est appréciée par ceux des stalags qui y sont sensibles comme en témoigne une lettre de Marcel Clergue adressée à ses parents à la fin de l’année 1941 : « Je vous prie de remercier la Légion des Anciens Combattants pour leurs envois aux prisonniers. Dites-leur toute la reconnaissance de leurs camarades en exil et qu’au retour, nous n’oublierons pas leur geste de solidarité ». Les prisonniers ne réalisent certainement pas les prouesses que leur famille est obligée d’accomplir pour pouvoir leur envoyer régulièrement ce qu’ils réclament : tabac, chocolat, café, savon.., surtout du savon ! Chaque prisonnier n’a normalement droit qu’à une « étiquette » par mois. Mais certains en achètent à d’autres prisonniers, en échangent aussi avec des camarades du camp. Et ce sont deux ou trois « étiquettes » que reçoivent les familles qui auraient mauvaise conscience à ne pas les retourner collées sur le colis correspondant (« étiquette » rouge pour le linge, « étiquette » bleue pour l’alimentation). La ration de tabac ou de cigarettes de la famille ne suffit pas. Au marché noir, le paquet de gauloises coûte cent francs. Il faut du chocolat. La plaque de deux cents cinquante grammes coûte également cent francs. Les ressources sont maigres dans ces familles qui doivent vivre sans le salaire du prisonnier. On fait face comme on peut, par exemple avec le vin de la buvette de la coopérative, vendu hors des circuits officiels soixante-dix francs le litre. Cela aide bien. Le Docteur Py se charge, pour le Comité d’entraide aux prisonniers, d’aller chercher à Montpellier, auprès du Secours National ou de la Croix Rouge, les denrées nécessaires à la confection d’un colis par mois et par prisonnier, tâche qu’il assume bénévolement. Les produits sont distribués à chaque famille, mais les colis sont confectionnés devant un responsable du Comité.15
Août, septembre, les réfugiés belges ont regagné leur pays mais d’autres réfugiés nous arrivent. Ceux-ci viennent d’Alsace ou de Lorraine, soit qu’ils refusent d’être Allemands de fait, soit que l’occupant les expulse. En effet, depuis le 7 août, Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle sont rattachés au Reich. Ces pauvres gens arrivent sans que les autorités locales aient été prévenues et sont débarqués, au hasard, dans les gares de Clermont l’Hérault, Paulhan et autres villes ou villages. Ils n’ont pu emporter qu’un bagage à main et 20 000 francs (de 1940, environ 25 000 à 30 000 francs de notre monnaie) par famille. M. Albert Koops, avocat à Montpellier, et qui a été un des premiers stagiaires de Vincent Badie après la guerre, a vécu cet exode :
« Ma famille a été expulsée de Metz par un ordre du chef de la police de sûreté (SD) de Lorraine-Sarre-Palatinat du 6 septembre 1940. L’Allemagne annexait en fait l’Alsace et la Moselle et elle en expulsa ceux qui lui paraissaient peu sûrs et inassimilables. Après un séjour au camp de réfugiés et expulsés du Parc de la Tête d’Or à Lyon, nous avons d’office été embarqués dans un train vers le sud. De temps en temps, l’on détachait un wagon. Je me trouvais avec ma mère, mon frère et ma jeune sœur dans celui détaché à Paulhan. Mon père, alors mobilisé en Gironde, est venu nous rejoindre ultérieurement après sa démobilisation.
A notre arrivée en gare, il tombait une violente pluie d’équinoxe. La municipalité nous avait envoyé l’appariteur, M. Cabosse, à la voix de stentor, muni d’un très grand parapluie bleu. Une maison a été mise à notre disposition par la mairie, rue de… Metz. Elle était située vers le haut de la rue et faisait l’angle avec une petite rue menant à la placette, du côté gauche en montant, au-delà de la boulangerie de M. Caumel. Mon épouse, dont j’allais faire la connaissance ensuite à Montpellier, était la nièce de ce boulanger. Elle était d’ailleurs née à Paulhan. Mon père s’est occupé du jardin du curé en attendant un emploi. Nous avons été très bien reçus à Paulhan. M. Bousquet, le boulanger du Griffe, m’invita souvent à dîner avec beaucoup de gentillesse car il savait que je ne disposais que de mes tickets de ravitaillement.
Avec des camarades, nous fréquentions le Café du Midi, dont le patron avait des moustaches splendides. Je ne sais plus son nom. Nous allions à la gare, où la jeunesse se donnait rendez-vous. J’ai été en classe de philosophie au collège de Pézenas avec M. Maniabal puis suis venu à Montpellier m’inscrire à la Faculté et travailler dans une entreprise de charbon de bois16
L’annexion des départements français et le refoulement des « indésirables » n’empêche pas le Maréchal Pétain d’aller serrer la main d’Hitler au mois d’octobre à Montoire. Le 13 décembre, Pétain révoque Pierre Laval, à la satisfaction de l’immense majorité des Français, désigne pour le remplacer, Pierre-Etienne Flandin et, à la suite de la démission de celui-ci, l’amiral Darlan.
En décembre encore, les Allemands nous rendent les cendres de l’Aiglon, ce qui permet au moins à la gouaille de s’exprimer : « Ils nous piquent le charbon et nous renvoient les cendres ».
L’année 1940 se termine dans la tristesse. Tout le monde est conscient d’avoir échappé à un péril mais se demande de quoi l’avenir sera fait. On disait volontiers, à cette époque, d’une chose à laquelle on déniait toute importance, que « L’on s’en moquait comme de l’an 40 ». Il est bien vengé.
***
3e partie - 1941 - L'ANNÉE VICHY
Les vœux qu’échangent les Paulhanais le 1er janvier 1941 n’ont rien à voir avec les joyeux souhaits des années d’avant-guerre, mais l’espoir demeure d’une paix prochaine. Seule, l’Angleterre ne pourra résister longtemps à l’Allemagne.
Vincent Badie vient à Paulhan présider les séances du conseil municipal par le train car il ne conduit pas. Il dit, dans ses entretiens avec Jean Sagnes, que dès son retour à Montpellier, le préfet l’a convoqué pour lui signifier qu’il lui était interdit de se livrer à des activités politiques. Mais rien n’indique que l’on ait mis un quelconque obstacle à l’accomplissement de sa fonction de maire.
Cependant, il ne vient certainement pas très souvent car une note des Renseignements Généraux du 9 février 1941 rapporte au préfet qu’il « se désintéresse de sa commune »1. « Les affaires municipales seraient en fait dirigées par Mme Bouhery, secrétaire de mairie (dont les capacités et l’assiduité au travail sont d’ailleurs indiscutables) qui seule tranche, ordonne, négocie »1. Les Renseignements Généraux relèvent qu’en outre « Les sentiments de Vincent Badie pour le gouvernement (de Vichy) ne sont pas sûrs » ; bref, son remplacement s’impose. Un nom est avancé, celui du président de la section locale de la Légion française des combattants, le Docteur Py, dont on dit qu’il est « honnête, loyal et qu’il administrera la commune aux mieux des intérêts de la population, en toute impartialité… ».17
Dès cette date, le problème du remplacement de Vincent Badie à la tête de la municipalité de Paulhan est déjà posé. Maïs, rien dans les comptes rendus municipaux ne le laisse paraître. Le conseil municipal est convoqué en « session extraordinaire sous la présidence du maire » le 15 février, tout à fait normalement.
Cette session aurait pu n’être qu’ordinaire s’agissant de voter le changement de nom d’une rue, s’il n’avait été question de donner à une voie ou à une place de la commune, le nom du maréchal Pétain.
C’est l’occasion pour Vincent Badie de réaffirmer « que sa confiance reste totale pour la personne et l’œuvre du Maréchal Pétain auquel tous les Français doivent être reconnaissants d’avoir entrepris dans des conditions si difficiles le relèvement de la Nation », non sans avoir au préalable rappelé que dans sa motion du 10 juillet 1940, il avait nettement proclamé « qu’il ne pouvait » accorder sa confiance « à ceux qui voulaient instaurer en France un régime dictatorial à leur profit ».
Cette proposition d’attribution du nom du Chef de l’État français à une artère de notre cité est l’expression d’un vœu émis par les légionnaires, sans que l’on puisse dire qu’il y eût réellement des pressions de leur part. Mais Vincent Badie voit peut-être là l’opportunité de montrer sa loyauté au pouvoir de Vichy et de faire ainsi la preuve que les soupçons qui pèsent sur lui ne sont pas fondés. Il espère ainsi, sans doute, gagner du temps et éviter une destitution.
Le 15 février, le cours National devient donc pour quelques années, l’avenue du Maréchal Pétain, du moins en partie. Mais cette décision ne satisfait pas les légionnaires qui « estiment que leur vœu n ‘a été réalisé qu’à moitié puisque le maire a refusé de débaptiser le boulevard de la Liberté et n’a proposé de donner le nom du Maréchal Pétain au cours National que seulement à la partie de la Route Nationale 9 où habite le président de la Légion ».18
Il est bien possible qu’il y ait eu là quelque malice de la part du maire. Toujours est-il que le duel est engagé. Le conflit s’installe et les rapports des Renseignements Généraux en signalent le développement. La Légion menace d’adresser une protestation directement à Vichy pour demander le remplacement du maire si le préfet ne le fait pas.19 Le 23 mars, le commissaire des Renseignements Généraux informe le préfet de la décision, prise la veille par le conseil municipal, de démissionner à la demande du maire. Cette décision est, selon ce policier, due au refus de la Légion de toute collaboration avec le maire et au refus de celui-ci de se séparer de la plupart de ses conseillers. Mais le 10 avril, le bruit circule que le maire serait revenu sur sa décision ainsi que son conseil municipal. Vincent Badie laisserait entendre qu’il remanierait simplement son conseil en y faisant entrer quelques anciens combattants, mais la Légion serait nettement écartée. Ce qui n’est pas pour déplaire aux fonctionnaires de la ville. Qu’ils appartiennent aux Finances, aux Contributions indirectes, au corps enseignant, aux PTT, ils refusent tous d’adhérer au mouvement légionnaire et comptent sur la nomination de Vincent Badie en qualité de maire désigné.
Mais les représentants de la Légion ne l’entendent pas ainsi et le président de la section locale demande « au nom de la Légion, des ouvriers agricoles, des petits salariés, des pauvres gens qui sont victimes de cette situation incohérente que le préfet mette fin de façon urgente à cet état de chose ».20 La situation perdure. Le 31 mai le conseil est toujours en fonction.
Dans la droite ligne du très connu « Travail, Famille, Patrie », le gouvernement de Vichy prend, dès le printemps, un certain nombre de mesures, pour favoriser sa politique familiale et nataliste par l’augmentation conséquente des allocations familiales, par « l’officialisation » de la fête des mères, et par la remise aux mères de familles nombreuses du diplôme et de la médaille de la Famille française.
Pour exalter le patriotisme surtout auprès des jeunes, considérés comme le « ferment » de la nouvelle France, il instaure les cérémonies du « Salut aux Couleurs ». Des instructions en ce sens sont adressées par la Préfecture à chaque commune. La Légion française des combattants organise généralement cette cérémonie, qui a lieu en grand apparat dans la cour de l’E.P.S. pour la première fois le samedi 23 mars à quinze heures. La cour est, pour l’occasion, pavoisée de nombreux drapeaux tricolores. Un podium, sur lequel est fixé un portrait du Maréchal Pétain, est dressé devant le grand escalier. Enfants bien sûr, mais aussi parents et enseignants assistent nombreux à la cérémonie. Le conseil municipal est présent et les personnalités les plus marquantes de la vie paulhanaise prennent la parole. Les services des Renseignements Généraux relèvent cependant que les « maîtres-ouvriers bois et fer de l’école primaire supérieure (E.P.S.) n’assistent pas à la cérémonie des »Couleurs » ».21 Le journal « L’Éclair » du lendemain consacre un article à cet événement.
Même si par la suite, cette cérémonie ne revêt pas un caractère aussi solennel, elle n’en a pas moins lieu, dans toutes les communes, les lundis matins. A « l’école des sœurs » (locaux sainte-Claire), le « Salut aux Couleurs » a également lieu. La sonnerie « Aux Morts » est exécutée par M. Limongie au clairon, et M. Régis, le garde, au tambour. On observe une minute de silence et Gisèle Bonniol chante la Marseillaise.
Parallèlement, peut-être par idéologie, peut-être parce que le Sud de la France est nettement moins industrialisé que le Nord, peut-être aussi parce que le Maréchal Pétain est d’origine paysanne, très vite le gouvernement décide de prendre un certain nombre de mesures en faveur du monde rural. Il considère que « la famille paysanne est la cellule vitale du pays »6 et que la France doit se rebâtir autour d’elle. Il faut aider à cette rénovation. Ainsi les allocations familiales, qui ont attiré vers la ville de nombreux ruraux, sont maintenant versées à tous. Comme les ouvriers de l’industrie, les salariés de l’agriculture et de l’artisanat ont droit à l’allocation de salaire unique s’il ne rentre qu’un seul salaire dans la famille.
Le gouvernement prône également « le retour à la terre » des familles d’origine paysanne ayant abandonné les campagnes. La loi du 17 avril 1941 prévoit une participation financière importante de l’État pour la construction ou la remise en état des bâtiments nécessaires à l’exploitation des terres remises en culture. Il faut bien reconnaître que ce « retour » ne sera pas un succès. Partout, des prêts spéciaux à long terme sont prévus. Ils peuvent être accordés par les caisses de Crédit Agricole aux propriétaires pour la construction ou l’aménagement de leur propre habitation ou pour des bâtiments destinés à loger les ouvriers agricoles. Ceux-ci étant souvent très mal logés : « l’électricité rendrait la maison moins triste l’hiver. L’eau dans la maison faciliterait les besognes ménagères »…22
Ni les manifestations patriotiques, ni les mesures gouvernementales on faveur des populations agricoles ne peuvent faire oublier la dure réalité quotidienne dans notre région de monoculture particulièrement éprouvée. Toutes ces années vont être marquées par des difficultés grandissantes pour les viticulteurs. D’ailleurs, le préfet, dans une déclaration du 14 mars, encourage la polyculture : la vigne ne donne pas de pain… !
Après la démobilisation, si certains soldats ont le bonheur de rentrer dans leur foyer, nombreux sont les hommes qui resteront en captivité pendant de longues années. A Paulhan, en septembre 1941, seulement « deux prisonniers viticulteurs » ont été rapatriés. On estime qu’environ 50 % des prisonniers étaient agriculteurs. Pour pallier le manque de bras, la Préfecture met à la disposition des viticulteurs les jeunes des Chantiers de Jeunesse pour aider aux vendanges. Il en coûte deux francs de l’heure.
Les chevaux réquisitionnés n’ont pas tous été remplacés. Le peu de fourrage et d’avoine que l’on arrive à se procurer ne permet pas de nourrir correctement les animaux qui sont trop faibles pour travailler. On en est réduit à leur donner des sarments de vigne broyés, (certains viticulteurs seront même contraints à accepter la solution d’une location de chevaux à l’armée allemande stationnée à Paulhan du 15 novembre 1942 au 1er février 1943, pour cinquante francs par jour).D’ailleurs, le gouvernement, conscient de ces difficultés, informe les viticulteurs par voie de presse que le secrétariat d’État à la guerre a décidé d’augmenter le nombre des animaux prêtés aux viticulteurs par les corps de troupe français, « Toutefois, ce prêt ne peut être consenti que si les emprunteurs sont en mesure de fournir l’avoine et le fourrage nécessaires pour nourrir les animaux qui leurs sont confiés »… !
Mais comme les agriculteurs de notre région s’en procuraient à grand peine… pas de fourrage, pas de chevaux…23
Quant aux approvisionnements en produits de traitements pour la vigne, ils sont de plus en plus restreints. Le sulfate et le souffre manquent. Le 1er mars, toujours par voie de presse, les viticulteurs sont informés que la première répartition de sulfate de cuivre est faite. Les vignerons de Paulhan pourront donc retirer, la première quinzaine d’avril, les tickets qui leur seront remis à la mairie. On prévoit un minimum de 50 % des quantités employées les années précédentes. Le CIRPIA (Comité de gestion) est chargé de faire parvenir les tickets aux communes en fonction du nombre des viticulteurs inscrits.8 En 1942, chaque viticulteur ne recevra que vingt-six kilos de sulfate par hectare exploité !
Même si les rendements diminuent, les quantités de raisins apportées à la coopérative ne cessent d’augmenter. En effet, après les soldats prisonniers en Allemagne, se seront les jeunes requis au titre du STO qui manqueront dans les exploitations et les familles n’auront d’autre solution que d’adhérer à la coopérative qui voit le nombre de ses adhérents passer de 186 lors de la création de la cave en 1934, à 240 en 1939 et 260 en 1945. Aussi les dirigeants de la cave doivent rapidement augmenter la capacité de la cuverie. Paulhan n’est d’ailleurs pas la seule commune dans ce cas.
« L’Éclair » du 12 mars, en page locale, nous informe que « Les demandes de subvention de la part des caves coopératives (dont celle de Paulhan) pour travaux d’agrandissement viennent de recevoir un avis favorable de la part du ministère de l’Agriculture. Les caves pourront ainsi commencer les travaux.., qui contribueront à occuper de nombreux ouvriers et des chômeurs mais aussi à la reprise économique de la région et du pays ».24
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Dans l’assiette des Paulhanais, les rations diminuent. La population est informée, le 1er mars, que « pour permettre la soudure, la ration de pain est diminuée de 20 % pour la zone non occupée. La fabrication et la vente de la pâtisserie ainsi que la vente des pâtes fraîches et de la farine sont interdites ». Le prix du pain est fixé à 3,15 francs le kilo.
Contrainte supplémentaire, la population est également avisée qu’il convient que « chacun se fasse inscrire chez un fournisseur ; qu’il accepte soit par lettre alphabétique soit par numéro, l’ordre qu’on lui fixera ainsi que les heures indiquées pour les distributions.., et ses longues attentes seront diminuées. Un peu de bonne volonté de chacun améliorera le sort de tous »25 (cela n’était pas démontré !). Et ce n’est pas pour autant que les rations augmentent. Au mois d’avril, la ration de pain sera pour les J1 et V : 185 grammes par jour; pour les J2 et A : 240 grammes par jour ; pour les J3, T et C : 325 grammes par jour.
Seule une nouvelle réconforte quelque peu les familles en difficultés. Le ministère de l’Économie annonce le 16 mars qu’il a pris la décision de ne pas poursuivre le recouvrement des cotes établies au nom des prisonniers de guerre au titre des années 1939 et 1940. Cette mesure concerne la taxe foncière, la taxe d’habitation, la patente (ancienne taxe professionnelle) et même l’impôt sur le revenu. Il sera fait remise des arriérés à la demande qui en sera faite par la famille du prisonnier.26
La mesure sera naturellement appréciée par toutes ces familles dont la quasi-totalité des ressources financières était absorbée par l’achat de denrées.
Impôts, restrictions, ravitaillement étaient le lot quotidien.
Pour se changer les idées, il restait le cinéma, très apprécié de la population qui n’avait pas beaucoup de distractions. Il n’était pas rare qu’un film fasse salle comble. Le 9 mars, au cinéma « Les Variétés », on peut voir, en matinée ou en soirée, « Charme de la vie de bohème ». Tout un programme !
La commune ne possède, à ce moment, ni réseau d’incendie ni pompiers. Elle n’est nullement en retard et très nombreuses sont les localités dans ce cas. Cependant, au risque permanent d’un incendie accidentel s’ajoute le risque d’un bombardement de la gare.
Paulhan est alors un nœud ferroviaire important et une attaque aérienne est possible. Aussi, dans sa séance du 26 juillet, le conseil municipal, présidé par Vincent Badie, décide la création d’un corps de sapeurs-pompiers. Messieurs Guérin et Combet, conseillers municipaux, sont désignés pour examiner les demandes d’admission dans ce corps. L’état des finances de la commune ne permet pas, hélas, de doter immédiatement celui-ci du matériel et véhicules nécessaires à son fonctionnement, d’ailleurs « différentes factures à payer n’ont pu être réglées avec le budget primitif de 1941, les crédits votés étant insuffisants ». C’est une somme de 19 249 francs qu’il faut trouver pour les régler.
Le corps des sapeurs-pompiers devra attendre le 25 août 1948 pour être réellement constitué, doté du matériel et des véhicules nécessaires, et officiellement investi de sa mission.
***
La guerre continue et s’étend dans les Balkans. En France, « la correction » des Allemands ne les empêche pas d’exercer des représailles très dures lorsque les intérêts ou les personnels du Reich sont attaqués. En zone occupée, des otages sont fusillés. La Résistance se met lentement en place. Des tracts contre l’Allemand et contre le gouvernement de Vichy sont distribués sous le manteau tout comme les journaux clandestins. Cela prend parfois une forme inattendue comme cette « fantaisie phonétique » circulant en cette année 1941 :
LA RATION…………………… A.B.C.
LA RÉPUBLIQUE…………… D.C.D.
LA GLOIRE……………………. F.A.C.
LES PLACES FORTES…….. O.Q.P.
LES PROVINCES……………. C.D.
LES LOIS……………………….. L.U.D.
LES PRIX ………………………. L.V.
LE PEUPLE………………….. E.B.T.
LA JUSTICE …………………. H.T.
LA LIBERTÉ ……………….. ..F.M.R.
L’ESPOIR ……………………… R.S.T.
TOTAL
LA COLLABORATION …… R.A.T.27
Si cela ne chasse pas l’occupant, on sourit et les occasions de le faire sont rares. On écoute la radio de Londres qui, dans ses émissions en Français, diffuse, signés Pierre Dac, quelques messages antinazis, un brin fantaisistes eux aussi : « Le triomphe des Allemands n’est pas garanti pour longtemps » ou encore « Et chaque soir, une voix toute proche nous dit : on les aura les Boches ». Mais les informations sont écoutées attentivement.
Plus prosaïque, le grand souci des Français, donc des Paulhanais, reste le ravitaillement quotidien, que les jours et les mois qui passent rendent plus difficile. C’est devenu la principale préoccupation de chaque ménagère, de chaque père de famille. Une situation de pénurie que l’on a peine à imaginer de nos jours. Chacun s’organise comme il le peut pour se procurer les denrées de première nécessité comme en témoigne Mademoiselle Grizard : « La France abasourdie par une si rapide défaite, tente de s’organiser. Des cartes d’alimentation sont distribuées et, durant l’hiver 1941, les files d’attente commencent à se former pour recevoir une maigre portion de viande ou un œuf par personne. Les rations de ravitaillement sont réduites : 350 grammes de pain par jour, 500 grammes de sucre et 300 grammes de café par mois, 350 grammes de viande par semaine, 140 grammes de fromage par mois. L’on trouvait au marché noir 1 kilo de sucre à 40 francs, 12 œufs à 60 francs, un litre d’huile à Béziers à 100 francs. Par comparaison, en 1941, l’ouvrier agricole gagnait 44 francs et deux litres de vin par jour.
Pour éviter une longue attente, chaque boucherie (il y en avait cinq : Arribat, Grimal, Agrefeuille, Fabre, Carrère) donnait à chaque famille un numéro d’ordre. Les jours et heures de distribution étaient affichés sur un grand tableau et commençait souvent le matin à six heures. Malheur à celui qui laissait passer son tour. Il fallait attendre une défection pour prendre la place non sans avoir laissé passer les prioritaires. La boucherie Arribat préparait un bouillon à base d’os, avec l’eau dans laquelle avait cuit le boudin, elle ajoutait quelques fois un peu de riz. Avec quelques tranchettes de pain, il n’était pas mauvais. Grisée par son succès, Jeanne, la bouchère voulut faire un pâté composé de cartilages, mamelles de vache et gélatine d’os. Sous les yeux pleins de convoitise des clientes, elle démoula celui-ci qui s’affaissa comme un château de cartes. Devant cet échec et la déception de ses pratiques, notre cordon bleu abandonna sa recette et se consacra au « boudin national ». Mais les maigres portions distribuées ne suffisaient pas, loin s’en faut. Aussi, la population s’organisait. On fabriquait des clapiers pour élever quelques lapins, d’autres achetaient une chèvre pour avoir du lait.
Mais il faut sortir la biquette tous les jours et certaines personnes n’ont pas le temps, alors on la confie avec beaucoup de ses congénères à un chevrier improvisé : un fils Sanchez de Sous-Ville qui amène les chèvres vers les rivages de l’Hérault, d’où elles reviennent le soir le poil brillant et la mamelle pleine. Ceux qui en ont la possibilité nourrissent un porc, et certains matins d’hiver, le quartier est réveillé par des grognements effrayants, c’est notre cochon qui passe de vie à trépas. Ensuite, c’est la « fatigue » du cochon. Dans la journée, les enfants de l’heureux propriétaire se présentent dans les maisons voisines, l’aîné tenant à bout de bras une grande assiette pleine de « cochonnailles » recouverte d’un linge blanc, le visage rayonnant des gamins de leur âge et clament en chœur « on vous apporte le présent du cochon ». Politesse qui est rendue d’une manière ou d’une autre quelques temps plus tard. Belle coutume qui apportait à cette époque de guerre, un supplément à un maigre ordinaire, et surtout, combien plus précieux, le partage et l’amitié.
Certains se souviennent peut-être de la mésaventure arrivée à une famille qui venait de faire « la fatigue du cochon ». La famille Ascon avait été très affairée ce jour-là. Le boudin était cuit, la saucisse en plis et les jambons mis au sel dans un coffre en bois de sa fabrication, bien rangé au fond d’un hangar. La cour était ouverte. Des chiens, toujours à la recherche d’une hypothétique aubaine, guidés par leur flair eurent tôt fait de découvrir le trésor. Au matin, on découvrit le « saloir » à moitié vide. Quelques débris d’os dispersés dans la cour témoignaient du somptueux banquet au clair de lune !
Le rutabaga, cette racine autrefois exclusivement réservée au bétail fit son apparition durant l’hiver 1941 et remplissait plus qu’à son tour le panier de la ménagère. Au bout d’un an de ce régime végétarien, les Paulhanais ont franchi les limites du département vers des contrées essentiellement agricoles où l’on pouvait trouver à se ravitailler. Ce fut d’abord vers les départements limitrophes, ensuite, plus loin, jusqu’aux confins de la Haute-Loire. C’était une véritable expédition. Ces voyages à la montagne se préparaient plusieurs jours à l’avance. Il fallait rechercher un objet, pièce de lingerie, vin ou toute autre chose pour rentrer dans les bonnes grâces d’une fermière qui vous toisait d’un air méprisant, fière de sa supériorité envers les gens de la plaine, pauvres quémandeurs qui par tous les temps battaient la campagne par les chemins défoncés et boueux pour quelques kilos de lentilles qui contenaient bien un tiers de cailloux, une douzaine d’œufs ou un morceau de lard. Et puis, il fallait trouver le gîte et le couvert pour la nuit. Les hôtels étaient complets, on refusait du monde. C’est ainsi qu’une dame d’âge mûr dût partager la chambre et le lit avec un jeune homme… en tout bien tout honneur…
La gare de Paulhan ne désemplissait pas. Départs et arrivées se succédaient toute la journée. Devant la bâtisse on pouvait voir des attelages datant du siècle dernier tirés par des chevaux squelettiques. La salle des pas perdus résonnait du bruit des colis remplis à ras bord que l’on traînait vers la sortie avec des visages réjouis. D’autres, la mine renfrognée, revenaient le bagage léger et le portefeuille vide : la gendarmerie avait confisqué la totalité « de leur provisions » chèrement acquises, et le paiement d’une amende planait sur leur tête.
La population n’était pas mieux lotie en ce qui concernait les achats de vêtements. Là encore, le système « D » était le plus efficace. Au début de la guerre, les vêtements étaient en bon état, mais les années passant, ils perdaient toute source de chaleur. A partir de 1941, il y eut les bons de textile et vêtements que la mairie distribuait au compte-goutte. Le magasin de M. P., rue Barbès, était une véritable caverne d’Ali Baba où l’on trouvait de tout, depuis les aiguilles pour machines à coudre, les chaussures démodées, au plus extravagant des « galurins ». En ce temps-là, on n’était pas difficile et puis être cliente apportait certains privilèges. Au creux de l’oreille, ce brave homme vous proposait à un prix plus que raisonnable, et sans bon, un costume d’homme trois pièces en laine peignée. Il connaissait une maison à Nîmes qui le fournissait en vêtements.
On trouvait au marché noir de la laine de montagne « teinte naturelle » avec laquelle on confectionnait des chaussettes à grosses torsades, gants assortis et lorsqu’on le pouvait on ajoutait la veste. La Française, malgré ses malheurs, était toujours coquette. Juchée sur ses semelles de bois, elle avait inspiré à Maurice Chevalier la guillerette chanson « et claq, claq, claq, font les semelles en bois » !
Les saisons passent, la guerre dure toujours, les privations s’accentuent. Les stocks des commerçants s’épuisent, les bons de textiles se font rares. « Pour vous vêtir, il vous faudra filer la laine de vos matelas » : la phrase prophétique d’Hitler planait sur nos têtes.
On ouvre alors les malles rangées au fond du grenier. Le costume de cérémonie de grand-père devient tailleur de dame. Dans le pantalon, on retaille une jupe, la redingote devient veste longue aux larges épaulettes à « la zazou ». Le châle de Cachemire de grand-mère aux chaudes arabesques, se transforme en grand sac à main avec rabat que l’on porte sur l’épaule en bandoulière. Tout cet « attifement » était accompagné de chapeaux qui, au fil des ans, devenaient de plus en plus imposants, ce qui fit dire à des officiers allemands voyant une dame coiffée d’un impressionnant « bibi » : « Vous avez perdu la guerre ; si vous l’aviez gagnée, qu’elle taille aurait-il eu ! ? ». Les couvres lits, sets de table, napperons au crochet se métamorphosaient en socquettes, gants, et corsages d’été. Le raphia que l’on trouvait facilement devenait des chaussures après avoir été tressé sur des mètres et des mètres. On trouvait aussi dans les succursales « André » des souliers en papier et du carton pour semelles.
Les messieurs étaient les plus mal lotis. Pas de fantaisie pour eux. Pour l’été, les pantalons étaient faits dans de la toile de genêt, ou l’enveloppe écrue d’une paillasse. Les chemises étaient confectionnées dans de la toile à matelas rayée, ou dans un drap de lit en toile teint en bleu, qui après plusieurs expositions au soleil des vignes, prenait une teinte indéfinissable. Pour prolonger la vie d’une chemise d’homme, on commençait par retourner le col et les poignets usés, lorsqu’il n’y avait plus de remède, on coupait le bas du dos ou « panel » qui était plus long que le devant, et l’on retaillait dedans col et poignets « neufs » et le morceau manquant était remplacé par un autre dépareillé. Si le dos ou les manches laissaient prévoir des signes de fatigue, alors là, c’était un véritable patchwork. Les malheureuses chaussures étaient confortées avec des morceaux de pneus ou de fil de fer, qui donnaient à son propriétaire des allures de Charlot. On tricotait et on détricotait. La laine usée et feutrée était envoyée à « rénover » et revenait avec un soupçon de teinture aussi laide et rêche qu’auparavant. Le journal « L’Éclair » du 27 mars, annonce que « sans bon d’achat, à partir du 1er avril – et ce n’était pas un poisson – on pourra acquérir des vêtements neufs à base de laine, à condition de remettre au fournisseur, à titre gratuit, une quantité double d’effets usagés ». On pouvait se demander qui gagnait au change dans cette opération.
***
Le moral remonte d’un cran quand, le 22 juin, la nouvelle se répand de l’attaque par Hitler de l’URSS. Et chacun d’espérer une nouvelle « retraite de Russie », qui aura bien lieu, mais prenons patience. L’offensive des panzers est bien près de réussir.
La lutte, chez nous, va s’organiser. Un petit groupe de Francs-Tireurs et Partisans se constitue à Clermont l’Hérault. Il sera par la suite, avec le commandant Demarne, à l’origine de la branche clermontaise du maquis Bir-Hakeim.
Mais on ne résistera pas seulement au maquis par des actions d’envergure. Résister ce sera aussi, pendant ces longues années, écouter la radio de Londres, interdite ; cacher un réfractaire du STO, un homme traqué ; ne pas dénoncer le voisin que l’on a aperçu avec une arme ; fournir du pain, des vêtements, des chaussures aux hommes du maquis…
Vincent Badie quant à lui, rédige des articles pour le journal clandestin du « Front National », « La Voix de la Patrie ».28
A l’occasion de divers procès, il multiplie les déclarations hostiles à Vichy. Lorsque les « Marianne » et autres symboles de la République sont enlevés, comme elles l’ont été à Paulhan, profondément outré, il déclare, empruntant une phrase de Montesquieu : « Les statues de plâtre peuvent être renversées, le symbole peut disparaître, mais l’esprit est malgré tout plus fort que la matière ».29 Les Renseignements Généraux n’ignorent rien de ces déclarations. De son côté la Légion ne désarme pas. La pression se fait plus forte. Le 7 juillet, un rapport au préfet souligne qu’il y a « actuellement une vive effervescence à Paulhan, en raison de ce que V. Badie est toujours maire de cette ville, malgré sa promesse de donner sa démission ». Le préfet est bien embarrassé. Qui nommer ? Il avait reçu au mois de mars Vincent Badie qui avait suggéré certains noms, en avait écarté d’autres. Au mois d’août, le 21 précisément, c’est le Docteur Py qui est reçu par le préfet. Il propose M. Paget, ingénieur, retraité de la Compagnie des Chemins de Fer du Midi (Mme Paget est native de Paulhan) il propose également M. Joseph Vidal. Il écarte les autres noms qui lui sont soumis.
Finalement, le 25 août, par arrêté du préfet Philippe de Sardan, M. Paget est nommé maire de Paulhan en remplacement de Vincent Badie, sans que celui-ci ait encore démissionné ni que le conseil municipal ait été dissous. C’est ainsi que Vincent Badie est finalement écarté de la vie politique de notre commune.
Le 30 septembre, une première liste de conseillers municipaux est retenue mais l’arrêté restera à l’état de projet. Par courrier du 20 octobre 1941, le préfet informe le ministère de l’intérieur que Vincent Badie, avec qui il a eu une très longue explication, lui a remis, sur sa demande, sa démission de maire de Paulhan.30 Les tractations ont été longues. Ce ne sera que le 25 octobre 1941, après un ultime remaniement que la liste des conseillers municipaux sera définitivement et officiellement rendue publique par arrêté, soit, jour pour jour, deux mois après la nomination du maire.
Le nouveau conseil municipal comprend une femme, ce qui pourrait surprendre alors que le sexe dit « faible » n’a pas encore le droit de voter. C’est la loi du 16 novembre 1940 portant réorganisation des corps municipaux qui, dans son article 13, prévoit que les délégations spéciales devront comprendre une femme qualifiée pour s’occuper des œuvres d’assistance et de bienfaisance. Le choix de Mme Roguski d’Ostoja, à Paulhan s’explique probablement par les liens d’amitié qui unissaient celle-ci avec Mademoiselle Paget, la fille du nouveau président de la délégation spéciale.31
Les Renseignements Généraux soulignent également que ce conseil est composé de : « Sept propriétaires, trois ouvriers agricoles, un représentant, deux employés, un négociant, deux SNCF, une dame, trois sortants, huit légionnaires, deux familles nombreuses ». Sont désignés comme conseillers municipaux :
— Mme Roguski d’Ostoja,
— M. Arnaud Camille, propriétaire-exploitant,
— M. Azéma Marcel, représentant de commerce,
— M. Barthès Émile, Contrôleur service électrique SNCF,
— M. Bec Joseph, propriétaire-exploitant,
— M. Bertrand Félix, propriétaire-exploitant,
— M. Combes Paul, négociant,
— M. Faugé Paul, ouvrier agricole,
— M. Florentin Édouard, agent de banque,
— M. Fournier Léopold, propriétaire exploitant,
— M. Gély Maurice, propriétaire exploitant, conseiller sortant,
— M. Maniabal Pierre, employé, conseiller sortant,
— M. Négrou Félix, propriétaire exploitant, conseiller sortant,
— M. Peytavin Louis, ouvrier agricole,
— M. Verdier Raymond, ouvrier agricole, prisonnier de guerre,
— M. Vidal Joseph, propriétaire exploitant, vice-président de la section locale de la Légion française des combattants,
— M. Vieu Charles, surveillant de la voie à la SNCF.32
Deux jours plus tard, sont désignés par arrêté du 27 octobre 1941 :
— comme premier adjoint, M. Joseph Vidal, propriétaire exploitant, vice-président de la section locale de la Légion française des combattants.
— comme deuxième adjoint, M. Félix Bertrand, propriétaire exploitant.
Quelques jours plus tard, le 6 novembre à huit heures du soir (on disait ainsi à l’époque), le conseil municipal est convoqué sous la présidence du nouveau maire, M. Joseph Paget pour faire, sans tarder (il fallait en passer par là), acte d’allégeance au gouvernement : « M. le maire invite le conseil municipal à adresser au Maréchal le télégramme suivant :
Les membres du conseil municipal de Paulhan, à l’occasion de leur première réunion, adressent au Maréchal Pétain, chef de l’État, l’expression de leur sincère gratitude. Ils le prient instamment de poursuivre avec fermeté l’œuvre de redressement national à laquelle il s’est consacré et, affirment leur volonté de le suivre sans difficultés ».17
La réponse arrive sans tarder, également par télégramme :
« Le Maréchal Pétain a pris connaissance du télégramme que vous lui avez adressé au nom du conseil municipal de Paulhan. Très touché des sentiments de confiance et de dévouement que les membres de votre assemblée lui témoignent, le Chef de l’État, me charge de vous prier d’être, auprès d’eux, l’interprète de ses vifs remerciements et de tous ses vœux pour l’heureux accomplissement de leur tâche ».33
Lors de la réunion du premier conseil municipal, des commissions ont été formés, Mme Roguski d’Ostoja faisant partie de la commission « Hygiène et Salubrité » et du Bureau de bienfaisance conformément à l’article 13 de la loi.
En décembre, la guerre prend une nouvelle dimension après l’entrée dans le conflit des États-Unis attaqués par le Japon. Les hostilités prennent un caractère mondial.
L’année 1941 s’achève dans la morosité générale.
Les prisonniers ne voient toujours pas le bout du tunnel. Marcel Clergue écrit à ses parents le 30 novembre : « Voici arriver Noël et je vous demanderai à tous qui pouvez vous approcher des crèches qui sont dressées dans nos églises, d’avoir une pensée, si petite soit-elle, pour tous mes camarades et moi-même qui allons passer ce Noël en exil ».
4e partie - 1942 - LA MONDIALISATION DU CONFLIT
L’arrivée dans les combats des États-Unis mise à part, l’année qui arrive ne diffère guère de celle qui vient de s’achever. Une déception, une fois de plus, on ne les compte plus : les Japonais, et la presse du gouvernement de Vichy prend bien soin de le relater, vont de succès en succès. Les Philippines sont loin, la Tripolitaine et Smolensk aussi. Nous avons nos soucis, plus terre à terre mais diablement importants. Il y a la vie de tous les jours et le problème du ravitaillement avec la peur presque maladive de manquer. Un comportement difficilement compréhensible pour un lecteur de 1997, alors que l’abondance est partout dans les magasins, mais qui existait bel et bien. Ce problème est au centre des préoccupations non seulement des particuliers mais aussi de la municipalité. Individuellement et collectivement, on tente de le résoudre, de trouver des solutions.
Individuellement, chaque famille met en valeur son jardin, un bout de terrain. Les Paulhanais plantent, sèment, entretiennent, arrosent. Cela s’est toujours fait, bien sûr, mais dans ces années-là, cela se fait sur de plus grandes surfaces et les soins sont plus jaloux pour les pois, pois chiches, navets, raves, carottes, pommes de terre, dans la mesure où l’on arrive à obtenir des semences qui, elles aussi, sont rationnées. On parvient cependant à s’en procurer à force de ruse parfois, d’entêtement souvent et d’énergie toujours. Un de nos anciens, M. Félix Négrou, se souvient que les distributions des semences de pois chiches avaient lieu chez M. Delmas, grainetier, route de Saint-Martin. Pour qu’elles ne puissent être consommées, elles étaient arrosées de pétrole, ce qui est curieux, si l’on a encore à l’esprit, du moins pour les seniors, que le pétrole était plus rare que les pois chiches et… ne poussait pas. Une Commission de ravitaillement venait, du reste, vérifier si toute la semence avait été plantée.
Certains qui n’ont pas de jardin ou jugent qu’il est insuffisant, n’hésitent pas à arracher quelques lopins de vignes pour en faire un, ou encore pour élever un agneau, une chèvre, des poules ou des lapins. Mais, dans notre région où les étés sont très chauds, la difficulté majeure rencontrée est celle de l’arrosage. Les moyens pour puiser l’eau sont rudimentaires. Les puits ne sont pas toujours d’un rendement suffisant, mais l’entraide joue naturellement dans la famille et entre amis ou voisins, comme nous l’explique Mme Suzette Bonniol :
« Le ravitaillement devenait de plus en plus difficile et les quelques cartes d’alimentation qui nous étaient accordées ne suffisaient pas pour vivre. Dans l’enclos derrière la maison, on cultivait tout le jardinage possible sur 1 500 m², et, comme l’eau du puits ne suffisait pas, le camion-citerne de mon oncle Virgile Vézian venait arroser deux fois par semaine, ce qui était appréciable. On avait semé dans un champ de l’orge et des pois verts qui, une fois séchés et broyés, servaient à faire du café. On cultivait également des pois chiches pour la consommation familiale. Par nos amis de l’Hospitalet du Larzac, je pouvais avoir de la farine de blé et je confectionnais du pain. Très souvent, je fabriquais du savon avec un peu de graisse et de la soude caustique.
L’armée nous avait réquisitionné le cheval et mon père était allé acheter une jument au Larzac. Il l’avait ramenée chez nous à pied par la route en plusieurs étapes. Comme mon père aimait fumer la pipe, il avait planté des plants de tabac qu’on lui avait procurés et on faisait sécher les larges feuilles au grenier pour ensuite les écraser très finement.
J’allais trois fois par semaine à vélo à Fontenay près de Clermont prendre du lait que ma cousine me donnait car ils avaient une vache laitière. Ils s’étaient retirés à la campagne de Fontenay car, à Paulhan, la gare représentait un réel danger. Pour l’habillement, on ne trouvait rien. J’avais dû teindre en bleu marine des draps en toile ancienne pour confectionner à mon père des pantalons de travail pour la vigne. Je tricotais pour les enfants des pulls en laine brute des moutons du Domaine de Brugairolles que ma cousine me donnait.
Les voitures étant également réquisitionnées, nous avions sauvé la nôtre en la dissimulant dans le garage sous un gros tas de foin ».
Les activités de la ménagère de cette année 1942 sont multiples, jugez-en : se procurer le ravitaillement, et il n’est pas question de faire son marché comme nous le verrons plus loin. On ne peut acheter toutes les denrées en même temps, c’est au coup par coup et au compte-goutte que celles-ci sont délivrées. Un jour, on fait la queue pour acheter de la viande, du pain et du lait, une autre fois pour le beurre, les œufs ou le fromage si une distribution vient d’être annoncée, et encore si des choux-fleurs sont arrivés ou des salades. Il faut que notre ménagère se tienne informée, soit aux aguets car il ne faut pas perdre de temps pour ne pas manquer son tour. Il n’y en a pas toujours pour tout le monde. Cela occupe une bonne partie de la matinée. Il faut ajouter les soins du ménage, les repas à préparer, s’occuper des enfants, faire de la couture car on doit faire durer les vêtements, repriser les chaussettes et les bas, tailler une veste dans un vieux manteau. Le jardin doit être entretenu, la chèvre, les poules ou les lapins nourris et, pour ceux-ci, aller chercher de l’herbe. Ajoutons à cela, que cette femme est parfois seule, son mari étant prisonnier. Elle doit faire un travail énorme. Elle aussi, à sa façon, fait la guerre.
Son travail n’est pas encore achevé, il reste à faire la lessive, une tâche pénible. Il faut se battre avec les lourds draps de lit, les chemises, les torchons de grosse toile, les vêtements de travail. Pas de machine, un bassin de pierre dans le jardin ou un grand cuvier de zinc ou de bois et une planche, un battoir et des bras, du savon si l’on peut s’en procurer ou celui fabriqué à la maison avec du suif et de la soude, ou encore de la cendre de bois et un grand chaudron dans la cheminée pour chauffer l’eau. Certaines femmes faisaient appel pour cela à Antoinette.
« En effet, en milieu rural, la lessive à la cendre ou « bugade » était toujours d’actualité. Plusieurs personnes spécialisées en la matière avaient leur clientèle, entre autre Antoinette, qui avait le double avantage de « faire le linge très blanc » et d’apporter les nouvelles vraies.., ou fausses du village. Pour avoir recours à ses services, il fallait attendre, selon un ordre établi, une journée disponible. Elle était très sollicitée. Le grand jour enfin arrivait. Antoinette se présentait vers huit heures du matin, son tablier sous le bras, à la main un grand seau de vendange rempli de fines cendres de bois achetées au boulanger, et le travail commençait. Le feu déjà allumé flambait joyeusement dans une cheminée ou dans un fourneau de cuivre spécialement fabriqué à cet effet, une sorte de cuve au-dessus du foyer pour chauffer l’eau. A côté, le cuvier en bois, sorte de grand tonneau percé à son extrémité, surélevé, pour permettre à l’eau de s’écouler. Cette digne dame, ceinte de son tablier en coutil bleu, commençait à décrasser avec le savon de ravitaillement le linge qui trempait depuis la veille, et grommelait : « Quel est ce savon, on croirait de la pierre ponce, donnez-moi celui de votre fabrication ».
L’intérieur du cuvier, qui était tapissé d’un vieux drap que l’on appelait « fourrier », recevait au fur et à mesure le linge, le plus sale au fond (torchons, serviettes, mouchoirs), ensuite les draps et la lingerie en dernier. Le tout était recouvert d’une grosse toile nommée « bourrat » sur laquelle la cendre était répandue. Pendant que l’eau chauffait, Antoinette s’accordait une pause. Elle venait à la cuisine se restaurer. Elle affectionnait un bon plat de nouilles aux oignons et à la sauce tomate, accompagné d’un verre de vin. Une tasse de café d’orge complétait le tout et la voilà prête à affronter le coulage de la lessive. Le feu pétillait, l’eau était à point. Une casserole en main, notre dame officiait. D’un geste large, elle versait l’eau méticuleusement sur les cendres. Lorsque l’eau chaude était épuisée, on en remettait à chauffer, on poussait le feu, et on recommençait. « C’est pas encore fini, Antoinette ? ». « Non ! Mon eau n’est pas assez rousselle ». C’était là son point d’honneur, il fallait que le « lessif » ait une belle teinte dorée ; trop foncé, il jaunissait le linge. Après le repas de midi, la toile contenant les cendres (le bourrat) était retirée ; le linge recevait un dernier coup de savon et était empilé dans des corbeilles en osier. La lessive placée sur une brouette, Antoinette prenait le chemin du lavoir où elle la rinçait à grands coups de battoir dans l’eau claire. Ensuite c’était l’étendage. La bouche hérissée d’épingles à linge, Antoinette secouait chaque pièce d’un coup sec, se hissait sur la pointe des pieds pour étendre les chemises, serviettes, torchons. Les draps avaient droit à un soin particulier : du plat de la main, elle lissait la toile pour en effacer les faux plis. Le « lessif » encore chaud servait à laver les pièces les plus sales pantalons et chemises de travail ; jamais de noir, le lessif fait tourner la couleur. Le travail est terminé. Sur la table de la cuisine, billets et pièces de monnaie étaient étalés. Du geste lent et respectueux des personnes qui connaissent la valeur de l’argent gagné durement, elle rassemblait le gain de sa journée qu’elle enfouissait dans sa poche.
Le lendemain, la lessive sèche, on pliait le linge, on retirait les draps. Une personne à chaque bout les pliait et tirait, tirait pour éviter le repassage, avant de les ranger dans l’armoire. Pour les lavages hebdomadaires, on mettait un petit sac de cendres dans l’eau à chauffer pour décrasser le linge. On trouvait dans le commerce des produits de substitution tels que « Blanche Laine » qui ne mousse pas mais nettoie bien. Et puis, on ramassait aux bords des fossés la saponaire, plante à fleurs blanches disposées en ombelle qui, une fois bouillie, donnait une eau savonneuse que l’on utilisait pour les textiles délicats ».34
Il y avait aussi le savon « maison ». Chaque ménagère en connaissait la recette, le plus difficile étant de se procurer les ingrédients.
Collectivement, des mesures sont également décidées par la municipalité. Conscients des difficultés, les « élus » s’efforcent de pallier un approvisionnement irrégulier très insuffisant en légumes et produits frais, mais aussi en viande, volailles…
Dès le 7 janvier, réuni en session extraordinaire, le conseil municipal exprime au préfet ses doléances au sujet de l’approvisionnement en viande de boucherie. Malheureusement, les souhaits exprimés ne sont suivis d’aucun effet. Sans se décourager, le conseil municipal se réunit de nouveau le 25 janvier pour voter une motion et demande au préfet qu’une délégation soit reçue. Celle-ci souhaite lui faire part de l’effervescence et de l’agitation de la population face à des discriminations insupportables quant au ravitaillement, plus varié et plus abondant dans les villes de Montpellier, Béziers et Sète. La population est particulièrement révoltée par l’interdiction qui frappe la consommation de porc alors « qu’on constate chaque jour des transports frauduleux de porcs, de volailles, de légumes secs et autres denrées qui font l’objet d’un marché noir intense, tout cela au détriment du ravitaillement de la collectivité ».35
Pour éviter que ne se voient de trop grandes inégalités au sein de la population, la Préfecture avait pris, dès 1941, un arrêté interdisant toute vente de légumes et de fruits par les maraîchers. Une interdiction qui, est-il besoin de le dire, était plus ou moins respectée. En 1942, la pénurie s’amplifiant et donc les restrictions, les ordres se font plus stricts et les contrôles plus sévères. La Préfecture demande aux maires de faire respecter les instructions adressées aux jardiniers qui doivent vendre les légumes « fanes coupées aux dimensions prévues et, pour les choux, les feuilles non consommables enlevées ».
Un fonctionnaire de la répression des fraudes se postait du matin au soir au carrefour face à l’école des filles, faisant ainsi échouer toute tentative d’approche de la manne que représentait, pour une population affamée, les jardins de Saint-Martin et ceux de Messieurs Pignol et Diaz.
Les Paulhanaises sont donc contraintes d’aller faire leur marché munies d’un numéro d’appel et sous la surveillance du garde, M. Régis qui a parfois bien du mal à éviter discussions et bousculades et fort à faire pour discipliner les ménagères surexcitées par l’attente.
La nourriture des chevaux, du moins de ceux qui n’ont pas été réquisitionnés, est également un problème crucial qui préoccupe le conseil municipal. Celui-ci pense que « si une solution n’est pas prise, la situation deviendra rapidement désastreuse ». Or, ces animaux sont indispensables à l’exploitation du vignoble et leur mauvais état physique met leurs propriétaires dans une situation particulièrement difficile. Leur nourriture se réduit bien souvent à des sarments de vigne broyés et à du chiendent. Ils tiennent à peine debout. Un arrêté préfectoral d’octobre 1940 interdit d’ailleurs de détruire ou de brûler les sarments.
Comme si cela n’était pas suffisant, la municipalité éprouve des difficultés budgétaires. Elle doit combler le déficit du budget additionnel de 1941 qui s’élève à plus de 190 000 francs. Les recettes prévues au budget primitif de 1942 sont estimées à 926 009,70 francs, mais le maire, M. Paget, expose au conseil que ces ressources ne permettront pas de subvenir à diverses dépenses indispensables prévues au budget, et qu’il convient de créer les ressources nécessaires. A la majorité de quinze voix, le conseil décide qu’il y a lieu d’imposer à la commune une augmentation des contributions directes. Parmi les dépenses indispensables, celles qui peuvent permettre l’amélioration de l’approvisionnement de la population sont prioritaires. Ainsi, lors de la séance du 10 février, c’est la possibilité de créer un jardin potager communal qui est examinée. Après avoir envisagé plusieurs solutions, le conseil municipal arrête son choix sur un projet proposé par la commission chargée des problèmes de ravitaillement. Il s’agit de demander à M. Roguski d’Ostoja de céder à la commune le bail d’un champ situé aux Lores, au bord de l’Hérault, qu’il a préalablement consenti à M. Géa jardinier à Paulhan. Ce champ a été aménagé par ce dernier en jardin et possède toutes les installations nécessaires à une exploitation maraîchère. M. Géa, en raison de son état de santé et des difficultés qu’il éprouve à se procurer la main d’œuvre nécessaire, négligeait depuis quelques temps l’exploitation de ce jardin et n’obtenait qu’un rendement notoirement insuffisant. « Étant donné les difficultés d’approvisionnement, il était regrettable que le jardin soit sous-exploité », souligne la délibération du conseil municipal. Des pourparlers sont engagés officieusement avec les intéressés pour obtenir la cession du bail « à des conditions très avantageuses ». Le conseil, dans la même séance du 10 février, émet donc un avis favorable et donne mandat au maire « pour traiter cette affaire le plus rapidement possible afin que la mise en culture du jardin potager communal puisse être entreprise sans retard ». Toujours au cours de cette séance chargée, le maire expose également que, vu l’urgence, il y a lieu de demander « le concours du Génie rural à M. le ministre secrétaire d’État à l’agriculture, pour l’établissement d’un projet d’aménagement d’un terrain en jardin maraîcher communal ». Le concours du Génie rural n’a d’autres buts que l’obtention d’une subvention par le ministre. En effet, le terrain est déjà aménagé.
Cette délibération du 10 février est approuvée par le préfet et le bail est conclu avec M. Roguski d’Ostoja au prix auparavant fixé à 2 000 francs par an. Un accord intervient également entre la municipalité et M. Géa pour le paiement des installations qu’il a mises en place pour l’exploitation de son jardin et pour celui des arbres fruitiers plantés et des semences. Le tout représente une somme de 61 500 francs payable sous huitaine (un investissement important). Pour compléter, le conseil décide l’acquisition de la maison d’habitation de M. Géa, son écurie et une parcelle de terrain attenante appartenant à M. Émile Léotard, déjà aménagée en jardin et irriguée, coût : 15 000 francs, payables après accomplissement des formalités administratives (Déclaration d’utilité publique). La maison, située près du jardin, pourra servir de logement au jardinier et servir à entreposer produits et semences. Outre ces dépenses, une somme de 20 000 francs est prévue pour couvrir les premiers frais d’exploitation. Pour faire face à cet investissement très élevé 96 500 francs, soit 1/10e environ du budget primitif de la commune), le conseil municipal décide de « prélever les crédits nécessaires sur ceux prévus à l’article 9 du budget de 1941, sur lequel figure une somme de 105 780 francs destinée à payer le solde des travaux d’assainissement pour lesquels la réception définitive n’ayant pas été prononcée, le règlement ne pourra être effectué sur la gestion 1942 ». On voit que ce projet tient à cœur à la municipalité et pour cause, il faut nourrir la population.36
Conscient que beaucoup reste à faire, que les mesures prises ne sont pas suffisantes, le conseil municipal décide l’électrification de « Choupila » (Sous-Ville). Il s’agit de satisfaire une demande qui émane des habitants de ce quartier. Ils ont adressé une pétition à la mairie « …tendant à obtenir l’électrification de ce quartier ». Il est vrai, reconnaît le conseil, que « … Cette partie de la commune est habitée par trente- cinq familles ouvrières. Les moyens dont elles disposent (pétrole et bougies) sont insuffisants et, pendant les jours d’hiver, elles en sont réduites à vivre avec l’éclairage que donne le chauffage au bois de la cuisine ».37
Le conseil relève, en outre, que sont installés dans ce quartier plusieurs jardins maraîchers et qu’un nombre assez élevé de jardins familiaux y est exploité. Les terrains de Choupila sont « … bien arrosables au moyen de puits mais insuffisamment en raison des moyens primitifs utilisés … L’électrification permettrait l’emploi de motopompes et donnerait la possibilité d’un arrosage abondant ».38 Les rendements des productions familiales en seraient améliorés, ceux des maraîchers également. Là encore, on va « demander au ministre le concours gratuit du Génie rural pour l’établissement du projet d’électrification des écarts de la commune », avec à la clé l’allocation d’une subvention ultérieure, toujours appréciable…
M. le maire ne chôme pas, surtout en cette période difficile. Outre les questions d’intérêt général, nombreuses et épineuses, il doit tenter de résoudre les problèmes que rencontrent certains Paulhanais particulièrement éprouvés. Les demandes d’aide l’amènent à soumettre au conseil un projet de budget du Bureau de bienfaisance – l’équivalent de notre C.C.A.S. actuel – s’élevant à 3 181,20 francs, somme bien peu importante si on la compare à la dépense engagée pour le jardin potager communal ! Le maire expose également la nécessité de procéder à la révision de la liste des bénéficiaires de l’assistance médicale gratuite.
Les demandes dans ce domaine et celles d’assistance aux femmes en couches sont nombreuses et le budget est serré. Il convient d’examiner au cas par cas les demandes déposées par les personnes ou les familles susceptibles d’en bénéficier. Au titre de ces aides, la commune doit acquitter les factures afférentes au transport des malades indigents, aux fournitures pharmaceutiques pour la vaccination antidiphtérique des enfants indigents, aux fournitures pour la confection et la cuisson des repas d’entraide aux enfants déficients des écoles.., cela représente 475,50 francs pour un semestre (nous sommes en 1942).
Le 28 mai, c’est l’acquisition d’un mulet qui est décidée par la municipalité. L’animal sera employé aux travaux de labour du jardin. Il pourra servir aussi, le cas échéant, pour le nettoyage de la ville. Un troupeau communal est créé. La surveillance des bêtes est confiée à M. Verdier, dit « Cabosse ». L’abattage se fait dans l’abattoir Arribat, rue Notre- Dame. Il arrive aussi que l’on sacrifie des chevaux trop faibles pour travailler. Cela fournit un petit supplément. La distribution de viande est organisée. Elle a lieu une ou deux fois par semaine dans la remise de M. Hubert Salles, boulevard de la Liberté. On a installé là un étal rudimentaire de tréteaux et de planches de bois recouvertes de linges blancs sur lequel on installe la viande. M. Jean Arnaud, trésorier du Comité de ravitaillement tenait un fichier de cartes, une par famille, et, sur présentation du ticket d’alimentation, on pouvait bénéficier de quelques morceaux. Les femmes enceintes étaient prioritaires.
On mange aussi du poisson de rivière. M. Félix Négrou a pu s’en procurer à plusieurs reprises. Les années suivantes, pêchant à la grenade dans l’Hérault, les Allemands ne prélevaient que les plus gros poissons ainsi tués qui se trouvaient en surface et laissaient les autres… Ceux qui savaient nager pouvaient « récolter » le poisson ainsi laissé pour compte.39
Certains se souviennent que dans le même temps, les Allemands ciraient leurs bottes avec du beurre frais tous les matins !
***
Un domaine très prisé par le gouvernement de Vichy – et pouvant apporter des subventions aux communes – est le sport et l’éducation de la jeunesse. Le pouvoir encourage très vivement les projets à caractère sportif et visant à favoriser l’épanouissement physique, ayant un rôle éducatif où la discipline, le goût de l’effort, la volonté sont enseignés comme des vertus premières.
Aussi, malgré les difficultés pour la commune à se maintenir dans le cadre de ses prévisions budgétaires, le conseil municipal décide-t-il de se doter d’un terrain de sport destiné aux écoliers et approuve « le projet d’aménagement d’un terrain scolaire provisoire d’éducation physique et sportive, destiné aux enfants des écoles ». Cet aménagement est évalué à 150 000 francs. Le conseil s’engage, si la subvention de l’État lui est accordée, « à mettre à la disposition des établissements d’enseignement et associations sportives du voisinage, les installations sportives en cause, dans la mesure où cette utilisation sera compatible avec les besoins des enfants des écoles » et ce, sous le contrôle du Commissariat général à l’éducation et aux sports. Un architecte de Pézenas, M. Charrier, est retenu pour l’élaboration du projet, la direction des travaux et leur surveillance.
Chacun, préoccupé par ses propres problèmes ne s’intéresse que de loin à l’activité de ses élus. Par contre, certains événements impressionnent vivement la population, tel le passage de l’Armée d’armistice. Mme Grizard en a fait le récit dans une lettre à sa fille, Jeannette, pensionnaire : « Le jeudi 18 juin, notre paisible cité est le centre d’une effervescence toute particulière. Un millier d’hommes de l’Armée d’armistice se rendant au Larzac a fait une halte et a passé la nuit à Paulhan. Les gradés étaient logés chez l’habitant ainsi que l’exigeait le règlement pour toute troupe en déplacement.
Cette armée se composait de militaires appartenant à différentes régions, en particulier des Lorrains, dont l’un confia qu’il y avait trois ans qu’il n’avait pu correspondre avec sa famille. Il savait simplement par l’intermédiaire de la Croix Rouge qu’elle était en bonne santé et vice-versa. Ils sont partis le lendemain à cinq heures du matin ». Un millier d’hommes, cela ne passait effectivement pas inaperçu !
Mais la vie publique ne connaît pas de parenthèses. A la lecture des délibérations, on peut croire que le conseil municipal remplit pleinement son rôle et fonctionne normalement : la plupart des conseillers assistent aux séances et majoritairement adoptent les projets soumis à leur vote.
Pourtant, rien ne va plus au sein de l’équipe municipale. Le préfet a reçu la démission de trois conseillers, Messieurs Maniabal, Négrou et Bertrand et par courrier du 7 avril 1942, demande qu’on veuille bien lui « faire connaître d’urgence les motifs exacts de ces démissions et » que le maire lui donne son « avis sur l’opportunité de les accepter ».40
A la même époque, Pierre Laval qui avait été révoqué par le Maréchal Pétain le 13 décembre 1940 et remplacé par l’amiral Darlan, revient au gouvernement, nommé le 18 avril 1942 avec le titre nouveau de Chef du gouvernement. C’est lui qui négociera le départ de la main-d’œuvre française vers les usines du Reich : « La relève ».
A Paulhan, le maire, en réponse à la demande du préfet, rédige à son attention un « rapport » sur les motivations des conseillers démissionnaires41 :
— L’un reproche au maire d’avoir envoyé dans l’Aveyron deux conseillers pour se procurer des légumes. Ces conseillers en auraient profité pour acheter pour leur compte personnel deux cents kilos de pommes de terre. Le maire ayant refusé de donner publiquement les mêmes explications que devant le conseil municipal, de peur de se déconsidérer auprès de la population, c’est le conseiller qui a donné sa démission.
— L’autre, était découragé de constater que la commune était défavorisée du point de vue du ravitaillement en fourrage. Assailli de critiques et de reproches de la part des propriétaires des chevaux à l’encontre de la municipalité, il a préféré se retirer.
— Quant au troisième, il semble que plusieurs motifs l’aient amené à démissionner. Il était tout d’abord opposé à la création du potager communal prétextant un coût trop élevé et le peu de profit qu’en retirerait la population. Il a ensuite prétexté une sombre fraude et de louches combinaisons sur les bons de chaussures envoyées par la Préfecture.
Il avait eu également une très vive explication avec le maire au sujet d’un certificat que celui-ci lui avait refusé pour l’achat d’un porc en Aveyron.
Le maire ajoute qu’il n’acceptera à aucun prix de continuer à collaborer avec ces conseillers. Il demande en conséquence au préfet d’accepter ces démissions.
Quelques semaines plus tard, la crise s’est amplifiée. Le 26 mai, c’est M. Faugé qui adresse officiellement sa démission au maire lui demandant de la transmettre au préfet. Lors de la séance du 28 mai, ce sont cinq conseillers qui sont mentionnés comme démissionnaires sur le compte-rendu du conseil municipal. En effet, le 9 juin, le maire reçoit officiellement celle de M. Gély. Les griefs des conseillers portaient essentiellement sur des problèmes liés au ravitaillement. On reprochait au maire « une distribution de maïs avec un certain favoritisme, la distribution d’un supplément d’œufs aux enfants inscrits à la Ligue des familles nombreuses plutôt qu’à tous les enfants du village ». On lui reprochait encore de ne pas obtenir de meilleurs résultats concernant le ravitaillement de la population et des chevaux. « On aurait trouvé bon qu’il emploie ou favorise des moyens irréguliers pour obtenir un ravitaillement plus abondant comme le faisaient la plupart des maires », relève le commissaire des Renseignements Généraux.42
Par courrier du 13 Juin, M. Paget transmet ces démissions au préfet à qui il fait part de sa propre version de la situation. Il s’engage, en outre, à lui « adresser prochainement des propositions pour combler ces vides et profiter de cette circonstance pour obtenir, dans ce conseil, l’esprit d’entente et d’union désirable », bien que cela s’avère « difficile en raison de l’état d’esprit qui règne dans la commune et de manœuvres de désagrégation dont la municipalité est l’objet depuis qu’elle est constituée ».9 Cet « état d’esprit » ne va pas tarder à se manifester encore sous la forme d’une lettre anonyme adressée au préfet le 17 juin, signée d’« Un groupe de contribuables de Paulhan » !, menaçant : « Si le maire s’en fout, nous saurons le foutre par terre par les grands moyens. Si l’on tarde à s’occuper de cette affaire, il est à craindre que des événements très graves surgissent ».
Devant cette situation particulièrement délétère, le préfet va solliciter des Renseignements Généraux une enquête sur la situation à Paulhan.
Encore une. Les rapports ne manquent pas. C’est presque au jour le jour que les informations sont récoltées et adressées au préfet et même parfois directement à Vichy lorsque le ministère de l’Intérieur sollicite des éclaircissements sur la situation.
Dans leur rapport, particulièrement sévère, en date du 12 août 1942, les Renseignements Généraux, relèvent qu’en ce qui concerne la population, « L’état d’esprit général est peu satisfaisant à Paulhan où on n’a pas compris le sens de la défaite parce qu’on n’a pas souffert directement. Les rivalités de personnes ont le champ libre. Les principes de la Révolution Nationale43 ont été oubliés ».44 « C’est ainsi que depuis plusieurs mois, il n’existe plus de bureau de la Légion française : la section locale est inexistante et son chef, le Docteur Py, ne s’occupe seulement que de l’envoi des colis aux prisonniers. La création de la Corporation paysanne ne semble pas davantage intéresser une population cependant agricole : aucun syndic n’a encore été désigné, personne ne voulant accepter de responsabilités. Il faudra qu’une femme, Mademoiselle Bertrand, propriétaire, se dévoue ».12
Concernant plus particulièrement les difficultés que rencontre M. Paget et les dissensions nées au sein du conseil nommé en 1941, elles s’expliquent entre autres raisons par le fait que parmi les cinq conseillers démissionnaires, trois sont des membres issus du dernier conseil élu en 1938.
L’on se souvient que déjà en 1941, lors de la « destitution » de Vincent Badie, les clivages et les oppositions avaient rendu très compliquée la constitution de la délégation spéciale. Son apparente cohésion a eu tôt fait de se fissurer pour aboutir à ces démissions.
Le 18 août, le préfet reçoit M. Paget et griffonne quelques notes : « Le curé mène une campagne active contre la municipalité d’accord avec les anciens partis de gauche. Le maire estime que la situation ne peut être réglée que par son départ ou celui du curé » !45 Le 19 août, nouveau rapport. Sur le plan politique, il est fait mention de la « présence de quelques communistes connus et surveillés, mais pas d’éléments subversifs ».
Effectivement, certains communistes étaient étroitement surveillés. Lucien Véziac se souvient : « peu de temps avant mon départ pour les Chantiers de Jeunesse, au mois de mars 1941, ma famille reçut une sinistre visite. Mon père, prévenu, était parti se cacher dans les vignes. Seule, ma mère était à la maison. Alors qu’elle sortait pour aller chercher de l’eau à la fontaine, rue de Metz, où nous habitions, trois hommes en civil, Français, l’ont accostée et ont demandé à pouvoir pénétrer chez nous. Sans explications, ils ont fouillé la maison, vidé les tiroirs… Ils sont repartis sans avoir trouvé quoique ce soit. Je pense qu’il s’agissait de la police française cherchant des tracts, des documents qui auraient pu compromettre mon frère Edmond qui était, à cette époque, secrétaire de la Fédération des cheminots de Béziers-Lodève ».46
Dans ce rapport, M. Paget est décrit comme un homme rigide « ennemi des équivoques et des tractations élastiques » se refusant à « certaines combinaisons irrégulières ». C’est précisément ce que certains Paulhanais lui reprochent ! Pour ce qui est de la gestion de la commune, l’enquête effectuée à la suite de la lettre anonyme « n’a rien révélé qui puisse être considéré comme délictueux, irrégulier ou même arbitraire » tant en ce qui concerne la distribution du maïs que celle des œufs, ni même en ce qui concerne la distribution de trois kilos supplémentaires de pommes de terre par personne.47
Une solution transitoire a été suggérée pour apaiser les esprits la nomination de trois administrateurs étrangers à la commune qui géreraient impartialement les affaires municipales. Mais le préfet ne semble pas favorable à cette solution et préfère laisser au maire le soin de rétablir la cohésion du conseil et gérer provisoirement avec un nombre réduit de conseillers qui lui sont restés fidèles. Ils vont, pour quelques longs mois encore, poursuivre leur mandat.
Dans cette ambiance tendue, le maire poursuit comme il peut la conduite des affaires communales, ce qui implique nécessairement une gestion très rigoureuse des finances locales car les recettes ont notablement diminué en raison d’une activité économique très ralentie et certains services, comme celui de l’eau potable, grèvent le budget présentant un déficit qui augmente d’année en année. Il faut trouver des palliatifs et l’un d’entre eux, auquel l’on a recours dans les cas semblables depuis la nuit des temps, consiste à augmenter les recettes. Le maire propose donc au conseil municipal de revoir les taxes communales d’autant qu’elles « n’ont pas été révisées depuis plusieurs années et ne sont plus en rapport avec le prix de toutes choses », même si cela est vrai, ce n’est cependant jamais bien accepté. Le conseil est donc d’avis d’appliquer les tarifs suivants :
— Taxe d’abattage : 0,10F par kilo.
— Taxe de visite de poinçonnage aux viandes foraines : 0,10 F par kilo.
— Taxe de plaçage aux halles et marché : 1 F par m² et par jour.
— Taxe sur les étalages : 9 F par m² et par mois.
Service des eaux :
— Jusqu’à 60m3 :……….. 60 F
— De 60 à 100 m3 :…….. 2 F le m3
— De 100 à 200 m3 :…… 3 F le m3
— Au-delà :…………………. 4 F le m3
— Pour les bains-douches, les tarifs sont maintenus.
— Concession au cimetière : 500 F le m² de terrain.48
Après le chapitre des recettes, M. Paget aborde celui des dépenses à envisager. Il fait observer que le mulet acquis récemment ne suffit pas et fait part au conseil municipal de l’utilité d’acheter un cheval en raison des problèmes rencontrés par le jardinier communal tant pour le labour, l’arrosage, le transport des légumes sur le marché local, que pour les divers charrois à effectuer. Il propose que l’acquisition se fasse de gré à gré, ainsi que celle d’un harnachement, une jardinière, deux charrues et un brancard, le tout pour le prix de 21 000 francs, et demande donc aux conseillers leur accord pour inscrire cette dépense au budget additionnel de 1942.16 Pour soulager le personnel communal très sollicité par l’entretien du jardin potager, le maire nomme M. Paul Dumas (ancien gardien de la Paix à Paris, à la retraite) au poste de commissaire-garde-champêtre et, également, à compter du 15 mars 1942, M. Eugène Servy au poste de garde champêtre.49
A deux ou trois mille kilomètres de là, dans le désert libyen, des Français viennent d’inscrire dans notre histoire le nom d’un point d’eau Bir-Hakeim, un nom qui sera connu dans notre région pour d’autres motifs non moins glorieux.
Au mois d’août, une nouvelle se répand : le retour des prisonniers de guerre est possible par l’échange avec des travailleurs qui accepteraient de partir en Allemagne. Cette opération porte un nom : « La relève ». Elle fait aussitôt l’objet d’une propagande intense de la part du gouvernement de Vichy. A l’automne, certains, abusés par celle-ci, acceptent de partir. Leur famille reçoit une avance sur leur salaire. A Paulhan, pas un seul travailleur ne partira spontanément en Allemagne, malgré le désir de tous de voir rentrer les prisonniers. Ceux-ci sont rapidement informés de cette possibilité de relève qui fait naître chez eux un immense espoir. M. Marcel Clergue y fait allusion dans la correspondance adressée à ses parents le 16 août 1942, alors que l’accord franco-allemand est encore tout récent.50 Il écrit : « On nous promet la relève. Vous me direz dans trois mois et compterez ceux qui sont rentrés ». Le 30 août, il écrit encore : « Pour la question de la relève, nous avons eu un peu plus de détails. Il s’agit de faire rentrer 50 000 prisonniers à condition que 150 000 civils viennent travailler en Allemagne. Vous voyez que nous avons notre prix puisqu’il faut trois civils pour un malheureux »gefangenen » ».51 Il est à remarquer que nos prisonniers sont bien renseignés. L’accord du 22 juin entre Laval et Sauckel, directeur de la main d’œuvre en Allemagne, prévoit bien que pour trois départs en Allemagne de spécialistes volontaires, un prisonnier doit être libéré. Les Allemands comptent ainsi recruter 150 000 spécialistes. Adroitement, la propagande vise aussi nos prisonniers. Les collaborateurs pensent sans doute que les prisonniers vont se faire les apôtres de cette « Relève » auprès des leurs.
Dans son mémoire de maîtrise, M. Jean-Luc Bouniol52 donne en moyenne six départs pour le retour d’un prisonnier.
Notre concitoyen, M. Clergue, continue à demander des nouvelles de cette mesure. Ainsi, dans sa lettre du 18 octobre : « Et la relève, où en sommes-nous ? ». Elle ne fonctionne pas très bien malgré les efforts du gouvernement de Vichy. Les engagements sont rares. La population est mise en garde par une résistance qui s’organise peu à peu, prend des contacts, distribue des tracts pour contrer la politique officielle et informer de la situation réelle. Bien que prisonnier, Marcel Clergue est tout à fait conscient des effets de la propagande nazie sur les Français et a déjà mis ses parents en garde dans une lettre datée du 26 juillet 1942 : « Quant à la lettre de maman, je regrette sincèrement mais je ne puis partager son point de vue. Je souhaite me tromper et que les événements prochains me démentent, mais je crois que je puis dire qu’il y a assez longtemps que je vis avec eux pour savoir à quoi m’en tenir tandis que vous, vous êtes sous l’influence d’une intense propagande ».53 On se demande comment cette lettre a pu échapper à la censure. Le meilleur système a des failles.
Dans un conflit qui semble se dérouler à des centaines, voire à des milliers de kilomètres de Paulhan, la nouvelle du débarquement des Anglais et des Américains en Algérie et au Maroc le 8 novembre 1942 rappelle que la guerre est toujours là, mais c’est un espoir qui naît pour tous.
Pour la vie quotidienne, qui échappe aux communiqués officiels, le « Petit méridional » du 10 novembre nous apprend qu’une voiture de troisième classe sera ajoutée sur la ligne de chemin de fer Montpellier-Paulhan. L’horaire est pour nous surprenant: départ de Montpellier à 8 heures 20, arrivée à Paulhan à 11 heures 55 ; dans l’autre sens : départ de Paulhan à 14 heures 40 et arrivée à Montpellier à 18 heures 20. Avec un vélo et de bons pneus – marchandise très rare à l’époque – le trajet demandait un peu moins de temps.
Les administrateurs de « La Clairette » quant à eux, se rencontrent fréquemment et se mobilisent pour tenter d’obtenir une plus grande souplesse dans l’application de la réglementation à l’égard des viticulteurs. Réuni à la cave le 9 mars 1942, le conseil d’administration émet le vœu que les vignerons qui livrent la totalité de leur récolte au Ravitaillement général, puissent, comme les producteurs de pommes de terre, disposer de 5 % de leur vin qui peut à l’occasion servir de monnaie d’échange pour des achats à la « montagne » par exemple.54 Il n’y a pas de raison pour que cette mesure ne s’applique pas à la production viticole. Plus prosaïquement, le conseil d’administration de la cave coopérative, lors de sa réunion du 14 juin, « décide de faire construire une baraque afin que le directeur-gérant puisse élever un cochon et de la volaille » ! De même, les administrateurs réunis pour examiner la question d’une collecte de vin au profit du Secours National, décident de « laisser les coopérateurs agir à leur guise » et de ne rien imposer. Il allait de soi que, même par solidarité avec les plus démunis qui bénéficiaient de l’aide du Secours National, on ne pouvait imposer à tous les coopérateurs de faire un don à cet organisme.
L’assemblée générale des coopérateurs est convoquée pour le 10 novembre. Cent trente-quatre membres sur deux cents cinquante-sept sont présents. Le président, M. Verdier, justifie le retard de la tenue de cette assemblée. Le vin vendu au Ravitaillement général n’est pas retiré et encore moins payé. Le bilan ne pouvait donc pas être terminé d’autant que le comptable, n’ayant pas de permis de circuler, ne peut se déplacer comme il le souhaite pour mettre à jour sa comptabilité… !55
Il ressortira ultérieurement du bilan de la récolte 1942 que les ventes ont rapporté (en francs 1942) :
— En Clairette : 600 575 francs,
— En rouge : 365 040 francs,
— En Bourret : 305 763 francs.
***
En réponse au débarquement des Alliés en Afrique du Nord, les Allemands envahissent la zone libre le 11 novembre. Le général De Lattre de Tassigny, qui commande à Montpellier, tente en vain de résister. Il est seul et manque de moyens. Il doit renoncer. Arrêté par les Allemands et emprisonné, il s’évadera par la suite et reviendra en vainqueur à la tête de la 1ère Armée française.
Nous sommes loin de ce jour. Il faut vivre, pour ne pas dire survivre. Maintenant l’occupant est là, présent partout. La presse diffuse, en ces jours sombres, une bonne nouvelle : la ration de tabac ne sera pas diminuée. Rappelons que cette ration était de six paquets de cigarettes par mois ou trois paquets de tabac.
Le 15 novembre, un détachement allemand arrive à Paulhan et s’y installe. Dans les notes que M. Bonnery, d’Aspiran, nous a laissées, cet événement est relaté avec précision :
« Les Allemands sont arrivés à Paulhan en un détachement de cent cinquante hommes environ, le dimanche 15 novembre dans la soirée, au moment où les gens sortaient du cinéma.
Le vendredi 20 novembre au matin, je comptais vingt-quatre voitures à chevaux, sortes de voitures à bagages et fourragères, rangées sur l’esplanade qui est devant la gare, devant le monument aux morts. Elles étaient alignées deux par deux. Le lundi 23, elles n’y étaient plus, remisées ailleurs sans doute. Il paraît que les chevaux sont beaux et gras. Vraisemblablement, le détachement qui est à Paulhan fait partie des services de l’arrière, du ravitaillement sans doute. A la gare de marchandises, les Allemands disposent de wagons où ils reçoivent fourrage, avoine, etc., qu’ils vont sans doute distribuer à d’autres unités.
Les hommes ont, paraît-il, essayé de se familiariser avec les jeunes filles de l’endroit, sans succès jusqu’à présent. On dit qu’ils sont amateurs de vin, surtout de vin blanc. Les quelques-uns que j’ai vu aller ou venir dans les rues, vaquant à leurs corvées et occupations, le faisaient avec la discrétion qui semble être la règle de toutes les troupes allemandes d’occupation dans la région.
Beaucoup de propriétaires de Paulhan, comme d’ailleurs de toute la région, étant obligés de ne plus avoir de chevaux faute de nourriture à leur donner, le détachement allemand consentit à louer une partie de ses chevaux aux agriculteurs paulhanais. La location se faisait à la journée, pour huit heures, avec retour à midi où le cheval était nourri par les Allemands. La location se faisait moyennant cinquante francs par jour, ce qui était très modéré. La population n’a pas eu à se plaindre des soldats allemands. Ils étaient très polis. ils faisaient la popote dans deux remises situées dans la rue qui, en face de la gare, se dirige vers la gendarmerie, et ils prenaient leur repas dans la salle du café « Y a mieux » qui est dans la même rue (le café s’appelait en réalité « Tout va bien »). Mais ils fêtaient un peu trop la dive bouteille, surtout remplie de vin blanc. Le soir, ils étaient souvent ivres et l’un d’eux, une fois, au café, se mit à chanter en allemand l’internationale. Cela fit scandale. Un officier, cantonné à Pézenas, dont ils dépendaient (quelque commandant sans doute) les punit et leur imposa un exercice qu’ils firent au champ de football de Paulhan. Ils sont partis pour le front de Russie le lundi 1er février 1943 au soir ».56
M. Jean Grizard57 commence, ce jour-là, la tenue d’un journal et note : « Paulhan occupé par les troupes à cinq heures de l’après-midi ». Le lendemain, il écrit : « Les Allemands s’installent à Paulhan. Les officiers logent chez Ricaud, Py, Lacombe, Clergue, etc. Les soldats sont des Autrichiens qui en ont marre et ne sont pas hitlériens ». De même, le 22 novembre : « Hier dimanche, des jeunes gens de Paulhan se sont saoulés avec des Allemands chez Descouts ».
Gapy Capely se souvient avec précision d’un événement qu’il nous a raconté et qui pourrait bien être celui rapporté par M. Grizard dans son journal : « Ce soir-là, un dimanche de novembre vers vingt-deux heures, je me trouvais près du café Descouts, lorsque des éclats de voix parvinrent jusqu’à moi. Je m’approchai et regardai par une des fenêtres. Le café était presque vide à part le patron, Théo, un officier allemand et un employé de la gare nommé S., connu pour son intempérance et qui injuriait l’officier, le traitant de tous les noms… Le ton montait, S. sortit son couteau et, le mit sous le nez de son adversaire. Celui-ci le désarma sans difficulté, menaçant de faire fermer le café. La situation prenant un mauvais tour, je préférai m’éloigner. Cependant, curieux de connaître l’issue de cette altercation, un bon moment plus tard, je revins sur l’esplanade. Tout était calme. Seul un trait de lumière filtrait par l’entrebâillement d’un volet. Je m’approchai et jetai un coup d’œil à l’intérieur. Quelle ne fut pas ma surprise de voir assis face à face, attablés, S., coiffé de l’impressionnante casquette de la Wehrmacht et l’officier portant le couvre-chef bien plus modeste des employés des chemins de fer français, chacun un verre à la main, trinquant apparemment à leur réconciliation ! »58
Dès leur arrivée, craignant des « attentats terroristes », les Allemands imposent immédiatement le couvre-feu et le dépôt des armes à la mairie, y compris les fusils de chasse.59
Déjà à la fin de l’année précédente, les autorités avaient ordonné le dépôt en mairie de toutes les armes de guerre, revolvers, pistolets,… Jean Grizard, comme tous les détenteurs d’armes (ou presque) avait remis ses deux pistolets contre reçu établi le 14 janvier 1942.
Cependant, distillateur, dépositaire des alcools de l’État dont il conservait un stock important chez lui, il avait sollicité l’autorisation de conserver son revolver par mesure de sécurité. Le préfet lui avait donné cette autorisation « précaire et révocable à tout moment… ». De fait, après l’invasion de la zone libre, il fallut déposer toutes les armes, sans dérogation possible, y compris les fusils de chasse.
La population éprouve un vif ressentiment à l’annonce de cette mesure. Chez nous, le fusil n’est pas seulement une arme, c’est aussi, avouons-le, une marque de virilité. C’est également un bien qui est transmis de père en fils et pour lequel on éprouve un attachement profond et sentimental. Il est, de plus, bien utile à cette époque : il y avait encore du gibier et le produit de la chasse améliore l’ordinaire.
Le 30 novembre, M. Grizard écrit : « Les cercueils ambulants (les voitures allemandes hippomobiles), chargées et prêtes depuis quatre jours attendent toujours le départ. Elles sont alignées depuis l’école des garçons jusqu’au chemin d’Adissan. Ils avaient un dépôt de munitions dans le magasin de Mme Hayn ». II ne s’agit que d’un faux départ puisqu’à Noël les Allemands sont toujours là car (selon le même témoin) « le 24 décembre, veille de Noël, à Paulhan, pas de messe de minuit. Par contre, les Allemands ont décoré de guirlandes le café Carayon pour y réveillonner ». (Mme Carayon, que certains peu respectueusement, appelaient « la femme peintre » ou encore « Méphisto !! »).
L’unité de la Wehrmacht, 17.315, stationnée dans notre village, est probablement une unité du train des équipages, formée de réservistes et non une unité de première ligne. Elle vient de Fontenay Le Comte en Vendée. Les officiers et sous-officiers sont logés chez l’habitant : ainsi chez Messieurs Pelisse, Roguski d’Ostoja, Chalvet, Lacombe, Py, Grizard ou dans les hôtels : Rouquette, Terminus, Baldoma-Bonnet.
Pour les chevaux qu’il faut loger eux aussi, sont réquisitionnés les écuries de M. Nouvel, de M. Milhaud, laitier, de M. Pierre Maury, la forge de M. Pagès, route de Saint-Martin et le magasin de Mme Hayn. Encore aujourd’hui, on peut voir sur le mur du portail de ce qui fut l’écurie de M. Nouvel, l’inscription « 1 zug », ce qui peut vouloir signifier colonne ou attelage. Les bureaux de cette unité sont installés dans la maison de M. Raout Audemar et dans l’habitation de la famille Médecin. La Kommandantur (bureau du commandant) occupe la maison Ricaud, rue de Belfort. Les soldats couchent dans le magasin Carayon.
C’est une nouvelle forme de vie pour les Paulhanais. Il faut s’habituer à ces occupants en uniforme, avec un peu de crainte quand même, durant les premiers jours. Et puis, il faut bien s’adapter. La cohabitation de la population avec la troupe d’occupation se déroute sans trop de heurts, comme en témoigne ce qui suit : L’âge moyen de la troupe s’échelonnait de vingt-cinq à quarante ans ; la plupart des soldats étaient pères de famille. Leur journée se déroulait tranquillement au rythme des activités. Le matin, les chevaux conduits deux par deux prenaient la route de Saint-Martin pour une promenade au bord de l’Hérault. Les gradés caracolaient sur leur monture dans les chemins de vigne. Dans la journée, c’étaient les soins, le remplacement des fers usés par des neufs, exécutés par leur forgeron chez les maréchaux Delprat et Julian, et les corvées qu’exigeait une armée en déplacement. Après le repas du soir, les soldats se regroupaient dans les cafés par tranches d’âge et d’affinités : les jeunes chez Descouts et Carayon à la gare, les autres dans le centre du village. Le « Petit Bar » rue de Metz, tenu par M. Marius Genieys, accueillait un petit groupe bien tranquille. Ils parlaient entre eux, jouaient aux cartes, écrivaient à leur famille comme l’un d’eux qui, tous les soirs, remplissait de pleines pages de correspondance, ce qui lui avait valu le pompeux surnom de « Herr Professor ». Des jeunes gradés à l’âme tendre et au cœur chaud fuyaient ces lieux enfumés et bruyants pour aller « conter fleurette » à une jouvencelle dans un endroit propice. D’autres allaient chez leur logeur écouter la radio de Londres ! Ils se réjouissaient des revers de l’armée allemande en Russie et, le lendemain matin, les nouvelles de bouche à oreille se répandaient parmi eux. La patrouille circulait dans le village à partir de vingt-deux heures. Si, d’une maison, un rai de lumière troublait l’obscurité, de violents coups de crosses dans la porte rappelaient à l’ordre le maître des lieux. Des jeunes, fanfarons et indisciplinés, se trouvaient quelquefois nez à nez avec la patrouille et terminaient leur soirée au cantonnement à cirer les bottes des officiers. De cette troupe sans histoire se détachait « le bel Helmut », grade de lieutenant, joli garçon, qui avait fière allure sanglé dans son uniforme, bottes étincelantes et éperons claquants. On pouvait le voir tous les jours parcourir les artères de notre cité, sa haute casquette crânement posée sur sa tête, tenant de ses mains gantées les brides d’un magnifique cheval arrogant et majestueux comme son maître. Ce fringant cavalier a fait battre plus d’un cœur dans le village. Le commandant du détachement n’aimait pas la solitude. Il avait fait suivre dans ses bagages sa maîtresse française, plus très jeune, sans élégance, discrète et effacée ; rien en elle n’attirait les regards. Étant donné sa situation, elle n’avait aucun contact avec la population, ses seules sorties se bornant aux villes les plus proches : Pézenas, Béziers. Lorsqu’elle parlait du commandant, elle le nommait « Monsieur » et vivait dans son sillage, au gré de ses déplacements, vers un avenir incertain ».60
Malgré cette acceptation apparente de la présence des soldats qui se montrent « corrects » dans leurs rapports avec les habitants, les Paulhanais en viennent à supporter difficilement une occupation qui aggrave la situation par les prélèvements de toutes natures qu’elle entraîne et qui s’ajoutent aux réquisitions de l’administration française. Chevaux, vélos, voitures, camions et camionnettes, équipés bien sûr de gazogènes car depuis longtemps l’essence est très rare, qui ont permis jusque-là d’aller se ravitailler dans l’arrière-pays, sont réquisitionnés tout comme le sont les métaux (le cuivre est « acheté » trente francs le kilo). Plus grave est encore la réquisition des productions alimentaires. Même nos jeunes hommes nous sont enlevés pour aller travailler en Allemagne. La « Relève » ne donnant pas les résultats escomptés, le prélèvement de main d’œuvre va aller en s’amplifiant.
Nos statues disparaissent, elles aussi, réquisitionnées par l’État français, du moins celles fondues « en alliage cuivreux » utile à l’économie et à l’industrie. C’est la loi du 11 octobre 1941 qui décide l’enlèvement des statues « qui ne présentent pas un intérêt artistique ou touristique ». Une circulaire du 18 octobre crée des commissions départementales.
Dans l’Hérault, la liste des statues à conserver et celles à enlever est arrêtée par décision de la commission du 24 février 1942. A Paulhan, seule la statue du Monument aux Morts du fameux sculpteur biterrois Injalbert est épargnée. Les autres seront enlevées dans le courant du mois de mars 1942 par les établissements Valette et Rouanet de Béziers, payés au poids à la mairie.
Ont disparu ainsi :
— Le monument à la gloire des Armées de la Révolution.
— La République (Marianne du Griffe)
— Un buste jardin Beaumont.
— Un buste (auteur inconnu)
— La statue d’Artémis (de Raymond Rivoire)
— Le Scout du collège (de Marius Remondot).
Cette liste exhaustive est extraite d’un document intitulé « État relatif au paiement ou au remplacement des statues de la circonscription mis à jour à la date du 21 septembre 1942. »61
Aux soucis du moment, ravitaillement et présence allemande, s’ajoutent le trouble et la confusion que crée, surtout chez les personnes âgées, l’heure que l’occupant impose, dite heure allemande (le fuseau horaire où se trouve l’Allemagne est en avance d’une heure sur celui où se trouve la France). Avant l’occupation, la France vivait au rythme de l’heure solaire l’hiver et de l’heure d’été ou heure « nouvelle » durant les mois d’été, c’est-à-dire avancée d’une heure. L’heure allemande porte ce décalage à deux heures. Les personnes âgées sont quelque peu « dévariées » lorsque l’on annonce une distribution de denrées ou l’heure d’un office, c’est la même question qui revient : « De quelle heure ? » et, souvent, on arrive trop tôt ou trop tard.
La zone sud maintenant occupée, la population de notre région se trouvant encore plus démunie, se sent un peu plus désemparée. Malgré le débarquement en Afrique du Nord, on ne voit pas venir la fin des épreuves. Tout le monde sent confusément que la guerre va encore être longue et entraîner bien des souffrances. Les nouvelles du conflit ne sont pas enthousiasmantes. Bien sûr, les Anglais ont battu Rommel en Libye, mais c’est si loin !, le 27 novembre, risquant de tomber aux mains des nazis, la Flotte française, se saborde à Toulon.
En lisant la presse de cette fin d’année, on apprend qu’il sera distribué un œuf par consommateur à compter du 20 novembre et que les rations alimentaires du mois de décembre sont ainsi fixées : une ration de pâtes de 250 grammes est prévue pour tous les consommateurs ; la ration de matières grasses sera de 310 grammes ; par contre, la ration de chocolat de la catégorie E (enfants de moins de trois ans) est supprimée. Encore faut-il que les commerçants soient approvisionnés, ce qui n’est pas toujours le cas. Il faut alors se rendre dans les villes voisines pour tenter de se procurer, souvent au prix fort – entendez au marché noir – la paire de chaussures, le coupon de tissu ou le paquet de farine introuvables à Paulhan. Sans moyen de locomotion, la seule solution qui s’offrait alors, c’était le « Godin » dont se souviennent les Paulhanaises : « Un vieil autobus venant de Lodève, desservait deux fois par semaine les villages situés sur son parcours jusqu’à Béziers. Inutile de dire qu’il était toujours surchargé et laissait parfois les voyageurs en route devant se débrouiller pour rentrer chez eux. Tous les mercredis matin, jour de marché à Clermont, les gens attendaient près de l’école des filles le petit car « Godin » venant d’Adissan. La carrosserie délavée, poussif, on se demandait comment il tenait encore sur ses roues. Il tombait souvent en panne et, quelquefois, il ne répondait même plus aux exigences de son chauffeur, il s’essoufflait dans la montée de Nébian. Les voyageurs descendaient, poussaient et, la descente s’amorçant, il reprenait son souffle. Après quelques toussotements, arrivait péniblement jusqu’à Clermont. Le trajet de retour était tout aussi aléatoire ».62
Et c’est, il faut bien le reconnaître, entre apathie et résignation que s’achève cette année 1942.
Ce n’est certes pas la « Prière des enfants pour leur papas prisonniers », largement diffusée, qui peut faire naître l’espoir. Jugez-en plutôt : « Sainte Vierge Marie… Voyez notre tristesse et celle de nos mamans. Apaisez notre douleur d’être privés de l’affection de nos papas prisonniers. Protégez-les afin qu’il ne leur arrive rien de mal… que leur sacrifice et le nôtre aident au redressement de notre chère Patrie » (Imprimatur du 4 mars 1942).
Rien de dynamique et vraiment pas de quoi remonter le moral !
5e partie - 1943 - ANNÉE CHARNIÈRE ENTRE INVASION ET LIBÉRATION
De nombreux événements se produisent dès le mois de Janvier. Fernand Grenier apporte au général de Gaulle le ralliement officiel du parti communiste. Le général Leclerc venant du Tchad, fait sa jonction avec les Anglais en Tripolitaine. Les Russes sont vainqueurs à Stalingrad. A la conférence de Casablanca, les Alliés décident que la guerre prendra fin par la capitulation sans conditions de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon. Les Américains prennent Guadalcanal, c’est l’amorce du recul des Japonais dans le pacifique. Darnand transforme le Service d’Ordre Légionnaire (SOL), une émanation de la Légion française des combattants en « Milice Française » de sinistre mémoire qui devient vite une police supplétive, bientôt engagée, aux côtés des Allemands, contre la Résistance, (on ne se souvient pas qu’il y ait eu des miliciens à Paulhan).
Les bonnes nouvelles des différents fronts sont autant d’« étrennes » pour la population. Ce début d’année voit l’amorce du tournant de la guerre. Allemands et Japonais sont stoppés, mieux, ils reculent. Même si l’on éprouve un certain réconfort, cela ne modifie pas sensiblement la vie des Paulhanais. Au contraire même. Les Allemands sont à Paulhan et il faut faire avec !
Pour un de nos concitoyens, cette année commence par la visite du maire, le 10 janvier. Celui-ci est accompagné d’un officier allemand qui procède à la réquisition d’une chambre pour loger un de ses hommes. M. Grizard apprend que son locataire se nomme Joseph Fruch et qu’il est né à Falensberg, en Autriche, non par une confidence de ce militaire mais par le regard qu’il parvient à jeter, indiscrètement, sur son livret de solde. Joseph Fruch se laisse aller à bavarder avec son logeur et se montre antinazi. Trois de ses camarades viennent le voir le soir, ce sont : « Herr Professor », « Tête de lard », prénommé Ludwig, « Dent en Or » alias Aloïs, affublés de ces surnoms par leur hôte involontaire. Aloïs est un homme qui se veut élégant et connaît quelques mots de Français. Ces hommes sont des officiers ou plus sûrement des sous-officiers d’un grade supérieur.
Pour quelques jeunes gens du village, la vie va prendre un tournant assez brusque courant Janvier. Le 19, Joseph Régis, le fils du garde, et Louis Maffre reçoivent une lettre du ministère de l’Intérieur, Ministère de la production industrielle et des communications, secrétariat d’État au travail, les informant qu’ils sont requis par le gouvernement, pour travailler en Allemagne en vue de contribuer à la « Relève » des prisonniers, cette mesure fait suite à la demande de Sauckel du 13 janvier de cette année 1943 pour la fourniture par la France de main-d’œuvre à l’Allemagne. Ce sera le Service du travail obligatoire (STO) auquel seront théoriquement soumis les jeunes gens des classes 1940, 1941 et 194263. Plusieurs centaines de milliers d’entre eux partiront travailler pour le Reich contre leur gré et participer, souvent avec une mauvaise volonté frisant le sabotage quand cela n’en est pas réellement, à la productivité de l’industrie de guerre ennemie.
La lettre reçue par les deux jeunes paulhanais précise qu’un certificat d’embauche garantit les conditions de travail et de rémunération. La destination est tenue à leur disposition. Tout est bien organisé. Ils sont « invités » à se présenter à la visite médicale qui doit avoir lieu à Montpellier le 23 janvier à l’hôpital général, et ils doivent être rendus en gare à Montpellier une heure avant le départ du train prévu le 28 janvier à quatorze heures. On ne leur laisse guère le temps de la réflexion.
M. Joseph Régis a conservé un souvenir très précis de cette période : « Nous avons reçu de la main des gendarmes la convocation pour partir en Allemagne alors que nous n’étions pas volontaires. Ceux-ci nous ont fait comprendre qu’il n’était pas de notre intérêt, ni de celui de notre famille, de faire des difficultés. M. Grizard, que mon père avait rencontré, nous a proposé de passer chez lui où logeait un officier allemand, Joseph Fruch. Celui-ci a rédigé, pour Louis Maffre et pour moi, une lettre de recommandation. Malheureusement, nous avons été séparés lors de notre route vers l’Allemagne et c’est Louis qui a conservé la lettre. Louis Maffre et moi avons été les deux premiers à partir au titre de la « Relève » qui a été par la suite appelée S.T.O. Sont partis également Maurice Recoule (dit « Pigeon »), Lucien Véziac, Baptiste Patrac, Edmond Bousquet, Loulou Puech, facteur à Paris, et beaucoup d’autres, une trentaine environ. Ma première destination a été Katowice (Pologne, Haute Silésie). Au début, pendant deux mois environ, j’ai travaillé à la chaîne dans une usine où l’on fabriquait des chars. Un jour, un contremaître, accompagné d’un interprète, vint avec une liste comportant le nom de vingt Français. J’étais sur cette liste. Le contremaître nous demanda de faire notre valise et d’attendre à la sortie du camp. Nous nous demandions, un peu angoissés, ce qui allait advenir de nous. Un camion est arrivé. Un Allemand, petit, « bouboule », nerveux, qui roulait les yeux, en descend. Nous lui demandons où nous allons. Il ne parlait pas français et nous a fait un signe de la main qui avait l’air de dire plus loin, là-bas. Oui, mais où ? Nous embarquons sur le camion et arrivons cinq à six cent kilomètres plus loin, en Autriche, entre Bruck An Der Mur et Kapfenberg, à environ cent kilomètres au sud-ouest de Vienne, dans une immense plaine. Nous sommes dans une briqueterie.
Il y avait deux bâtiments, à un kilomètre de distance l’un de l’autre, et nous avons été répartis : dix Français dans l’un, dix dans l’autre. J’étais affecté à l’entretien. Tous les jours, des femmes russes venaient d’un camp voisin, quel que soit le temps, sous la pluie, dans le vent et le froid. Elles remplissaient de terre des wagonnets et poussaient les chariots sur les rails jusqu’à l’usine où l’on fabriquait les briques.
Au mois de novembre, le directeur de l’usine nous a annoncé que celle-ci fermait en décembre car il était impossible de travailler avec le gel et que, donc, nous pouvions partir en permission. Normalement, les travailleurs français requis pour le S.T.O devaient bénéficier d’une permission tous les six mois. Nous étions là depuis dix mois et il nous tardait de pouvoir rentrer. Les hommes mariés devaient partir les premiers. A leur départ, tous disaient : « Nous partons mais ne comptez pas nous revoir ». Nous étions, du coup, très inquiets car nous avions peur que les Allemands ne l’apprennent et nous empêchent de partir à notre tour.
Lors de notre séjour à la briqueterie, le contremaître, qui était italien, nous avait donné une permission pour nous rendre un dimanche à Vienne, où une énorme manifestation était organisée en l’honneur du Führer. Des travailleurs français du S.T.O qui travaillaient à Vienne avaient été informés de notre venue par notre contremaître et ils nous ont fait visiter la fameuse promenade du Prater, la résidence de la Hofburg, la cathédrale Saint-Etienne…
A la briqueterie, je travaillais en équipe avec un « collègue » de Castelnaudary. L’un travaillait le matin, l’autre l’après-midi. Nous avions du temps libre et nous en profitions pour aller dans les fermes voisines pour essayer de trouver quelques provisions pour améliorer l’ordinaire. Parfois, nous étions mal reçus, le fermier nous chassait sans ménagement et nous faisait courir. Une autre fois, au contraire, un soir, nous frappons à la porte d’une ferme. On nous ouvre et nous demandons « kartoffeln ? » (pommes de terre). On nous fait entrer. Il n’y avait que des femmes, des enfants et un vieillard qui nous fait signe de le suivre jusqu’au fond du couloir où se trouvait une trappe qu’il soulève. Il nous fait descendre à la cave par une échelle de bois et là, à notre grande surprise, il nous parle en français. Il nous explique qu’il avait été prisonnier en France pendant la guerre de 14-18 et qu’il avait appris le français durant sa captivité. Il nous a donné des provisions dont nous avons rempli nos musettes.
A côté de la fabrique où nous étions, il y avait un camp de prisonniers d’environs cinq cents Français et un camp de prisonnières russes, des Ukrainiennes qui, tous les jours en se rendant à la briqueterie passaient devant un petit carré de terre planté de quelques croix ; là étaient enterrées des compatriotes russes. Et tous les jours, elles déposaient quelques fleurs des champs cueillies au bord du chemin. Étaient aussi à la briqueterie un couple d’Italiens et un couple de Yougoslaves qui venaient volontairement travailler là chaque année. Ils écoutaient tous les jours la radio et nous pouvions entendre, par la fenêtre ouverte, les nouvelles en italien. C’est ainsi que nous avons appris la capitulation de l’Italie et la signature de l’armistice avec les Alliés le 8 septembre 1943, et même le débarquement des Anglais et des Américains à Salerne (au sud-est de Naples) le 9 septembre. On entendait au-dessus de nos têtes le ballet des avions alliés qui allaient bombarder Vienne. Tous les jours, nous demandions à notre contremaître quand notre permission allait arriver. Enfin, un matin, il nous répond « morgen » (demain). Il nous explique que le lendemain, nous devons l’attendre à l’arrêt des bus car nous devons aller à Bruck An Der Mur ou à Kapfenberg (un des deux villages voisins, je ne me souviens plus lequel), distant de 1 kilomètre pour retirer notre laissez- passer, un passeport allemand, des billets de train… Il était près de midi, mon compagnon de chambre, qui était de Carpentras, avait reçu ses papiers mais on ne trouvait pas les miens. Je commençais à m’inquiéter quand la sirène retentit. Alerte une attaque aérienne. Tout le monde, sans distinction, descend à l’abri dans les caves. L’alerte terminée, il était plus de midi, le bureau était fermé !, nous avons dû revenir l’après-midi.
Enfin, toutes les autorisations en poche, nous repartons et faisons du stop quand un « travailleur » français, avec la fermière chez qui il travaillait, passe par là avec une camionnette chargée de bidons de lait. Il s’arrête, et après avoir demandé l’autorisation à sa patronne, nous fait monter dans le véhicule et nous dépose près de notre camp. Aussitôt, nous avons préparé nos bagages pour être prêts à partir le lendemain à la première heure. Nous avons dû faire quatre ou cinq kilomètres à pied dans la neige pour aller prendre le train. Arrivés à Vienne, nous avons attendu toute la journée avant de pouvoir monter dans un train réservé au transport des troupes, non sans avoir été contrôlés par la Gestapo. Après trois jours de voyage où nous avons pu voir Munich, Stuttgart, Strasbourg bombardées, nous sommes enfin arrivés à Paulhan. C’était le 2 décembre 1943.
Dès notre arrivée, le maire nous a remis quatorze jours de tickets pour « isolés civils ». Louis Maffre qui était rentré en permission au bout de six mois, n’a pas voulu repartir, lui non plus. Quelques années plus tard, il m’a raconté qu’il avait dû faire attention pour éviter d’être arrêté et qu’on le cachait dans une des chambres du collège. Aucun des autres requis du S.T.O n’a pu venir en permission. Les Allemands se sont rapidement rendu compte que les permissionnaires ne retournaient pas en Allemagne et ont donc supprimé toutes les permissions. Tous les autres travailleurs paulhanais n’ont pu rentrer en France qu’à la fin de la guerre.
A l’expiration de ma permission, comme je ne suis pas reparti, j’ai dû m’organiser pour me cacher et pour me trouver des faux papiers. Mon père travaillait à la mairie ; parfois il allait à l’abattoir pour aider le vétérinaire, M. Gauch, à marquer les bêtes. Mon père était inquiet car je risquais d’être arrêté. M. Gauch lui dit de ne pas se tracasser, qu’on me ferait faire des faux papiers. Il connaissait Denis Gazagnes de Broquies (Aveyron).
Je suis parti, en effet, dans ce département où des résistants m’ont procuré une fausse carte d’identité « délivrée » par la mairie de Montlaur. On m’a également procuré du travail dans un garage de cette localité, qui se trouvait juste en face de la gendarmerie ! Je logeais dans un petit hôtel-restaurant dont le propriétaire était engagé dans la Résistance. Il m’avait donné une chambre sous les toits. J’y suis resté trois ou quatre mois, mais un jour mon employeur m’a informé qu’il y avait eu, malheureusement, un grave accrochage à Saint-Affrique, entre des résistants et la Gestapo. Celle-ci devait effectuer des contrôles et les employeurs devaient déclarer leurs salariés dont l’identité serait vérifiée.
De plus, quelques jours auparavant, un dimanche matin vers quatre heures, la Gestapo avait violemment frappé à la porte de l’hôtel où je logeais et un résistant qui était hébergé là avait été arrêté.
Il devenait dangereux, autant pour moi que pour mon employeur et mon logeur, de rester là. Je suis donc reparti à Paulhan. Là, j’ai trouvé du travail au garage Salasc (l’oncle de M. Balp) près de l’hôtel Rouquette, mais j’étais toujours sur mes gardes, de peur d’être arrêté. Mon patron et son commis surveillaient en permanence les mouvements des inconnus qui passaient à proximité et qui auraient pu être des agents de la police ou de la Gestapo. Dès qu’un inconnu était en vue, on m’avertissait et je quittais précipitamment le garage par l’arrière pour aller me cacher au jardin de mes parents ou dans les vignes. Malgré les risques – dont nous n’étions pas vraiment conscients – on chahutait entre jeunes au café Descouts où les Allemands venaient passer leurs soirées.
Un soir, avec Paul Nouvel, alors que nous sortions de ce café, on nous prévint qu’il y avait une patrouille allemande dans les environs. Je n’étais pas rassuré car l’heure du couvre-feu était largement dépassée, j’étais toujours muni de faux papiers et craignais un contrôle. Je logeais à ce moment-là chez ma tante près de l’ancienne boucherie Carrère et dormais dans une chambre sous les combles. Il y avait une lucarne qui donnait sur le parc, chez M. Lacombe. Sachant les Allemands à proximité de chez ma tante, nous avons fait le tour par l’église et sommes redescendus par la rue des Girondins. Sitôt arrivés à l’angle de la maison de Paul Nouvel, nous voyons en face de nous la patrouille. En deux pas nous sommes devant la porte de Paul quand un officier nous intime l’ordre de nous arrêter. Sans hésiter, Paul ouvre la porte, nous nous engouffrons et refermons à double tour. Aussitôt, les Allemands cognent dans la porte à coup de crosse. Nous nous mettons à l’abri dans les renfoncements du couloir au cas où la patrouille aurait tiré à travers la porte. Je me suis enfui ensuite par le portail de la cour arrière qui donnait dans la rue des Girondins pour aller me réfugier chez mes parents qui habitaient à la ville. Arrivé sur la place du Griffe, j’entendis une détonation, les Allemands avaient tiré. Sur qui ?…
Le lendemain, de grand matin, Marcel Adgé est venu me réveiller pour aller chercher du bois de chêne pour le gazogène au-dessus de Clermont l’Hérault, ce qui m’a permis, par chance, de quitter Paulhan toute la journée. Le soir, à notre retour, une colonne allemande était stationnée tout le long de la route nationale. Les soldats avaient allumé un feu devant la porte de M. Nouvel. Nous étions alors au mois d’août 1944, ces Allemands partaient sur le front vers la vallée du Rhône.
Malgré toutes ces péripéties, j’ai finalement eu de la chance. J’avais été mobilisé en mars 1940, j’ai ensuite été versé dans les Chantiers de Jeunesse pendant sept mois, près de Brignoles. Fin 1940, je suis rentré chez moi à Paulhan. Puis, comme je vous l’ai dit, en 1943, j’ai été requis pour aller travailler en Allemagne.
Un an après mon retour d’Allemagne, le 21 décembre 1944, je suis rappelé à l’activité au Centre d’Artillerie de Nîmes où je passe un mois sans plus de précisions sur mon sort. A la même époque, une note du Gouvernement Provisoire avait été adressée à tous les chefs militaires précisant que tous les anciens prisonniers et travailleurs au titre du S.T.O n’étaient pas mobilisables. J’ai été démobilisé le 24 février 1945. J’étais une fois encore renvoyé chez moi. »65
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Pendant les quelques semaines passées à Paulhan, les Allemands (plus exactement, nous l’avons vu, des Autrichiens) font des efforts pour se rendre sympathiques à la population souvent, c’est au café, autour d’une bouteille ou en louant leur chevaux aux viticulteurs. L’idée leur en avait été suggérée par M. André Nèples qui habitait en face de chez les Nouvel. Dans l’écurie de celui-ci, cours National, seize chevaux bien nourris, le poil brillant, étaient surveillés nuit et jour par quelques soldats qui se relayaient chaque semaine. M. Nèples qui parlait un peu l’allemand, bavardait avec eux et leur disait combien il était pénible pour la population de voir ces bêtes piaffant d’inaction tandis que de nombreux viticulteurs, privés de leurs chevaux par les réquisitions, connaissaient les plus grandes difficultés pour labourer leurs vignes. Il leur donna l’idée de rendre ce service, en proposant leurs animaux de trait pour les travaux de la terre65, moyennant finance bien entendu. M. Joseph Vidal avait, de son côté, entrepris la même démarche auprès de l’officier allemand commandant le détachement stationné à Paulhan. Il avait suggéré à cet officier qui craignait pour ses chevaux quelque « coup de sang » à cause de l’inaction, de les faire travailler dans les exploitations des femmes de prisonniers. Ce sont, à n’en pas douter, ces interventions conjuguées qui ont permis à quelques familles en difficulté de pouvoir bénéficier de cette possibilité.66
Les distractions étaient peu nombreuses. Français et Allemands se côtoyaient le soir dans les cafés du village. Quelques mots de trop, des regards insistants et le ton montait vite.
L’officier qui commandait le détachement faisait en sorte que les altercations ne s’enveniment pas trop et surtout aplanissait les difficultés pour éviter que ses supérieurs n’en soient informés. Ils auraient pu prendre des mesures de représailles contre les Paulhanais. Jeannette Grizard rapporte les confidences d’un Paulhanais :
« Les Allemands passaient leur temps libre dans les bistrots du village. Le café Azéma en accueillait un grand nombre qui, à la longue, fraternisait avec les Français autour d’un verre de vin blanc. Un soir, un client voulut faire goûter une bonne bouteille de sa cave à un soldat et, comme il n’habitait pas loin, il l’emmena chez lui. Sont-ce les divines saveurs de la bouteille ou l’obscurité, celui-ci trébucha et se cassa la jambe. Il fut évacué sur l’hôpital de Béziers ». Quelques jours plus tard, le détachement allemand cantonné à Paulhan partait en Russie. A quoi tient la chance ! Le détachement allemand voulait se faire bien voir auprès de la mairie et de la population en proposant ses services. Quelle ne fut pas la surprise de voir un beau matin Verdier, dit « Cabosse », tenant son mulet par la bride tandis qu’un soldat s’échinait à vider les seaux d’ordures dans le tombereau et, devant les regards interrogatifs, s’exclamait hilare : « Soy gandit » (qu’on peut traduire par : je suis sauvé).
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Dès le début de l’année, après l’adoption du budget primitif, le conseil municipal fixe les traitements des employés et agents communaux conformément aux lois nouvelles, sur la base de deux francs par habitant (Paulhan compte 2 500 habitants), en fonction de l’indice applicable à chacun. Cela donne (pour l’année) :
— Pour la secrétaire de mairie (Mme Bouéry)……………. 23 700 F
— Pour le tambour, appariteur, afficheur (M. Régis)……. 13 300F
— Pour le garde-champêtre (M. Toba)……………………….. 13 400 F
— Pour le cantonnier-garde (M. Verdier)……………………. 13 400 F
— Pour le fossoyeur-jardinier (M. Tréfilio)………………….. 15 000 F
Pour la gérante des bains-douches, (Mme Paulette Conduché-Poncy), la rémunération pour l’année 1943 reste fixée au même chiffre qu’en 1942. Cet établissement n’ouvre que très rarement au public en raison du manque de combustible et cette employée n’assure plus un service permanent.
Les 30 et 31 janvier, M. Grizard note dans son journal : « Les troupes allemandes de Paulhan sont punies et font trois heures d’exercice dimanche après-midi pour avoir chanté « l’Internationale », crié « A bas le Führer », « Vive la France ». L’ordre arrive que les troupes de Paulhan partiront demain pour le front russe ». « Le soir même, Aloïs, Joseph, et Ludwig viennent nous apprendre la nouvelle. Ils sont atterrés. Les voitures sont passées à la chaux pour être moins voyantes sur la neige de Russie (sic). Les troupes d’occupation quittent Paulhan à minuit. Remarque : ces sous-officiers autrichiens ont dit hautement que nous avions un mauvais Maréchal, que Pétain ne nous défendait pas auprès des Allemands et disaient : « Pétain grand filou, nicht gut pour vous ».
Poursuivons la lecture du journal de notre concitoyen : « 21/29 mars : Évacuation de Sète (vraisemblablement une évacuation partielle de la population) – 21 avril : Marcel Clergue est rentré de captivité ».
« La famille Clergue fut particulièrement éprouvée par la guerre : leurs deux fils prisonniers, un vieux grand-père et son fils non-voyant se trouvaient dans l’impossibilité de travailler leur propriété. Plusieurs demandes de rapatriement comme soutien de famille pour l’un de leurs fils restèrent sans résultat. Lorsque la loi sur la relève fut votée en septembre 1942, et qui devait favoriser des échanges entre travailleurs libres et prisonniers, mon père, Jean Grizard, conseilla à M. et Mme Clergue avec qui nous étions amis d’aller exposer leur cas à la Kommandantur la plus proche.
J’allais souvent à Montpellier avec mes parents dans l’espoir de dénicher dans cette ville des produits introuvables à Paulhan. Dans le courant du mois de février 1943, la décision fut prise, nous irions trouver le commandant de la Kommandantur (rien que cela).
La Kommandantur se trouvait à l’angle de la rue Maguelonne et du square Planchon, face à la gare. Devant l’immeuble, il y avait une grande cour dont le portail, toujours ouvert, était gardé par une sentinelle. Après avoir franchi le seuil, un planton nous demanda la raison de notre visite. Il nous introduisit dans une grande pièce où un officier nous reçut. Après que mon père eut déposé sa requête, debout, pas trop à notre aise, nous avons eu droit à un discours nous démontrant tout ce que la collaboration avait de bénéfique pour la France, en particulier, la « Relève » si les Français en comprenaient bien le sens, et qu’il n’y aurait aucun problème concernant le retour du prisonnier, mais que cela n’incombait pas à l’État allemand, et qu’il fallait que nous nous adressions au Ministère français des armées.
Ce qui fut fait sans retard et Marcel Clergue l’aîné des fils, rentra le 21 avril 1943 ».67
Ce même 21 avril, M. Grizard note encore : « annonce de la diminution de la ration de tabac. Il n’y aura pas d’huile avant le mois d’octobre ». Les restrictions se font de plus en plus sévères, et les demandes de l’occupant plus exigeantes, même pour les chevaux. Le mardi 30 avril, la Commission allemande d’achat de chevaux se réunit à Clermont l’Hérault. Sur huit chevaux « paulhanais » présentés, trois sont pris, ceux de Messieurs Fabre et Bonniol et de Mme veuve Lacombe.
Pour bien marquer que la guerre est toujours là, au mois de mai, à cause des bombardements (ou du risque), le couvre-feu est instauré à vingt-trois heures dans tout le département.
Le 3 juin, les généraux de Gaulle et Giraud mettent en place, à Alger, le Comité Français de Libération Nationale ou C.F.L.N. C’est à partir de cet été que les maquis commencent à s’organiser. II faut mettre en place une structure regroupant des gens armés qui lutteront contre l’occupant. Les hommes ne manquent pas résistants obligés d’entrer en clandestinité, cadres de l’Armée d’Armistice et tous ceux désireux de reprendre la lutte, jeunes et moins jeunes, Espagnols peu soucieux de retrouver Franco, ceux qui ne tiennent guère à goûter les contraintes du S.T.O. Mais si les hommes sont là, l’organisation est difficile, l’armement très sommaire, les risques immenses. Il faut la foi en ces mois de juin ou juillet 1943.
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Début de juillet, le 2, le chanoine Martin quitte cette terre. Une grande figure de notre cité s’en va, regretté de tous. « Le 2 juillet 1943, l’abbé Martin curé de notre paroisse, nous quittait après une courte maladie et une vie consacrée à son apostolat. Il arriva dans notre village en 1927. Durant son ministère, il fut élevé à la dignité de Chanoine par Monseigneur l’Évêque de Montpellier. Sa haute stature n’avait d’égale que sa grande personnalité. Sous des abords rudes, c’était un homme juste et grand patriote qui n’a pas eu le bonheur de voir la France libérée. Paulhan a tenu à lui rendre hommage. Après la cérémonie funèbre, une foule nombreuse l’accompagna dans un long cortège parcourant le cours National jusqu’au cimetière où il a été inhumé dans le Monument des Prêtres. Il y restera un certain temps avant d’être transféré dans le tombeau de famille à Agde dont il était originaire.
Au mois d’octobre 1943, Paulhan accueille son nouveau curé, l’abbé Andrieu, venu de Laurens. A son intronisation, le 17 octobre, assistaient le doyen de Clermont et des prêtres des environs. Ce fut une cérémonie empreinte de simplicité avec un échange d’idées et de bonne volonté de part et d’autre, curé et paroissiens. Dans un geste plein de délicatesse, il manifesta l’intention d’aller, suivi de ses fidèles, déposer au Monument aux Morts, la gerbe de bienvenue qu’on venait de lui offrir. Là, dans des termes pleins de patriotisme, il salua le courage des soldats, leur sacrifice qui ne devait pas rester vain, et redonna confiance et espoir en l’avenir. Sous un naturel jovial et bon vivant, se cachait une grande sensibilité et un cœur d’or. Durant vingt an, il partagea la vie de notre cité ».68
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Quelques jours plus tard, la Fête Nationale est commémorée dignement selon M. Grizard : « 14 juillet : vive la République. La Marianne en plâtre est replacée clandestinement sur son socle à la fontaine du Griffe. Le soir, un grand bal a lieu sur la route de Clermont animé par Nono Soulier et son accordéon. Il y a des chants et des feux de bengale. Place de la Révolution un portrait de la République remplace le soldat de l’an II ».
Tous les Paulhanais ne sont pas là. Certains, étaient déjà partis. Ils ont quitté le village pour s’en aller, comme requis du S.T.O. Outre-Rhin. Ce sont vingt-deux jeunes gens qui seront contraints à « l’exil » : Marqués Yves ; Pérémiquel Jean ; Arribat Bernard ; Bertrand Marcel ; Bousquet Edmond ; Bon Yves ; Recoules Maurice ; Satger Raoul ; Bosc Louis ; Puech Louis ; Quinonero François ; Gibab ; Itier Jean ; Bertin ; Camps Joseph ; Armingaud ; Patrac Baptiste ; Véziac Lucien ; Maffre Louis ; Régis Joseph ; Nouguier Ernest ; Capely Gaby. (Liste non exhaustive).
Messieurs Maffre, Nouguier, Régis et Capely seront classés comme « réfractaires » soit parce qu’ils ont refusé de repartir en Allemagne après une permission, soit à la suite de leur évasion.
M. Baptiste Patrac raconte : « Durant l’été 1943, je suis parti en Allemagne avec une trentaine de garçons de Paulhan. J’avais vingt ans. Mon père et ma mère m’ont accompagné à Montpellier. J’avais l’intention de m’échapper mais la gare et le train étaient gardés par des soldats allemands armés de mitraillettes. Je suis arrivé dans une ville, Ludwigshafen, et affecté dans une grande usine chimique. Au bureau, on m’a demandé mon nom, ma profession. J’ai dit tondeur de chevaux, l’interprète a traduit et l’on a inscrit coiffeur, je ne sais pas pourquoi. Pendant tout le temps où je suis resté là-bas, je n’ai pas coupé un seul crin, ni à un homme, ni à un cheval !
Mon travail consistait à maintenir de grandes poutrelles sur lesquelles on vissait d’énormes boulons. J’étais bien considéré, les contremaîtres Adam et Willy m’appelaient « M. Patrac », les ouvriers et les copains « Alex ». Nous logions dans un grand baraquement, la nourriture était maigre : une gamelle de soupe d’orge matin et soir ; pour avoir autre chose, il fallait des tickets et nous n’en avions pas. Nous crevions de faim. Je m’étais fait un copain, il était de Marseille et pas bien dégourdi. Je lui dis, « on va se débrouiller » – « Et comment ? » – « Tu vas voir » : je touchais le salaire d’un ouvrier et lui aussi. Un jour de repos, nous allons dans une ferme des environs tenue par un vieux couple. Je demande des pommes de terre au fermier, il me répond qu’il n’en a pas. « Et si je vous les achète très cher ? » Il m’en a donné cinquante kilos. Le camp était à un kilomètre. J’ai porté le sac sur mon dos tout le long du chemin (mon Dieu que c’était lourd !). Le copain ne m’a pas aidé, il n’était pas bien fort le pauvre ! Nous allions aussi ramasser du bois mort et, avec les branches de sapin coupées en morceaux, nous faisions de petits fagots que nous échangions aux carrefours de la ville contre des tickets de ravitaillement. Il y avait beaucoup d’alertes.
Un jour, l’usine fut complètement détruite par un bombardement. J’ai eu très peur et je me disais « Je ne m’en sortirai pas ». Je suis parti avec ma valise dans la direction de Heidelberg. A un endroit sur la route, un groupe de bûcherons coupait des arbres pour faire des étayages aux immeubles bombardés. Je me joignis à eux, il y avait de la neige et il faisait froid. Dans le camp à côté, il y avait des femmes russes qui travaillaient avec nous. Chacun de notre côté, nous faisions cuire des pommes de terre sur un feu en plein air. Un jour, il y a eu une alerte, un soldat est venu nous prévenir, il a donné de grands coups de pied dans les marmites et éteint les feux. Heureusement, mes patates étaient cuites mais les femmes russes, elles, n’ont rien eu à manger.
Un autre jour, l’un de nous s’est aventuré vers leur camp ; la sentinelle a tiré un coup de fusil, il a eu l’avant-bras déchiré. Une femme qui travaillait avec nous n’habitait pas très loin et nous invitait le dimanche chez elle. Elle nous offrait des cigares. Elle avait deux filles de dix-huit ans et vingt ans. Je leur proposais d’aller au cinéma avec moi, elles répondaient « Mein papa prisonnier ». Je n’ai jamais vu un film en entier, il y avait tout le temps des alertes. Un jour, une bombe est tombée pas loin de moi. L’explosion n’a pas été bien forte mais j’ai eu très peur. Les américains sont arrivés ; le lendemain, nous avons pris le train dans une petite gare à côté. Lorsque je suis arrivé à Montpellier, j’étais trop fatigué pour continuer. Un Comité m’a hébergé pour la nuit. Le lendemain, j’ai pris le train. A la gare de Paulhan, mes parents, des amis et beaucoup de monde m’attendaient. J’étais enfin à Paulhan, dans mon pays, moi qui avais cru ne jamais le revoir ! »69
D’autres, nombreux, ont bien tenté de se soustraire au S.T.O en invoquant leur rôle de soutien de famille, leur activité d’agriculteur travaillant sur l’exploitation familiale… Les dossiers étaient examinés par les services de la Corporation Paysanne et malgré les interventions de M. Bouéry, la décision de sursis était généralement négative. Edmond Bousquet, comme tant d’autres a essayé d’échapper au S.T.O, mais en vain. Il aurait même été dénoncé ! En route vers l’Allemagne, au risque de se rompre les os, il a sauté du train après la gare de Béziers. Revenu à Paulhan, il ne put éviter un second départ quelques semaines plus tard. Comme l’ensemble de ses camarades, il ne rentrera qu’en mai 1945.
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Au printemps 1943, le maire et les quelques conseillers qui lui sont restés fidèles, tentent d’apporter des solutions au problème du ravitaillement chaque jour plus crucial. Ils comptent sur la production du potager communal dont le bon fonctionnement est un souci permanent. M. Paget fait connaître au conseil que, lors d’une visite au potager, il a pu constater que « Les carrés (étaient) en pleine exploitation et les cultures effectuées avec méthode par un personnel qui ne ménage ni son temps ni sa peine ». Cependant, la pénurie d’essence limite l’arrosage qui est même supprimé pendant quelques temps, la pompe ne pouvant fonctionner. Le conseil municipal décide donc l’acquisition d’un gazogène, ce qui permet de faire fonctionner la pompe et de sauver une partie de la récolte, une partie seulement car l’approbation du préfet dans le courant du mois d’août, est bien tardive.
Le personnel travaille beaucoup, onze ou douze heures par jour en moyenne, et le maire fait observer que le personnel titulaire de la commune reçoit un salaire qui n’a pas varié depuis longtemps (il semble pourtant que celui-ci ait été révisé en début d’année). Quoiqu’il en soit, M. Paget propose de voter le rattrapage du salaire de M. Tréfilio, directeur du jardin potager et fossoyeur, qui s’occupait antérieurement du cimetière et du jardin d’agrément, ainsi que celui de M. Marius Verdier, ancien balayeur communal, affecté lui aussi au jardin potager. Le personnel titulaire est rétribué sur la base de huit heures par jour alors qu’il travaille souvent trois ou quatre heures de plus. Le conseil, décide à l’unanimité qu’à compter du 1er juin 1943, les heures supplémentaires réellement effectuées seront payées sur la base de 7 francs à M. Tréfilio jardinier en chef, et de 6 francs à M. Verdier (7 francs est le prix de l’heure payée à un chef d’exploitation agricole et 6 francs celui payé à un ouvrier). La délibération est approuvée par le préfet le 25 août 1943.
Il est bien certain que la production locale est nettement insuffisante, de même que le ravitaillement officiel. Aussi, les voyages à la « montagne » continuent-ils : qui par le train, qui à vélo, d’autres qui, ayant pu conserver leur véhicule, en particulier les commerçants bénéficiant d’un permis de circuler, recevaient des bons d’essence. Chacun, déployait des trésors d’imagination pour transporter un maximum de provisions sans en avoir l’air. Les femmes prenaient quelques rondeurs en cachant sous leurs vêtements des sacs de pois ou de lentilles. Les hommes alourdissaient leur silhouette en camouflant dans les jambes de leurs pantalons de longues poches serrées par un cordon noué autour de la taille et remplies de victuailles, leur donnant une démarche à la « Charlot ». Tous les moyens étaient permis, il était seulement interdit de se faire prendre. Un Paulhanais nous a raconté avoir transporté un porc, saigné depuis quelques jours, caché dans un cercueil à l’arrière d’une camionnette. Mais la chaleur aidant… Le porc se mit à gonfler, gonfler… Heureusement, les policiers ne furent pas trop curieux !
Les commerçants pouvaient pour les besoins de leur activité, « monter dans l’Aveyron » et tenter à leur retour de ramener quelques provisions.
Mais les contrôles, tant des gendarmes français que de la Wehrmacht sont fréquents et rigoureux. Tout produit transporté en quantité importante au-delà des besoins familiaux est confisqué.
Jean-Luc Bouniol, dans son mémoire de maîtrise, évoque « l’exemple de M. A, primeur grossiste à Paulhan. Un jour de 1943, il part dans l’Aveyron afin d’y effectuer une livraison. Ne voulant pas rentrer à Paulhan à vide, il achète une tonne et demi de topinambours, mais il est arrêté, se voit infliger un procès-verbal et sa marchandise est confisquée. Pour l’innocenter, il faut que le maire de Paulhan envoie à la Préfecture un certificat prouvant que c’est la municipalité qui a demandé à M. M. A de lui fournir ce chargement, qui devait être réparti équitablement dans la population paulhanaise et qu’il n’y avait donc dans sa démarche, aucun but lucratif ».70
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Depuis l’été 1942, la situation politique ne s’est ni améliorée, ni apaisée.
Les affaires de la commune continuent d’être gérées au coup par coup par un conseil qui, au printemps 1943, est réduit de la moitié de ses membres.
En effet, outre les cinq conseillers qui n’ont pu être remplacés, comme l’espérait M. Paget, un « autre conseiller a quitté la commune négligeant de présenter sa démission, un autre est prisonnier de guerre et deux autres enfin ne répondent plus depuis longtemps aux convocations. Quant au rôle de sept des huit conseillers, il était des plus restreint, manifestant tous les jours un découragement plus grand, à cause, disait-on, des difficultés croissantes qu’éprouvait la municipalité pour assurer le ravitaillement ».71 C’est ainsi que M. Paget est amené, officiellement, à adresser sa démission au préfet le 10 janvier 1943, sollicitant son « remplacement le plus tôt possible » car des mesures importantes sont à prendre rapidement, telles que des réparations au collège à effectuer avant la rentrée des classes, budget additionnel… Le 21 juillet, ce sont les huit conseillers encore en fonction qui, par solidarité avec le maire démissionnent à leur tour. Il s’agit de : Mme Roguski d’Ostoja, Messieurs Vidal, premier adjoint, Arnaud Camille, Azéma Marcel, Bec Joseph, Florentin Édouard, Peytavin Louis, Vieu Charles. Comme à chaque difficulté, le préfet sollicite une enquête. De fait, la lecture du rapport des Renseignements Généraux confirme ce qui était apparu l’année précédente, à savoir que les difficultés tenaient pour une grande part à la personnalité du maire, mais précise que plus encore, elles tiennent à celles d’un conseiller sur qui il se reposait essentiellement alors que ce dernier était « très mal vu de la population, ambitieux, intrigant, sournois, mielleux et pas toujours désintéressé »…
Les critiques adressées à M. Paget étaient d’une autre nature : on lui reprochait de ne pas être natif de Paulhan… !, et de manquer de tact en adressant par exemple la démission des cinq conseillers directement au préfet au lieu de tenter une discussion amicale et étouffer la dissidence.
On lui reprochait également une trop grande rigidité dans la conduite des affaires de la commune, toujours attachée à son ancien maire Vincent Badie « qui en bon parlementaire avait un mot agréable pour tous… même pour ceux, qui lors des élections, lui avaient refusé leur voix »72, en appliquant strictement les règlements en « bon fonctionnaire », se rendant à la mairie de huit à midi et de quatorze heures à dix-huit heures mais totalement coupé de la population. M. Paget ne savait pas « sortir, discuter avec ses administrés, s’enquérir directement de leurs besoins » autant de choses qui ont rendu la population d’abord « indifférente à tout ce qui se passait à la mairie puis franchement hostile ».73
Parmi ceux qui avaient soutenu la candidature de M. Paget, le Chanoine Martin écouté de l’ancien conseil, qui avait, paraît-il, ses entrées à la Préfecture. Mais M. Paget « fit savoir au curé qu’il entendait administrer à sa guise et qu’il se passerait de ses conseils ». « Ce fut, dès lors, la guerre entre la cure et la mairie ». « A partir, de ce moment-là, les difficultés commencèrent pour le maire ! ».
On lui reprochait aussi son manque d’énergie à réprimer le marché noir qui se développait autour des jardins potagers à tel point que les populations voisines venaient s’y approvisionner et les légumes se faisaient de plus en plus rares sur le marché de Paulhan.
La population s’émut, protesta, manifesta même. Pour calmer les esprits, le maire, doit le 15 avril 1943, en appeler à la Préfecture qui fait expédier immédiatement un secours en légumes : 1 500 kilos de salades, 150 kilos d’épinards et 1 600 kilos de choux. Malheureusement, ces légumes ont souffert « d’un emballage prolongé et d’un transport supplémentaire. Il en est résulté un certain déchet sur les choux et une perte plus importante sur les salades dont une grande partie se trouve en mauvais état et invendable ».74 Cette vente, s’est soldée par un déficit de 6 713,70 Francs… à la charge de la commune.
On lui reprochait surtout son intransigeance. Il était en permanence sollicité pour l’obtention de fausses cartes, des passe-droits. Il refusait de « se plier à ces combinaisons » et se plaignait de son côté de se heurter à l’incompréhension, à l’hostilité des administrés et aux conditions dans lesquelles il devait administrer la commune.
Par contre, on lui reconnaissait des qualités de bon gestionnaire ayant réussi le tour de force, en deux années, de combler un déficit de 150 000 francs, de payer 200 000 francs de dettes de la municipalité Badie et d’avoir en caisse, à la date de sa démission, environ 25 000 Francs. Personne ne mettait en doute son intégrité et son honnêteté. On s’accordait à dire que s’il avait échoué, c’est qu’il avait été trop « fonctionnaire et trop respectueux des lois et règlements qu’il était chargé d’appliquer et de faire respecter… », à une « population tracassière, exubérante mais bonasse dans le fond » !
Les constats ainsi faits, il fallait trouver une solution pour remplacer cette délégation démissionnaire Des noms ont été prononcés et proposés au préfet : Messieurs Léo Bessieres, ancien adjoint de Pelisse, Munier, ancien adjoint de Badie, Bonniol, le Docteur Py, Virgile Vézian. Aucune de ces personnes n’a accepté. De même, aucun des anciens conseillers des municipalités Pelisse, Badie, ou Paget n’a voulu accepter de présider ou de faire partie d’une nouvelle délégation spéciale invoquant le même motif : « Ils sont trop attachés aux principes républicains et ne peuvent accepter de faire partie d’une municipalité sans y être appelés par un vote populaire ».75 Par lettre du 31 août 1943, le commissaire des Renseignements Généraux propose au préfet une nouvelle liste de noms : le Docteur Py, Paul Blanc, Lucien Coste, Melle Marie-Rose Bertrand (syndic de la Corporation Paysanne), Roger Vézian. Ils ne seront pas retenus. Le préfet convoque le Docteur Py le 21 septembre. Celui-ci fait part de sa réponse par courrier du 24 septembre. Elle est, après réflexion, négative. Le 2 octobre, le préfet sollicite de ses services de nouvelles propositions !
Le temps presse, M. Paget renouvelle au préfet son souhait d’être déchargé de ses obligations au plus tard le 1er novembre.
Jean Grizard note dans son journal à la date du 23 octobre 1943 : « Le maire de Paulhan (Joseph Paget) ayant démissionné depuis plus d’un mois, le préfet de l’Hérault a chargé Vincent Badie, notre ancien maire, l’homme qui a voté contre Pétain et qui ne peut sortir que sous la surveillance d’un inspecteur de Vichy, de constituer une délégation sans politique pour administrer la ville de Paulhan. Ayant consulté ses amis dont je fais partie, une délégation a été constituée. Dans celle-ci, il n’y a aucun collaborateur, que des républicains ayant fait leurs preuves. Je suis choisi pour en faire partie ».
Vincent Badie, aurait réuni certaines personnes en qui il avait confiance dans un petit local (l’actuelle librairie) près de la route nationale. Il semble, d’après les notes de M. Grizard, rédigées à l’époque des événements, dont on ne peut mettre en doute l’authenticité, que Vincent Badie ait été chargé de rencontrer des Paulhanais en vue d’établir une liste de noms à proposer afin d’arriver à constituer une nouvelle délégation spéciale.
Cela peut paraître surprenant car, d’une part, Vincent Badie était sous haute surveillance et devait être arrêté quelques jours plus tard, et d’autre part, les services des Renseignements Généraux ne font mention à aucun moment de sa consultation. Il semble également peu probable que ce soit le préfet lui-même qui l’ait chargé de cette mission. Vincent Badie connaissait fort bien les idées du préfet Hontebeyrie mis en place par Vichy. Par contre, il n’est pas impossible que ce soit Max Moulins, directeur de cabinet du préfet qui l’en ait chargé. En effet, Max Moulins avait manifesté sa sympathie et sa complicité à l’égard de Vincent Badie en retenant les deux policiers qui le surveillaient pour qu’il puisse avoir des contacts avec ses amis des réseaux de la Résistance.76 La rencontre de Vincent Badie avec un certain nombre de Paulhanais expliquerait qu’après les multiples tentatives et échecs, une délégation spéciale ait enfin pu être constituée comprenant notamment trois anciens membres de son ancienne équipe municipale. Ceci démontre également l’attachement des Paulhanais à leur ancien maire à qui ils n’ont pu refuser ce qu’ils avaient préalablement refusé au préfet. Cet attachement est d’ailleurs souligné dans chacun des rapports des Renseignements Généraux.
Le 26 octobre, une délégation est donc proposée au préfet. Elle est composée de sept membres dont les antécédents politiques, familiaux et professionnels sont examinés attentivement :
— Trois membres de l’ancienne municipalité Badie : Munier Adrien, ex-adjoint qui accepterait la présidence, Combet Félix, Guérin Paul.
— Le président des Anciens Combattants 1914-1918 : Sicard Clément.
— Trois membres n’ayant fait partie d’aucune municipalité : Grizard Jean, Delobeau Émile, Bessières Henri.
Et le 27 octobre 1943, le préfet peut enfin, adresser au Chef du gouvernement à Vichy, un compte-rendu sur la situation à Paulhan et lui proposer en même temps la nouvelle délégation spéciale.
Le télégramme de Vichy arrive du ministère de l’intérieur, laconique : « Arrêté du 15 novembre 1943, nomme membres délégation spéciale Paulhan – personnalités par vous proposées ».77
Par arrêtés du Chef du gouvernement, ministre secrétaire d’État à l’Intérieur, sur proposition du préfet en date du 15 novembre 1943, pris en application.., est instituée la délégation spéciale habilitée à prendre les mêmes décisions que le conseil municipal. Ces arrêtés sont publiés au Journal Officiel du 16 novembre 1943 et dans le journal régional « l’Éclair ».
La délégation est installée le 23 novembre par le préfet, note M. Grizard dans son journal. Elle se réunit le 26 novembre à vingt heures trente en session extraordinaire sous la présidence de M. Munier. Étaient présents : Messieurs Sicard, Delobeau, Grizard, Combet, Guérin. Les attributions de chacun sont fixées :
— M. Munier est chargé de l’administration générale et du secrétariat.
— M. Sicard est chargé des travaux publics, bâtiments, eau, hygiène, employés communaux.
— M. Guérin est chargé des chemins ruraux, gardes, bureau de bienfaisance.
— M. Combet a en charge l’instruction publique, sports et fêtes.
— M. Delobeau a en charge le ravitaillement et l’agriculture.
— M. Grizard s’occupe des finances et du bureau de bienfaisance.
M. Bessières ne figure pas parmi les membres ayant obtenu une attribution. En effet, il avait fait savoir, dès sa consultation, qu’il ne souhaitait pas faire partie de la Délégation Spéciale. Par erreur, son nom avait été maintenu. Le 2 décembre1943, le secrétariat d’État à la santé et à la famille propose, mais bien trop tard, pour remplacer les conseillers démissionnaires, Messieurs Maurice Jourdan et Jean Genieys, pères de famille nombreuse.
Ce même 26 novembre, Vincent Badie est arrêté par la Gestapo à son domicile de Montpellier. Il est conduit dans une cellule de la prison militaire puis transféré dans une autre où il restera vingt-huit jours, seul, sans couverture ni lit. Il est à nouveau transféré, cette fois, dans une cellule où il est avec d’autres personnes. Quelques jours plus tard, après avoir été durement questionné pendant des heures, sans cependant être torturé, il est amené à Compiègne où il restera six mois, puis sera déporté à Dachau le 20 juin 1944.78 Lorsque la population paulhanaise apprend la nouvelle qui se répand comme une traînée de poudre, c’est la consternation.
En septembre, les Alliés débarquent en Italie et les troupes françaises libèrent la Corse. Ce même mois, l’Italie signe un armistice mais les fascistes continuent le combat aux côtés des Allemands. La guerre continue
A Paulhan, à l’ouverture de la cave en septembre, il est rappelé aux coopérateurs que la distribution du vin pour la consommation familiale s’effectuera les 1er, 2, 3, 4 et 5 de chaque mois. Passé le 5, plus aucun fût de vin ne doit sortir de la cave.17 La récolte s’annonçait-elle moins abondante que les années précédentes ? Le conseil d’administration, réuni le 12 septembre, décide de limiter les quantités distribuées : 150 litres de Clairette et 150 litres de Bourret, soit 3 hectolitres au titre de la part de vin de consommation familiale revenant à chaque coopérateur.
La récolte rentrée à la cave est de 18 780 hectolitres, 7 800 hectolitres de rouge, 5 750 hectolitres de Bourret et 5 230 hectolitres de Clairette.79 Cela représente environ la moitié de la production du village.
Pendant la guerre, la production chute de 50 % dans l’ensemble du département de l’Hérault passant de 70 hectolitres à 35 hectolitres en moyenne à l’hectare. Au vu des chiffres de la cave de Paulhan, il ne semble pas que l’on ait enregistré une baisse de la quantité. Cependant les difficultés inhérentes à l’état de guerre ont inévitablement mis à mal les finances de la cave qui avait à faire face à de gros remboursements d’emprunts souscrits pour l’achat du terrain, la construction de bâtiment et l’installation de la cuverie.
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Mise en place depuis peu, la nouvelle délégation spéciale doit, lors de sa première séance le 9 décembre, régler immédiatement des problèmes d’aide aux travailleurs français en Allemagne et à leurs familles. Le président, M. Munier, donne lecture d’une lettre du préfet du 22 Novembre et expose le fonctionnement et les buts du Comité d’entraide. Après en avoir délibéré, la délégation décide de voter une subvention de 2 500 francs qui est à prélever sur les fonds libres de la commune.
Tous les jeunes du village ne sont pas partis. Certains se regroupent par affinités, en fonction de divers courants idéologiques aussi. Les uns font partie du mouvement de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) ou de la JAC (Jeunesse Agricole Chrétienne) d’autres ont adhéré au Mouvement des Compagnons de France. Mais en dépit de quelques divisions et rivalités, tous avaient à cœur de se rendre utiles. Ils organisaient ensemble des séances récréatives en accord avec le Comité d’entraide aux prisonniers (Association créée dès 1939. A ne pas confondre avec le Comité d’entraide aux travailleurs français en Allemagne, mis en place, nous l’avons vu, par la Préfecture).
Ils se retrouvaient tous rue des Variétés, organisant des spectacles et avec les gains participaient à la confection de colis aux prisonniers.
Évelyne Bousquet se souvient de cette représentation où Andrée Bes, « emberlificotée » dans son jupon déclenchait le fou rire de toute la salle, et ce lever de rideau sur la « Gavotte », Francine, petite fille qui chantait… « Mon petit papa, je t’écris cette lettre… », moments pleins d’émotion inoubliables. Et quand arrivent sur scène « les cinq balayeurs de l’équipe municipale » qui miment une chanson… ce sont cinq jeunes gens de l’équipe jociste que l’on reconnaît sur la photo. Gisèle Bonniol Coste a également conservé un souvenir ému de ces représentations dans la salle de cinéma où plusieurs intervenants qu’elle accompagnait au piano se succédaient. Elle se souvient plus particulièrement d’une saynète : le profil d’un militaire, le képi sur la tête, se dessinait en ombre chinoise sur l’écran. Sur scène, une petite fille dont le papa était prisonnier chantait.., « quand tu reverras ton village, ton beau pays… ».
Jeannette Grizard participait avec ses amies à ces manifestations : « Les jeunes du village organisèrent des séances récréatives fort appréciées. Un petit orchestre composé de René Birouste, Marius Arnaud, Nono Soulier, Jean Maniabal animait les soirées avec les succès de l’époque. De bons chanteurs et chanteuses excellaient dans leur répertoire. Il y avait aussi des lotos. Les recettes alimentaient la caisse du Comité et permettaient d’acheter quelques victuailles que les familles joignaient dans leurs colis aux prisonniers. Pour éviter que certaines familles ne conservent pour elles ces provisions (ce qui arrivait !), et suivant les conseils de M. Couzy, receveur des postes, le Comité versa par la suite l’argent ainsi récolté sur des livrets de Caisse d’Épargne, ce qui assura à ces prisonniers un petit pécule à leur retour d’Allemagne ».
Certains Paulhanais prennent de gros risques sans avoir toujours conscience du sort qui leur serait réservé en cas d’arrestation en aidant des inconnus pourchassés, des juifs… « Ainsi, M. Viala, bourrelier cours National, et son épouse, recevaient tous les dimanches après-midi deux jeunes filles qu’ils présentaient comme leurs cousines. Ces belles adolescentes, Mona et Paula, rousses comme une miche de pain bien cuite, étaient sœurs. Elles logeaient en toute sécurité dans la famille de Mme Viala à Montagnac, où un petit groupe d’Israélites se cachait. Ce jour-là, les routes n’étaient pas gardées et la circulation nulle. Cela dura un certain temps, puis le groupe se sentant menacé, partit. Certains revinrent après la guerre remercier leurs bienfaiteurs. Des deux jeunes filles, on n’en a plus eu de nouvelles. Ont-elles fini comme tant d’autres dans un camp de concentration ? ».
L’année 1943 se termine. Il fait froid, il fait gris, il fait faim. La guerre s’éternise. L’atmosphère est pesante avec la présence toujours inquiétante de l’armée allemande d’occupation. Et pourtant, cette année est aussi celle qui a vu naître « Le Petit Prince » de Saint-Exupéry et des films, chefs d’œuvre : « Goupil mains rouges » de Jacques Becker, « Les enfants du paradis » de Marcel Carné, « Le Corbeau » d’Henri Clouzot et « L’éternel retour » de Cocteau.
