Georges Frêche vs Gérard Saumade : épisodes de la vie politique héraultaise

* Docteur en Sociologie

La pratique de l’histoire contemporaine (non pas celle, académique, qui commence avec la Révolution française, mais celle qui s’attache directement au temps présent) pose de multiples problèmes que les historiens hésitent souvent à affronter, laissant la place libre aux sociologues ou aux journalistes et chroniqueurs. Saisissant l’occasion qui lui était donnée de tenter l’aventure, la revue ouvre ses colonnes aux réflexions d’un témoin privilégié de la vie politique locale, qui fut partie prenante dans les conflits internes du socialisme héraultais, mais qui, par sa formation intellectuelle, préserve la distance critique indispensable à l’exercice. (NDLR)

J’ai été pendant dix ans (1988-1998) le directeur de cabinet de Gérard Saumade. Je connaissais bien par ailleurs Georges Frêche après avoir rédigé en 1977 les textes de sa campagne municipale victorieuse. J’ai donc été le témoin des épisodes de la longue confrontation qui les a opposés, marquant la vie politique de l’Hérault dans les dernières années du XXe siècle. Naturellement, il faudrait un épais volume pour rendre compte complètement des divers aspects et événements de cette querelle qui a opposé pendant une quinzaine d’années Georges Frêche et la mairie de Montpellier à Gérard Saumade président du Conseil général de l’Hérault. On n’en tentera pas la gageure et on se bornera ici à se concentrer sur trois circonstances, parfois insuffisamment connues dans leur détail, qui ont déterminé ou conforté cette inimitié.

La prise de pouvoir

En 1977, Georges Frêche est élu maire de Montpellier, battant François Delmas, UDF et maire depuis 18 ans. Deux ans plus tard, Gérard Saumade est élu président du Conseil général de l’Hérault, succédant à Jean Bène, président depuis 28 ans, qui vient d’être battu dans son canton de Pézenas. C’est une nouvelle génération politique qui prend le pouvoir, ceux qu’on appelle alors les « sabras », les jeunes socialistes. Tous deux sont membres du PS, Frêche depuis son arrivée à Montpellier en 1970, Saumade depuis 1969 après son passage à la Convention des Institutions Républicaines, le petit parti fondé par Mitterrand. Frêche a 39 ans lors de son élection, Saumade 53.

On peut alors espérer que les relations entre la commune de Montpellier et le département de l’Hérault, désormais tous deux gérés par des élus PS, en bénéficieront. Politiquement, elles avaient jusque là de quoi être difficiles. François Delmas, le maire sortant de Montpellier, a d’abord été classé divers droite, assez loin à droite d’ailleurs au point d’avoir été fortement soupçonné de sympathies OAS pendant la guerre d’Algérie, avant de rallier tardivement le Parti Républicain de Giscard d’Estaing 1. Parallèlement, le Conseil général est à gauche depuis la Libération, Jean Bène ayant été l’un des chefs du maquis de la montagne noire. Toutes les autres villes voisines du Languedoc, Nîmes, Alès, Sète, Béziers étant soit communistes soit socialistes, les politologues de l’époque – bien que le mot n’existe pas encore – décrivent la situation en dénommant Montpellier « la capitale blanche du Midi rouge ».

Pourtant, malgré ces divergences, les rapports entre Montpellier et le Conseil général ne sont pas mauvais. Politiquement, on a même esquissé des rapprochements, pris des contacts pour une liste commune qui réunirait centristes menés par le maire Delmas alors sans étiquette de parti, radicaux menés par le député Etienne Ponseillé, et socialistes menés par leur secrétaire montpelliérain Robert-Felix Fabre (qui, plus tard, poussant au bout cette logique, quittera le PS et deviendra député UDF 2). La manœuvre vers une majorité centriste a échoué devant la conclusion du programme commun et la stratégie nationale d’union de la gauche. C’est dans cette stratégie que Frêche s’engouffre, menant une liste PS-PC à l’élection municipale de 1971. Après de rocambolesques péripéties qu’il serait trop long de rapporter ici, il subit alors le plus mauvais résultat jamais enregistré par la gauche à Montpellier, avant de l’emporter en 1977. (Fig. 1) L’option centriste (« et de droite et de gauche » dirait-on aujourd’hui) écartée, l’opposition politique devient alors bien plus affirmée à Montpellier 3.

Frêche et son Conseil municipal élu en 1977
Fig. 1 - Frêche et son Conseil municipal élu en 1977
(© Archives municipales Montpellier, Service de la Communication de Montpellier, cliché Hugues Rubio, 00R100)

Un autre incident pèsera beaucoup sur l’évolution de la psychologie de Frêche. Dès 1979, son premier adjoint, Jean-Pierre Vignau, tente de le contraindre à démissionner avec l’appui d’une partie de son conseil municipal. Frêche échappe au piège et élimine Vignau et ses amis. Mais il en conclura qu’on ne peut se fier à personne, que tout autre pouvoir que le sien est par nature une menace, que, dira-t-il en riant « un accord n’est que la base de départ d’un conflit futur » et que tourner le dos c’est l’offrir aux couteaux.

Institutionnellement, mairie et Conseil général ont pourtant peu de contacts : leurs compétences ne se croisent guère, il n’y a pas de motif de rivalité et s’il y en avait une, la tutelle assez pesante du préfet y mettrait bon ordre. Il y a donc toutes les raisons pour que Frêche et Saumade s’entendent, eux qui appartiennent à la même génération politique et au même parti et sont appuyés sur la même majorité politique dans leurs conseils. Ils sont même proches professionnellement : Frêche est professeur à la faculté de droit, Saumade maître-assistant en économie dans la même institution. Les divergences ne peuvent être que d’ambitions ou de personnalités. Et en effet dès les années 70, avant même leurs élections respectives, les deux hommes ne s’apprécient guère. Frêche est rapide, impulsif, Saumade est plus lent – il dit lui-même : « j’ai besoin de ruminer ». Frêche est opportuniste, sautant sur les occasions et n’hésitant pas à virer à 180° – ce que Mitterrand ne lui pardonnera jamais, le rayant à deux reprises de la liste de ministres qu’on lui propose. Saumade est fidèle jusqu’à l’obstination, choqué que Frêche puisse, en plusieurs circonstances internes au Parti Socialiste, déroger à la parole donnée.

Mais, bon, on ne leur demande pas de partir en vacances ensemble, seulement de rapprocher les institutions qu’ils président. Un grain de sable – ou plutôt un énorme rocher – les en empêchera : en 1982-1983, Gaston Defferre fait voter par le Parlement les lois de décentralisation qui redéfinissent et surtout élargissent considérablement les compétences des collectivités territoriales.

Dans un premier temps, chacun se préoccupe de son propre périmètre. Il y a de quoi faire : le Conseil général quitte la préfecture et fait construire un nouveau siège rue d’Alco pour y loger les personnels transférés de l’État. (Fig. 2) La mairie de Montpellier de son côté se réorganise, profitant d’un nouveau bâtiment proche de la Comédie et construit par la municipalité Delmas mais inauguré en 1977. Les deux institutions cherchent leurs marques dans une série de micro-batailles d’arrière-garde avec l’Etat qui rechigne au nouveau système et traîne les pieds, de sorte que les rapports de force les opposent au préfet et aux directeurs des administrations d’État plutôt qu’entre elles. Politiquement, des compromis sont trouvés sans trop de remous. En 1981, Frêche est réélu aux législatives après une première élection en 1973 et un échec en 1978) dans la circonscription Montpellier-Lunel, loin à l’est du canton des Matelles où Saumade est conseiller général et maire de Saint-Mathieu-de-Tréviers.

François Mitterrand inaugure les locaux du Conseil général au mas d’Alco
Fig. 2 - François Mitterrand inaugure les locaux du Conseil général au mas d’Alco
(© Conseil départemental, Direction de la Communication)

Ce dernier, de son côté, n’ambitionne rien de plus que sa présidence du Conseil général. Mitterrand insiste pour l’envoyer au Sénat mais il refuse, se sentant lié par un accord qu’il a passé avec le maire de Frontignan Philippe Chappotin, lequel a renoncé à se présenter contre lui à la présidence du département en échange de son soutien pour le Sénat – opération qui échouera, le vote des militants ayant préféré le maire de Saint-André-de-Sangonis Gérard Delfau. En 1986, Frêche est réélu aux législatives dans un scrutin de liste, nouveau mode de scrutin en vigueur seulement cette fois-là, et Saumade mène la liste socialiste aux premières élections régionales au suffrage universel, liste qui sera battue par celle de Jacques Blanc. Frêche et Saumade, chacun sur son territoire, s’ignorent ostensiblement.

Les premiers grincements visibles apparaîtront cependant dès cette époque. Ils ont une double origine. Sur le fond, les deux hommes ne font pas du tout la même analyse géopolitique. Et politiquement, la réapparition du scrutin uninominal par circonscriptions suite à la victoire de la droite en 1986 va cristalliser les oppositions.

Le modèle territorial

Deux conceptions de l’aménagement du territoire s’opposent. Une tendance domine en France chez les hauts fonctionnaires d’Etat à l’époque et d’ailleurs jusqu’aujourd’hui. Elle est inspirée tant des travaux de la DATAR que de ceux du commissariat au Plan. Elle part d’un constat : l’un des handicaps du pays réside dans le déséquilibre entre une région parisienne qui absorbe l’essentiel des ressources et un espace provincial qui végète depuis longtemps : Paris et le désert français de Jean-François Gravier date de 1947 4. Contrairement aux pays voisins, en raison de son histoire depuis Louis XIV la France s’est centralisée à Paris et par suite ne dispose pas de villes de taille européenne, alors que l’Allemagne a Berlin (à l’époque la capitale de la RFA est Bonn), Munich, Francfort ; l’Italie Milan et Turin ; l’Espagne Barcelone, etc. L’idée centrale consiste donc à créer des pôles de développement des grandes villes du pays pour obtenir un réseau de quelques très grandes villes capables de rivaliser avec leurs homologues européennes. Idéalement, d’abord Lyon et Marseille – c’est ainsi que la DATAR imaginera le scénario d’un « Grand Delta », un triangle Nice-Lyon-Marseille – puis une poignée de ce qu’on appelle aujourd’hui « métropoles », à savoir une dizaine de villes capitales d’un même nombre de régions. Ces métropoles, vite agrandies par la concentration des moyens sur elles, sont censées ensuite irriguer leur hinterland, le développement se diffusant alors spontanément par cercles concentriques à partir de ces noyaux urbains par une sorte d’effet de ruissellement. On notera que c’est exactement cette idée qui inspirera trente ans plus tard au président Hollande la diminution du nombre des régions et la loi NOTRe 5 et que c’est la même idée qui prévaut aujourd’hui dans les cercles technocratiques. C’est aussi l’idée de Frêche : accélérer le développement de Montpellier pour que la ville prenne place parmi les métropoles, c’est-à-dire dans les dix villes de France les plus peuplées, et donc concentrer sur elle les moyens disponibles pour que son expansion se diffuse à son environnement géographique proche puis, de là, vers un rayon plus vaste. C’est ainsi qu’à la même époque Frêche, conformément aux projets de la DATAR et redoutant que Montpellier ne soit encore trop petit, tentera d’organiser une structure nouvelle en forme d’aire de développement urbain, une conurbation allant de Sète à Nîmes avec pour centre Montpellier. Frêche, en effet, est d’origine toulousaine et jusqu’à son élection comme maire de Montpellier a rêvé de revenir à Toulouse pour en faire la capitale du Sud. Mais puisqu’il est à Montpellier, ce sera donc Montpellier. La conséquence de cette théorie est que toutes les collectivités, Conseil Général et Conseil Régional inclus, devraient à son avis tirer dans le même sens et engager toutes leurs ressources dans le développement de Montpellier car là réside la clef du développement départemental et régional. Il ira jusqu’au bout de cette logique en se faisant élire à l’aube du XXIe siècle président du Conseil Régional tout en gardant un œil vigilant sur Montpellier. Mais la même logique l’incite à désirer que le Conseil général mobilise des moyens importants pour la ville de Montpellier, moyens importants dont, selon lui, la décentralisation a doté le département (« Saumade est assis sur un tas d’or » s’écriera-t-il à cette époque). Et si celui-ci ne le fait pas spontanément, à l’y contraindre, voire à en prendre le contrôle politique.

Or Saumade ne partage absolument pas cette analyse. Lui ne se situe pas dans cette description d’une France dominée par ses métropoles et ne se soucie pas d’un rééquilibrage à échelle européenne, dont il doute d’ailleurs que Montpellier, qu’il estime artificiellement surcotée, puisse avoir les moyens. Il n’est pas plus convaincu par la théorie du ruissellement selon laquelle une grande métropole irrigue naturellement son arrière-pays. Il en veut pour preuve l’échec de Marseille à entraîner un développement hors des limites de la ville, sans parler de celui de Montpellier à s’entendre avec Sète ou même avec Lunel. Il défend une idée quasiment inverse. Pour lui, le département est coupé en deux par le fleuve Hérault, divisé entre une moitié Est qui, autour de Montpellier, se développe suffisamment par elle-même et n’a donc pas spécialement besoin qu’on l’aide, et une moitié Ouest et Nord englobant le biterrois et les hauts cantons qui vit de terribles difficultés économiques, incarnées notamment par des taux de chômage et de RMI 6 extrêmes (le département est 3e de France pour le pourcentage de RMI), et requiert donc la priorité. L’aide aux communes, compétence traditionnelle du Conseil général renforcée par les lois Defferre, doit aller aux petites communes, à celles qui ont peu de moyens, et aussi aux villes moyennes telles Béziers et Sète, mais seulement de façon marginale à Montpellier déjà suffisamment riche. A ses yeux, une politique d’aménagement du territoire doit viser à équilibrer les zones aisées et les zones plus pauvres en aidant d’abord les secondes. Il part de l’idée que tous les habitants, quelle que soit la taille de la commune qu’ils habitent, ont désormais des besoins de type urbain et qu’il faut donc amener à tous, y compris aux zones rurales, les services dont ils bénéficieraient s’ils habitaient une très grande ville. C’est ainsi, pour ne prendre que cet exemple, qu’il va tenter de développer la télévision par câble dans tout le département, projet qui ne sera mené à bien que dans les années 2020 par ses successeurs et grâce à l’internet et à la fibre optique. (Fig. 3 et Fig. 4)

Georges Frêche, le 19 mai 1990
Fig. 3 - Georges Frêche, le 19 mai 1990 (© Archives municipales Montpellier, Service de la Communication de Montpellier, cliché Hugues Rubio, COL1155)
Gérard Saumade devant le pic St Loup en 1992.
Fig. 4 - Gérard Saumade devant le pic St Loup en 1992.
(© Conseil départemental, Direction de la Communication)

Il y a plusieurs raisons à cette position. D’abord, une analyse strictement économique de la part de l’économiste qu’est Saumade qui ne voit autour des métropoles urbaines que quartiers déshérités (il sera en 1988 député de La Paillade, le quartier pauvre et excentré de Montpellier) et banlieues-dortoirs plutôt qu’effet d’entraînement harmonieux. Ensuite, le constat du déséquilibre entre Montpelliérais et Biterrois. La région de Montpellier se développe très vite, tant économiquement que démographiquement, et s’en vante d’ailleurs beaucoup et très publiquement par des campagnes de publicité retentissantes sous les mandats de Frêche, tandis que, à l’extrémité ouest, Béziers s’enlise. En conclusion d’une discussion sur les résultats d’un sondage à Béziers qui montre l’humeur très pessimiste des habitants, il lancera : « Cette ville fait une dépression nerveuse ». Béziers a connu son heure de gloire avec l’apogée de la viticulture, « l’océan de vignes » qui l’entourait, et la ville s’est effondrée avec la disparition des vins à bas degré et forte production ; Saumade, bien avant d’être président du Conseil général, s’est battu pour faire accepter la reconversion de la viticulture, il veut maintenant reconvertir à d’autres activités la zone tout entière. Joue également l’idéal d’égalité et de justice qui anime un socialiste de conviction. Il y a enfin une dernière raison, nullement économique : le découpage des cantons du département est tel que la ville de Montpellier n’a que 10 conseillers généraux sur 49. Tous les autres sont issus de villes moyennes ou plus souvent de cantons ruraux. Or ce sont ces derniers qui forment la majorité de Saumade en même temps qu’un bloc relativement homogène qui se méfie de Montpellier et plus encore des ambitions hégémoniques de son maire, de sorte que la contrainte politique rejoint l’analyse économique. Le résultat est que le Conseil général, plus qu’entre gauche et droite ou en tout cas tout autant, est divisé entre frêchistes, montpelliérains et quelques conseillers issus de communes du district de Montpellier, et anti-frêchistes exaspérés par le style de Frêche, au point que même à l’intérieur du groupe socialiste, très largement majoritaire, les « frêchistes » se réunissent à part et déjeunent souvent ensemble dans une autre salle du restaurant des élus. Un conseiller général caricaturera la situation en plaisantant : « les barbares entourent Rome ».

Si les analyses sont divergentes, le rapport de forces n’est pas plus équilibré. Le Conseil général n’a rien à attendre de Frêche, pas un sou et même pas une majorité politique, Saumade en disposant largement sans même le vote des Montpelliérains. Frêche, en revanche, attend beaucoup du département : de l’argent. Cet argent, il le réclame d’abord à sa manière. Chaque sujet est l’occasion de clashes très souvent médiatisés, parfois arbitrés par le Tribunal administratif. La décentralisation a laissé trop de sujets dans le vague : chacun d’entre eux est prétexte à conflit. Saumade, revenant d’une visite dans un département de Bretagne où la capitale est à gauche et le Conseil général à droite, commente à l’intention de ses amis : « là-bas, sur 90 % des sujets, ils sont tout de suite d’accord et sur les 10 % qui restent, ils s’asseyent, ils en parlent et ils trouvent un compromis. C’est le paradis ! ». Frêche, lui, est sur une stratégie de rupture semblable à celle de Mme Thatcher exigeant « I want my money back ». Il fait le compte du pourcentage du budget du département que devrait recevoir Montpellier étant donné la part de sa population dans le département, et réclame un chèque global et non fléché pour l’ensemble de la somme. Saumade lui répond que ce n’est pas ainsi qu’il travaille, que le Conseil général n’est pas un guichet auquel il suffirait de se présenter, qu’il demande des projets sérieux à discuter un par un et non du cash indéterminé. Le malentendu est complet. Il va encore s’aggraver à partir de 1988, premier des trois épisodes qu’on souhaite relater ici.

La 4e circonscription

En 1988 s’approchent les élections législatives suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale élue en 1986. Le redécoupage des circonscriptions, inévitable après l’intermède de 1986 au scrutin de liste, rend la 2e circonscription Montpellier-Lunel où Frêche avait été élu en 1973 et 1981, nettement moins favorable pour lui. Frêche décide alors, sans objections de quiconque, de se présenter dans la 3e circonscription, composée pour l’essentiel de ce quartier de La Paillade, 40 000 habitants, soit la moitié de la circonscription, à l’époque habité par de nombreux pieds-noirs rapatriés d’Algérie : le maire Delmas l’avait explicitement construit pour eux et ils l’ont en effet habité en même temps qu’au Mas Drevon ou au Lemasson avant de céder la place dans les années 90 à un pourcentage croissant d’immigrés mais cette fois arabes venus eux aussi du Maghreb. Le quartier est stratégique, emblématique du Montpellier populaire, et la section socialiste de La Paillade est importante, près de 200 militants ; elle est tenue par le principal lieutenant de Frêche, son premier adjoint André Vézinhet (qui, en 1998, dix ans plus tard, succèdera à Saumade à la présidence du Conseil Général puis, progressivement, entrera à son tour dans un conflit identique avec Frêche – mais c’est là une autre histoire, ou peut-être la même). Sur cette circonscription, Frêche est plébiscité par les militants.

Pour Saumade, les choses sont tout aussi faciles. Il y a longtemps qu’il songe à devenir député, non tant par ambition politique que parce qu’il a constaté, dit-il, que tout était beaucoup plus facile pour plaider les dossiers du département quand on était parallèlement parlementaire dans le système ultra-centralisé qu’a toujours été la France. Aussi travaille-t-il assidûment depuis des années la 4e circonscription, la plus vaste du département, qui va d’un bout de Montpellier jusqu’à la frontière nord du département, compte plus de cent communes et dont le centre est à peu près le canton des Matelles dont il est l’élu. Lui aussi remporte la désignation par les quelques mille militants socialistes du cru avec une majorité écrasante identique à celle de Frêche sur la 3e, supérieure à 80 % dès le 1er tour. Tout va donc très bien, ils pourront continuer à s’ignorer, chacun menant campagne dans la zone qu’il connaît le mieux.

