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Jean-Louis Michel et l’escrime montpelliéraine
Le XIXe siècle passe pour l’âge d’or de l’escrime. À cela plusieurs raisons : d’abord parce que l’art – ou la science – des armes a alors atteint un certain point de perfection et d’équilibre ; mais aussi parce que le siècle, en particulier à ses deux extrémités chronologiques, s’est montré une période querelleuse qui a fait du duel un moyen privilégié de règlement des conflits privés. Deux armes, et deux types d’hommes qui leur sont associés, incarnent une passion française qui s’est pleinement illustrée entre le Premier Empire et la IIIe République naissante. D’un côté le fleuret et l’art des » belles armes » pratiquées en salle par des escrimeurs esthètes, de l’autre l’épée et les duellistes toujours disposés à en découdre sur le pré. Deux mondes pas nécessairement si proches que l’on pourrait croire, mais qui font de la pratique de l’escrime une préoccupation omniprésente, tout au moins dans certains milieux.
Il se trouve que Montpellier a occupé alors, parmi les villes de province, une place privilégiée assez singulière. La structure sociale de la capitale languedocienne favorise la présence de toute une population pour qui le duel est une éventualité toujours présente. Ville de garnison emplie d’officiers désœuvrés et de traîneurs de sabre cultivant le » point d’honneur « , ville intellectuelle et universitaire où s’entrechoquent les opinions politiques violemment affirmées, ville de rentiers, aristocrates et bourgeois, en quête de passe-temps à leur mesure. Mais aussi, de manière inopinée, ville où pendant quelques quarante ans a exercé son art l’un des plus célèbres escrimeurs du siècle, Jean-Louis Michel, qui a formé des générations de fleurettistes de talent, et qui a laissé son empreinte sur la ville comme figure mythique tutélaire de l’escrime sportive née avec le XXe siècle. D’avoir vécu la moitié de son existence à Montpellier en fait le père de l’escrime languedocienne, ce qui mérite bien un article !
Les pages qui suivent font un point d’étape dans des recherches en cours. Telles quelles, elles devraient cependant permettre au lecteur de découvrir des aspects oubliés ou peu connus de la vie montpelliéraine, et ambitionnent de trouver leur place dans la construction d’une histoire culturelle et sociale toujours renouvelée.
Une société de duellistes
La Révolution et surtout l’Empire, par la conscription de masse, ont suscité une « culture des armes » et une brutalisation de la société civile, qui ont banalisé l’usage des armes blanches dans les querelles innombrables entre particuliers. D’art de Cour sous l’Ancien Régime, à côté de l’équitation et de la danse, l’escrime s’est démocratisée sous des formes élémentaires. L’initiation à l’épée ou au sabre a été le lot d’innombrables soldats ayant participé aux guerres de l’Empire. Au sein de l’armée, le duel fut alors un rite de passage contraignant les recrues à faire la preuve de leur courage. En même temps, avec l’abolition des privilèges de la noblesse, dont son droit de défendre son honneur par les armes, la Révolution a nationalisé l’honneur, et fait du duel une conquête révolutionnaire. Le point d’honneur se répand dans toute la société, et la moindre querelle est susceptible de se vider dans le sang. Ce qui, en période de guerre, se cantonne surtout à la société militaire, s’élargit, la paix revenue, à l’ensemble du corps social. François Guillet rapporte de multiples cas de querelles insignifiantes, que la susceptibilité exacerbée des protagonistes mène sur le pré au petit matin. Le phénomène inquiète suffisamment les autorités sous la Restauration pour que des enquêtes soient diligentées dans chaque département. En 1819, le Ministre de la Justice réclame des rapports aux procureurs du roi sur les affaires de duels survenues dans leur ressort. Les résultats en sont médiocres, et disparates d’un département à l’autre. Cependant, le Procureur de Montpellier fait état de 47 duels. Mais ils montrent aussi la « démocratisation » du duel : « La sociabilité masculine domine largement l’espace public mais possède ses lieux spécifiques. Le cabaret, où l’on s’enivre, en est un des principaux. Les rixes qui y éclatent, avec celles qui se produisent dans les bals et dans ces lieux plus distingués que sont les cafés, constituent la grande majorité des affaires de duel signalées par les procureurs en 1819. Sur les quatorze cas recensés par le procureur général de Montpellier, huit ont pris naissance dans ce cadre. » [...]