6e partie - 1944 - LA LIBÉRATION
Reprenons, en ce début d’année, le journal de M. Grizard.
— « 6 et 14 janvier 1944 : ordre a été donné par le préfet régional », qui lui-même exécute les instructions reçues du colonel allemand Distier (par lettre du 3 janvier80, « d’évacuer, pour ceux qui n’ont pas d’emploi indispensable, les villes de Montpellier, Sète, Béziers, Narbonne, Agde, Perpignan. Les Allemands occupent Saint-Pons de Mauchiens, Saint-Pargoire, Campagnan, Plaissan. Déménagements en masses de Vias, Sète, Béziers. Sans cesse des camions de meubles passent à Paulhan, se dirigent vers les Hauts cantons de l’Aveyron. Les Allemands demandent à la mairie de Paulhan des volontaires de dix-huit à quarante-cinq ans pour creuser des tranchées, huit heures par jour, au prix de douze francs de l’heure » (un ouvrier agricole en gagnait six à la même époque).
Craignant un débarquement prochain des Alliés sur le littoral méditerranéen (l’Afrique du Nord, la Corse et leurs bases sont toutes proches), l’occupant mine toutes les plages et creuse des trous-abris (1600) suivant trois lignes parallèles à la côte : nord-est, sud-ouest à respectivement quinze, trente et quarante kilomètres du bord de mer. Une de ces lignes passe à Paulhan. Malgré le salaire attrayant proposé, aucun volontaire ne se manifeste parmi les Paulhanais pour travailler à ces défenses.
Le renforcement des défenses côtières par les allemands donne à la population des raisons de penser qu’un débarquement, si souvent annoncé par la rumeur, est enfin proche. Elle a besoin d’y croire, pour espérer et pour tenir. En même temps, la répression des activités de résistance est de plus en plus violente. Un climat de peur et de suspicion s’est installé. On vit dans la crainte des dénonciations et des arrestations. Dans le train Paulhan-Montpellier, on jette un regard soupçonneux sur ses voisins et, lorsque la conversation s’engage, c’est toujours à propos de sujets anodins : le temps qu’il fait, la prochaine récolte … Les dames comparent la meilleure façon d’accommoder un ragoût sans matières grasses.
« A Paulhan, le personnel de la perception se composait de M. Couderc, le percepteur, et de son commis, personnage secret, peu enclin à faire des confidences. Maigre, le teint olivâtre, la barbiche et les cheveux noirs, il intriguait. On l’avait surnommé « Jésus-Christ »… Certains prétendaient qu’il était Juif (dans ce cas, il n’aurait pas été fonctionnaire de l’État). Lorsqu’il rentrait chez lui, à vélo, sa journée terminée, il pédalait lentement et, à cause de son regard toujours fuyant, on l’accusait, à tort ou à raison, d’essayer de saisir les conversations ou le bruit de la « moulinette » de Radio-Londres s’échappant d’une fenêtre entrouverte. Qui était-il ? Quelles étaient ses opinions ? Nul ne l’a jamais su ! Mais chacun se livrait aux plus extravagantes conjectures. Après la libération, il partit sans adieux dans un autre bureau du Trésor ».
C’est dans ce climat de suspicion à l’égard de tout le monde et de personne, de crainte aussi de la Police, de la Gestapo, d’un voisin malveillant, que l’hiver s’installe. La situation matérielle se détériore encore et devient dramatique plus de charbon alors que cet hiver 1944 est l’un des plus rudes de ces dernières années et pénurie alimentaire : les rations de viande, quatre-vingt-dix grammes par semaine en moyenne pour un adulte, ne sont pas régulièrement distribuées, le pain est rare. Les véhicules transportant le lait sont tellement ralentis que celui-ci arrive à peu près sous forme de fromage et inconsommable. La question du ravitaillement devient une véritable obsession pour la population, et pour les municipalités.
Le 1er février, les Forces Françaises de l’Intérieur, regroupant en principe toutes les forces militaires de la Résistance, sont créées officiellement par le Comité Français de Libération Nationale.
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Les « maquis » s’organisent et leurs actions se multiplient. Des Paulhanais vont les rejoindre. Les hommes de « Bir-Hakeim » ne perdent pas courage malgré le massacre, à la suite d’une dénonciation, d’une soixantaine des leurs à La Parade. Ils poursuivent leur action : sabotage de voies ferrées, de ponts…
Jean Pignol témoigne de son engagement et de celui de ses camarades au maquis : « Je faisais partie de la région militaire commandée par le général De Lattre. Je devais partir en Algérie mais nous avons été bloqués à Montpellier. J’ai donc signé pour le 8ème régiment d’infanterie. Le général De Lattre est arrivé début mai 1941. Je suis resté à Montpellier jusqu’au 27 novembre 1942. Lorsque les Allemands ont envahi la zone sud (11 novembre 1942), De Lattre a tenté d’organiser une contre-offensive pour résister aux Allemands. Certaines sections du régiment avaient reçu l’ordre de partir vers La Taillade, d’autres vers Saint-Pons de Thomières, les autres sont restées à Montpellier. Nous devions embarquer à Sète vers l’Afrique du Nord sur le « Saint-François » pour rejoindre les anglo-américains qui venaient de débarquer au Maroc et en Algérie. Nous avons attendu à la gare puis un contrordre est arrivé et nous avons regagné nos casernes. De Lattre venait d’être trahi et arrêté ».81
Jean Pignol témoigne de son engagement et de celui de ses camarades au maquis : « Je faisais partie de la région militaire commandée par le général De Lattre. Je devais partir en Algérie mais nous avons été bloqués à Montpellier. J’ai donc signé pour le 8ème régiment d’infanterie. Le général De Lattre est arrivé début mai 1941. Je suis resté à Montpellier jusqu’au 27 novembre 1942. Lorsque les Allemands ont envahi la zone sud (11 novembre 1942), De Lattre a tenté d’organiser une contre-offensive pour résister aux Allemands. Certaines sections du régiment avaient reçu l’ordre de partir vers La Taillade, d’autres vers Saint-Pons de Thomières, les autres sont restées à Montpellier. Nous devions embarquer à Sète vers l’Afrique du Nord sur le « Saint-François » pour rejoindre les anglo-américains qui venaient de débarquer au Maroc et en Algérie. Nous avons attendu à la gare puis un contrordre est arrivé et nous avons regagné nos casernes. De Lattre venait d’être trahi et arrêté ».81
« Nous avons été consignés et, dix jours plus tard, les Allemands ont encerclé la caserne. Ils sont arrivés à l’aube. Le clairon sonnait le réveil et, tout à coup, il s’est arrêté net. Certains étaient déjà levés, en train de se raser. On a entendu des bruits de bottes dans la cour, des bruits de course dans les couloirs et on entendait crier : « Les Allemands, les Allemands sont là… ». C’est un des jours où j’ai eu le plus peur de ma vie. Aussitôt, la porte est enfoncée, les baïonnettes pointées sur nous, criant : « raus, raus,… ». Les uns partent d’un côté, les autres de l’autre… Nous nous retrouvons tous entassés dans une chambre à vingt, sous la menace de jeunes soldats allemands passablement excités. Nous nous tenions tous les bras en l’air… Nous nous encouragions mutuellement. Je leur disais : « Levez les bras, ne vous inquiétez pas, gardez votre sang froid… Pas de mauvais gestes, tenez vos bras en l’air ». Pour me faire taire, un soldat allemand me donne un violent coup de crosse dans le dos. Je lui réplique aussitôt : « Paure coun, bardot, bardotas ». Il m’assène un autre coup de crosse de son fusil. Je le traite à nouveau de noms d’oiseaux en occitan : « Counas, abrutit, salopard. Vous auren la pel » (on aura votre peau).Ce chapelet d’insanités a déclenché le rire de mes camarades et a quelque peu détendu l’atmosphère. Les Allemands nous voyant rire se sont mis à rire également tout en intimant l’ordre de garder les bras levés : « Austern, austern ». Ils ont alors enlevé toutes les armes des râteliers et les ont jetées par la fenêtre tandis qu’à coups de crosses et à coups de pied, ils nous poussaient jusque dans la cour de la caserne Joffre où nous sommes restés en petite tenue plusieurs heures. Nous étions fin novembre 1942 et il gelait. Nous étions mille cinq cent ou deux mille hommes. Un officier allemand nous a fait un discours qui, en substance, était le suivant : « Le Maréchal Pétain a été trahi. Nous savons que la plupart d’entre vous n’êtes pas d’accord avec nous. Nous sommes les vainqueurs. Vous n’avez plus rien à faire ici. Vous allez rentrer chez vous ».
Quelques jours plus tard, le temps d’être démobilisés, nous avons pu rentrer dans nos foyers alors que l’Agence TASS (sic) annonçait laconiquement : « L’armée française est prisonnière dans les casernes ».
Je suis donc revenu à Paulhan mais je n’avais pas perdu le contact avec certains camarades. Je ne voulais pas rester inactif et baisser les bras. J’avais formé le projet de passer en Espagne. J’ai contacté Mathias, le cousin des Aleix. Je suis allé un soir chez lui, Mathias m’a donné quelques « tuyaux » mais j’appris que certains avaient été arrêtés en tentant de passer la frontière. Ma mère m’a supplié de ne pas partir… et j’ai renoncé.
J’ai eu quelques contacts avec le commandant Lemaire, le capitaine Pavelet, mais on n’a pas bougé jusqu’en juin 1944. Il fallait faire attention car on n’était sûr de personne, y compris des gens de Paulhan qui auraient pu nous dénoncer comme un certain cafetier dont on nous disait qu’il fallait se méfier…
Mon père avait un poste de radio. On écoutait les messages et on s’informait de ce que faisait le général De Lattre. On nous disait de ne pas rejoindre en masse les maquis car on n’avait pas l’expérience de cette forme de guerre et les nouvelles recrues étaient plutôt une gêne pour les autres. Il fallait les armer, les entraîner, leur apprendre à se cacher, à se déplacer discrètement ; il fallait aussi, et surtout, les nourrir… Il fallait laisser les maquis comme refuge à ceux qui étaient véritablement menacés, pourchassés. Nous qui étions libres, nous pouvions nous organiser pour passer à l’action le moment venu. C’est ce que nous avons fait avec des camarades des villages environnants.
Notre action de résistance a commencé bien avant puisque mon frère au mas de Siau, puis mes parents à Paulhan ont caché deux jeunes poursuivis par la police de Vichy : l’un, juif polonais, s’appelait Thadée Jastrztebski, l’autre Camille dont j’ai toujours ignoré le nom de famille.
Le 14 août 1944, veille du débarquement Allié en Provence, des Allemands passaient dans le village chez des commerçants, pour se procurer des vivres et montraient une photo des maquisards qu’ils recherchaient. Un homme leur a dit : « Allez chez les Pignol, ils ont un fils au maquis ». Heureusement, le débarquement a eu lieu. Ce fut la débâcle pour les Allemands et ils n’ont pas eu le temps de venir inquiéter mes parents.
En juin 1944, après le débarquement en Normandie, j’ai été prévenu par Delabanque d’avoir à rejoindre le maquis. Lorsque je suis parti à Mourèze, j’étais sous les ordres de Robert Fiol, le beau-frère de Guy Souyris qui était au maquis depuis 1943. Lui-même était sous les ordres de Prades, de Nébian. C’est Jean Sanchez qui nous avait contactés. J’étais lieutenant, chef de groupe, puis chef de section.
Au début, j’étais chef de poste en second aux ruines de Cornus. Le chef partait souvent et nous, nous restions. C’était terrible, il m’est arrivé même de regretter et, encore maintenant, j’en pleurerais presque. Il faut avoir vécu cette période pour comprendre. Nous vivions dans les ruines, sans hygiène, sans même une paillasse pour dormir. Autour de nous, il y avait des buissons de buis et nous coupions les branchages pour confectionner une litière. Nous mangions à l’occasion, quand on nous procurait des vivres, nuit et jour sur le qui-vive, nous méfiant de tout le monde, y compris de nos camarades qui pouvaient être des agents infiltrés car nous ne les connaissions pas tous auparavant. Tous les bruits étaient épiés, l’oreille tendue. De Cornils, nous sommes partis au Rocher des Vierges près de Saint-Saturnin. Il fallait assigner les gars car il n’y avait pas assez de place pour tous ».
Gaby Capely se trouve au Rocher des Vierges en même temps que Jean Pignol. Le 3 août, ils reçoivent l’ordre de se diriger vers Gignac. Suivons-les.
« Vers vingt-deux heures, nous nous dirigeons vers le domaine de Capion, à deux kilomètres de Gignac. Sur deux hectares de terrain bien abrités et loin de la route, tout est prêt pour recevoir le parachutage. Le clair de lune est magnifique et un léger vent souffle. Une soixantaine d’hommes attend dans l’anxiété l’arrivée de l’avion. Chacun est à son poste : une dizaine d’hommes pour allumer les petits tas de bois qui marquent le terrain, une vingtaine de résistants recrutés dans les villages environnants pour récupérer les parachutes et containers, et une trentaine de maquisards pour la surveillance, les Allemands étant à Gignac. A vingt-trois heures, comme prévu, nous entendons le bruit des moteurs de l’avion. Les signaux sont faits avec des lampes électriques et on allume les feux de repérage. L’avion décrit un grand cercle, s’éloigne, revient et largue huit containers. Il repart, revient de nouveau et ainsi à trois reprises, déverse son contenu, soit au total vingt-quatre containers. Le matériel est récupéré rapidement, les parachutes pliés et, le tout acheminé vers les caches. Nous, les maquisards, repartons mission accomplie ».
« Ensuite, nous sommes allés à Rabieux, près de Lacoste. Nous étions, là aussi, logés dans des ruines. Pendant les quelques jours passés là, je me suis trouvé seul avec, sous mon commandement, cinq hommes. Mon chef avait dû s’absenter trois jours. J’avais vingt-deux ans et peu d’expérience du maquis », poursuit Jean Pignol. « Nous avions placé des sentinelles pour assurer notre sécurité. Un jour arrive un pauvre vieux tout essoufflé nous disant : « on va vous attaquer, on va vous attaquer. Il y a une colonne allemande qui tourne dans le secteur ». Tout à coup, arrivent par la route de Lacoste deux hommes que la sentinelle n’avait pas vu venir ! C’étaient deux Allemands qui criaient, dans un français approximatif : « Camarad, camarad, nous déserteurs, nous déserteurs ». Un des nôtres allait tirer, je l’en ai empêché. Je lui ai dit : « ne tire pas ! ». Certains voulaient les supprimer, je ne voulais pas les abattre froidement. Pas d’exécution sommaire. Il y avait de plus un risque pour notre sécurité, le bruit d’une rafale de mitraillette pouvait faire déceler notre présence : « Non, gardez votre sang-froid ». Finalement, le groupe a accepté de leur laisser la vie sauve et les Allemands nous ont remis leurs armes : des mausers, cartouchières… Mais qu’allions-nous en faire ? Il fallait les garder jusqu’à ce que le chef de poste revienne. Ils ont partagé avec nous les maigres provisions que nous avions et j’ai pris sur moi de les surveiller. Le 13 août 1944, le corps de gendarmerie reçoit l’ordre de rejoindre le maquis. Les gendarmes de Paulhan, tout comme ceux de Clermont, se mettent à la disposition des F.F.I. Cela ne plaisait pas beaucoup car certains avaient exécuté, avec trop de zèle à notre avis, les ordres de Vichy. Mais leur contribution avec des armes et véhicules fut appréciable, et certain ont payé de leur vie.
Quelques jours plus tard, le 15 août, nous avons reçu l’ordre de nous regrouper et de descendre sur Montpellier pour participer à la libération de la ville. En effet, le service de renseignement du maquis apprend que la « deuxième colonne allemande a traversé Grabels et atteint Montferrier, à cinq kilomètres au nord de Montpellier. Des messages urgents arrivent de Montpellier le vendredi 25 août : le maquis doit faire tous les efforts possibles pour venir à leur aide ».82
« C’est que nous nous retrouvons à Montferrier. Les Espagnols qui ont fui le régime franquiste se sont engagés nombreux dans le maquis. Ils avaient une haine terrible contre les Allemands qu’ils avaient combattus lors de la guerre civile d’Espagne. Tout uniforme « vert » était pour eux une cible idéale. Ils l’ont d’ailleurs prouvé dans les combats de Montferrier. Par la suite, à la demande du Comité de Libération, mes chefs m’envoyèrent avec un groupe de républicains espagnols à Saint-Just où des groupes d’espagnols semaient la perturbation parmi la population. Ma parfaite connaissance de la langue m’aida à rétablir l’ordre. Il fallait avant tout éviter les règlements de comptes, les vengeances personnelles, les arrestations arbitraires ou les vols chez les commerçants un peu trop hâtivement traités de « trafiquants ».
Cela aurait d’ailleurs pu se produire à Paulhan où certains avaient été dénoncés comme étant des « collabos », ce qui était un bien grand mot. En réalité, certains Paulhanais, comme partout d’ailleurs, avaient fait un peu de marché noir. D’autres avaient été dénoncés comme « pétainistes » comme certains, deux ans plus tôt, l’avaient été comme « gaullistes » et « anglophiles » parce qu’ils écoutaient la radio de Londres…
Après la libération de Montpellier fin août début septembre, alors que je prenais quelques jours de repos chez mes parents, un commando de sept ou huit hommes du maquis vint à Paulhan pour procéder à l’arrestation de personnes dénoncées. Ces personnes, je les connaissais toutes. On n’avait rien de bien grave à leur reprocher : l’un avait vendu de l’huile à des prix prohibitifs, l’autre du sucre, d’autres étaient « pétainistes », mais il n’y avait pas là de quoi passer devant la Cour martiale ! Aussi, me suis-je fermement opposé à toute arrestation. Il y avait aussi avec moi un autre du maquis, Robert Girardot, un parisien. Nous avons conseillé à nos camarades de sermonner ces quelques Paulhanais mais nous les avons avertis que nous les empêcherions d’emmener qui que ce soit, par les armes s’il le fallait. Je suis allé moi-même sermonner M. G…. qui s’était occupé de la commission de récupération des métaux et qui avait mis un peu trop de zèle à exécuter les ordres de Vichy.
Au maquis, il y avait beaucoup de communistes mais nous n’étions pas nombreux à vouloir faire preuve d’un véritable esprit de résistance. On avait du mal à maintenir cet esprit sans arrière-pensée politique, en ayant comme seul objectif la libération du pays, proprement, sans règlements de comptes. Je n’ai jamais participé à des réquisitions, sauf après la libération où nous sommes allés récupérer tout ce que les miliciens avaient accumulé dans la cathédrale Saint-Fulcran à Lodève. Nous l’avons distribué à la population.
Après la libération de Montpellier, nous avons défilé avec les chars de l’armée de De Lattre et, sur la place de la Comédie, nous avons été accueillis par une foule en délire.
Après quelques jours de repos, je suis allé rejoindre l’armée régulière. Nous sommes partis par le train jusqu’au camp de Valdahon. Nous avons fait la campagne d’Alsace, la traversée du Rhin derrière les Tabors marocains, et nous sommes allés jusqu’à Ulm avec la quatrième D.M.M. (Division Marocaine de Montagne), forte de 20 000 hommes et d’un nombre important de mulets – le Royal Brêle – réputés pouvoir passer partout. La devise de la division était : « Par le djebel à la victoire ». Ensuite, nous avons été mutés au vingt-septième jusqu’en novembre 1945 ».
***
Après cette tranche de vie de deux de nos concitoyens, revenons à Paulhan en ce début de 1944. Le 25 mars, l’assemblée générale de la cave coopérative regroupe cent cinquante adhérents sur deux cent soixante. Le président annonce que la cave est représentée au sein du syndicat de défense de la Clairette du Languedoc dont les objectifs sont exposés :
— Obtenir un prix supérieur pour notre cru.
— Aboutir à faire reconnaître le droit à l’appellation contrôlée.
La Clairette fait déjà partie des onze vins supérieurs qui existent en France. Il faudra cependant attendre l’année 1955 pour qu’une proposition de loi soit déposée sur le bureau de l’Assemblée Nationale par Vincent Badie, Paul Coste-Floret, Jules Moch et d’autres parlementaires visant à faire inclure la Clairette parmi les cépages admis pour l’élaboration des vins doux naturels.
Le même jour, à des centaines de kilomètres, près d’Annecy, les maquisards du plateau des Glières succombent sous les assauts des troupes allemandes aidées de miliciens.
Reprenons le journal de M. Grizard : « 30 avril 1944 : les patriotes enlèvent un rail à l’entrée du tunnel de Villeveyrac ; sabotage de locomotive à Béziers. Premier mai : les patriotes font dérailler un train de bauxite en gare de Béziers.
10 mai : les patriotes viennent prendre 1 000 litres d’essence chez Calvet à Paulhan et tirent des coups de revolver à leur départ. L’opération s’est effectuée à onze heures du soir.
12 mai : échauffourée à Nizas entre le maquis et les Allemands. Cinq Allemands tués, un des nôtres est tué. Il est enterré à Canet ».
Le rapport adressé à la préfecture sur l’activité des maquisards dans la région de Clermont l’Hérault, en date du 15 mai 1944, marqué « très secret », relate laconiquement et avec partialité (comme il se doit), les dernières actions du maquis : « Depuis quelques jours, les bandes armées de la région de Clermont l’Hérault manifestent une activité des plus intenses qui se matérialise soit par la perpétration d’attentats et d’attaques à main armée, soit par des démonstrations de force à caractère militaire. Dans le premier cas, on peut citer en effet :
— L’attentat par explosif commis dans la nuit du 8 au 9 mai dans le tunnel de Canteygal, commune de Saint-Pargoire, sur la voie ferrée Montpellier-Bédarieux.
— L’attaque de la gendarmerie de Paulhan et le vol de huit cents litres d’essence dans la même commune (rapport spécial 2164 du 11/05/1944).
— L’engagement, à trois kilomètres au nord-ouest de Nizas, le 12 mai vers quinze heures, entre une bande d’une quinzaine de jeunes gens et un détachement des troupes allemandes, au cours duquel les « maquisards » auraient perdu un mort et un ou deux blessés ».83
Le rapport spécial N° 2164 cité plus haut, du commissaire de police, chef du service des Renseignement Généraux de Montpellier, adressé au directeur des Renseignements Généraux à Vichy, fournit des explications plus détaillées :
« Le 10 mai 1944, la caserne de gendarmerie de Paulhan a été attaquée par une vingtaine de terroristes armés de mitraillettes, fusils mitrailleurs et de mousquetons. L’adjudant-chef M. refusant d’ouvrir au chef de bande qui se disait officier et voulait un renseignement, apercevait par le judas de la porte de la cour des individus armés de mitraillettes. Sommé d’ouvrir, il répondit en criant « aux armes » pour appeler les deux gendarmes disponibles. Il tint les terroristes en haleine le temps de téléphoner à Montpellier. Une douzaine d’individus qui le tenaient en joue par-dessus le mur de clôture franchirent ce mur, firent irruption dans la cour et envahirent le jardin. Le personnel neutralisé ne put réagir. Le téléphone fut coupé. L’équipe qui était restée à l’extérieur procéda à l’enlèvement de neuf cent vingt litres d’essence d’une citerne voisine de la gendarmerie. Les terroristes avaient eu soin d’emmener la manche nécessaire. Celle du distributeur (M. Calvet) était cachée à la caserne de gendarmerie mais ils ne la demandèrent pas. L’opération a duré 15 minutes environ. Quand ils eurent terminé, ils partirent en direction de Clermont l’Hérault à très vive allure, tirant deux rafales de mitraillette auxquelles les gendarmes ripostèrent par trois coups de mousquetons. Il n’y eut aucune victime du côté de la gendarmerie. Quand les renforts appelés arrivèrent sur les lieux, les terroristes étaient partis. L’accrochage ne put avoir lieu ».84 Une lettre de la direction des P.T.T. au préfet, en date du 16 mai 1944, nous apprend que, pendant l’attaque de la gendarmerie « le 10 mai, vers vingt-deux heures quinze, deux hommes ont frappé à la porte du bureau de poste de Paulhan, demandant au receveur de leur ouvrir en prétextant une opération de police. Devant le refus opposé par le comptable, ces individus se sont retirés en proférant des menaces ».
Lors des réquisitions par le maquis, le propriétaire du véhicule, de l’essence ou des stocks de vivres emportés reçoit un « bon de réquisition » qui doit lui permettre ultérieurement de se faire rembourser la valeur de ce qui lui a été enlevé. Le montant de la somme à payer est souvent inscrit sur le bon. Il arrive que les responsables du maquis procèdent eux-mêmes au paiement. Ainsi, le 23 juin vers dix-neuf heures trente, « huit hommes se sont présentés armés de revolvers au magasin d’alimentation en gros Di Mario et Perone (réfugiés sétois qui séjournèrent à Paulhan environ dix-huit mois) et, sous la menace de leurs armes, ont enlevé cinq cents kilos de pâtes alimentaires, deux balles de haricots secs de cent kilos chacune et vingt-cinq kilos de sucre. Ils ont laissé un reçu signé « Bir-Hakeim ».
« Ils se sont enfuis avec une camionnette découverte, numéro et signalement ignorés. Avant leur fuite, les terroristes ont ordonné aux propriétaires de ne rien dire avant deux heures sous peine de représailles. Direction prise : inconnue »… et pour cause. Le reçu remis porte généralement le nom du bénéficiaire, la valeur des denrées « enlevées », la signature du maquis officialisée parfois par un tampon dessiné à la main… !
Mme Évelyne Bousquet n’a pas oublié « Les visites régulières d’un homme, petit de taille, juché sur une petite moto mais grand par la noblesse de la cause qu’il défendait. C’était le commandant Demarne qui parcourait presque quotidiennement nos rues. La première visite de Demarne eut lieu en juin 1944. C’était le jour de la noce du fils du Docteur Py avec Christiane Dardé. Quelques Paulhanais mal renseignés avaient indiqué aux gens du maquis que la pâtisserie serait confectionnée par Eugène Bousquet, père d’Edmond, le renseignement était faux. Evelyne se trouvait dans la boutique avec son beau-père quand un homme, une arme à la main s’engouffra dans le magasin réclamant les pâtisseries. Après une explication « musclée » avec son beau-père, soldat de la « grande guerre », Demarne repartit avec de gros pains sous le bras que M. Bousquet lui avait donnés. Il revint souvent par la suite ».
D’autres éléments ont une incidence plus directe sur la vie de tous les jours comme la fixation du prix du pain : 3 F 80 dans le département, ou celui du paquet de gauloises à 12 F (au marché noir, le même paquet coûte 100 francs).85 : Un arrêté du 15 juin fixe la ration de pain :
— E : 120 grammes
— J1 et V : 200 grammes
— J2 et A : 275 grammes
— T et C : 300 grammes
— J3 : 375 grammes.
C’est peu à une époque où un enfant de neuf ou dix ans mange aisément 100 grammes de pain (quand il les a) à son goûter.
Début juin, dans le quotidien « L’Éclair », le maire de Montpellier engage les habitants à évacuer la ville en raison du danger des bombardements aériens. Mais l’ouverture de la pêche a tout de même lieu le 3 juin au lever du jour sur tous les cours d’eau du département !
Les bombardements aériens alliés commencent effectivement en juin. Ils se poursuivent en juillet et août. Fréjorgues, Montpellier, Sète et Béziers sont touchées. Les victimes sont nombreuses. Le 13 juillet, le conseil d’administration de la cave coopérative décide : « sur demande et en vue d’utilité publique, la sirène de la cave sera mise à la disposition de la mairie pour une durée indéterminée ». Paulhan dispose d’un moyen de diffusion d’alerte.
Les hommes du maquis ne sont pas les seuls à réquisitionner. Les Allemands demandent eux aussi beaucoup. En juin, ce sont les pneus des voitures qui les intéressent. Ils se présentent liste en mains chez toutes les personnes possédant un bien aussi rare. Dans une maison, un des Allemands demande poliment à voir le véhicule. Celui-ci est sur cales, les roues ont disparu. « Où sont les pneus ? ». Le propriétaire de la voiture lève un pied, montre la semelle de sa chaussure « rafistolée » avec le caoutchouc d’un vieux pneu : « ils sont là ! ». L’Allemand s’en va, peu convaincu. Certaines personnes, comme le père de Suzette Bonniol, ont caché leur voiture sous un gros tas de fourrage au fond d’une remise, au risque de voir leur subterfuge aisément découvert lors d’une fouille. D’autres, moins prévoyants, voient s’envoler les pièces capitales de leur véhicule.
Vient ensuite le recensement des chevaux et des mulets. L’occupant fait ses choix mais les animaux ne seront pas réquisitionnés. Les véhicules sont également recensés et les chauffeurs convoqués. Seulement un tiers de ces véhicules sera disponible le 1er août.
Enfin, le jour « J » tant souhaité, espéré, attendu, arrive. Le 6 juin à l’aube, Américains et Anglais prennent pied sur les plages normandes. Chacun veut croire la libération proche. Bien sûr, le chemin est long de Caen à Paulhan, mais l’essentiel n’est-il pas fait ? La guerre reste présente cependant, partout, à chaque moment. « Dimanche 18 juin », note de M. Grizard, « le train de Montpellier-Paulhan est mitraillé à Villeveyrac : un mort et plusieurs blessés, dont Mademoiselle Juliette Pignol. Sabotage de la voie électrique à Lunas ».
Les actions du maquis qui s’intensifient chaque jour, les mouvements des troupes allemandes laissant prévoir un débarquement allié prochain sur les bords de la Méditerranée, tirent la population de la torpeur et de l’abattement dans lesquels quatre ans de guerre, de privations, de souffrances physiques et morales l’avaient faite tomber. « … La population côtière a tout subi et tout enregistré passivement, qu’il s’agisse des bombardements, du voyage du Maréchal et de l’éventualité d’un débarquement; tout est accepté d’une manière passive… J’en viens à me demander si ces populations, mal nourries depuis plusieurs années et qui connaissent désormais la quasi suppression de viande et de matières grasses, ne sont pas frappées dans leurs réactions intellectuelles par suite du manque de nourriture substantielle… » !86
De même, l’annonce du passage à Paulhan de Notre-Dame de Boulogne suscite un immense élan d’enthousiasme et de ferveur. Cet événement a marqué le souvenir d’un enfant de sept ans, Francis Fabre, qui n’a rien oublié.
Le jeudi 20 juin 1944 au soir, à dix-huit heures légale, une immense procession s’organise : une troupe d’enfants, garçons et filles en voile blanc, jocistes et enfants de Marie avec bannière et ruban bleu, des femmes poussant des landaus… Tout Paulhan était dans la rue, sans distinction, pratiquants et communistes, femmes de prisonniers et légionnaires.
Tous se mirent en marche au son des cloches par le boulevard Voltaire, le cours National, dans la direction de Bélarga pour aller attendre Notre-Dame de Boulogne. Au pont de l’Hérault, Notre-Dame du grand retour (des prisonniers) nous fut remise par les fidèles de ce village. Après quelques invocations récitées à genoux, la procession se remet en marche vers Paulhan. Plusieurs personnes font le trajet pieds nus, chaussures à la main, en signe de pénitence et pour donner plus de ferveur à leurs prières. La procession se dirige vers Notre-Dame des Vertus où une foule énorme se masse sur la place devant le sanctuaire. On invoque à nouveau Notre-Dame de Boulogne.
Le cortège repart vers l’église tandis que les cloches sonnent à toute volée. La nef est magnifique, toute parée de bleu et de blanc, un dôme de cinq voiles de tulle est déployé au-dessus de l’autel. Des gerbes de glaïeuls blancs ornent le chœur. Tout au long des travées, des guirlandes de fleurs courent de lustre en lustre. La statue est déposée sur le côté gauche du chœur, près de l’autel de la Vierge où sont rassemblées toutes les photos des êtres chers retenus au loin : prisonniers des stalags, détenus des camps, jeunes du S.T.O, militaires dans nos colonies.
Une messe de minuit est célébrée dans la plus grande ferveur.
Le lendemain, l’église est ouverte à six heures, les messes se succèdent, c’est le dernier tête-à-tête avec la Vierge. Chacun se recueille devant la statue et dépose ses intentions et offrandes dans la barque.
A neuf heures, les Pères qui accompagnent et dirigent les cérémonies font leurs adieux à la paroisse, et c’est à nouveau un immense cortège qui défile sur le cours National. Malgré les difficultés de la guerre, toutes les maisons sont décorées; sur les fenêtres, au milieu des fleurs et des dentelles, on voit une statue de la Vierge ou une image pieuse. Sur les façades, des draps de lit finement brodés soutiennent des guirlandes de fleurs. Des arcs de triomphe et des banderoles portant des suppliques : « Notre- Dame de Boulogne, donnez-nous la paix », « Unissez les Français », « Tout Paulhan est à vous » jalonnent le parcours. La foule, sous la direction des pères, récite des « Ave » et chante les bras en croix.
La remise de notre Dame de Boulogne à la paroisse de Campagnan se fait après l’Hérault, au carrefour des « Quatre chemins ». Les jeunes gens de Paulhan, Achille Jourdan, Jean Vidal, remettent la barque posée sur une remorque aux personnes de ce village, et c’est avec le cœur plein d’un immense espoir que nous la quittons. N’a-t-on pas dit que, lorsque la Vierge regagnerait son sanctuaire à Boulogne, la guerre se terminerait ? La prophétie s’est réalisée puisque la guerre finira peu de temps après ».87
***
Le 25 juin, Sète, Balaruc, Frontignan sont bombardées. L’effet en est visible de Paulhan. Du haut de la distillerie « la Suzon » chez Vézian, Zézé Genieys observe à la jumelle et voit les panaches noirs des fumées provenant des installations pétrolières de Frontignan qui brûlent.
Note de M. Grizard : « La ligne (de chemin de fer) étant coupée à Sète et Frontignan, les rapides et trains militaires allemands passent par Paulhan : trains de munitions, d’essence, canons, etc., venant de Lyon et de Roumanie. Un train de ravitaillement allemand est incendié par les patriotes88 dans le tunnel de Cabrils, près de Lunas ».
Plus tard, le 22 août, les Francs-Tireurs et Partisans donnèrent par tract le bilan provisoire de leur activité durant cette période. « Nous avons enfin coupé, pour des durées variables, la voie entre Bédarieux et Montpellier, la voie entre Paulhan et Vias et provoqué trois déraillements à Béziers ».89
La gare de Paulhan connaît une intense activité. Les trains français de voyageurs et de marchandises ont bien du mal à circuler. Nombreux sont ceux qui attendent pendant des heures un problématique départ. Le 12 juillet, la liaison Montpellier-Paulhan est même suspendue faute de locomotive. Des convois de vieux wagons grinçants de passage à Paulhan stationnent parfois sur une voie de garage. Que transportent-ils ? Du ravitaillement pour la population, des fûts de vin, mais aussi parfois des hommes entassés comme du bétail. Comme le jour où, d’un de ces wagons verrouillés, s’échappent les accents de la Marseillaise. Lorsque ce train repart le soir, vers vingt heures, les chants reprennent avec des accents déchirants. Ce sont des résistants en provenance de Béziers (peut-être les deux cents personnes de Capestang, victimes d’une rafle et déportés) qui rejoignent Montpellier avant un départ vers les camps de la mort.
« 5 juillet », journal de M. Grizard, « l’alerte est sonnée à Paulhan. De grosses formations (d’avions) anglo-américaines passent au-dessus du pays et bombardent. Il est onze heures quinze : une partie de la population est réfugiée dans les vignes », des vignes que les écoliers rejoignent avec leurs instituteurs.
Les maquisards, dont le nombre s’accroît, voient leurs besoins augmenter. Il leur faut s’approvisionner en vivres, en véhicules mais aussi en cigarettes. Informés d’une livraison de tabac à Paulhan le 8 juillet, les maquisards s’en emparent sans s’encombrer de beaucoup de précautions, ainsi, il ressort du rapport de police qui rapporte le fait : « Entre dix-huit heures et dix-huit heures trente, deux individus non armés se sont présentés au bureau de tabac de Mme Marie Satger et se sont fait remettre cent trente paquets de tabac. Quelques instants plus tard, quatre indivi dus ont opéré de même au bureau de Mme Louise Boyer (grand-mère de M. Jacky Roucairol). Ils ont emporté cent paquets de tabac. Signalement (les voleurs: environ trente-cinq ans, taille moyenne, complet de drap bleu.., direction prise : Clermont l’Hérault… en bicyclette ! »90 faisant preuve d’une certaine désinvolture. Ils ont laissé un reçu à chaque débitant, signé « Montaigne ». M. Roucairol nous a précisé qu’environ quinze jours plus tard, le capitaine Demarne est venu personnellement chez sa grand-mère effectuer le paiement du tabac « enlevé ».
