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Description

Une montagne imaginaire
Le Larzac granitique de Ferdinand Fabre dans le Chevrier

Comme l’écrit fort justement Reynald Squadrelli dans une préface au Chevrier : « Ferdinand Fabre tente de se délimiter un territoire, lequel finira par coïncider avec un terroir, c’est-à-dire tout autant, mais simultanément un espace où être, et un objet à décrire ».

Toute l’œuvre du romancier né à Bédarieux en 1827 s’inscrit dans cette perspective : la revendication d’un territoire littéraire situé dans un espace géographique réel qu’il baptise Cévennes mais qui, à bien des égards, relève du mythe poétique plutôt que de l’observation naturaliste. C’est particulièrement vrai lorsqu’il s’aventure, comme dans le chevrier, paru en 1867, loin de sa ville natale et de « ses » Monts d’Orb, à la conquête de nouvelles terres.

Le chevrier, salué par Sainte-Beuve comme « un livre d’art et de style » mais qui ne fut pas un très grand succès contrairement à d’autres romans de Fabre, doit sans doute l’admiration de quelques critiques et l’incompréhension du public à son caractère doublement atypique : la dimension mythique et le style archaïsant.

« N’avait-il pas folie à vouloir faire des environs de Navacelle les environs de Mytilène, à vouloir égaler Aran et Félice à Daphnis et Chloé ? » écrit avec lucidité Ferdinand Fabre dans « Mon cas littéraire » en 1885. Comme le Giono des romans paysans, la volonté de l’auteur est clairement d’actualiser le mythe antique dans un drame du terroir, ici le Larzac catholique en 1848. Et comme Giono au siècle suivant, il adopte pour cela un style artificiel, farci d’archaïsmes, d’omissions, d’allitérations, etc. qui emprunte plus à Rabelais qu’à l’occitan. « Il fallait éviter le jargon patois, écrit l’auteur, et pourtant mon gardien de chèvres, aussi court de dictionnaire que d’idée, ne pouvait s’exprimer dans le langage littéraire courant. Je songeais è mes études antérieures sur les XVe et XVIe siècles, et il me parut que le dire de mon personnage, dire rare et bref s’accommoderait on ne peut mieux de certaines tournures tombées en désuétude, mais pleines de franchise et de charmes. Peut-être infiltrerais-je, en cette manifestation d’art très hasardeuse, quelques vieux mots, de ces vieux mots pittoresques que d’aventure Rabelais, prenant son bien partout où il le trouvait, ne dédaigna pas de recueillir dans nos contrées méridionales, ce serait tout. »

Rabelais a emprunté à « nos » contrées, Fabre reprend son dû, il n’y a pas annexion mais récupération et tout est dit.

Il n’en va pas autrement du terroir qui ne sert pas seulement de décor aux personnages mais auquel ils s’identifient comme dans la plupart des romans de Fabre. Ce « Larzac » est aussi mythique que le sera la Haute Provence gionesque, aussi artificiel que le parler du chevrier. Il ne faut pas le rechercher sur les cartes. Il ne servirait à rien d’en suivre les sentiers de randonnée pour le parcourir il relève tout entier de l’imaginaire de l’auteur. Le souffle qui le traverse n’est pas celui du terral de « nos » régions comme l’écrirait Fabre s’il connaissait les noms des vents lodévois, mais le souffle épique d’un auteur inspiré, au lyrisme puissant, à la foi religieuse presque naïve à force de sincérité.

Ferdinand Fabre avait clairement posé ses revendications territoriales dès 1862 dans son premier roman « Les courbezon ». Comme son ami Alphonse Daudet annexant à « sa » Provence quelques bons morceaux de terre languedocienne, à commencer par Beaucaire et la rive droite du Rhône et peu ou prou la Nîmes romaine de son enfance, Ferdinand Fabre délimite dans le préambule de son premier roman à succès son royaume littéraire. ce n’est pas l’Hérault, rarement présent, et toujours comme entité départementale (une adresse postale et une allusion au conseil général dans Monsieur Jean, la mention de « deux cantons de l’Hérault » dans les courbezon…) ni même le Languedoc. Il ne se sent pas assez à l’aise dans ce qu’il appelle avec méfiance le « Pays-Bas », et les rares voyages des personnages à Béziers ou à Sète sentent l’incursion en pays étranger.

Contrairement à Daudet couvrant de son autorité littéraire toute la Provence et même au-delà, Ferdinand Fabre se cantonne presque frileusement à « ses » montagnes. Encore ne les revendique-t-il pas pour lui seul mais pour toute la « race cévenole » dont il se fait le chantre.

Tous les livres de Fabre à part les rares romans « périphériques » comme l’abbé Tigrane, qui se situe dans les corbières (mais non le Chevrier, hautement revendiqué comme roman cévenol), ou les quelques romans parisiens, abondent de ce possessif de la première personne du pluriel qui authentifie tout à la fois l’ancrage de l’écrivain dans sa contrée d’origine et son altérité face aux Parisiens auxquels les livres sont adressés. « Dans nos Cévennes.., nos montagnes cévenoles.., nos campagnes cévenoles.., écrit-il en leit-motiv dans Monsieur Jean, Barnabé, Toussaint Galabru.., (mais moins dans les Courbezon, sans doute parce qu’il entend en 1862 se faire accepter de Paris et non pas encore le provoquer). Plusieurs dizaines de fois par roman les familles, (« … nos mères cévenoles.., nos petits cévenols… ») les coutumes, le climat, l’alimentation sont orgueilleusement marquées de ces possessifs. Humblement aussi, à l’en croire, de cette humilité provinciale qui sait ne pas pouvoir lutter à armes égales avec la capitale et se fait un bouclier de sa pauvreté et de son éloignement. « Les enveloppes n’ayant pas fait leur apparition dans nos contrées reculées en 1843 » (Monsieur Jean) « … un vulgaire sorcier de la montagne cévenole ! » (Toussaint Galabru) « Mais l’entrepreneur – un cévenol – ne pouvait être, après tout, ennemi de ses intérêts » (Les Courbezon), etc. […]

Informations complémentaires

Année de publication

1998

Nombre de pages

4

Auteur(s)

Bernard UCLA

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf