Présentation de la publication
Hyacinthe et Gaspard Rigaud à Montpellier :
documents inédits
Par Ariane JAMES-SARAZIN
Des frères Rigaud, Hyacinthe (1659-1743) et Gaspard (1661-1705), peintres de leur état, la postérité a surtout retenu l’aîné dont le nom exprime à lui tout seul l’art du portrait français au seuil du XVIIIe siècle. On sait moins que son frère suivit ses pas non sans talent, comme en témoignent les quelques tableaux signés de sa main (Fig. 1) qui nous soient parvenus. La tradition veut que nés à Perpignan, les frères Rigaud aient reçu les rudiments de leur art à Montpellier. Pour autant, on demeure mal renseigné sur leurs débuts et sur les différentes étapes qui les conduisirent jusqu’à Paris, où se déroula l’essentiel de leur carrière. La découverte de deux contrats d’apprentissage les concernant vient éclairer de façon déterminante ces années languedociennes.
Jusqu’à une date récente, le peu d’informations dont on disposait à propos de la formation reçue par l’aîné des Rigaud se fondait sur trois témoignages : l’Abrégé de la Vie d’Hyacinthe Rigaud, très certainement rédigé par le peintre lui-même et « l’un de ses amis » en 1716 à la demande du Grand Duc de Toscane Côme III ; la Vie de M. Rigaud par Hendrik Van Hulst qui est postérieure au décès de l’artiste, tout comme le sont les pages que lui consacre Antoine Joseph Dezallier d’Argenville dans son Abrégé de la vie des plus fameux peintres. Que nous dit Hyacinthe de son parcours initial ? Méconnaissant la date réelle de sa naissance (1659), puisqu’il se rajeunit de quatre ans (1663), il explique que « Marie Serre, sa mère, ne voulant point s’opposer à l’inclination qu’il sembloit avoir héritée de ses pères, l’envoya âgé de 14 ans en Languedoc chez un peintre de Montpellier nommé Pezet, peintre médiocre, où il demeura en pension l’espace de 4 ans, après lesquels, jugeant bien luy même qu’il avoit besoin d’un maître plus habile, il partit pour Lion, il y passa quelques années et vint à Paris en 1681 ». Si l’on se fie au récit de l’aîné des Rigaud et à la chronologie qu’il nous fournit, il aurait donc quitté Perpignan en 1677 pour entrer en apprentissage à Montpellier chez le peintre Paul Pezet (1622-1707), auprès duquel il serait demeuré jusqu’en 1680, date à laquelle il aurait gagné Lyon.
Première approximation dans ce scénario : ce ne sont donc pas « quelques années » que Hyacinthe aurait passées dans la capitale des Gaules, mais à peine un an, puisqu’il se dit à Paris dès 1681. Confiant, Dezallier d’Argenville reprend à son compte les affirmations de l’artiste qu’il a bien connu. Tout juste enrichit-il le cercle des maîtres dont Rigaud aurait appris le métier à Montpellier : « il y [étudia] sous Pezet et Verdier, peintres assez médiocres : quelques personnes assurent qu’il travailla aussi chez Ranc le père ». Notons au passage que si Pezet peut prétendre, par son expérience acquise de longue date, au statut de patron, il n’en est pas de même pour l’un ou l’autre des Verdier, Guillaume (né en 1652) ou Henri (né en 1655), qui font plus figure de condisciples que de maîtres. Mieux renseigné, ne serait-ce que parce qu’il a cherché l’extrait baptistaire de Rigaud et établi son année exacte de naissance, Van Hulst nous propose une autre chronologie : « [le secours] des grands exemples lui manquoit absolument à Perpignan. Avant d’avoir atteint l’âge de quatorze ans, il n’y trouva plus ni maître ni tableau qui ne cédât à ce qu’il avoit acquis de talent. Il ne s’en crut pas plus habile (…) » ; envoyé à Montpellier par sa mère, « il s’y mit sous la conduite de Pezet, peintre médiocre, mais qui possédoit une collection de beaux tableaux. Cette circonstance le décida. Ranc exerçoit l’art dans la même ville ; il étoit beaucoup plus habile que Pezet. Rigaud se concilia son amitié, et l’eut en quelque sorte pour maître aussi, sans pourtant quitter le dernier, préférant à tout autre avantage celui de vivre habituellement avec les ouvrages des grands hommes qui paroient son cabinet. Cela l’occupa pendant quatre ans. S’étant ensuite rendu à Lyon, parce que ses conducteurs lui avoient dit qu’il pouvoit se produire par lui-même, il s’y arrêta quatre autres années (…). Il ne put (…) se rendre à Paris qu’au commencement de 1681 ». [...]