Mme Lucienne Satger se souvient avec précision de cet épisode : « Marie Satger, buraliste, rue de Metz, venait de recevoir son contingent de paquets de tabac. Le maquis s’est fait remettre en plein jour tout le stock livré la veille contre un reçu. Demarne viendra personnellement la semaine suivante dédommager Mme Satger ».
Les rapports de police sont par contre muets sur la tentative de vol dont ce tabac a fait l’objet la nuit précédant son « achat » par le maquis. En effet, « dans la nuit, alors qu’elle avait été livrée quelques heures auparavant, Mme Satger entendit du bruit au-dessus de sa tête. Quelqu’un marchait sur le toit. Aussitôt levée, elle réveilla sa fille et alluma la lumière. La clarté se projeta sur le mur de la maison voisine par l’entrebâillement des volets. Le voleur s’apercevant qu’il avait réveillé les deux commerçantes disparut dans la nuit. Elles avaient eu très peur ».91
Les actions du maquis se multiplient. Le 11 juillet, trois wagons allemands de paille sont incendiés en gare de Paulhan. Ces incidents font craindre à tout moment des représailles. Terrain d’aviation, voies ferrées, ponts, routes sont de plus en plus les cibles des bombardiers alliés. Les alertes sont de plus en plus fréquentes, jusqu’à trois certains jours.
La situation de la population devient alarmante. Le ravitaillement est de plus en plus problématique. La présence de réfugiés de Sète, Agde, et Béziers aggrave le problème des vivres. A Paulhan, plus de farine. Courant juillet, la population reste plus de deux jours sans pain. La Municipalité est contrainte de réquisitionner l’orge des particuliers pour faire un pain de remplacement où l’on trouve autant de paille que de farine et de la terre qui crisse sous les dents. La situation est identique dans les villages environnants. Le maire d’Adissan expose la situation au préfet dans une lettre du quatre juillet.92
Quelques jours plus tard, à Lodève, une manifestation de ménagères est provoquée par le manque de pain. Le commissaire de police indique dans son rapport du 3 août que les Lodévois supportant des privations réelles, le ravitaillement est nettement insuffisant : « La population n’a pas eu de pain le 1er août, la ration n’a pas été distribuée aujourd’hui, elle ne doit pas l’être demain. Les pommes de terre font défaut et, alors que les fruits arrivent en abondance à Lodève par camions, les gens trouvent anormal qu’il n’y ait pas de moyens de transport pour apporter des pommes de terre sur le marché. Les distributions sont également très rares. Le mois dernier, une seule distribution a été effectuée ».93
Les Paulhanais ne sont pas plus favorisés, nous l’avons vu. La ration de viande est quasiment inexistante : cinquante grammes par personnes et par semaine. Imaginez ce que cela représente ! Qui plus est, cette ration est distribuée irrégulièrement comme nous venons de le voir pour Lodève. Déjà, le 5 avril, un rapport de l’intendant du Ravitaillement Général de l’Hérault indiquait : « Au cours du mois écoulé, il n’a pas été possible d’honorer la ration de viande au-delà de 50 % », et que « cette amputation de la ration est apparue d’autant plus grave qu’elle coïncidait avec la fin du programme de distribution des pommes de terre et la diminution des arrivages de légumes frais ». Il précisait encore que « Les autorités allemandes ont demandé qu’une avance correspondant à trente jours de consommation soit constituée dans le département en prévision de son isolement… ».94
Hormis le cinéma le samedi soir, les conversations dans les cafés, les promenades en campagne ou quelques bals, il y a peu de distractions. Les jeunes sont aussi désœuvrés qu’affamés. Un poulailler est une aubaine et quelques-uns ne peuvent résister.
Ils se glissent une nuit, sans bruit, jusqu’au lieu de leur méfait. Le lendemain, le propriétaire ne peut que constater la disparition de quelques belles pièces. Le pire est sûrement ce matin où une brave dame, allant donner à manger à ses gallinacés, ne trouve dans son poulailler que le coq esseulé, une étiquette attachée autour du cou portant: « Je suis veuf depuis minuit ». Un humour que ne goûte guère la propriétaire, ce qui est bien compréhensible.
Les bals, clandestins car interdits, sont assurément la distraction des jeunes et des moins jeunes. On danse en cachette ( ?!) sur la route de Clermont ou sous le pont noir, route d’Usclas, dont les deux extrémités sont fermées par des rideaux confectionnés avec de la toile de sacs à pommes de terre. Nono Soulier et son inséparable accordéon animent la fête, cela malgré les notes de la Préfecture renouvelant l’interdiction. Interdit vite oublié et puis, braver une interdiction, cela double le plaisir.
A défaut d’autorisation, on utilise des subterfuges pour tourner la réglementation et danser sans risquer de voir la fête interrompue, ainsi lors du mariage de « César » et d’une jeune fille des environs. Car, malgré l’absence des soldats prisonniers, de ceux qui ont rejoint le maquis, des requis du S.T.O. travaillant en Allemagne, il y a encore des mariages, et une invitée se souvient de celui-ci : « Beaucoup de jeunesse était invitée et il fallait un bon repas pour rassasier tout ce monde. Les mariés voulaient bien faire les choses. Il ne pouvait y avoir de noce sans bal, mais ils étaient interdits. Qu’à cela ne tienne, on trouvera un moyen pour danser ! ».
Le jour du mariage, le restaurateur fit un énorme cassoulet qui fut englouti en un rien de temps ; mais l’organisme habitué à une nourriture plus que légère se rebella et l’on en vit plus d’un quitter l’assistance pour aller s’isoler au bord de l’Hérault, loin des regards indiscrets.
Le jour du mariage, le restaurateur fit un énorme cassoulet qui fut englouti en un rien de temps ; mais l’organisme habitué à une nourriture plus que légère se rebella et l’on en vit plus d’un quitter l’assistance pour aller s’isoler au bord de l’Hérault, loin des regards indiscrets.
Le repas terminé, l’orchestre se mettait en place, c’était l’heure du bal tant attendu. Des soldats allemands cantonnés à Saint-Pargoire, invités pour contourner la loi (leur présence assurait aux mariés une autorisation tacite) firent leur entrée. Mais, à la grande déception des garçons impatients, les soldats s’accaparèrent les jeunes filles pour les faire danser et, une fois n’est pas coutume, ce furent les garçons de la noce qui ont fait « tapisserie ! ».
Cette union n’est pas la seule célébrée en cette période troublée. Malgré la dureté des temps, Cupidon a toujours des flèches et les décoche ici ou là. Il faut profiter aussi pleinement de ce que l’amour n’est pas soumis au rationnement ! Quelques mariages de cette période : Marie-Louise Barescut épouse Achille Jourdan en 1943, Gisèle Bonniol s’unit à Georges Coste en 1944, Christiane Dardé épouse Jacques Py en juin 1944, (liste non exhaustive).
Chaque mariage est une opération programmée demandant une grande organisation et beaucoup d’imagination car on dispose de peu de moyens. La robe de la mariée, élément capital de la cérémonie, ne pose pas trop de problèmes, même en ces temps où tissus, vêtements, chaussures sont, eux aussi, rares et contingentés.
L’achat d’une robe neuve est hors de question, le nombre de « points textiles » nécessaire dépassant le total de celui attribué à une famille, ou presque. On utilise donc celle d’une sœur, d’une tante, d’une cousine ou encore, comme Gisèle Bonniol, la robe de demoiselle d’honneur portée au mariage d’une parente, robe en broderie anglaise, blanche, achetée quelques années plus tôt chez Boka à Montpellier. Tout de même, un problème : la robe est à manches courtes, indécente pour une mariée. Quelques mètres de tulle servent à confectionner des manches et l’indispensable traîne.
Quant à la coiffure de la mariée, une plume d’autruche blanche disposée en diadème fait l’affaire. Reste le plus délicat à se procurer : des chaussures, car pour celles-ci, il faut des tickets. Gisèle chausse du trente-neuf, sa maman du quarante et un mais elle possède une paire de chaussures blanches. On fait avec : du coton dans le bout, des lanières de ruban blanc cousues sur la chaussure et nouées autour de la cheville et l’espoir de ne pas jouer les cendrillons au beau milieu de la cérémonie.
Le marié : un tailleur adroit retouche un costume de son futur beau- père, beaucoup trop grand pour lui et le problème est réglé. Il reste celui du repas, les familles ont opté pour un mariage à minuit et un « lunch » après la messe.95
Pendant que la future épouse « enterre » sa vie de jeune fille avec ses amies autour d’une bouteille de muscat et de quelques biscuits secs, le « futur» marié pédale avec son père vers Adissan pour aller chercher les pâtisseries pour le lunch.
Tout est fin prêt. Vers vingt-trois heures, toutes les lumières sont éteints à cause du couvre-feu, le cortège se dirige à pieds à travers le village vers la mairie. C’est M. Munier, président de la délégation spéciale qui unit Gisèle Bonniol et Georges Coste. Moment de joie les familles se congratulent, félicitations aux parents, vœux de bonheur aux jeunes mariés. Las, les cordons cousus aux chaussures blanches cèdent et voilà notre toute fraîche mariée se rendant à l’église… en traînant les pieds… pour ne pas perdre ses chaussures.
Il est minuit, les mariés arrivent à l’église. Ils sont accueillis par l’abbé Andrieu qui, choqué par les bras nus de la mariée (ils sont seulement couverts de tulle), lui fait les gros yeux. Furieux, il dira le lendemain à qui veut l’entendre que « la mariée était nue ».
Tout aussi grave, les mariés n’ont pas d’« Ausweis ». Ils ont bien sollicité auprès des autorités allemandes une autorisation pour se marier à minuit, couvre-feu oblige, mais dans la précipitation des préparatifs, ils ont oublié d’aller chercher le précieux papier à la Kommandantur !
La messe est accompagnée à l’harmonium. L’église est « noire » de monde, du moins pour le peu qu’on peut voir car seules quelques bougies sont allumées.
Après la messe, respectant la tradition, les jeunes mariés se rendent d’abord dans la vieille ville, chez une tante, pour « casser l’assiette de riz ». Ils rejoignent ensuite parents et amis pour partager avec eux le lunch… Toujours dans l’obscurité… Mais en musique.
***
« Le 14 juillet (journal de M. Grizard) à Paulhan, toute la population célèbre la fête nationale. Malgré les ordres de Vichy, le Monument aux Morts est décoré et pavoisé clandestinement ainsi que le socle de la République. J’ai porté au Monument aux Morts un bouquet cravaté aux couleurs françaises. A onze heures du matin, sur les ordres de la Résistance, tout le monde se groupe devant la mairie et le défilé commence aux accents de la Marseillaise et du Chant du Départ. Il passe devant la Marianne puis au Monument aux Morts, a lieu une minute de silence. La Marseillaise est chantée bras levés. Les gendarmes voulaient intervenir mais ils ont été impuissants. Le soir, malgré le stationnement d’un train allemand en gare : retraite aux flambeaux avec drapeau, superbe démonstration républicaine devant la Marianne, Feux de Bengale ».
A-t-on jamais su qui avait fleuri clandestinement le socle de Marianne ? Mme Satger fait revivre pour nous ses souvenirs si longtemps enfouis dans sa mémoire : « Au matin du 14 juillet, une main anonyme avait déposé un bouquet de fleurs orné d’un ruban tricolore devant la statue. Qui avait osé braver l’interdit ? »
« Quelques heures auparavant, dans l’arrière-boutique d’un petit magasin, rue de Metz, le 13 juillet vers vingt-trois heures, Lucienne et Charlotte Satger avaient confectionné le bouquet et M. Marius Gras, à minuit, enveloppé dans une grande cape noire d’hiver, cachant les fleurs, s’est dirigé vers le Griffe accomplir ce geste symbolique. Pour éviter toute rencontre, fortuite, M. Marius Gras, fit un détour par « le champ » (la piscine actuelle). Par manque de chance, l’abbé Andrieu y prenait le frais. M. Marius Gras dût attendre que le prêtre reparte vers le presbytère pour poursuivre sa « mission ». En fleurissant « Marianne », ils fêtaient à leur manière le 14 juillet et manifestaient ainsi leurs espoirs de liberté ». Peut-on dire que ces Paulhanais faisaient de la « Résistance » ? D’une certaine façon, oui !
D’une autre façon, les maquisards harcèlent les Allemands, comme ce jour du « 17 juillet : alerte à midi, incendie d’un wagon de paille en gare de Paulhan ».96
Les actions du maquis se poursuivent et s’intensifient dans les environs et même chez nous. Les « Biraquins » sont de plus en plus nombreux et leurs besoins en vivres, argent, matériel augmentent dans les mêmes proportions.
Pendant la même période, des maquisards sont en train de succomber dans le Vercors sous les assauts des Allemands et ceux du Mont-Mouchet ont dû se disperser.
Le 19 juillet à seize heures, alors que tout le village est occupé… à faire la sieste, « deux individus armés de revolvers et de grenades font irruption dans le magasin de M. Édouard S., commerçant rue Droite et, sous la menace de leurs armes, se font remettre soixante-dix paires de chaussures. Ils s’enfuient dans la direction de la route de Clermont avec une voiture genre camionnette dont on ne possède aucun signalement ».97
Le même jour, la gare de Paulhan informe à seize heures quinze la brigade régionale de police que « pendant le stationnement ce jour de l’unité allemande 181-136 de Cerbère, les wagons sous plomb de douane ont été déplombés et spoliés, vraisemblablement par les troupes de passage », Il ne peut s’agir là que des troupes allemandes elles-mêmes.
« 20 juillet : garde des wagons allemands en gare de Paulhan ». En effet, pour éviter le vol de leur contenu par la Résistance, des Paulhanais étaient contraints par les Allemands de garder ces wagons. Ils servaient d’otages et auraient été très probablement exécutés si leur contenu avait été brûlé ou volé.
Le même jour, M. Grizard note : « Manque de pain depuis deux jours. Le capitaine Demarne, chef du maquis, nous fait avoir des moutons ainsi que des patates ».
De même : « 4 août : le maquis coupe les poteaux télégraphiques sur la route de Campagnan, en face de Calvet, et d’autres sur la voie près de la maisonnette-passage à niveau de Saint-Martin ».
En effet, un rapport laconique numéro 1419 des Renseignements Généraux indique : « A Paulhan, dans la nuit du 3 au 4 août, onze pylônes ont été sectionnés à un mètre du sol au passage à niveau Saint-Martin ».98 La destruction des liaisons téléphoniques permet, quelques jours plus tard, de protéger la fuite des maquisards lors du vol à la Perception. Celui-ci ne pourra être signalé par téléphone. Ces destructions rentraient dans le cadre des actions programmées par le Commandement allié de Londres : plan vert, prévoyant la paralysie des voies ferrées et plan bleu, celle des réseaux électriques exécutées par les F.F.I.
« 4 août, vers deux heures du matin : le capitaine Demarne est tué dans une embuscade près de Gignac ».
« 6 août », toujours le journal de M. Grizard, « aujourd’hui dimanche, trois alertes à Paulhan ».
Le communiqué de la police de sûreté du 8 août fait état d’un « attentat terroriste commis chez le percepteur de Paulhan ». Ce jour-là, « A quatorze heures trente, trois individus armés d’une mitraillette et de revolvers ont fait irruption dans le bureau de la perception de Paulhan et, sous la menace de leurs armes, ce sont fait remettre par le percepteur la somme de 200 000 francs. Ils se sont enfuis dans une automobile, de couleur sombre dont le numéro d’immatriculation est ignoré, en direction de Clermont l’Hérault. La brigade de gendarmerie de Paulhan procède à l’enquête. La Direction Générale de la Gendarmerie n’a pu être prévenue téléphoniquement, les communications téléphoniques étant interrompues ».
« 9 août : Le percepteur de Paulhan a reçu la visite du maquis », note M. Grizard, « qui lui prend cent vingt mille francs », (Les nouvelles circulent vite mais le chiffre précis se perd en route) « Par le même maquis, vols ou réquisitions de bicyclettes ».
C’est d’une réquisition dont est victime M. B. R., chef de district à la S.N.C.F., à qui « un individu sans armes apparentes à pris son vélomoteur marque Motobécane qui se trouvait devant la porte de son immeuble. Il lui a été remis un reçu : bon de réquisition numéro 2-011 : reçu de M. B. M. un vélomoteur. Pour le Comité d’Action Immédiate secteur F.T.P. et C.F.L. signé : Montaigne »99.
— « 10 août : alerte à Paulhan, la résistance fait dérailler un train dans le tunnel de Villeveyrac et coupe la ligne Paulhan-Montpellier ».
— « 11 août : alerte à Paulhan ».
— « 12 août : deux alertes à Paulhan, bombardement de la côte ».
— « 13 août : les gendarmes de Paulhan et Clermont l’Hérault rejoignent le maquis. Le général de Gaulle donne l’ordre de combat à dix-huit départements ».
— « 14 août : Les Allemands viennent à Paulhan ».
En effet, un petit détachement d’Allemands qui stationne quelques Jours à Paulhan, loge dans l’école des filles et fait sa « popote » dans la tour, sous les platanes. Les officiers sont, cette fois encore, logés chez les particuliers (Mademoiselle Belly, Messieurs Chalvet, Lacombe, Clergue).
Mme Simon-Diaz se souvient qu’à la rentrée d’octobre 1944 : « Mme Vidoudez, directrice de l’école, a rassemblé toutes les fillettes dans la cour pour leur expliquer qu’elles risquent de trouver, en jouant, « des choses », balles, douilles qui doivent être impérativement apportées à la maitresse. Un peu inquiètes, au début, les fillettes examinent les aspérités du sol qu’elles soulèvent du bout de leurs chaussures en traçant une marelle. Aucune découverte bien extraordinaire ne vient troubler les jeux et les consignes sont vite oubliées ».
Les alertes se multiplient. Dès que la sirène retentit, certains Allemands, effrayés, vont s’abriter près du mur longeant le jardin de M. Diaz. Une partie de la population du village est d’ailleurs quelque peu affolée le jour où des avions alliés qui bombardent la côte survolent l’école presque en rase motte, et que l’un d’eux largue un réservoir vide que l’on prend tout d’abord pour une bombe.
— « 15 août », journal de M. Grizard, « Sainte-Marie : débarquement des alliés en Méditerranée. Le général de Gaulle donne l’ordre de combat à toute la France. A Paulhan, toutes les communications sont coupées, on ne peut correspondre avec la Préfecture ».
La libération est proche, l’espoir est immense mais l’atmosphère est tendue. Des échos de combats entre le maquis et les Allemands parviennent jusqu’au village. La population est inquiète. On craint toujours des représailles éventuelles.
— « 19 août le maquis fait des prisonniers allemands près de Clermont. Des avions alliés bombardent la côte. On entend les détonations de Paulhan ».
— « 20 août les F.F.I. libèrent huit départements. A Paulhan, un prisonnier italien fait par les Allemands est capturé et amené au café Descouts par les F.F.I. de Paulhan. Distribution de cigarettes prises aux Allemands à Perpignan un aviateur américain est inhumé à Pézenas. Aux obsèques cinq milles personnes et dix-sept couronnes ».
— « 21 août : cinq heures du matin, défilé de camions, voitures, tanks qui se replient vers Montpellier ».
On se bat dans Paris depuis déjà deux jours les soldats de De Lattre attaquent Toulon.
Selon le colonel Croft100, officier de l’Armée britannique, parachuté le 17 août au nord de Saint-Pons de Thomières pour coordonner les actions du maquis, « les Allemands évitent les routes principales… D’autres colonnes allemandes comprenant des tanks qui appartiennent probablement à la 11ème Panzer Division, avancent vers le nord via Paulhan. Clermont l’Hérault, Gignac, sur les Nationales 9 et 109 ».101
Le colonel Croft, François Rouan dit « Montaigne » avec une section du maquis d’environ trente hommes préparent une embuscade près de Gignac tandis que le capitaine Fowler est tué ainsi que deux gendarmes au cours d’une reconnaissance près de Clermont l’Hérault.
Nul, de ceux qui ont connu cette époque, n’a oublié ce défilé interminable d’engins énormes, bruyants, pétaradants (une Panzer Division comprend environ douze mille hommes et deux mille véhicules) qui, de cinq heures du matin jusqu’à midi, a fait trembler le sol dans un nuage de poussière et a empesté l’air de l’odeur étouffante des gaz d’échappement.
Au tout début de la matinée, un char tombe en panne devant le magasin du bourrelier, M. Viala. Celui-ci est déjà au travail. Les Allemands descendent du char, ils sont très nerveux et, pendant toute la durée de la réparation, un soldat, mitraillette au poing, ne quitte pas des yeux le pauvre M. Viala très inquiet qui n’ose pas bouger. Enfin, l’engin redémarre.
Plus loin, alors que la colonne s’étire, devant la « Cave Pilote », un jeune soldat probablement assommé de fatigue et de chaleur, endormi, appuyé contre la ridelle du camion, bascule à l’extérieur, entraîné par le poids de son fourniment. Le véhicule qui suit ne peut l’éviter et lui passe sur le corps. Il est enterré rapidement au bord de la route.
Mme Simon-Diaz, très jeune à cette époque, n’a cependant pas oublié : « Depuis le matin très tôt, les Allemands remontaient en colonne vers Clermont l’Hérault. Quelques personnes et quelques enfants les regardaient passer au carrefour de la route de Campagnan. De temps en temps, ils jetaient des papiers huilés, des restes de beurre, quelques bonbons et des restes de chocolats. Des petits Paulhanais, inconscients, les ramassaient. De loin, car on m’avait défendu d’aller sur la grande route, je regardais, assise sur le petit pont du ruisseau qui longeait le lavoir. Le tonnelier, M. Benaglio, était sorti de chez lui et m’a dit : « Petite, reste-là ! Ne vas pas ramasser tout ce qu’ils jettent, regardons les passer de loin. Ils repartent, c’est très bien… mais c’est dangereux d’aller au bord de la route, ils sont armés ! ». J’ai su plus tard que, dans certains villages, les Allemands avaient tiré sur les badauds qui les regardaient passer. Pour eux, c’était la débâcle ». Le dernier véhicule s’éloigne, aucun incident n’est à déplorer. Les Paulhanais sont soulagés ».
On annonce une distribution de pommes de terre par les F.F.I. Chacun retrouve rapidement ses esprits.
« Ce jour-là, 21 août. les F.F.I. de Paulhan, Charles Birouste, l’adjudant Bessières, Huc et d’autres jeunes comme René Ginies distribuent des pommes de terre dans le magasin de M. Paul Satger situé route de Clermont (actuellement poste d’essence). Les portes grandes ouvertes, la distribution commence, il est quatorze heures. Sur la route, un soldat allemand passe à vélo. Des jeunes Paulhanais quelque peu inconscients se précipitent, l’arrêtent, veulent le faire prisonnier. Les gens protestent : « Qu’est-ce que vous allez en faire, laissez-le partir ! ». A ce moment arrive une voiture décapotable avec un officier et son chauffeur. Les jeunes s’engouffrent dans le magasin dont on ferme les portes précipitamment sur eux. Les Paulhanais, tels une volée de moineaux, se dispersent dans les jardins alentours…
L’officier descend de voiture, questionne le soldat qui par de grands gestes, lui désigne le magasin où les jeunes commencent à s’affoler. Certains veulent soulever les tuiles et s’enfuir par le toit mais on leur fait comprendre que cette tentative serait suicidaire. Un enfant se glisse jusqu’à la route et repart vers l’arrière du magasin. Il monte sur un figuier et au travers des tuiles, renseigne les F.F.I. : « Ils sont là, ne bougez pas » chuchote-t-il. Brave petit guetteur qui restera fidèle à son poste et évitera ainsi un tragique dénouement. L’officier attend, regarde la route, espérant le passage d’un camion militaire pour faire donner l’assaut au bâtiment. L’attente paraît interminable. Les minutes paraissent des heures. Seul le chant lancinant des cigales transperce le pesant silence. Rien ne vient. L’officier se décide à partir, jette un dernier regard et la voiture démarre suivie du soldat à vélo. Les gens sortent de leur cachette, le magasin rouvre ses portes, la distribution reprend, le danger est passé ».102
Journal de M. Grizard « 23 août les allies occupent Sens. Grenoble, Marseille. A midi, la radio nous fait connaître que Paris est délivrée. Les Parisiens, forts de cinquante mille hommes armés et de milliers de volontaires, après quatre jours de combat, ont délivré leur capitale ».
L’annonce de la libération de Paris, comme celle de Marseille, est optimiste et quelque peu prématurée. On se bat encore dans ces deux villes. Quant aux milliers de Parisiens armés… On en était loin, très loin, moins de la moitié peut-être et bien pauvrement armés. En effet, si on compte vingt mille F.F.I. à Paris, ils ont cependant peu d’armes (seulement deux mille fusils). C’est le 19 août que les Parisiens se soulèvent, occupant la Préfecture de Police et l’Hôtel de Ville. La réaction allemande est faible. L’occupant n’a que des services dans la ville, les troupes combattantes sont à la périphérie.
Le général de Gaulle est informé le 23 août : « Résistance maîtresse de la rue. Allemands enfermés dans leurs points d’appui, quelques raids blindés ».103
Ce n’est que le 24 dans la soirée que les premiers éléments de la division Leclerc arrivent à l’Hôtel de Ville.
La ville n’est « nettoyée » que le lendemain. Les pertes sont lourdes : 130 tués et 319 blessés chez Leclerc, environ 3 000 Parisiens et F.F.I. tués et 2 800 Allemands.
A Paulhan, on fête l’événement avec un peu d’avance. Béziers, Montpellier, le Languedoc sont libérés sans combats importants.
« Le 23 août, sitôt la nouvelle connue (la libération de Paris), tout travail cesse l’après-midi et l’on pavoise aux couleurs françaises avec croix de Lorraine et quelques drapeaux anglais », note notre chroniqueur local. « A la marie, les bustes de la République sont mis en première place. Les portraits de Pétain sont enlevés des murs et brûlés devant la foule qui applaudit. Messieurs C.C. et B. vont prendre le drapeau des Anciens Combattants chez l’ex-président de la Légion, le D.P. Les insignes de la Légion sont brûlés devant la foule au moment où une voiture, envoyée spécialement, nous apprend la libération de Montpellier.
Un cortège se forme, les F.F.I. en tête, en tenue avec brassard et leur chef ainsi que le drapeau des Anciens Combattants, puis le drapeau de la mairie,le maire avec son écharpe et nous de la délégation, puis la foule.
Arrêt au Griffe, devant la République, puis au Monument aux Morts. Minute de silence. Marseillaise et dislocation ».
Émus, excités, les Paulhanais cherchent dans leurs placards, leurs tiroirs, des morceaux de tissus et confectionnent à la hâte des drapeaux pour pavoiser leurs balcons. Tout le monde s’active.
« Dans les cheminées, sur un feu de bois », nous dit une Paulhanaise, « cuit une étrange mixture dans laquelle on plonge des bandes de toile taillées dans de vieux draps de lit et qui ressortent tantôt bleues, tantôt rouges, merveilleuses petites boules de teinture qui, en se dissolvant, nous laissent entrevoir la fin prochaine de la guerre. Les morceaux d’étoffe fébrilement assemblés, fixés sur un bâton, font de magnifiques drapeaux qui vont fleurir les balcons ».
Les nouvelles se bousculent en cette fin du mois d’août.
« Le 24, la Roumanie demande l’armistice aux Alliés. La radio anglaise annonce la libération de Bédarieux par les F.F.I. » trouve-t-on dans le journal de notre concitoyen.
Vers midi, ce même jour, une colonne allemande arrive jusqu’à la « Fonnette ». Elle est formée de lourds chariots tirés par des petits chevaux qui sont conduits par des soldats mongols, yeux bridés et moustaches tombantes, prisonniers russes enrôlés dans la Wehrmacht. Le village est désert, les Paulhanais observent derrière les volets mi-clos. L’arrêt se prolonge. Une discussion s’engage entre l’officier commandant le détachement et… un réfugié espagnol qui indique le nord par de grands gestes.
Les chariots font, enfin, demi-tour et s’éloignent dans la direction d’Aspiran. On respire, on aime toujours mieux voir l’orage éclater chez le voisin que chez soi. Le même jour, un soldat allemand meurt de ses blessures à la suite d’un violent accrochage à la Grange des Près. Il est enterré sur le bord de la route à l’entrée de Paulhan, aux « Olivettes ». Une croix, des pierres et son casque marquent sa tombe.
Alors qu’elle coupe de l’herbe pour ses lapins, la mère de Mimi Carvajal assiste à la scène. M. Maurice Baumann également, qui se trouve non loin de là : « L’après-midi du 24 août, mon frère et moi étions aux « Olivettes », dans le petit chemin face à la route, et coupions de la « Balque », (folle avoine – prononcer Baouca) pour nourrir notre cheval. Sur la route Nationale passaient depuis quelques jours des convois militaires se dirigeant vers Montpellier.
Ce jour-là, en début d’après-midi, des camions avaient été attaqués et mitraillés par l’aviation alliée à la Grange des Près, près de Pézenas. Il eut des morts et des blessés. C’était l’affolement. Des soldats jetaient sur leur passage des biscuits et toutes sortes de détritus. Étant en retrait de la route, tout en coupant l’herbe, nous observions un camion qui venait de s’arrêter. Pas très rassurés, nous nous sommes cachés sous la haie, dans les grenadiers. Des hommes sont descendus et parlaient entre eux. Avec des pelles, ils commencèrent à creuser un trou. La terre était sèche et dure. Cela demanda un bon moment avant qu’on ait pu y déposer un corps enveloppé dans une couverture. Les hommes se sont mis au garde-à-vous, ont présenté les armes et un coup de feu fut tiré, puis le corps recouvert de terre. Seul un petit tertre, quelques pierres, une croix de bois surmontée d’un casque avec un nom écrit à la hâte témoignaient de la mort d’un jeune soldat de 18 ans ».104 Arthur Werker, c’était son nom, fut enterré par la suite au cimetière, vers le milieu, du côté gauche de l’allée centrale. Au début des années soixante, sa famille rapatria son corps en Allemagne.
« 25 août » : carnet de M. Grizard, « entrée des troupes du général Leclerc dans Paris. A huit heures du soir, le général de Gaulle fait son entrée dans Paris ».
Ce même 25 août, alors que les hommes des maquis sont appelés en renfort à Montpellier, le colonel Carrel (Gilbert de Chambrun) donne au capitaine Montaigne (François Rouan) l’ordre de retarder l’opération et de se diriger sur Paulhan où la deuxième colonne de la 198ème division d’infanterie allemande est signalée. Finalement, cette division passe au Nord du village, le pont sur la Dourbie étant détruit.
Reprenons notre chronique paulhanaise : « 27 et 31 août : visite avec Bessières (de Paulhan), chef de maquis à Mourèze (camp des F.F.I.). Déjeuner, visite au cimetière du commandant anglais (Fowler) et des lieutenants de gendarmerie (l’un était gendarme à Montagnac, qui avait rejoint le maquis le 13 août). Je rapporte en souvenir un fusil, une baïonnette et un casque allemand. Après-midi, mission à Montpellier, au quartier général des F.F.I. »… « En France, les traîtres sont fusillés ou emprisonnés ».
Le 2 septembre à Montpellier, une énorme foule en liesse, ivre de sa liberté recouvrée, fait un accueil enthousiaste et triomphal au général De Lattre de Tassigny, escorté de tous les « Biraquins ». On est venu des quatre coins du département pour participer à cette fête. Des Paulhanais sont là, amenés par M. Calvet sur son camion à gazogène : Popo Fulcrand, Renée Bertrand, et beaucoup d’autres. Jean Combes, Joseph Régis. Salasc le garagiste sont également venus avec la camionnette à gazogène de Roger Vézian
D’un bout à l’autre de la ville, la Marseillaise et le Chant des Partisans se répondent en écho.
Mais il faut revenir bien vite à la dure réalité. Si notre région est libérée, la guerre n’est pas terminée pour autant. Le départ des Allemands ne résout pas tous les problèmes, loin s’en faut. Très difficile jusqu’alors du fait des réquisitions allemandes, le ravitaillement est maintenant totalement paralysé par les destructions des bombardements alliés et les sabotages du maquis. Ponts, routes, voies ferrées sont inutilisables. Locomotives, wagons sont peu nombreux à pouvoir rouler. L’Hérault est le quatrième département sinistré de la zone sud et le septième dans la France entière pour l’importance des champs de mine.
Tout n’est donc pas réglé à la fin de l’été de 1944. Une portion importante du territoire national est libérée mais pas la totalité et l’Allemagne n’est pas vaincue. Le pays a besoin de ses soldats pour achever l’œuvre de libération.
Zézé Geniès apporte son témoignage : « Après avoir passé neuf mois dans les Chantiers de Jeunesse, Je suis revenu à Paulhan et j’ai repris mon travail à la cave, chez M. Virgile Vézian. Le maquis s’organisait et, au début de 1944, quelqu’un est venu me voir pour savoir si je ne voulais pas « entrer au maquis ». Jeune marié, je ne pouvais pas abandonner mon travail, mais j’ai proposé de participer à des actions ponctuelles. Ma proposition fut acceptée. Jean Combet et moi avons signé par écrit notre engagement au maquis. Nous étions appelés la « résistance locale ».
Il semble que la Résistance, dès le début de 1944 (peut-être même dès 1943), organise un réseau de « résistants locaux » en réserve en cas de besoin mais également pour avoir des informations sur ce qui se passe dans les villages et sur les mouvements des troupes allemandes.
Revenons à notre témoin : « Sur Paulhan, nous étions quatre : Denis Bessières qui avait monté le réseau local, René Geniès, Jean Combet et moi-même. Après le débarquement de Provence en Août 1944, on a demandé aux résistants locaux de partir et de suivre la 1ère Armée.
Aux premiers jours des vendanges, alors que j’étais à la vigne, j’ai reçu l’ordre du maquis de me rendre le lendemain à huit heures devant la mairie. Marcel Adgé, avec son camion, nous a conduits à Béziers. Il y avait tous ceux de Paulhan ainsi que ceux des maquis. De là, nous sommes partis pour la Côte d’Or, à Longeault-Pluvault, près de Dijon.
A notre arrivée, on nous a demandé de signer un engagement dans l’armée régulière. Lorsque nous étions partis, nous pensions qu’il s’agissait de prêter main forte au maquis. Or, on nous demandait de signer un engagement pour la durée de la guerre. Nous ne le souhaitions pas d’autant que, personnellement, je n’avais jamais manipulé une arme. Aussi nous nous sommes consultés et nous avons refusé. Nous pensions pouvoir rentrer chez nous. Le capitaine Delrieu (marié à Saint-Pargoire), qui nous commandait, nous a dit : « Le premier qui franchit la porte est passé par les armes ».
Les Allemands n’étaient pas loin du camp et nous montions la garde. Le lendemain, nous partons au champ de tir où le capitaine Delrieu passe les armes en revue. Gaby Capely est le dernier à être inspecté. Au moment où le capitaine prend son arme et s’apprête à regarder à l’intérieur du canon pour le vérifier, le coup part. Heureusement, la balle n’a fait qu’effleurer sa tempe. Delrieu, furieux, reprend son inspection et les premiers repartent en colonne par deux jusqu’au cantonnement.
Sans même avoir eu besoin de nous concerter, nous bouclons nos valises que nous jetons par les fenêtres et, en stop, nous revenons à Paulhan. Le 13 novembre 1944, les gendarmes viennent nous arrêter comme insoumis et nous conduisent à Montpellier. Gilbert De Chambrun commandait la place. Nous allons trouver une nièce de M. Borrel, de Gignac, qui était secrétaire de De Chambrun. Elle nous confirme que nous sommes en état d’arrestation et que nous allons être emprisonnés. Nous étions détenus à la 32ème boulevard Gambetta. Détail amusant, nous avons été arrêtés le 13 novembre, nous étions treize dans la cellule numéro treize. Était-ce un signe ? Nous avons demandé à passer en conseil de guerre. Nous avons attendu plus d’un mois en cellule. Le colonel Couappé ( ?), qui présidait le Tribunal militaire, a refusé. Il n’avait rien contre nous. Le Tribunal militaire ne pouvait juger que des militaires. Comme nous n’avions pas signé d’engagement, nous n’étions que des civils ! Puis, un jour, on est venu nous chercher menottes aux poignets pour regagner notre unité qui se trouvait au Valdahon, dans le Doubs. Arrivés à Dijon, le chef de la gendarmerie a demandé à consulter nos papiers pour connaître le motif de notre arrestation. Il nous a fait appeler et nous a dit « vous êtes libres. Vous pouvez aller où vous voulez parce que je n’ai aucun document militaire qui me prouve que vous êtes des insoumis. Vous n’avez rien signé. Vous êtes libres ». Pas tout à fait encore. Étant donné les circonstances, nous avons demandé à rejoindre notre unité pour que la situation soit définitivement réglée par des responsables militaires. Au Valdahon, un camp militaire immense, nous avons rencontré le commandant Boudet, du Pouget. ancien F.T.P. ainsi que le capitaine Montaigne (c’était le chef du maquis de Mourèze, son nom était François Rouan) qui nous confirment que nous étions libres. Nous nous sommes consultés et nous avons pensé que nous ne pouvions pas rentrer comme ça, les mains dans les poches. Nous n’étions pas des « s……. ». Nous avons donc finalement signé notre engagement pour la durée de la guerre. Nous avons été affectés au 81ème Régiment d’Infanterie qui avait rejoint l’armée de De Lattre dès le mois de septembre 1944. Nous avons retrouvé au Valdahon Jean Pignol de Paulhan. Nous sommes partis au front. Quarante-huit heures après j’étais premier mitrailleur sans jamais avoir appris à me servir d’une arme !
Nous avons fait à pied quarante kilomètres dans le froid et la neige à travers la forêt de la Harth (entre Saint-Louis. Mulhouse. Île Napoléon. Altkirch) jusqu’à un poste avancé sur les bords du Rhin. Nous y sommes restés quarante-quatre jours. Nous avons dû être relevés par mesure sanitaire, tellement il avait eu de victimes.
La veille de la relève, alors que toutes nos munitions étaient déjà embarquées sur des camions, nous avons été attaqués par les Allemands et nous avons dû nous battre à la grenade toute la nuit. Le 5ème Régiment de Spahis est enfin arrivé pour nous prêter main forte. Nous appartenions à la 4ème D.M.M. (Division Marocaine de Montagne). Dans cette division marocaine, il y avait un « harem »105 ambulant de cinq femmes qui suivait les soldats marocains.
J’ai été par la suite désigné comme magasinier du bataillon. Puis, nous avons traversé le Rhin et marché en direction de Stuttgart. Près de là, à Pforzheim, il y avait tous les coffres forts de la Reichbank. Le bombardement de la ville a duré vingt-deux minutes. Elle a été entièrement détruite. Le commandant Boudet s’occupait de récupérer tout ce qui pouvait l’être comme prise de guerre. Après la victoire, nous sommes partis à Imst (ouest d’Innsbruck) en Autriche. Nous faisions partie de l’armée d’occupation. Une partie de football a même été organisée contre une sélection militaire (française) du Tyrol-Voralberg. On les a battus 10 à zéro. Il y avait dans notre équipe Momo Capely.
Le 14 juillet 1945, les « bleus » de la classe 44 sont venus nous relever. Nous avons été démobilisés en novembre 1945 ».
***
Revenons à Paulhan et à la libération toute neuve où sur le plan politique rien n’est réglé non plus.
Dès le 3 septembre, le nouveau commissaire de la République, Bounin, front national (à l’époque émanation du parti communiste), appuyé par le préfet Weiss, front national également, adresse une circulaire à toutes les communes de la région rappelant que certains conseils municipaux doivent être dissous, conseils municipaux par trop favorables à Vichy ou même simplement nommés par Vichy. C’est le cas à Paulhan dont la délégation spéciale a été désignée par Vichy en novembre 1943.
On ne peut cependant dire d’aucun de ses membres qu’il ait eu de la sympathie pour ce gouvernement. On se souvient que les hommes qui la composent ont été proposés par Vincent Badie peu de temps avant son arrestation. Il avait dit d’eux qu’ils étaient tous républicains et pas du tout pétainistes
C’est en application de textes, telles les ordonnances du 10 janvier 1944, du 9 août 1944 relatives au rétablissement de la légalité républicaine que, par arrêté du 25 septembre 1944 signé par le préfet Weiss, le conseil municipal de Paulhan est dissous et qu’une nouvelle délégation spéciale est mise en place (la 3ème depuis le mois d’août 1941). Sont nommés :
— M. Adrien Munier, à titre provisoire, président de la délégation spéciale de la commune de Paulhan ;
— A titre provisoire, membres : Messieurs Clément Sicard (F.F.I.), Louis Delobeau, Félix Combet (F.F.I.).
On constate qu’il s’agit en fait d’une décision de pure forme puisque sont nommés des hommes choisis parmi ceux qui composaient la délégation dissoute.
Pourtant, l’installation de cette nouvelle municipalité provoque de graves tensions politiques. Le parti communiste et son représentant local ne sont pas satisfaits de cette désignation.
Des Paulhanais se souviennent de débats publics houleux opposant les deux tendances majoritaires ! La lutte se déroule entre le parti radical socialiste et le parti communiste. Cette lutte se ramène, en simplifiant quelque peu, à la rivalité de deux personnalités locales : Le Docteur Cristol, du parti communiste et M. Vincent Badie, à travers les membres du parti radical socialiste, car Vincent Badie est toujours prisonnier.
M. François Quinonero se souvient d’une réunion publique dans la salle au-dessus des halles où Mme Suzie Badie et le Docteur Cristol se sont « accrochés » verbalement de façon très virulente.
Les conséquences ne tardent pas à se manifester. Par arrêté du préfet du 13 décembre 1944, la délégation spéciale est dissoute (une fois de plus) et, sur proposition du Comité Local de Libération, il en est formé une nouvelle, la quatrième, beaucoup plus étoffée. M. Vincent Badie, qui n’est pas rentré de déportation, est désigné comme président, le Docteur François Cristol en est le vice-président et dirige donc, en fait, la commune jusqu’aux élections municipales d’avril 1945.
Sont nommés avec ces deux personnalités :
Munier Adrien Sicard Clément
Grizard Jean Labat Emile
Birouste Jules Loubet Pierre
Combet Félix Gaubert Abel
Maffre Louis Brennac Jeanne
Ce nouveau conseil est convoqué le 16 décembre, en vue de son installation et de la constitution des commissions.
On ne se souvient pas qu’à Paulhan, le Comité d’Épuration se soit prononcé sur des agissements répréhensibles malgré la rumeur publique accusatrice à l’égard de trois Paulhanais qui reçurent par la poste chacun un petit cercueil de carton noir pendant l’été 1944.
Mais les Paulhanais ont bien d’autres préoccupations, dont les plus importantes à leurs yeux sont le ravitaillement, encore et toujours, et même plus que jamais, qui ne redeviendra normal que bien après la fin du conflit et surtout, le sort des prisonniers dont on espère le retour. Pendant quelques temps, les nouvelles manquent et on s’inquiète de savoir quand ils reverront leurs foyers.
***
7e partie - 1945 - LA VICTOIRE
Avec elle, les Français découvrent « L’Enfer que Dante n’avait pas prévu ».
Dès le 2 janvier de cette nouvelle année, la commission municipale est réunie en session extraordinaire. Comme à l’accoutumée, les « questions diverses » sont évoquées :
— Demandes d’allocations militaires par des familles de prisonniers ou de soldats sur le front.
— Le problème du personnel communal-voirie, montrant peu de zèle dans l’exécution de son travail, est « convoqué par le maire pour rappel à l’ordre ».
— Indemnité de surveillance au personnel enseignant fixée à 30 francs de l’heure.
— Recommandation à l’appariteur Régis qui est tenu à faire les publications.
Un autre problème est évoqué, encore et encore, dont on se demande s’il finira un jour : celui du ravitaillement. A voir le mot revenir aussi souvent, on peut penser qu’il s’agit là d’une obsession, et c’est cela en fait. On cherche à manger, le troc est revenu à la mode. On achète à des prix fous, on vend, on échange. Pas de nombre de calories à surveiller, le niveau indispensable est tout juste atteint. Un signe : aucune publicité dans la presse ou à la radio pour les régimes « minceur » ; on a faim. On peut dire que tout un peuple a faim. La libération de la région n’a pas apporté de changement sur ce plan, même si la chasse est à nouveau autorisée et les fusils restitués à leurs propriétaires, si les initiatives individuelles pour améliorer l’ordinaire sont, dans une certaine mesure, permises, si la liberté de circuler est rétablie ainsi que l’envoi des colis postaux, la région est particulièrement défavorisée et les municipalités prennent, peut-être encore plus, en main le ravitaillement. En décembre 1944 et janvier 1945, les communes s’unissent pour constituer, sur le plan cantonal et départemental, un Comité de Ravitaillement.
Dans cette séance du 2 Janvier, le président de la délégation spéciale expose les buts de ce comité. Il explique « que les problèmes du ravitaillement deviennent tous les jours plus difficiles et que la question de l’alimentation s’avère de plus en plus angoissante. L’assemblée communale est la plus à même de connaître les besoins de la population ; elle doit apporter toute l’aide possible aux pouvoirs publics ».106 Le maire soumet alors le projet des statuts qui fixent le siège du Comité cantonal à Clermont l’Hérault et du Comité départemental à Montpellier, et précisent que ces Comités sont « constitués en principe pour la durée de la guerre jusqu’au rétablissement des conditions normales de la vie économique ».
Chaque village adhérent sera représenté par un délégué. La dotation financière de chaque commune sera constituée par une contribution équivalente à 15 francs par habitant en faveur du Comité cantonal et à 10 francs par habitant pour le Comité départemental, soit pour Paulhan la somme totale de 55 000 francs (ce qui permet d’estimer, à ce moment, la population à 2 200 habitants). En janvier 1945, soixante-dix tonnes de semence de pommes de terre sont achetées à Limoges par le Comité cantonal et distribuées aux communes adhérentes. De même, du lait concentré est acheté à la société Nestlé.
A Paulhan, le délégué, M. Théophile Arnou, prend en mains les problèmes du ravitaillement, aidé dans cette tâche par M. Roger Vézian. Ils tiennent régulièrement le conseil municipal au courant des résultats obtenus comme des difficultés rencontrées. Ainsi, ils exposent, lors de ce conseil du 2 janvier, qu’ils ont entrepris des démarches dans l’Aveyron pour essayer d’obtenir des pommes de terre pour la population en échange de tickets d’alimentation. Mais ils n’ont pu obtenir des résultats satisfaisants. M. Arnou fait également part au conseil municipal des revendications du parti communiste qui se plaint auprès du maire au sujet de la distribution des oranges. Il se justifie en disant que « les démarches nécessaires avaient été faites bien avant et que la distribution totale d’oranges a été effectuée à Paulhan en une seule fois ».107 Étant donné la suspicion qui pèse sur lui, M. Arnou demande au conseil municipal que l’on désigne un membre du parti communiste pour faire partie de la Commission du ravitaillement. M. Henri Barquet est désigné.
Le comité sait que notre région possède une excellente monnaie d’échange : le vin. Disons-le, les Paulhanais savent cela depuis déjà quelques années. Ce vin peut permettre d’obtenir, en contrepartie, légumes secs, pommes de terre et beaucoup d’autres denrées.
Après le départ des troupes allemandes, la liberté du commerce est en partie retrouvée. Elle n’a, malheureusement pourrait-on dire, pas que des aspects positifs. Des agriculteurs, des jardiniers, des maraîchers profitent parfois de cette situation et ne déclarent qu’une partie de leur production. Les Renseignements Généraux consignent : « Les producteurs ne livrent pas au Ravitaillement général l’intégralité des contingents qui leur sont imposés ».108 Ils peuvent ainsi vendre le reste au marché noir qui sévit toujours, conséquence de la pénurie et peut-être aussi d’un certain manque de civisme. La faiblesse est humaine. La conséquence de cette pratique est une augmentation anarchique des prix. Ceux-ci, en quelques semaines, doublent, voire triplent, ce qui, ne nous voilons pas la face, procure de sérieux bénéfices à quelques-uns. L’auteur d’un article paru dans le « Petit Méridional » début juin 1945 calcule qu’il pourrait être attribué 2 100 calories par consommateur au lieu de 1 300 si le Ravitaillement général était à même de juguler le marché noir et de faire une répartition équitable. Dans une note adressée à la Préfecture le 15 juin, les Renseignements Généraux, de leur propre aveu, constatent leur impuissance face à ce marché noir : « A l’heure actuelle, le marché noir a pris une telle extension que tous les commerçants sans exception le pratiquent presque ouvertement et sans risques » et « des faits récents (à Béziers) montrent incontestablement que tout acte de répression n’est pas suivi de poursuites et de condamnation »109. Moralité ? : Il faut faire avec.
Voici quelques prix relevés :
— Haricots verts : de 50 à 75 francs le kilo.110
— Pêches : de 60 à 100 francs le kilo.
— Fraises : 100 francs le kilo.
— Les œufs sont à 15 francs/pièce. Dans les restaurants, ils sont employés à confectionner des omelettes à 100 francs pour trois œufs. Le vin ordinaire acheté 9 francs le litre est revendu 32 francs dans les restaurants.
Ce ne sont là que des exemples. Il en est de même pour les textiles, les chaussures, les cigarettes…
L’hiver 1944-1945 est un des plus froids de la guerre qui en compte plusieurs d’une extrême rigueur. Nos soldats qui sont dans les Vosges et en Alsace en souffrent beaucoup, Zézé Genieys l’a éprouvé dans la plaine du Rhin.
Si la victoire est en vue et ne fait plus guère de doute, les conditions de vie ne s’améliorent guère. Les prisonniers, les requis du S.T.O. manquent toujours. Le ravitaillement, un leitmotiv, est difficile; tout ou presque manque encore. « Parmi toutes ces restrictions se posait le problème du chauffage. La mairie distribuait quelques bons de charbon vite épuisés. Une seule pièce où l’on cuisinait était chauffée. Les viticulteurs, eux, ne manquaient pas de bois et faisaient des flambées dans leur cheminée. En même temps, on y faisait cuire les aliments. Les autres utilisaient des cuisinières fonctionnant au charbon s’efforçant d’attendrir des légumes secs durs comme des cailloux ».
Faute de pouvoir se procurer du charbon jusqu’au départ des Allemands (les mines de Graissessac, Bédarieux, Alès avaient été réquisitionnées), on fabriquait un ersatz de charbon : « des boulets au poussier » dont la recette circulait de maison en maison.
Durant la saison d’été, les propriétaires, selon une coutume ancienne, « descendaient » dans les magasins sous les maisons. Là, sur une vieille cuisinière, dans la cheminée ou sur un fourneau à charbon de bois, on arrivait à faire une cuisine acceptable et sans subir les inconvénients de la chaleur.
Des ragoûts sans viande, avec pommes de terre, oignons, tomates et avec une toute petite tranche de « ventrèche », étaient délicieusement mijotés à tout petit feu. Une distribution de poudre d’œufs avec un peu de farine donnait une « pascale », genre d’omelette. Tout était bon pour agrémenter la « pascale ». Selon les saisons, quelques pointes d’asperges sauvages, quelques champignons, ou même des… goujons fraîchement pêchés ! Il arrivait que l’on tente la cuisson d’une tarte au raisiné dans le tour de la cuisinière qui, sur la table, rivalisait de résistance avec le plat qui 1a contenait.
Une grande partie de la journée se passait à la recherche de ravitaillement. Dès qu’une rumeur circulait, tout le monde y courait : vente de poisson de rivière à Garrigues, abattage d’un cheval dans les environs, file d’attente pour un œuf par personne, tout petit, venu du Maroc.
A Pézenas, on trouvait, dans une boîte alléchante, le « Camembert de Normandie » à 0 % de matières grasses, morceau de gélatine digne du plus sévère régime amaigrissant.
Dans la cheminée, sur le fourneau, on mettant de l’orge ou des glands à griller qui, une fois moulus, permettaient de distiller un ersatz de café. Il fallait avoir le tour de main : trop grillés, ses grains étaient amers. Dans le four de la cuisinière, les racines de chicorée vendues et ajoutées au succédané national, donnait une boisson à peu près buvable. D’autres personnes plus chanceuses possédaient un brûloir à café.
Avril. Les Paulhanais se souviennent de ce jour du mois de février 1941 où le cours National est devenu avenue du maréchal Pétain. Le 16 avril 1945, le conseil municipal, présidé par François Cristol, se réunit en session extraordinaire à vingt-deux heures. Il est urgent de « débaptiser certaines rues de la ville ». A l’unanimité, la délégation décide d’adopter les propositions de son président et de rebaptiser le cours National, dans la partie entre la rue Carnot et la route de Pézenas, « cours Président Roosevelt » et, dans la partie entre la rue Carnot et la route de Clermont, « cours De Gaulle ». La rue des Variétés prendra le nom de « rue du Commandant Demarne » et la rue Vauban portera celui de « avenue des Maquisards ». Il semble bien que l’usage n’a guère tenu compte de ces baptêmes.
Les élections municipales approchent. Les Paulhanais s’intéressent toujours au jeu politique, et ce d’autant plus que le droit de vote est accordé aux femmes depuis le 21 avril 1944, « Cadeau du général de Gaulle aux femmes » comme on l’a écrit, ou récompense pour le rôle de tant d’entre elles, héroïnes de la Résistance ou plus simplement, mais non sans mérite, chefs d’entreprise ou chefs d’exploitation agricoles en l’absence du mari et souvent dans les pires des conditions. Sûrement un peu de cela et aussi la marche du siècle…
Vincent Badie y était opposé, « d’accord en cela avec le parti radical ». Celui-ci pensait à l’époque, et n’en faisait pas mystère, « que les femmes étaient dans leur grande majorité particulièrement soumises à des influences antirépublicaines. Par conséquent, leur vote ne pouvait que refléter cet état de chose ».111
Les partis de gauche ne sont pas les seuls hostiles à cette extension du droit de vote à nos concitoyennes, ceux de droite les rejoignent dans cette méfiance. Il faut dire que, des Paulhanaises s’en souviennent certainement, cette revendication n’était pas leur priorité. Les femmes avaient des soucis plus terre à terre.
Fin avril, sans attendre la fin de la guerre ni le retour des prisonniers, mais il faut rétablir les rouages du pays, les Français (et les Françaises donc) sont appelés à voter pour élire leurs municipalités. A Paulhan, deux listes sont en présence. L’une communiste, avec à sa tête le Docteur Cristol, qui espère tirer avantage des quelques mois passés à la direction des affaires communales en tant que vice-président (et président provisoire) de la délégation spéciale. Il faut ajouter l’influence acquise par ce parti par son rôle dans la Résistance. Il a retrouvé là une « aura » perdue avec l’acceptation du pacte germano-soviétique de 1939.
Sur un plan plus général, dans la région, le parti communiste se montre le plus actif et sa propagande est habilement menée :
— Appui des revendications de la Confédération Générale du Travail relative au relèvement des salaires,
— Soutien du mouvement des viticulteurs pour la revalorisation du prix du vin,
— Main tendue aux catholiques,
— Appel des femmes à une action de masse contre les saboteurs du ravitaillement.112
Cela n’est peut-être pas suffisant pour permettre au parti communiste de remporter ces élections sans une alliance avec les socialistes. Il nous a été rapporté que, lors d’une réunion publique, M. Cristol, dans un discours enflammé, appelait à « L’union, l’union, l’union … » en martelant les mots, crescendo !
A la tête de l’autre liste figure symboliquement, car il n’est pas rentré de déportation, Vincent Badie. Son adversaire, pendant cette période préélectorale, organise contre lui une campagne d’autant plus virulente que Vincent Badie a voté, en janvier 1940, la déchéance des députés communistes et a prononcé à l’Assemblée un discours particulièrement sévère à leur encontre, reprenant même la formule d’Albert Sarraut : « Le communisme, voilà l’ennemi ».113
Si la campagne électorale est agitée, le scrutin se déroule dans le calme. Au soir du 29 avril, à dix-huit heures (heure légale), le président du bureau, M. Cristol, déclare le scrutin clos.
Nombre de votants : 883
Messieurs Louis Pelissier, Paul Lhébrard, Elie Satger, Henri Bessières, Adonis Maffre, Louis Jourdan, Félix Négrou, Gaston Roujan et Pierre Maniabal sont appelés comme scrutateurs. Le Bureau arrête les résultats du scrutin :
Enveloppes dans l'urne | ... | 883 |
Bulletins blancs | ... | 6 |
Enveloppes vides | ... | 1 |
Enveloppes annulées pour d'autres motifs | ... | 10 |
Suffrages exprimés | ... | 866 |
La liste de Vincent Badie arrive largement en tête. Il devance le Docteur Cristol de 141 voix.
Sont élus :
Badie Vincent, déporté politique | ... | 706 |
Boyer Joséphine | ... | 680 |
Carles Georges | ... | 593 |
Verdier Eugène | ... | 583 |
Arnaud Raoul | ... | 569 |
Cristol François | ... | 565 |
Léotard Emile | ... | 559 |
Guérin Paul | ... | 530 |
Nèples Eugène | ... | 523 |
Satger Elie | ... | 519 |
Jourdan Louis | ... | 515 |
Vézian Roger | ... | 514 |
Léotard Emile | ... | 559 |
Guérin Paul | ... | 530 |
Nèples Eugène | ... | 523 |
Satger Elie | ... | 519 |
Jourdan Louis | ... | 515 |
Vézian Roger | ... | 514 |
Fouet Edmond | ... | 490 |
Maffre Adonis | ... | 484 |
Fulcrand Joseph | ... | 473 |
Cambon Joseph | ... | 471 |
Devic Élisabeth | ... | ...467 |
Loubet Pierre | ... | ...450 |
Soit au premier tour : dix-huit élus sur vingt et un, dont deux femmes. Trois candidats sont en ballottage : Edmond Véziac, Henri Barquet et Théophile Arnou.
Ce même 29 avril, les Américains libèrent le camp de Dachau où est emprisonné Vincent Badie. Celui-ci ne rentrera qu’une dizaine de jours plus tard. Sa libération n’est connue à Paulhan que le 5 mai.
A son arrivée dans notre ville, il est salué par un discours de M. Cristol lors d’une cérémonie empreinte de gravité et d’émotion, devant le Monument aux Morts. M. Raoul Satger, ancien déporté du S.T.O., au nom de ses camarades prisonniers de guerre qui ne sont pas tous rentrés et au nom des déportés du S.T.O., l’accueille par quelques mots de bienvenue.
Retrouvons le journal de notre chroniqueur : « 7 mai : la radio fait prévoir que, dans quelques heures, aura lieu la capitulation complète de la Wehrmacht. On vit des heures fiévreuses de soulagement ». Il note, entre les deux tours des élections municipales : « 8 mai 1945 : capitulation de l’Allemagne. Reddition inconditionnelle de toutes les forces armées allemandes : terre, air et marine ».
***
La guerre est finie. C’est la liesse générale et le besoin de se « défouler » se fait sentir. « En ce 8 Mai, un tribunal populaire se constitue spontanément. Il s’agit de juger Hitler. Un simulacre de procès est organisé dans les halles. Raoul Satger est investi du rôle d’« accusateur public ». La sentence est immédiate, et pas tellement surprenante : « la mort ! » Un mannequin à l’effigie du Führer est accroché par une corde aux grilles du marché (retenue par quelqu’un caché derrière la porte). Un peloton d’exécution est formé, armé de fusils de chasse chargés à blanc. Théo Arnou commande ce peloton, sabre de cavalerie à la main. Le sabre s’abat, la salve éclate. Hitler s’affaisse. Il est alors pendu à une potence et brûlé sur la place. On fait une vente aux enchères « américaine » (rapportant plus d’argent), de l’allumette ayant servi à mettre le feu ».114
La guerre est finie. Avec la libération des « Camps de la mort », les Paulhanais découvrent leur existence et les atrocités qui ont été commises. A leur retour, Vincent Badie et Andrée Bès portent témoignage et font découvrir l’indicible réalité : « La plus sinistre, la plus lugubre, la plus hallucinante »115, « L’enfer que Dante n’avait pas prévu »116, « Ce pays où l’on parque les hommes dans l’ordure et la soif le silence et la mort ».117
Les mots sont pauvres pour décrire l’inhumain : sévices lors de l’arrestation, tortures morales et physiques, prison avec un régime très dur, déportation. Un calvaire ! Avec, au bout, ce transport dans des wagons bestiaux, ceux qu’ont connu les Anciens Combattants : hommes : 40, chevaux en long 8, où s’entassent 100 à 120 « prisonniers », hommes ou femmes, car des femmes subissent aussi ce martyre et cela est nouveau en ce monde dit civilisé. Ouvertures obstruées, un bidon pour « tinette », nourriture réduite (quand il en est distribué) à quelques trognons de chou ou un brouet d’orge avec une tranche de pain noir. Et c’est « Le camp », le camp avec les coups, les brimades, la faim, les travaux épuisants par un froid glacial ou une chaleur suffocante, les maladies : typhus, tuberculose, dysenterie, malnutrition…, pas de médicaments. Et aussi la peur, peur de perdre la vie bien sûr, à laquelle on tient dans les pires circonstances, mais aussi peur de perdre sa personnalité, de « se perdre ».
Certains déportés, malgré la torture morale que leur inflige ce retour dans le passé ont tenu à témoigner, comme Andrée Bès-Astier qui se souvient de la libération de son camp : « 7 mai 1945 – A midi, les portes du camp de concentration de Zwodau s’ouvrent devant les jeeps américaines pilotées par des canadiens-français et un lieutenant de l’armée française. Nous sommes libres ! Hélas, réalisant mal ce qui nous arrive, nous sommes très faibles, très amaigries et les médecins américains arrivés le lendemain, ne veulent pas nous laisser partir. Pourtant, nous n’avons qu’un désir, rentrer chez nous avec quand même beaucoup d’angoisse pour certaines. Une semaine après, nous sommes embarquées dans des camions découverts et traversons l’Allemagne jusqu’au Würzburg pour monter enfin dans des wagons à bestiaux qui nous ramènent vers la France.
Arrivée à Versailles, je peux serrer papa et maman dans mes bras et je n’ai qu’une idée partir à Paulhan avec eux. Mais il a fallu patienter encore quelques jours.
J’avais besoin de soins urgents et surtout de me débarrasser des méchants parasites qui me dévoraient le corps. Et nous voici enfin arrivés à Paulhan, mon cher Paulhan, ma petite Patrie… »118
Mais, en ce 8 mai, Paulhan, qui ignore encore cela, participe à la liesse générale. Et c’est dans une atmosphère de fête populaire que le deuxième tour de scrutin pour les municipales a lieu le 13 mai. Les trois candidats en ballottage sont élus.
Le samedi 19 mai se réunit le nouveau conseil municipal en vue de l’élection du maire et des adjoints. La séance est ouverte sous la présidence de Vincent Badie en personne. Il est élu maire à l’unanimité au premier tour.
Vincent Badie tient sa revanche.
Des propos du président de fait de la délégation spéciale lui ont été rapportés par son épouse, Mme Suzie Badie, qui assistait souvent aux réunions électorales et peut-être par d’autres. Vincent Badie répond publiquement aux accusations de « Républicain à l’eau de rose » portée contre lui en affirmant « qu’il ne suffisait pas d’être républicain du bout des lèvres, mais qu’il fallait avant tout l’être de cœur ».
« Les socialistes qui, jusqu’alors, avaient pris parti pour le Docteur Cristol, revinrent sur leur attitude et on assista à un retournement de la part des conseillers municipaux socialistes qui prirent fait et cause pour Vincent Badie ».119
On procède ensuite à l’élection des adjoints. M. Roger Vézian est élu premier adjoint par douze voix contre neuf à Mademoiselle Joséphine Boyer. M. Louis Maffre est élu second adjoint par le même nombre de voix : douze contre neuf à M. Eugène Nèples. Une délégation spéciale est confiée à M. Paul Guérin pour les services d’hygiène et à M. Raoul Arnaud pour les services sociaux.
Souvent retenu à Paris par son mandat de député et, plus tard, par sa tâche de ministre, ou à Montpellier par sa profession, Vincent Badie confiera de fait la direction des affaires de la commune à son premier adjoint, M. Roger Vézian, pendant de longues années jusqu’au décès de celui-ci.
Le nouveau conseil municipal convie la population à assister, le lundi 4 juin à vingt-deux heures, à une réunion en vue d’étudier la préparation du cahier local des revendications pour les « États Généraux de la Renaissance Française ». A peine la guerre est-elle achevée que revient le goût des revendications et des discussions.
La « Renaissance Française » est un mouvement créé fin 1944 à l’initiative du Conseil National de la Résistance qui espère, par ce biais, continuer à jouer un rôle dans la vie politique. Sous l’influence des communistes, ce mouvement charge les Conseils Départementaux de Libération de rédiger dans chaque commune un cahier local des revendications. Une synthèse départementale est prévue.
La synthèse nationale est faite lors des États généraux tenus du 10 au 14 juillet 1945 à Paris. Elle a pour but de préparer le référendum du 21 octobre 1945 et les élections à l’Assemblée Constituante qui élaborera le projet d’une nouvelle constitution et l’avènement de la IVème République.120
Ces États Généraux n’ont aucun lendemain et le mouvement n’a plus d’activités, mis à part l’édition de quelques brochures. Selon les Renseignements Généraux, le mouvement n’aboutit qu’à « provoquer entre les résistants une grave fêlure et à diminuer considérablement l’autorité du C.N.R. auquel les résistants tenaient particulièrement ». En effet, « seuls les militants actifs des mouvements de Résistance, rapidement transformés en mouvements politiques, ont pris part aux travaux des États Généraux locaux à qui on reproche le défaut de base démocratique et de représentativité ».
A Béziers, lors de la réunion de synthèse, « sur les mille huit cent délégués départementaux que comptait le mouvement, il y avait environ sept cents communistes, cinq cents socialistes ou apparentés, deux cents modérés et cinquante conservateurs ».121
Dans notre village comme dans les autres communes, la population est donc invitée à l’élaboration de ce document appelé également « cahier des doléances » (souvenir de 1789). De nombreux sujets doivent être évoqués :
— La défense de la démocratie (épuration, condamnation à mort de Pétain, lutte contre la cinquième colonne,…) ;
— Les conditions d’éligibilité, responsabilité personnelle des ministres ;
— La future Constitution et la suppression de celle de 1875.
Du travail en perspective !
La rivalité Badie-Cristol se manifeste encore ce 4 juin. Vincent Badie avait laissé toute latitude au Docteur Cristol pour choisir les délégués (Lucien Véziac se souvient avoir été de ceux-là), qui devaient exposer leurs revendications et « F. Cristol profita de cette marque de confiance pour nommer exclusivement des membres de son parti ». Le maire attaque vivement ce procédé et l’accuse « de faire de la politique au moment où la population toute entière se devait d’œuvrer pour une véritable Renaissance Française, but même des États Généraux qui allaient se tenir ».122
Le lendemain, 5 juin, les membres du Comité local des États Généraux sont convoqués à la mairie, par le président, à dix-neuf heures trente, pour rédiger une synthèse des propositions faites la veille. Lucien Véziac, comme les autres membres, reçoit une convocation.
***
Dans leur majorité, les Paulhanais ont cependant d’autres préoccupations.
De nombreux soldats sont encore prisonniers en Allemagne, des civils aussi. Ceux qui ont rejoint la 1ère Armée ne sont pas prêts de rentrer. Pour les premiers, c’est enfin le retour tant attendu. Dès la fin du mois d’avril, et principalement au mois de mai, les camps sont progressivement libérés au fur et à mesure de l’avance des armées alliées. Le voyage est long et se fait souvent dans des conditions difficiles à cause du manque de moyens de transport et des destructions subies par les infrastructures. Et puis, tant que la guerre dure, les moyens de transport servent prioritairement aux armées.
Cependant, « ils » rentrent enfin dans leurs foyers. Le premier à arriver à Paulhan fut Raoul Satger, un S.T.O. Il raconte : « Je fus accueilli dans la nuit du 12 au 13 avril 1945 en gare de Montpellier par un Comité d’accueil composé du Docteur Cristol, de Théo Arnou et Théo Descouts qui m’ont ramené à Paulhan demain à dix-huit heures, me dirent-ils, nous viendrons te chercher à ta maison et t’accompagnerons en cortège jusqu’à la mairie où sera servi un vin d’honneur. C’est ainsi que pendant trois mois le retour de tous les rapatriés donna lieu à cette cérémonie empreinte de liesse populaire ».
Le 17 avril, arrive le premier prisonnier Roger Desfours. Le 23 avril, arrive Raymond Verdier, le 3 mai, Lucien Delprat et Amédée Malaterre, le 5 mai Louis Clergue. Paulhan accueille trente-deux de ses soldats de fin avril à fin juin. Trois autres arrivent en juillet et août. Le dernier, Pierre Moulinier, est là le 10 août.
Les requis du S.T.O reviennent eux aussi progressivement. Il y a ceux enfin, F.F.I., engagés volontaires, militaires de carrière qui, avec De Lattre sont en occupation (chacun son tour) en Allemagne ou en Autriche comme Zézé Genieys, Gaby Capely, Jean Pignol. Il leur faut attendre octobre ou novembre pour être démobilisés.
Chaque semaine, les prisonniers sont accueillis officiellement par le maire. Jusqu’à l’élection de Vincent Badie, c’est le Docteur Cristol, président de la délégation spéciale, qui, accompagné de la Croix Rouge, de ceux du Mouvement National des Prisonniers de Guerre, formant cortège, se rendent au domicile de chacun des prisonniers : Suivi par la famille, les amis, les voisins, tous heureux, le petit groupe se dirige vers la mairie, musique en tête.
Andrée Bès n’a pas oublié ces heures d’intense émotion : « La municipalité paulhanaise avait décidé que chaque samedi, les prisonniers arrivés dans la semaine seraient reçus en grande cérémonie à la mairie par la population. Donc le samedi suivant mon arrivée ce fut mon tour. Un cortège précédé par la « musique » est venu me chercher à la maison avec ma famille. J’étais bouleversée et ma tête tournait un peu. J’étais encore fatiguée. Nous avons parcouru les rues de Paulhan sous les bravos et les sourires. J’en suis encore toute émue en écrivant ces lignes. Je me sentais vraiment l’enfant de mon village. Arrivés devant la mairie, une jolie petite fille, Jackie Delprat, toute rose d’émoi est venue m’offrir une magnifique gerbe de fleurs. Il y avait aussi un gentil petit garçon, Francis Fabre qui m’a confié, il y a seulement quelque années, avoir été si frappé par ce retour qu’il n’avait jamais oublié la jeune fille en robe bleue qui rentrait au pays. Un vin d’honneur nous réunissait ensuite dans la grande salle de la mairie où j’étais si fière de rentrer au bras de mon grand-père, Emile Léotard ».
A chaque réception, le maire salue officiellement leur retour dans la commune par une allocution de bienvenue, chaleureusement applaudie par l’assistance émue. Suit le traditionnel, et inévitable, vin d’honneur. Ceux des héros de cette petite fête qui en ont le courage répondent par quelques mots de remerciements, la gorge nouée par l’émotion. Ils en oublient ou presque, ces prisonniers, que leur rapatriement ne fut pas des mieux organisés. Il faut remarquer que c’est un million et demi d’hommes qui doivent être rapatriés, et cela en deux mois de temps, dans un pays qui souffre encore de pénuries diverses.
Le parcours est épuisant. Tout d’abord passage par le Centre d’accueil départemental pour une visite médicale. Le prisonnier doit obtenir sa fiche de démobilisation pour pouvoir bénéficier de la « carte de rapatrié » qui donne droit à une double ration alimentaire pendant six mois. L’afflux est tel que les services sanitaires sont rapidement débordés. Certains de ces hommes, impatients après plusieurs jours de voyage ou mal renseignés, rentrent chez eux sans avoir accompli ces formalités. Ils constatent alors, l’euphorie des premiers jours passée, qu’ils ne bénéficient pas des distributions officielles prévues et qu’ils ne peuvent prendre, pour s’alimenter, sur les maigres rations de leur famille.
Une note des Renseignements Généraux à la Préfecture souligne, le 25 juin, que les prisonniers rapatriés « En particulier ceux de la campagne, ne manquent pas de critiquer les nombreuses formalités à remplir pour pouvoir percevoir ce dont ils ont besoin. Cet état de chose ne manque pas d’irriter l’esprit d’un grand nombre de ceux-ci qui s’élèvent journellement contre les complications bureaucratiques de nos administrations. Ils protestent contre le fait qu’on n’ait pu leur attribuer dès leur retour au moins un costume décent et des chaussures. Ils protestent également contre la modicité du pécule alloué ».123
Dans leur ensemble, les communes viennent en aide aux prisonniers à leur retour. A Paulhan, dès le 16 avril, la délégation spéciale débloque, sur les fonds libres de la commune, une somme de 56 000 francs pour allouer une aide de 1 000 francs à chaque prisonnier de guerre ou requis du S.T.O. à leur retour. C’est bien, mais c’est modeste.
Ce sont cinquante-six personnes « rapatriées » que compte officiellement notre commune.
La délibération précise qu’« en cas de décès, cette somme sera versée à la conjointe ou aux enfants ou aux ascendants ».124
Cette aide, à laquelle s’ajoute le petit pécule déposé sur des livrets de Caisse d’Épargne par les jeunes du Comité d’Entraide, s’avère bien utile.
L’état de santé précaire de certains nécessite des séjours en maison de repos, ce qui amène l’État à faire construire à la hâte des établissements destinés à recevoir ces anciens prisonniers. Le conseil municipal vote « une somme de 10 000 francs comme participation de la commune à la création de maisons de repos pour prisonniers et déportés ».
Le maire, Vincent Badie, est particulièrement attentif à la souffrance de ces hommes, Paulhanais ou non, anciens prisonniers, anciens internés. Il se préoccupe constamment, avec son conseil, de leur apporter toute l’aide que permet la situation.
De nombreux « rapatriés » sont obligés de s’arrêter en gare à Paulhan sur le chemin de leur retour. Ils attendent, parfois pendant de longues heures, une correspondance qui doit les rapprocher de chez eux. Ils sont faibles, le ventre vide et sans argent. M. Théophile Arnou, membre de la Commission de ravitaillement, propose de demander au Ravitaillement général une attribution exceptionnelle de denrées pour permettre de donner de la nourriture à ces prisonniers et déportés rapatriés qui restent ainsi presque chaque jour en gare, venant de Montpellier et allant en direction de Bédarieux.
Bien évidemment, cette proposition est adoptée.
Si ceux qui reviennent font l’objet de la sollicitude de tous, famille, amis, élus. Les disparus ne sont pas oubliés. Des cérémonies et manifestations sont organisées à la mémoire des morts de notre commune.
Le collège décide d’apposer une plaque commémorative en souvenir de René Devic, ancien professeur déporté, mort au camp de Buchenwald. Le conseil municipal s’associe à cette manifestation et vote une participation aux frais (1 000 francs). Son nom est donné à une rue de notre cité.
On vote aussi une somme de 1 400 francs pour faire graver une plaque destinée à être apposée au Monument aux Morts et sur laquelle figurent les noms de ceux qui sont morts pour la France, au front ou au maquis : Roger Maniabal, Jean Aguilar, Pierre Cambon, Alexandre Carichon, Léon Jaurion, Jean Richard125, Marcel Blachère. Elle est posée au cours d’une cérémonie émouvante à laquelle de nombreux Paulhanais assistent dans le recueillement, contenant difficilement leurs larmes, conscients que ceux-là sont morts pour qu’ils puissent vivre libres. Ils mesurent dans leur for intérieur la dette qu’ils ont envers eux.
Mais la vie quotidienne reprend vite ses droits. Dès le mois de mai 1945, « les billets de banque à l’effigie de Pétain et de l’État français sont retirés de la circulation et remplacés par des billets du type américain. L’échange se faisait à la poste et à la perception. Pour des raisons de sécurité, les « rapatriés » sont chargés de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’incidents. Armés d’un fusil de chasse, ils montaient la garde à tour de rôle. Cela tenait plutôt du folklore. Quant aux soupçons et à la curiosité de certains, ce fût la déception : pas un seul Paulhanais ne s’est présenté chargé de la fameuse « lessiveuse »126, Pas de magot donc…
Le conseil municipal vote le renouvellement du bail du jardin communal à M. Michel Sanchez. Le montant de la location est fixé à 13 200 francs, avec effet au 1er février 1945. Ravitaillement difficile et marché noir, n’y revenons pas, mais, par les produits de ce jardin, la municipalité tente de pallier leurs effets néfastes.
Le sport aussi reprend sa place, le football en particulier. Le conseil municipal est convoqué le 7 juillet. Les dirigeants de l’Étoile Sportive Messieurs Fernand Barquet et Emile Guiraud sont conviés à assister à cette séance pour exposer les projets au sujet de la création d’un « stade municipal ».
Le conseil décide de faire appel à un architecte, M. Pierre Argillier, pour l’élaboration et la direction des travaux. Il vote l’acquisition de diverses parcelles appartenant à Messieurs Clergue, André Blanc, Jean Calvet, Xavier Négrou, Édouard Justin, à Mademoiselle Paulhe et à Mme veuve Soulier.
Est-ce à dire que le terrain des Laures a été créé en ce 7 juillet 1945 ? Il nous faut faire un petit retour en arrière.
L’Étoile Sportive Paulhanaise, section football, est née en 1921. Elle joue alors sur le terrain dit des Laures appartenant à M. François Fabre. Des tribunes en bois sont construites en 1927 et des vestiaires aménagés en 1931.
L’équipe est finaliste du championnat du Languedoc, 4ème division, en 1922-23, championne du Languedoc, 2e division en 1924-25.
Messieurs Raoul Satger et Lucien Véziac disent qu’il y eut ensuite un grand trou. Après ces années de gloire qui ont soulevé l’enthousiasme des sportifs et des autres Paulhanais, c’est le sabordage dont seuls quelques initiés connaissent la raison.
Mais les passionnés du ballon, les jeunes surtout, ne se résignent pas. « Nous avons continué de pratiquer notre sport favori dans les rues d’abord, puis nous avons défriché le terrain vague où se trouve actuellement la piscine et joué tous les soirs et le jeudi ». Ce sont jusqu’à soixante jeunes et moins jeunes qui s’entraînent sur ce terrain de fortune. Le terrain des Laures, après 1934, est planté en vigne par son propriétaire.
Des joueurs se sont « expatriés » dans tel ou tel club voisin, mais ne désespèrent pas de reconstituer une équipe. Parmi eux, Lucien Véziac. Au début de la saison de 1937, il joue à Lézignan-La-Cèbe. Lors d’un match contre Florensac, au mois d’octobre, il apprend que ce club est libre le dimanche suivant. Tout va, dès ce moment, aller très vite. Lucien Véziac alerte les amis à Paulhan et… laissons-lui la parole : « Aussitôt, avec un groupe d’amis tous âgés d’environ dix-sept ans nous nous lançons dans l’aventure. Sans aucune préparation, avec de vieux maillots de l’Étoile, nous nous présentons sur le terrain de Florensac. Dur apprentissage hélas, nous avons été battus sept à un. A notre décharge, aucun des joueurs n’était à sa place. Mais c’était lancé et nous ne devions plus perdre un match de toute la saison ».
L’équipe n’étant pas encore entrée dans le cadre du championnat, c’est Raoul Satger qui ‘arrange’ tous les matches par voie de presse. « Il fallait trouver un stade », poursuit M. Véziac.
« C’est à Usclas que nous nous sommes installés, en remerciant vivement la municipalité de l’époque pour son accueil. Les Paulhanais venaient nous voir jouer, à pieds ou à vélo. Nous avons naturellement pris contact avec les derniers dirigeants de l’ancienne Étoile afin de faire revivre celle-ci. C’est un refus catégorique qui nous a été opposé, sans cependant nous en exprimer les raisons ».
L’équipe marche, et même au-delà de toute espérance. Il faut créer un club. « L’idée du Racing Club de Paulhan, venait de naître ». Les statuts sont déposés en Préfecture. « Un bureau fut formé avec Emile Capely, président, père de Maurice, André et Gaby, Louis Satger, secrétaire, père de Raoul, et Georges Arnaud, trésorier ».
Le terrain à Usclas, c’est bien, mais pourquoi pas à nouveau un terrain à Paulhan. « Dès novembre 1937, Émile Capely, Georges Arnaud, Raoul Satger demandent rendez-vous au maire, le sénateur Paul Pelisse, qui leur promet l’achat d’un terrain, immédiatement l’idée de retrouver l’ancien terrain des Laures s’imposa ».127
Le conseil réuni en séance le 19 janvier 1938 autorise le maire « à faire toutes les démarches nécessaires pour l’acquisition de la parcelle numéro 297 à Choupila » en vue de l’aménagement d’un terrain de sport. Contact est pris avec le propriétaire, François Fabre, et un compromis de vente est signé pour le prix de 12 300 francs. Le conseil municipal réuni à nouveau le 26 février 1938 approuve « l’acquisition provisoire », autorise le maire à passer l’acte définitif et décide d’inscrire la dépense au budget.128
Sans plus attendre, la commune procède à l’arrachage des souches. L’acte ne sera cependant approuvé par le préfet que le 4 août 1938, après le décès du maire, M. Pelisse.
Le 26 octobre 1938, le conseil évoque à nouveau la question de ce terrain « devant être utilisé en grande partie par les enfants de l’EPS pendant les heures de loisirs » dont la déclaration d’utilité publique n’a pas été prise et l’acte de vente n’est toujours pas signé.
Francis Fabre était trop jeune pour se souvenir de ces événements mais il rapporte une anecdote qu’il tient de sa tante : « François Fabre, mon grand-père, lassé des promesses de règlement non tenues, se serait rendu à la mairie un soir de conseil municipal armé d’un revolver pour protester, »faire du bruit »… »129 si non e vero…
En dépit des protestations du vendeur, la vente ne sera signée que le 3 décembre 1938 et le 16 septembre 1940, les frais de l’acte n’étaient toujours pas réglés au notaire !
« Les dirigeants, les joueurs du Racing Club et nombre de jeunes Paulhanais n’attendent pas tout ce temps les bras croisés. Ils enlèvent des seaux et des seaux de cailloux, aplanissent, passent le rouleau et… jouent ».
« Enfin, en janvier 1938, eut lieu le match d’ouverture contre le M.U.C. (Montpellier Université Club). Les joueurs du Racing arborent leur nouvelle couleur bleue avec parements jaunes. C’est du délire, mille spectateurs. Les Paulhanais avaient été trop longtemps privés de manifestations sportives.
« L’équipe compte : Edmond Bousquet, dit « Le Jaguar », André Arnaud, Charles Cassan, Sylvain Sénéga, André Capely, Etienne Rudelou, Pierre Cianni, Gaby Capely, Néné Nouguier, Emile Arnaud, Jean Richard, Raymond Taillades, Raoul Satger, Lucien Véziac … Ceux-ci sont renforcés à partir d’avril 1938 par Lucien Griottier venant de la réserve professionnelle de Sète ».
« Les matches qui marquent cette période à la veille de la guerre sont ceux disputés contre le Pouget. Malgré le conflit, le succès du Racing ne connaît pas d’éclipse jusqu’à ce jour de mars 1941 où de nombreux joueurs reçoivent leur convocation pour partir aux Chantiers de Jeunesse. Lucien Véziac et d’autres doivent partir à Marvejols alors que le dimanche suivant a lieu la finale du championnat. Il n’est pas question d’abandonner ce titre qui est à portée de la main ».
« Lucien Véziac adresse un télégramme à Marvejols demandant d’accorder un report d’une semaine à sept joueurs afin de pouvoir disputer cette finale. L’autorisation est accordée. L’équipe ne déçoit pas son public et bat Clermont à Fontès.
Au retour des joueurs, c’est une haie d’honneur de centaines de Paulhanais qui les escorte jusqu’au café Descouts où la victoire est dignement fêtée ».
Ainsi, grâce à l’opiniâtreté de quelques hommes, le foot ne meurt pas à Paulhan.
« La guerre entraîne le départ de la plupart des éléments de cette équipe vers des horizons divers et généralement peu enviables Chantiers de Jeunesse, S.T.O… Jean Richard ne reviendra malheureusement pas. Après la finale contre Clermont l’Hérault, il n’y a plus de matches, plus de championnat officiel ni d’équipe structurée ».
« Ce n’est qu’après la libération de notre région en 1944 que les amateurs de foot reconstituent la « Société » sous les couleurs de l’Etoile. Fernand Barquet en assure le secrétariat jusqu’à la fin de 1945 et dès son retour d’Allemagne, Lucien Véziac reprend du service au sein du club.
C’est M. Barquet, délégué par l’Etoile qui se rend à la convocation du conseil municipal du 7 juillet évoquée plus haut, pour exposer les projets d’agrandissement du terrain acquis en 1938, appelé à devenir officiellement « Stade Municipal ».
Parmi les artisans de ce renouveau, il ne faut pas oublier Marcel Adgé qui se dépensera sans compter avec les faibles moyens de l’époque. Les joueurs de ces années-là se souviennent qu’il assurait tous les déplacements lors des rencontres à l’extérieur.130
Le football n’est pas la seule question à l’ordre du jour de ce conseil. La conseillère Mademoiselle Boyer demande au maire de bien vouloir prendre un arrêté afin de discipliner les Paulhanais dont le laisser-aller doit être corrigé. « Il devrait être expressément défendu de :
1) Laisser pénétrer dans les vignes chèvres, moutons, oies et autres animaux ;
2) Transformer les rues et places en basses-cours et en terrains de football ;
3) Jouer à la balle contre les immeubles ;
4) Détériorer les bancs des squares, jardins et promenades;
5) Faire du tapage nocturne après minuit;
6) Lancer des pierres;
7) Se servir de cailloux, de gaules, de frondes, d’arbalètes pour tuer les oiseaux ».
Une empêcheuse de danser en rond, en somme !
La vie quotidienne à Paulhan, en cet été 1945, c’est aussi faire la fête. Après toutes ces années d’occupation, de privations, de couvre-feu, toutes les occasions sont bonnes. Et elles ne manquent pas.
Le 3 juillet c’est la fête à la gare, puis le 14 juillet arrive. La plupart des prisonniers sont rentrés. La foule est en liesse. La cérémonie traditionnelle au Monument aux Morts s’apparente pour les Paulhanais à une réédition de la prise de la Bastille…, enfin libérés du joug de l’oppresseur. Et surtout, on attend le bal avec impatience. Mais, en milieu de journée, c’est la consternation. Dans l’effervescence, la municipalité a oublié de commander un orchestre. Raoul Satger épluche, en toute hâte, les petites annonces du tout jeune « Midi-Libre ». Il y trouve l’offre de service d’un orchestre, voilà qui règle tout. On le fait venir et, à dix-sept heures, il s’installe sur l’estrade dressée devant les halles. C’est alors la stupéfaction, les quatre musiciens n’ont jamais joué ensemble. Personne ne parvient à reconnaître « c’est une fleur de Paris » qu’ils tentent laborieusement d’interpréter. La foule proteste. Le garde-champêtre, M. Régis, appelé en renfort, les prie de déguerpir. C’est finalement au son d’un « pick-up » que l’on dansera.
Vers le 20 août, c’est la fête du village. Les forains sont à nouveau présents avec les baraques, les manèges et leur musique, l’incontournable « Monaco », le Biribi… où l’on tente sa chance.
Puis vient le temps des vendanges. Cette année encore, les viticulteurs ont éprouvé toutes sortes de difficultés : manque de main d’œuvre, de bêtes de trait et de produits cryptogamiques. La plupart s’en sont plaint et certains, à tort ou à raison, ont prétendu même que le souffre était stocké dans les usines alors que ce produit faisait particulièrement défaut pour lutter contre l’oïdium.131
A ces difficultés, s’ajoutait la question du prix du vin, la revalorisation du salaire des ouvriers agricoles et le soutirage du vin dans les caves qui, trois mois avant cette vendange, n’avaient encore pu écouler le vin de la récolte précédente.
Quelques semaines avant les vendanges, au cours d’une réunion du Comité de Salut Viticole qui se tient à la mairie de Montpellier, une solution est adoptée concernant le prix du vin. Le prix du degré est porté de 50 à 80 francs, soit une augmentation de l’ordre de 60 %. Le gouvernement décide par ailleurs d’accorder une indemnité aux viticulteurs, décision qui met fin à un malaise pouvant avoir de sérieuses répercussions sur l’ordre public. En effet, les ouvriers agricoles reçoivent, en vertu d’un arrêté du commissaire de la République, un acompte de 600 francs pour les hommes et de 500 francs pour les femmes, à valoir sur leur salaire qui est revalorisé.
Les viticulteurs, qui se demandent comment ils vont pouvoir payer ces augmentations, sont satisfaits de l’augmentation du prix du vin et de la prime promise, mais demeurent inquiets et souhaitent avoir quelques précisions sur le mode de paiement et la date.
Étant donné la carence des moyens de transport, il est demandé aux pouvoirs publics intéressés et responsables de prendre de toute urgence les mesures appropriées afin que les retraits puissent s’effectuer de façon accélérée par transports ferroviaires et routiers, et qu’une enquête soit menée sur la manière dont a été réparti le contingent de wagons réservoirs qui auraient dû être rendus disponibles du fait de la libération.
Partout où les gelées de mai ne l’ont pas compromise, la récolte s’annonce assez bonne et même plutôt meilleure que celle de 1944. Le problème de la main d’œuvre demeure. Malgré le retour des prisonniers, la vendange ne s’organise pas sans difficultés. Les hommes qui sont rentrés n’ont pas repris toutes leurs forces et ne peuvent participer pleinement à la récolte. Pas de chevaux et seulement quelques camionnettes. Par contre, les viticulteurs sont informés qu’ils peuvent bénéficier, sous certaines conditions, de l’aide de prisonniers allemands.
Les prisonniers de guerre paulhanais sont rentrés de captivité. Juste retour des choses, serions-nous tenté de dire, en novembre, des prisonniers allemands sont là, au nombre de 8 600 dans la région. Mais ils « donnent plus ou moins satisfaction à leurs employeurs ». Il faut avouer que les nôtres n’agissaient certainement pas autrement.
Une vingtaine d’entre eux sont mis à la disposition de la mairie pour effectuer divers travaux et, en particulier, la remise en état des chemins ruraux dont l’entretien a été, par la force des choses, quelque peu négligé pendant le conflit.
M. Verdier, dit « Cabosse », est désigné comme responsable de l’emploi des équipes de prisonniers placées sous la surveillance de sous-officiers français logés chez des particuliers : Messieurs Lacombe, Vézian. Les Allemands sont, quant à eux, « cantonnés » dans le magasin de Mme Hayn.
Encore un problème pour le maire, en novembre il doit faire face à un manque de crédits pour ce poste du budget alors que la réfection des chemins n’est pas terminée et que les prisonniers (allemands) continuent à travailler.
Il faut trouver des ressources pour remédier à ce manque de moyens ; le conseil municipal décide de procéder au virement de 30 000 francs d’un poste excédentaire. Une aubaine ! La délibération est approuvée par la Préfecture le 30 du même mois.
Tout comme les prisonniers de guerre français en Allemagne, les prisonniers allemands étaient rétribués. Ils percevront 1 500 francs par mois, somme ramenée à 1 200 francs à compter du 1er décembre 1945. Quelques années plus tôt, Marcel Clergue écrivait à ses parents : « ne m’envoyez pas du tout d’argent. Nous gagnons une quinzaine de Reichsmarks par mois. L’argent que vous envoyez est donné en monnaie de camp qui n’a pas de cours ».
Les prisonniers avaient également droit à une ration journalière de pain, variable par catégorie: T (travailleur) adulte : 300 grammes, TF1 (travailleur de force catégorie 1) : 375 grammes, TF2 : 450 grammes et jusqu’à 700 grammes pour les prisonniers travaillant au fond des mines.
En mars 1946, tous les prisonniers allemands n’avaient pas encore été libérés. Une note adressée aux employeurs, les invite à remplir une fiche au nom des prisonniers de guerre qu’ils emploient, en vue du « recensement de la population » qui « s’applique également aux prisonniers de guerre ».
A peine les vendanges achevées, une autre manifestation se prépare activement : « la fête du retour », ce retour des prisonniers qui se doit d’être commémoré. Les festivités sont fixées aux 5 et 6 octobre. « Le comité des prisonniers obtient de la municipalité une subvention de 30 000 francs afin de pouvoir donner à cette fête mémorable tout l’éclat possible. Messieurs Louis Audemar, Marcel Clergue, Paul Faugé ont en charge « l’intendance ». Ils sont chargés, avec d’autres personnes, de l’organisation, un énorme travail. Il faut se procurer de quoi manger : volailles, charcuteries, pâtisseries, fruits.
En ce temps de – toujours – pénurie cela n’est pas chose facile. Pour la boisson, le problème ne se pose guère. Pour trouver, il faut se déplacer. Heureusement, la mairie propose de rembourser les frais du déplacement pour ceux qui vont à la « montagne » pour l’approvisionnement. Peut- être un peu de troc se pratique-t-il à cette occasion. Qu’importe, le motif est louable ».132
« Plusieurs dizaines de convives sont attendues. M. Causse, ancien prisonnier, pâtissier à Clermont, fournit gracieusement les glaces que Louis Audemar va chercher. Mesdames Carrichon et Faugé, du café Santou, confectionnent le repas. Des tables sont disposées dans toutes les salles de la mairie ; elles débordent même dans les salles du café Santou ».
« Tout est prêt. Les cérémonies sont prévues sur deux journées. Une messe solennelle est célébrée par M. l’abbé Andrieu, ancien combattant de 1914-1918. L’église est comble. Les anciens combattants de la grande guerre et leurs drapeaux, les prisonniers et les S.T.O. sont tous là. Les personnalités aussi : le sous-préfet de Lodève, le maire, Vincent Badie, M. Toirot, percepteur, les directeurs du collège et des écoles et, derrière eux, les familles de ceux que l’on honore, les amis. Une assemblée émue.
Une cérémonie simple et prenante. Après la messe, les manifestions se poursuivent par un dépôt de gerbe au Monument aux Morts ».
Le soir, après le repas, Mademoiselle Andrée Bès ouvre le bal au bras de Vincent Badie qu’elle n’a pas revu depuis leur rencontre, dans les bien pénibles circonstances que l’on sait, au camp d’internement de Compiègne, dix-sept mois plus tôt.
Petit détail pour l’anecdote, ce n’est pas un mais deux orchestres qui animent cette soirée. Le premier contacté étant engagé ailleurs, les organisateurs en ont fait venir un autre. Le premier s’étant libéré entre-temps, vient également. On s’aperçoit finalement qu’il n’est pas de trop, pour animer ces soirées… et puis c’est la mairie qui paie les droits d’auteurs à la S.A.C.E.M. …
A son retour de Dachau, Vincent Badie est désigné par le général De Gaulle pour faire partie de l’Assemblée consultative provisoire. Son mauvais état de santé ne lui permet pas de prendre part aux débats et il refuse sa désignation, par le chef du gouvernement Provisoire pour siéger comme juré au procès de Pétain.
Après un court repos, il revient à la mairie, mène campagne pour les élections cantonales – il est élu le 23 septembre – et préside, nous l’avons vu, la « Fête du Retour ».
Au mois d’octobre, il est élu député à l’Assemblée Constituante. En effet, contrairement aux 569 parlementaires frappés d’inéligibilité pour avoir voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain le 10 juillet 1940, Vincent Badie pouvait se présenter à ces élections sans crainte de voir le résultat invalidé.
L’année 1945 s’achève. Peu à peu, la vie reprend normalement à Paulhan. Il reste des souvenirs.
CHRONOLOGIE
- 1938 -
§ 23.3. Annexion de l’Autriche par l’Allemagne.
§ 7.8. Élection municipale partielle à Paulhan.
§ 11.8. M. Vincent Badie élu maire.
§ 29/30.9. Conférence de Munich.
- 1939 -
§ 15.3. Hitler envahit la Tchécoslovaquie.
§ 23.8. Signature du pacte germano-soviétique.
§ 1.9. Hitler envahit la Pologne.
§ 3.9. Déclaration de guerre de la France et de l’Angleterre à l’Allemagne.
- 1940 -
§ 10.5. Offensive allemande en Hollande, Belgique et France.
§ 15.5. Arrivée des réfugiés belges à Paulhan.
§ 18.6. Appel du général de Gaulle.
§ 22.6. Signature de l’armistice. Entrée en vigueur le 25.
§ 10.7. Les parlementaires réunis à Vichy votent les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain par 569 voix contre 80.
§ 15.7. Entrée en vigueur de la carte d’alimentation.
§ 30.7. Création des Chantiers de Jeunesse.
§ 29.8. Création de la Légion Française des Combattants.
§ 27.10. Rencontre Pétain-Hitler à Montoire.
§ 16.11. Loi du 16 novembre 1940 portant réorganisation des corps Municipaux (délégations spéciales).
- 1941 -
§ 15.2. Le nom du Maréchal Pétain est donné à une partie du cours National.
§ 23.3. Démission du conseil municipal à la demande du maire (qui revient sur cette démission le 10.4.)
§ 22.6. Hitler attaque l’URSS.
§ 26.7. Création d’un corps de sapeurs pompiers à Paulhan.
§ 25.8. Arrêté préfectoral nommant M. Paget maire de Paulhan.
§ 2.10 Démission de M. V. Badie.
§ 25.10. Arrêté nommant les conseillers municipaux formant la délégation spéciale.
§ 7.12. Entrée en guerre des États-Unis.
- 1942 -
§ 10.2. Création par la municipalité d’un jardin potager communal.
§ 24.2. Décision de la commission départementale sur l’enlèvement des statues.
§ 15.4. Décision du conseil municipal de procéder à l’électrification du quartier de Choupila.
§ 23.6. Accord Laval-Sauckel sur la « Relève ».
§ 8.11. Débarquement des Alliés en Afrique du Nord.
§ 11.11. Allemands et Italiens envahissent la zone libre.
§ 15.11. Arrivée à Paulhan du premier détachement de troupes allemandes.
§ 27.11. La Flotte française se saborde à Toulon.
- 1943 -
§ 13.1. Sauckel, directeur de la main d’œuvre du Reich, demande 250 000 travailleurs français.
§ 28.1. Premier départ des jeunes Paulhanais requis pour aller Travailler en Allemagne.
§ 31.1. Création de la Milice.
§ 16.2. Loi de l’État Français sur le Service du Travail Obligatoire.
§ 2.7. Mort du Chanoine Martin.
§ 10.7. Débarquement Allié en Sicile.
§ 10.7. Démission de M. Paget, président de la délégation spéciale.
§ 21.7. Démission de tous les membres de la délégation.
§ 15.11. Arrêté Préfectoral nommant les membres d’une nouvelle délégation spéciale présidée par M. Munier.
§ 26.11. Arrestation à Montpellier de M. V. Badie.
- 1944 -
§ 6/14.1. Évacuation d’une partie de la population des villes côtières.
§ 25.3. Les adhérents de la cave coopérative demandent la reconnaissance de l’appellation contrôlée de la Clairette.
§ 10.5. Attaque de la gendarmerie de Paulhan par des maquisards.
§ 6.6. Débarquement des Alliés en Normandie.
§ 20.6. Arrivée à Paulhan de Notre-Dame de Boulogne.
§ 4.8. Mort du commandant Demarne.
§ 15.8. Débarquement des Alliés en Provence.
§ 24.8. Libération de Montpellier.
§ 25.9. Arrêté préfectoral désignant une troisième délégation spéciale présidée par M. Munier. La précédente est dissoute.
§ 13.12. Dissolution de la délégation spéciale Munier et nomination d’une nouvelle présidée par M. V. Badie (toujours déporté), François Cristol, vice-président.
- 1945 -
§ 16.4. Le cours Président Roosevelt et le cours de Gaulle remplacent l’avenue du Maréchal Pétain.
§ 29.4. Élections municipales. 1er vote des femmes.
§ 8.8. Capitulation sans conditions de l’armée allemande.
§ 19.5. M. V. Badie est élu maire de Paulhan.
BIBLIOGRAPHIE
§ Maurice Agulon, Histoire de France – La République.
§ Henri Amouroux, les Français sous l’occupation.
§ Vincent Badie, Vive la République, Entretiens avec Jean Sagnes.
§ Émiles Bergès, Quatre ans d’incertitude. La Résistance dans la haute vallée de l’Orb.
§ Jean-Luc Bouniol, Mémoire de Maîtrise 1995 – Le Canton de Clermont l’Hérault pendant la Seconde guerre mondiale.
§ B. Davit – J.C. Audemar, Les statues de Paulhan.
§ Charles de Gaulle, Mémoires de guerre.
§ Jean Marielle – Jean Sagnes, le Vote des quatre-vingts à Vichy le 10 juillet 1940.
§ Pierre Miquel, les Quatre-vingts.
§ Patrick Néolas, La Résistance dans les hauts Cantons de l’Hérault.
§ Jacques Robichon, Le débarquement en Provence.
§ Lendemains de Libération dans le Midi. Actes du colloque de Montpellier 1986. Université Paul Valéry. 1997.
DOCUMENTS ET REVUES
§ Armées d’aujourd’hui, numéro spécial 190, mai 1994. Il y a cinquante ans la Libération.
§ Dossier Archives départementales, 1944 : la Libération dans l’Hérault.
§ Études sur l’Hérault numéro S. 9 – 1993.
§ Documents privés de familles Paulhanaises.
§ Dossier série W – ADH – Autorisation spéciale de la Direction des Archives de France – Ministère de la culture, dérog. 1786.
NOTES
1. V. Badie « Vive la République » Entretiens avec Jean Sagnes.
2. Archives Municipales.
3. Récit de Jeannette Grizard…
4. Archives cave coopérative.
5. Archives cave coopérative.
6. Récit de Mme Doumet.
7. Georges Charlent « Les Sourires d’un Bruxellois ».
8. Henri Amouroux – Le Figaro Magazine, 1er mars 1997.
9. Pierre Miquel : « Les quatre-vingt ».
10. Jean Marielle et Jean Sagnes « Pour la République » – Le vote des quatre-vingt à Vichy le 10 juillet 1940 ».
11. Entretiens avec Jean Sagnes : « Vincent Badie, Vive la République ».
12. Almanach de la Ligue féminine d’action catholique française.
13. Règlement des Chantiers.
14. Son rôle est de soutenir l’action du maréchal Pétain. Elle regroupe essentiellement les Anciens Combattants.
15. Souvenirs de Mme Doumet.
16. Albert Koops, Avocat à Montpellier.
17. ADH356W 114/2.
18. Registre des délibérations du conseil municipal.
19. ADH 356 w 114/2, Rapports des 12, 13, 23 mars, 10 avril et 31 mai 1941.
20. ADH 356W 114/2.
21. SADH256W 11412.
22. Almanach de la Ligue féminine d’action catholique française.
23. « L’Éclair » du 1er mars 1941.
24. « L’Éclair » du 12 mars 1941 – 10 mars 1941.
25. « L’Éclair » du 9 mars 1941 avis du Délégué spécial au ravitaillement.
26. Journal « L’Éclair » du 16 mars 1941.
27. Fantaisie tirée de « La Deuxième Guerre Mondiale », Hachette.
28. V. Badie « Vive la République » Entretiens avec J. Sagnes.
29. ADH 356 W 51.
30. ADH356 W 107.
31. Précisions communiquées par Mme Hélène Chaubin correspondante pour l’Hérault de l’Institut d’Histoire du Temps Présent.
32. AM Registre des délibérations.
33. AM Registre des délibérations.
34. Récit de Jeannette Grizard.
35. Archives municipales. Registre des délibérations du conseil municipal.
36. A M. Séance du conseil municipal du 10 février 1942.
37. Séance du conseil municipal du 15 avril 1942.
38. Séance du conseil municipal du 19 mars 1942.
39. Récit de M. Félix Négrou.
40. AM. Registre des délibérations.
41. AM Registre des délibérations.
42. ADH356W 107.
43. Maurice AGULON – Histoire de France « La République ». Révolution Nationale – 13 août 1940 – nom donné à l’action politique et administrative de Vichy tendant à créer un nouvel ordre moral : rejet des mensonges, de l’égoïsme, goût des loisirs et de la jouissance, exaltation des vertus traditionnelles et des notions de Travail – Famille – Patrie. « Plus qu’une idéologie fasciste, la Révolution Nationale est réactionnaire au sens étymologique du terme : il s’agit d’effacer le passé immédiat pour retrouver les véritables racines de l’identité française, la France éternelle. Les épreuves de la défaite tiennent lieu de rite expiatoire ».
44. ADH 356 W 107, Rapport des RG du 12 août 1942.
45. ADH 356 W 107.
46. Récit de M. Lucien Véziac.
47. ADH 356 W107.
48. Archives Municipales.
49. Archives Municipales.
50. Accords du 22 Juin 1942.
51. Lettres de Marcel Clergue.
52. J. Luc Bouniol – Mémoire de Maîtrise 1995 – « Le Canton de Clermont l’Hérault pendant la Seconde Guerre Mondiale ».
53. Lettre de Marcel Clergue.
54. Archives cave coopérative.
55. Archives caves coopérative.
56. Archives privées – Récit de M. Bonnery.
57. Archives privées – Journal de J. Grizard.
58. Récit de M. Gaby Capely.
59. Par suite de la découverte de 234 cachettes d’armes – Historia n° 603 – Henri Amouroux.
60. Récit de Jeannette Grizard.
61. Archives Départementales de l’Hérault – 179 W.
62. Récit de Jeannette Grizard.
63. Le STO a été institué par la loi du 16 février 1943. La demande de Sauckel portait sur 250 000 travailleurs français.
64. Récit de Joseph Régis.
65. Récit de Mme André Nèples.
66. Témoignage de Mme Annie Vidal-Darpeix.
67. Récit de Jeannette Grizard.
68. Récit de Jeannette Grizard.
69. Récit de M. Baptiste Patrac.
70. Mémoire de maîtrise 1995 – J.-Luc Bouniol.
71. ADH 356W 107.
72. ADH 356 W 107.
73. ADH356W 107.
74. Archives Municipales.
75. ADH 356 W 107.
76. Vincent Badie – Entretiens avec J. Sagnes.
77. ADH 356 W 107 N° 15297.
78. Vincent Badie – Entretiens avec Jean Sagnes.
79. Archives cave coopérative.
80. ADH 356 W 120.
81. H. Amouroux « La vie des Français sous l’occupation ». Le général De Lattre a été, comme tous les généraux exerçant un commandement, destinataire d’un plan en vue de lutter contre une invasion de la zone libre. Il s’agit, en gros, de tenir une tête de pont destinée à permettre un débarquement des Alliés, avec les unités de l’Armée d’Armistice. C’est ce plan qu’il va s’efforcer de mettre en œuvre malgré les ordres contraires de ses supérieurs. Il confiera à sa femme avant son départ de Montpellier : « On ne peut concevoir une autre solution que de se battre, on pourra les embêter ». Il quitte Montpellier en voiture le onze à midi trente avec son état-major. Son supérieur direct empêchera le départ des unités et le général De Lattre terminera son odyssée à Saint-Pons. Cela ne lui ôtera pas l’envie de reprendre la lutte. Arrêté, mis à la retraite d’office, condamné à dix ans de prison, incarcéré à Riom, il s’évadera et rejoindra le général de Gaulle à Alger. Mis à la tête de la 1ère Armée française, il débarquera le 16 août 1944 à Saint-Tropez. Le 2 septembre 1944, il sera à Montpellier, dans un Languedoc libéré par les F.F.I. au milieu de la foule, dans la liesse générale.
82. Études sur l’Hérault NS 9 1993.
83. ADH 356 W 112.
84. ADH356W 112.
85. Un franc 1943 = Un franc 1996. Le pouvoir d’achat était cependant différent.
86. ADH 18 W 19 – Rapport de la Préfecture. Mai 1944.
87. Récit de Jeannette Grizard.
88. Ceux-là même que les autorités de Vichy nomment les terroristes.
89. ADH 79 J 1.
90. ADH 356 W 112.
91. Témoignage de Mme Lucienne Satger.
92. ADH 356 W 120.
93. ADH 356 w 112.
94. ADH 18 W 16.
95. Après le 12 décembre 1944, le tarif du mariage civil célébré entre 10 heures du soir et 4 heures du matin est de 200 francs.
96. Note de M. Grizard.
97. ADH 356 W 112/2.
98. ADH 356 W 112/2.
99. ADH 356 W 112/2.
100. Études sur l’Hérault – N.S. 9 – 1993.
101. Jacques Robichon – Le débarquement de Provence. Cette division blindée était stationnée dans la région Albi-Carcassonne. Elle avait été mise à la disposition de la 19ème Armée allemande qui tenait les côtes de Provence le 13 août et s’était mise en route dès ce moment. Obligée d’emprunter des itinéraires secondaires et de rouler souvent de nuit pour échapper à l’aviation, elle mettra beaucoup de temps à atteindre le Rhône. Elle n’allait pas vers le Nord mais vers l’Est (ou Nord-Est), les chars ayant leurs canons pointés vers l’avant, prêts à riposter à toute attaque des maquisards ».
102. Témoignage de Jean Grizard.
103. Général de Gaulle – Mémoires de guerre.
104. Témoignage de Maurice Baumann.
105. Terme pudique.
106. Délibération du conseil municipal du 2 janvier 1945.
107. Délibération du conseil municipal du 2 janvier 1945.
108. ADH 19 W 27.
109. ADH 137 W 27.
110. Les prix sont en francs de 1944. 1 franc (de 1944) = 1 franc (de 1996) environ. Toutefois, le pouvoir d’achat n’est pas identique.
111. Vincent Badie – « Vive la République » – Entretiens avec Jean Sagnes.
112. ADH 137 W 27 – Rapport n° 59-4 des Renseignements Généraux.
113. Vincent Badie – « Vive la République » – Entretiens avec Jean Sagnes.
114. Récit de Raoul Satger.
115. Vincent Badie.
116. Raymond Portefaix.
117. Louis Aragon.
118. Témoignage de Mme Andrée Bès-Astier.
119. ADH 137 W 27.
120. J.-F. Muracciole Professeur à l’Université Paul Valéry, Montpellier.
121. ADH 137 W 27 – Rapport des Renseignements Généraux n° 2531.
122. ADH 137 W 27.
123. ADH 137 W 27 – Note des Renseignements généraux n° 1418.
124. Archives Municipales.
125. Joueur du Racing Club Paulhanais.
126. Récit de M. Raoul Satger.
127. Récit de M. Lucien Véziac.
128. Archives Municipales.
129. Récit de Francis Fabre.
130. Récit de Lucien Véziac et de Raoul Satger.
131. ADH 137 W 27.
132. Récit de Marcel Clergue.