Mais une nouvelle de dernière heure sème la panique dans l’état-major de Frêche : son adversaire RPR sera finalement un parachuté, proche de Chirac à la mairie de Paris, Camille Cabana. Or Cabana a une particularité, qui a dû beaucoup jouer dans sa désignation : il a été ministre ces deux dernières années, secrétaire d’Etat aux rapatriés, et le voilà qui se présente dans ce quartier où ils sont si nombreux. C’est inquiétant. Car du coup, le château de cartes s’écroule : le plus influent soutien de Frêche auprès des rapatriés, Jacques Roseau, président de la plus importante association de pieds-noirs, vient le voir et lui dit : « je te soutiendrais à fond comme d’habitude contre n’importe qui, à une seule exception près : Cabana. Je ne peux pas me mettre à dos le ministre des rapatriés, mes amis ne le comprendraient pas, je vais être obligé de le soutenir contre toi ». Or Frêche a une théorie, en partie inspirée par les travaux en sociologie politique de son chef de cabinet Jean-Pierre Foubert : les rapatriés sont si nombreux à Montpellier et si soudés que ce sont eux qui, en basculant d’un côté ou de l’autre, font l’élection. Frêche en a conclu depuis longtemps que qui tient les rapatriés tient la ville. Et voilà que ses plus fermes soutiens, cajolés depuis des années, se dérobent. Survient alors une ultime flèche : Cabana laisse entendre que s’il est élu député, il visera ensuite naturellement la mairie de Montpellier. Frêche se voit alors perdre d’abord son siège de député puis, dans la foulée, sa mairie. Il se précipite à Paris où siège la commission nationale d’investiture du Parti Socialiste, alerte Pierre Mauroy dont il a toujours été très proche, lequel l’introduit auprès de Lionel Jospin à qui il explique que s’il perd la 3e circonscription le PS perdra inévitablement ensuite l’une de ses plus grosses municipalités. La solution ? Lui permettre de conserver son siège de député en glissant sur une circonscription voisine quasiment imperdable : la 4e. Saumade y a été désigné par les militants ? Qu’importe.

Et c’est ainsi que, quelques heures seulement avant la date limite de dépôt des candidatures, la commission fédérale (c’est-à-dire : départementale) d’investiture se réunit à Frontignan pour une session de pure routine puisque tous les votes de la base ont été acquis très largement. Mais dans la matinée Frêche y arrive, de retour de Paris où, à 3 heures du matin, il a arraché de la commission nationale son investiture sur la 4e, celle de Saumade. Les Jospiniens, alliés de Mauroy, ont voté pour (Jospin dira plus tard à Saumade qu’il n’était plus présent et n’a pas pris part à la décision), battant les soutiens de Fabius qui ont voté contre. Et la commission fédérale éberluée apprend alors qu’elle a un nouveau candidat sur la 4e : Frêche. Et sur la 3e, dira-t-on ? Aucune importance, qui vous voudrez, dit Frêche, de toute façon Cabana l’emportera.

Évidemment, Saumade ne prend pas bien du tout ce tour de passe-passe. Il réunit ses amis conseillers généraux et leur demande ce qu’il doit faire : obéir par discipline de parti et s’écarter ou se présenter quand même sans étiquette contre Frêche sur la 4e ? Quelques épisodes pittoresques émaillent cette réunion très tendue : son épouse le menace de divorcer s’il ne se présente pas, Bernard Nayral, désigné sur la circonscription au nord de Béziers lui propose de s’effacer et de lui laisser sa place – ce que Saumade n’oubliera jamais –, Rocard, premier ministre, l’appelle en direct pour lui enjoindre de se retirer et lui proposer en contrepartie de le soutenir ultérieurement pour un siège de sénateur. Mais la plupart des conseillers généraux sont gênés et lui laissent entendre que s’il se présente quand même il sera probablement élu mais auparavant exclu du PS pour dissidence et qu’il deviendra alors très difficile aux élus socialistes de le garder à la tête du Conseil général très majoritairement PS orthodoxe. Notons que Frêche affrontera une situation semblable lorsqu’il se présentera vingt ans plus tard aux élections régionales contre la liste officielle du PS – mais les temps auront bien changé et le discrédit des partis politiques aura fait son œuvre, y compris chez les élus.

Affronter Frêche en dissident et risquer de tout perdre ou se retirer par discipline ? Saumade soupèse longuement les deux options lorsque, présent à cette réunion, je lui en propose une troisième : se porter candidat sur la 3e, celle que Frêche a fui devant Cabana. S’il perd, personne ne lui en voudra d’avoir relevé le gant dans une circonscription abandonnée, on lui en sera même reconnaissant (il est alors huit heures du soir, quatre heures avant l’heure limite de dépôt des candidatures en préfecture, et il n’y a toujours aucun candidat déclaré sur cette circonscription), et il aura ainsi consolidé sa présidence du Conseil général. Et s’il l’emporte là où même le maire n’a pas osé aller, il gagnera une place politique incontournable et pourra même peut-être prétendre disputer ensuite la mairie de la ville (une perspective à laquelle Saumade n’a jamais songé mais qui inquiétera Frêche quelque temps). Or, contrairement à l’analyse de Frêche, j’estime cette 3e circonscription gagnable : les Pieds-noirs ne sont peut-être plus si nombreux qu’ils ont pu l’être, ils ne sont pas forcément enthousiastes de la politique menée par Cabana, et l’élection se déroulera en grande partie sur d’autres thématiques que la question des rapatriés. Et même si c’était le cas, Saumade ne manquerait pas d’atouts : sa propre épouse est pied-noir, certains Pieds-noirs minoritaires voient là une bonne occasion de contester l’emprise d’un Jacques Roseau rallié à Cabana. Trouvant là la moins mauvaise des issues, Saumade annonce sa candidature sur la 3e circonscription, acceptant par là même celle de Frêche sur la 4e. Pour s’assurer qu’il n’y aura pas de croc-en-jambe (c’est dire si la confiance règne), il exige cependant des garanties. C’est ainsi que son suppléant sera Max Levita, l’un des adjoints de Frêche et habitant de La Paillade et par ailleurs son collègue à l’université (et qui sera 30 ans plus tard le 1er adjoint de Philippe Saurel), et que le populaire Louis Nicollin, traînant un peu des pieds mais sous la forte pression de Frêche, présidera son comité de soutien. Enfin Frêche lui promet de lui « rendre » sa 4e circonscription après les municipales lorsque le danger Cabana sera passé. (Fig. 5)

Frêche en soutien de Saumade, le 13 juin 1988
Fig. 5 - Frêche en soutien de Saumade, le 13 juin 1988
(© Archives municipales Montpellier, Service de la Communication de Montpellier, cliché Vincent Pereira, 00D1213)

Ainsi se résout la crise. Frêche est élu facilement, comme prévu, sur la 4e circonscription mais Saumade, au terme d’une très bonne campagne, bat Cabana sur la 3e. Il n’y a pas (encore) eu d’affrontement direct, chacun a conforté sa position, mais entre eux rien ne sera plus jamais comme avant et les relations mairie/Conseil général porteront dix ans les cicatrices de cette extravagante soirée.

L’affaire des 500 cartes

Les incidents en effet se multiplient dans les mois qui suivent. Une violente querelle, abondamment médiatisée, porte sur les installations sportives des collèges, au croisement des compétences des deux collectivités, une autre sur un projet de décharge d’ordures au Mas-Dieu. Une ministre annule sa visite après que Frêche a exigé d’elle qu’elle ne rende pas visite à Saumade. On pourrait multiplier les exemples. Les entourages s’en mêlent : des deux côtés, les personnels administratifs, supposés neutres, prennent parti et font parfois de l’excès de zèle, dressant barricades et obstacles là où il aurait pu ne pas y en avoir. Saumade entretient d’excellentes relations avec la Région, dirigée par Jacques Blanc ; Frêche, qui vise justement à terme le siège de Blanc, ne le lui pardonne pas. Il accuse Saumade de collusion avec la droite, celui-ci répliquant que lui au moins n’a pas négocié avec le Front National. Survient l’épisode connu sous le nom des 500 cartes.

1989 : le Congrès du Parti Socialiste se profile. Chacun compte ses troupes et les militants vont devoir voter. Conséquence de la Commission nationale d’investiture, Frêche prend parti pour Jospin qui lui a permis l’échange des circonscriptions. Du coup, Saumade, pourtant auparavant proche de Jospin qu’il avait connu quand ils étaient tous deux directeurs d’IUT, prend parti pour Fabius qui l’a soutenu ce soir-là. Frêche commentera : « Nous sommes à fronts renversés. En fait Saumade est jospinien et j’aurais dû être fabiusien ». Mais voilà : la guerre est déclarée.

Et les coups bas se succèdent. Alors qu’André Vézinhet, secrétaire de la section de La Paillade, a toujours voté pour la motion Rocard, cette fois Frêche lui intime au dernier moment l’ordre de voter Jospin. Et toute sa section, plusieurs centaines de cartes, bascule avec lui d’un bord à l’autre. En terre rurale, les sections des conseillers généraux votent à 100 % Fabius. Mais c’est à Montpellier que le problème se pose. Montpellier, à l’époque, compte environ 600 militants socialistes, répartis dans 5 sections différentes. Le jour du vote, ces sections se remplissent soudain de 500 adhérents supplémentaires. Certains sont des employés de mairie. On ira jusqu’à refuser un vote secret et à faire voter les militants publiquement un par un sous l’œil des directeurs des services municipaux non-membres du PS prenant ostensiblement des notes au fond de la salle. D’autres nouveaux adhérents sont totalement inconnus. On apprendra ensuite que l’un des adjoints de Frêche, Michel Belorgeot, est allé à Paris et a obtenu du trésorier national du PS (jospinien) 500 cartes en blanc qu’il a ensuite attribuées aux amis, à leurs familles au complet, enfin, en désespoir de cause, à des noms tirés au hasard dans l’annuaire des téléphones.

Naturellement, les Saumadiens hurlent à l’escroquerie et refusent de signer les procès-verbaux des sections de Montpellier. Lorsque se tient quelques jours plus tard le congrès fédéral destiné à rassembler les votes, la commission de recollement dure toute la journée alors que l’opération prend habituellement moins d’une heure. Lorsque la nuit tombe, aucun accord n’a pu être trouvé et le congrès se sépare sans avoir validé les votes.

Le congrès national se réunit lui à Rennes en mars 1990. Tant Frêche que Saumade ont fait le déplacement. Frêche y joue un rôle décisif, menaçant Jospin de se retirer avec ses troupes s’il passe le moindre accord avec Fabius au sujet de l’Hérault. Un coup de téléphone du Président de la République lui-même n’y fera rien. Et quand la commission nationale de recollement se réunit, elle examine les départements par ordre alphabétique. Arrivée à la lettre H et au cas de l’Hérault, elle discute elle aussi plusieurs heures et finit elle aussi par se séparer sans avoir pu valider le scrutin, renonçant à poursuivre sa tâche sur les départements restants. C’est l’échec historique du congrès de Rennes et c’est la querelle Frêche-Saumade qui l’a déterminé.

Le PS national met en place une direction provisoire autour de Mauroy. Le PS héraultais, lui, se déchire. Une réunion de la direction fédérale se tient à Montpellier. Les portes ont été fermées par Frêche pour empêcher le départ des Saumadiens et des gros bras interdisent le passage. A l’intérieur, on s’empoigne et une rixe éclate entre Frêche et des membres du cabinet de Saumade, des coups de poing sont échangés. Finalement, Frêche annonce des résultats qui lui sont favorables, que personne n’a validés ni admis, et s’empare des clefs du siège du parti pour les confier à son ami Robert Navarro (qui deviendra plus tard sénateur). Les Saumadiens tempêtent, hurlent, se répandent dans les médias : rien n’y fait. Peu à peu ils se résigneront à ce coup de force. Ils ont perdu la fédération socialiste et le PS héraultais lui-même a implosé tandis que le parti national ne se remettra jamais tout à fait de ce congrès de Rennes.

5 ans après

C’est dans ce climat que Saumade et ses amis s’éloignent de plus en plus d’un PS qu’ils décrivent comme aux ordres de Frêche au point que les fax signés de la direction départementale partent de la machine de la mairie de Montpellier. Cet éloignement expliquera ce qui va se passer en 1993.

Le mandat de la chambre élue en 1988 expire. Et à nouveau se pose la question des investitures. Frêche annonce qu’il se sent très bien sur la 4e circonscription et qu’il ne voit aucune raison de la quitter. Saumade, de toute façon, s’attendait à ce que la promesse ne soit pas honorée. Lui-même réfléchit un long moment. Il ne veut pas rester sur la circonscription urbaine de La Paillade. Comme en 1988, il n’a que deux options : se retirer purement et simplement ou se présenter sur la 4e contre Frêche. Son épouse, son frère, ses amis, son cabinet, le pressent d’être candidat, arguant que, de toute façon, l’affrontement sera un jour inévitable étant donné le caractère de Frêche et son incapacité à tolérer d’autres pouvoirs que le sien et qu’il vaut donc mieux, vu la façon dont les choses se sont passées au congrès du PS, que la bataille ait lieu sur le terrain le plus favorable. Mais Saumade hésite si bien qu’après avoir programmé une conférence de presse pour annoncer sa décision, il demande la veille à son directeur de cabinet de lui préparer deux discours, l’un dans lequel il se porterait candidat contre Frêche et l’autre dans lequel il renoncerait à être candidat où que ce soit. A la veille de la conférence de presse, Saumade, encore indécis, emporte chez lui les deux discours. Lorsqu’il revient le lendemain, il annonce qu’il sera candidat contre Frêche sur la 4e.

Naturellement, il est aussitôt exclu du PS, ce qui restera pour lui longtemps une vraie blessure. Le seront après lui peu à peu tous ceux qui le soutiendront, que ce soit publiquement ou non : plus de 800 radiations, au point que Robert Navarro ouvre une rubrique dans le journal local interne du PS intitulée « ceux qui nous quittent » – il ne s’agit pas des camarades décédés mais de ceux qu’il exclut jour après jour sur simple décision sans respecter aucune des procédures réglementaires.

La campagne électorale est brutale. Frêche compte essentiellement sur un réflexe légitimiste des électeurs sur la base de l’étiquette PS, menaçant d’exclusion immédiate ceux qui ne le soutiendraient pas. Mais Saumade connaît à fond cette circonscription, ses quelques 130 communes et ses milliers d’élus locaux tous plus ou moins au contact du Conseil général alors que la municipalité de Montpellier ne peut à peu près rien pour eux. La droite, au surplus, présente un candidat volontairement inoffensif, voyant là une occasion rêvée de se débarrasser de Frêche. Le résultat est impitoyable : Frêche est éliminé, de quelques voix, au soir du premier tour, il ne pourra même pas être candidat au 2e. Saumade triomphe, exclu mais élu. Frêche, philosophant au lendemain de sa défaite, dira : « J’ai joué une élection politique et je suis tombé sur une super-cantonale ». Bonne analyse. C’est un par un que Saumade est allé chercher les votes, arpentant un terrain déjà depuis longtemps sillonné et labouré jour après jour. Il serait excessif de prétendre qu’il connaît personnellement chaque électeur mais pas de dire qu’il a essayé de le faire. Frêche, au contraire, arrivant très en retard dans un village après s’être perdu en route, tempêtera : « On est chez les Indiens ici » – un mot que les Saumadiens répéteront partout pour montrer que malgré 5 ans de mandat il ne connaît toujours pas le terrain ; de vrai, il y a peu mis les pieds, absorbé par sa mairie et sa ville. Il y a d’ailleurs là quelque chose des signaux de fumée des tribus indiennes : le cabinet de Saumade est tenu au courant en temps réel, par des centaines de militants bénévoles, de tous les déplacements de Frêche, de chacun des mots qu’il prononce (et parfois ne résiste pas à la tentation du sabotage).

Et la suite…

Après cette élection mouvementée, les choses s’apaiseront un peu. Bien que quelques-uns aient tenté de l’y pousser, Saumade ne nourrit aucune ambition concernant la mairie de Montpellier et Frêche le comprend assez vite. Inversement, ce dernier sait qu’il sera désormais difficile, voire impossible, d’évincer Saumade de sa présidence du Conseil Général. Peut-être cette élection de 1993 a-t-elle eu pour effet de marquer clairement et définitivement les territoires respectifs. Naturellement, l’inimitié persistera, les accrochages continueront, mais on se trouvera face à une guerre de tranchées de combattants résignés à une position figée qui ne pourra guère évoluer.

Elle se terminera par le retrait volontaire de Saumade conservant en 1998 son siège de député de la 4e cette fois sans objection de la part de Frêche, mais abandonnant son siège de conseiller général et donc sa présidence. Frêche s’engouffre dans le trou, profite d’un succès de ses amis aux cantonales montpelliéraines et arrache la présidence et la succession de Saumade pour son 1er adjoint Vézinhet. Dans un premier temps, mairie de Montpellier et Conseil Général collaboreront de façon idyllique. (Fig. 6) Puis, peu à peu, le climat se gâtera jusqu’à ce que commence une guérilla tout aussi violente et implacable que celle qui avait opposé Frêche et Saumade. On peut y voir tout aussi bien l’effet du caractère de Frêche qui ne supporte pas qu’on puisse être en désaccord avec lui et préfère imposer que négocier, que l’effet d’une difficulté structurelle entre les deux institutions cohabitant pour partie sur un même territoire avec des analyses différentes 7.

Frêche et Vézinhet signent une convention entre la Ville et le Département, le 7 mai 1999
Fig. 6 - Frêche et Vézinhet signent une convention entre la Ville et le Département, le 7 mai 1999 (© Archives municipales Montpellier, Service de la Communication de Montpellier, cliché Didier Barreau, COL1139)

En 2015, André Vezinhet quitte son poste. Lui succède Kléber Mesquida. Côté mairie, Frêche a lui aussi laissé son siège à Hélène Mandroux (celle qui avait été battue par Saumade aux législatives en 1998 mais qui ne lui en a jamais tenu rigueur) avant qu’en 2014 un autre adjoint de Frêche, Philippe Saurel, ne devienne maire à son tour.

Frêche est décédé en 2010. Saumade n’est pas allé à ses obsèques. Il est lui-même décédé en 2012. Mais depuis 2015, ce sont Mesquida et Saurel qui sont entrés en conflit et qui se combattent avec autant d’allant que leurs prédécesseurs. Est-ce une fatalité ? Saumade a peut-être répondu en s’écriant un jour : « J’ai été élu président pour défendre l’institution que je préside ». Chacun a défendu l’institution qu’il représentait et cherché à obtenir le maximum pour elle, et cela continue. Pour peu que s’y ajoute ce que les journalistes appellent malicieusement le « tempérament méridional »…

NOTES

1. Sur la trajectoire politique de François Delmas, voir en particulier, de Philippe Secondy, La persistance du Midi blanc. L’Hérault (1789-1962), Presses Universitaires de Perpignan, 2006.

2. A ne pas confondre avec Robert Fabre, député aveyronnais et président du Mouvement des radicaux de gauche, signataire du programme d’Union de la Gauche en novembre 1973.

3. Rappelons que le programme commun de gouvernement a été signé entre le Parti socialiste, le Parti communiste et les Radicaux de gauche dès juillet 1972.

4. Le livre de Jean-François Gravier, paru en 1947, a largement alimenté la politique d’aménagement du territoire des « Trente glorieuses », ainsi que la promotion de « métropoles d’équilibre ». Venu de l’Action Française et de la droite vichyssoise ruraliste, l’auteur s’inscrit cependant dans une tradition plus large, qui va du régionalisme géographique et/ou culturel des premières années du siècle, jusqu’au récent La France périphérique de Christophe Guilluy (Flammarion, 2014).

5. La Loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (Notre) a été promulguée le 7 août 2015. Elle spécialise les compétences des départements et des régions, tout en reconnaissant pour certaines compétences dites « transversales » leur exercice partagé entre les deux collectivités territoriales.

6. Ancêtre de l’actuel RSA.

7. On trouvera une analyse politiste de ces conflits entre barons du socialisme héraultais dans l’article d’Olivier Dedieu : « Les notables en campagne : luttes et pouvoirs dans la fédération socialiste de l’Hérault », in Pôle Sud, n°2, 1995. Le Midi du politique. pp. 101-120 ; disponible sur Internet : https://www.persee.fr/doc/pole_1262-1676_1995_num_2_1_892.