Un Conseil municipal en temps de guerre : Lunel 1914-1919

Un Conseil municipal en temps de guerre : Lunel 1914-1919

* Doctorante en Histoire

Le département de l’Hérault est géographiquement bien éloigné des lieux d’affrontement de la Grande Guerre. Cependant, comme tout autre, il est plongé dans cette guerre initialement conçue comme “courte”, une guerre que la réalité des combats prolongea dans le temps au-delà de toute prévision.

Comment, dans la petite ville de Lunel, fut ressenti et vécu ce conflit majeur pour notre société, cette Grande Guerre ?

Bien des sources ont été utilisées pour étudier, à “l’arrière”, ce douloureux épisode de notre histoire, comme les témoignages oraux, les lettres ou souvenirs personnels, la presse locale, etc. Il m’a paru intéressant d’aborder cette vie de l’arrière au travers d’un document spécifique, les délibérations du conseil municipal 1. Ce registre des délibérations communales, conservé aux archives de l’Hérault, est un imposant cahier manuscrit, aux pages numérotées de 1 à 500. Il est ouvert le 29 janvier 1912 par la préfecture de l’Hérault.

Ce registre est inauguré lors de la séance du conseil municipal du 4 mars 1912, par l’équipe municipale présidée par Jean Salducci, équipe qui est renouvelée dans ses fonctions lors du scrutin du 5 mai 1912. C’est cette équipe, ce maire et ces conseillers qui ont été de ce fait les gestionnaires de la ville de Lunel pendant la Grande Guerre et en ont supporté le poids et les mutations sociétales. Et ceci dans la longue durée de sept ans et six mois, et non de quatre ans comme initialement prévu ; puisque le calendrier électoral, qui fixait les limites de leur mandat au mois de mai 1916, fut modifié du fait de la guerre, les élections municipales étant reportées aux 30 novembre et 7 décembre 1919.

Ce registre est clos en sa dernière page par cette même préfecture, à l’issue de la séance du 18 janvier 1922, menée alors par le nouveau maire, M. Joseph Renard, et son équipe, élus le 7 décembre 1919.

Ce document d’une apparente sécheresse ne laisse transparaître aucune émotion, aucun jugement de valeur, aucune prise de position. Il présente seulement des décisions prises, soit en matière de gestion communale, soit en matière comptable. Aucune n’y est jamais commentée ; aucune n’y est explicitée. Mais cette froideur n’est qu’apparente : au travers de ces décisions se dessinent progressivement le tableau du quotidien, les difficultés rencontrées par cette équipe, la dureté de cette guerre.

Ce document sera utilisé ici de façon quasi exclusive. Sauf exception, il sera mentionné sous l’acronyme DC, suivi du numéro de page correspondant à l’extrait cité. Je ferai appel à quelques compléments issus des registres des recensements de la population de 1911 et 1922, afin de mieux connaître les acteurs de ce conseil municipal ; des documents ne comportant de même ni jugements de valeur, ni indications quant à la fortune ou aux habitudes de ces conseillers. Une seule brève exception à cette règle volontaire sera effectuée pour le maire, M. Jean Salducci, dont la personnalité, qui dépassait largement les limites de cette commune, exigeait un traitement un peu différent. Je me suis fixée une seconde règle : mis à part ceux des conseillers, personnages publics, et de leur famille, aucun nom des requérants, solliciteurs, assistés, ou entreprises, mentionnés lors des délibérations n’est cité dans cette étude. En effet, même si la période peut paraître éloignée, bien des noms présents dans ce registre sont ceux des grands-parents des familles actuelles vivant à Lunel ou dans les communes périphériques. Il ne me semblait pas opportun de rappeler tel ou tel épisode, tel ou tel souvenir.

Après quelques lignes de présentation de la ville de Lunel en 1914, une attention particulière sera portée au conseil municipal élu sous l’étiquette Socialistes indépendants. Cette équipe qui gère la ville pendant toute la durée du conflit voit ses attributions, ses préoccupations, ses responsabilités progressivement évoluer. De fait, quatre grandes périodes peuvent être distinguées, lesquelles scandent ainsi cette étude : 1914 et les attributions courantes du conseil municipal de Lunel, juillet 1914 – novembre 1916 et les conséquences de l’entrée en guerre, décembre 1916 – septembre 1918 et le poids de la guerre, novembre 1918 et la paix retrouvée. Au terme de l’étude, une conclusion, brève, un constat, net, sur Lunel et ses conseillers municipaux.

La ville de Lunel à la veille de la Grande Guerre

L’ancienne cité intellectuelle juive médiévale est en 1914 une bourgade paisible, aisée, ramassée sur son centre ancien. Située sur l’importante route de grande communication entre Montpellier et Nîmes, sur l’importante voie ferrée du P.L.M. ouverte depuis 1845, jouxtant le Vidourle, Lunel est aussi un centre viticole, un carrefour agricole et commercial non négligeable, entre la fertile plaine alluviale et les pierreuses collines du Sommièrois.

Enfin, Lunel, c’est alors aussi 1 558 maisons et immeubles, 2 213 ménages, 7 629 habitants 2, des kilomètres de voiries urbaine et vicinale, des kilomètres de chemins de grande communication tous empruntés et usés à partir d’août 1914 par les incessants charrois liés au conflit, lesquels s’ajoutent à un trafic local soutenu.

L’équipe municipale

C’est cette ville de Lunel que le nouveau conseil municipal, élu dès le premier tour, par le scrutin du 5 mai 1912, doit gérer. Globalement il s’agit alors de la même équipe que celle qui avait été élue le 10 mai 1908.

Qui sont ces 23 conseillers ? Il paraît important de dresser un portrait précis de ces hommes qui sont amenés à gérer Lunel entre 1912 et 1919 3. (Voir tableau 14)

Tableau 1
Tableau 1

Aucun de ces conseillers ne semble réellement aisé, mais il est rare que leur épouse travaille. Ils vivent tous dans l’actuelle “vieille ville”. Leur âge moyen est de 48 ans au moment de leur élection ; né en 1884, le plus jeune a 28 ans ; né en 1837, le plus âgé a 75 ans.

Une place à part doit être faite au maire, Jean Salducci : c’est à la fois une figure du socialisme languedocien et un édile local qui a laissé des traces dans la mémoire et dans l’imaginaire.

Figure du socialisme languedocien, il figure au célèbre Maitron via une biographie signée par Jean Sagnes 5 :

« Socialiste, J. Salducci fut élu maire de Lunel (Hérault) en 1898, puis conseiller général de ce canton en juillet 1904. Il présida le congrès d’unité socialiste de l’Hérault le 21 mai 1905. En mai 1908, il fut réélu maire de Lunel à la tête d’une municipalité socialiste SFIO.

À la suite de la mort du député socialiste de la 2e circonscription de Montpellier, Jean-Baptiste Bénézech, en février 1909, le congrès socialiste de la circonscription, tenu à Lunel le 14 mars 1909, désigna à l’unanimité, sur la proposition de la section de Lunel, le maire de Mudaison Camille Reboul comme candidat du Parti socialiste. Salducci, qui avait souhaité succéder à Bénézech au poste de député, quitta alors le Parti socialiste et se porta candidat aux élections des 2 et 16 mai 1909 comme socialiste indépendant. Avec l’aide de quelques transfuges du socialisme tel Amphoux, maire de Marsillargues, il réussit à barrer la route à Reboul. […]

En 1910, Salducci fut réélu conseiller général du canton puis, en 1912, maire de Lunel avec la même étiquette de “socialiste indépendant”.

Conseiller général, soutenu par La Dépêche de Toulouse, il appartient au groupe “Parti radical-socialiste indépendant” depuis décembre 1905, groupe dirigé par Jules Razimbaud. Son influence n’est pas négligeable, comme en témoigne cette anecdote où il obtient, contre l’avis du Préfet, « que le train présidentiel s’arrête à Lunel, première ville de l’Hérault sur le parcours du voyage officiel », lors de la venue de Raymond Poincaré au Congrès national de la Mutualité à Montpellier en mars 1913 6.

Notons enfin que l’équipe qui supporte ces longues années de guerre n’est pas constituée de l’ensemble des conseillers élus en 1912. Deux ne figurent plus au registre des délibérations : M. Castan, à partir d’août 1912, puis R. Barizon, qui est “excusé” entre octobre 1912 et novembre 1913, mais n’apparaît plus après cette date. Un autre démissionne du fait de sa mobilisation : Jean Martin, appelé dès le 8 août 1914. Ensuite, neuf conseillers sont incorporés entre l’automne 1914 et le printemps 1915 7.

C’est donc de fait une équipe réduite et âgée qui porte tout le poids de la gestion municipale ; l’âge moyen est de 62 ans en 1914. Sept d’entre eux sont de toutes les décisions, apparaissent nettement comme les piliers de cette équipe : MM. Agnély, Bernaudin, Dimeur, Ducros, Figuière, Meyneli, Salducci. Deux sont là tant que tout est difficile, puis sont excusés pour les conseils de routine de 1919 : MM. Olombel et Roustan. Enfin, parmi les mobilisés, deux sont présents dès qu’ils sont en permission : MM. Bataille et Vaissière.

Réduite, cette équipe n’en est pas moins active et engagée. J’exposerai une seule anecdote, parmi d’autres, pour souligner cet engagement. Léonce Vaissière, mobilisé fin 1914, bénéficie d’une permission du 18 au 25 juin 1917. C’est peu pour revoir son épouse et ses trois filles. Cependant, il arrive à la mairie à 18 heures 30, certes avec un peu de retard, afin de participer au conseil du dimanche 24 juin, qui s’était ouvert à 18 heures ; un très long conseil, qui l’amène à courir à la gare pour reprendre le train de nuit le soir même, et regagner le Front sans avoir eu le temps de repasser chez lui, rue Arago 8. Démobilisé début novembre 1917, il est ensuite présent à toutes les séances du conseil.

Ce sont ces hommes, avec leurs états d’esprit et leurs personnalités formés sous les premières décennies de la IIIe République, qui sont amenés à tenir une petite ville à bout de bras, dans une société aux valeurs qui se délitent, au milieu des âpres combats politiques que “L’Union Sacrée” ne masque que jusqu’en 1917.

Que sont leurs préoccupations, leurs obligations, leurs responsabilités ?

Les attributions courantes du conseil, en 1914

Très rapidement, esquissons un tableau des attributions que ces conseillers avaient à gérer avant le conflit, pour lesquelles ils avaient été élus pour 4 ans en mai 1912.

Les budgets sont les éléments les plus importants, puisqu’ils déterminent l’ensemble de la gestion et des décisions de fonctionnement, ainsi que la réalisation des projets. Déclinés en budget prévisionnel, budget additionnel, compte de gestion, ils concernent la municipalité (emplois, frais de fonctionnement, investissements, projets…), mais aussi les services qui en dépendent : écoles (gratuites), collège (payant), hospice, bureau de bienfaisance. S’ajoute la gestion directe de la voirie vicinale et la gestion partagée de la voirie de grande communication, en application de la loi du 21 mai 1836, en vigueur en 1914. La discussion du budget est le moment clé de l’année.

A ces budgets s’ajoutent de multiples décisions : aides et secours aux démunis, handicapés, etc. ; attribution de bourses pour les études au collège ; gestion des fêtes locales, sujet important dans une commune aux solides traditions festives et taurines ; sursis d’incorporation au service militaire ; gestion des frais courants. Ces derniers dévoilent la diversité des tâches, depuis l’entretien du patrimoine mobilier et immobilier de la commune jusqu’aux frais de déplacement et de mission du maire et des agents communaux.

Enfin, s’y superposent la prévision et la mise en œuvre des projets. De fait, l’équipe municipale et le maire, Jean Salducci, semblent très attentifs à la modernisation de Lunel. En témoigne un dynamisme certain, même si les projets semblent parfois disproportionnés, comme « […] en avril 1907, lorsque les conseillers Molle et Salducci font adopter un plan pour amener les eaux du Rhône vers la plaine du Languedoc. Ce vœu, concernant une demi-douzaine de départements et conduisant à mobiliser des crédits considérables n’avait aucune chance d’être exaucé » 9. Mais cette disproportion n’est qu’apparente. D’une part, n’oublions pas les travaux considérables d’aménagements hydrauliques concernant des espaces proches, menés à bien au XIXe siècle : les 175 km du canal de Marseille depuis la Durance (1854) 10, ou les 80 km du canal du Verdon de Quinson à Aix-en-Provence (1868) : deux réalisations locales que Jean Salducci, voyageur de commerce travaillant en Provence, ne pouvait que connaître. D’autre part, l’un des projets, visiblement inspiré des travaux de Surell 11 aurait été beaucoup moins ambitieux que l’actuel canal Philippe Lamour, puisqu’il ne concernait que les départements du Gard et de l’Hérault, en prévoyant de contourner la Costière depuis Beaucaire avec un écoulement par gravité relayé par des moulins à vent et des pompes à vapeur 12.

Le sentiment qui ressort de la lecture attentive des décisions du conseil est celui d’une gestion attentive, prudente, attachée aux valeurs d’ordre et d’économie.

Tel est le cas par exemple des contributions et décisions relatives aux « Aides et secours », au « Bureau de bienfaisance », aux « Bourses » destinées aux élèves de Lunel démunis et méritants poursuivant leurs études au collège, qui relèvent d’une gestion attentive de la dépense. Bien des demandes sont rejetées dès lors qu’existent un petit revenu régulier ou une aide pouvant être apportée par la famille, même si ce n’est pas encore le cas au moment de la décision. C’est de fait entre 30 et 40 subventions personnelles, toutes catégories confondues, qui sont décidées chaque année en 1912, 1913 ou 1914, ce qui est insignifiant pour une ville de plus de 7 500 habitants : bien moins de 1 % de la population fait l’objet d’aides ponctuelles avant 1914.

Malgré un souci d’économie évident, est également perceptible une attention réelle aux travailleurs, avec une préoccupation sociale indéniable. En témoigne, par exemple, cette modeste subvention annuelle accordée à l’appariteur et au préposé aux droits de place qui gèrent les emplacements lors des marchés hebdomadaires, subvention accordée pour compenser « l’usure de leur bicyclette » 13.

Ce même souci d’économie et d’efficacité est appliqué à eux-mêmes : à de rares exceptions près, les séances du conseil municipal ont lieu le dimanche, soit à 9 h 30 lorsque sa durée prévisible est importante, en général lorsque doivent être examinés les budgets, soit à 15 h 30 voire à 18 heures en 1917 lorsque l’ordre du jour paraît pouvoir être traité de façon plus rapide. Pourquoi ? Ce sont tous des travailleurs, à une exception près, connaissant des durées journalières et hebdomadaires de travail différentes de celles d’aujourd’hui 14. Seul le dimanche est libre : c’est donc ce jour-là qu’ils prennent le temps nécessaire à la réflexion et aux décisions. Je rappelle le dévouement de Léonce Vaissière, présent au conseil quelques heures avant son retour au Front.

Pendant leur mandature, ces conseillers vont se pencher non seulement sur la gestion des affaires courantes ou la modernisation de la ville, mais vont devoir prendre en compte aussi les préoccupations nouvelles induites par la guerre, lesquelles vont bientôt devenir omniprésentes.

Quelques mots sur la modernisation de Lunel, une préoccupation majeure des conseillers. Il y avait eu les halles, point phare du précédent mandat, ainsi que le projet avorté du canal d’irrigation depuis le Rhône. Au cours de leur nouvelle mandature, ils se penchent sur le pavage des rues, la gestion optimale (voire le pavage) de la voirie vicinale, la réhabilitation de plusieurs immeubles, l’électrification entreprise depuis 1911. Peuvent-ils maintenir tous ces projets alors que la France entre en guerre ?

Le conseil entre dans la guerre : juillet 1914 – novembre 1916

Les réunions deviennent moins régulières, passant d’un rythme mensuel à une fréquence plus aléatoire ; mais leur contenu demeure dense.

Très rapidement, l’ouverture du conflit accroît les responsabilités et les attributions des conseillers, en rendant plus complexe la gestion courante, en ajoutant des préoccupations nouvelles. Lunel, comme toutes les villes du sud de la France, reçoit son lot de réfugiés venant des régions occupées, voire de beaucoup plus loin : au vu des délibérations, arrivent à Lunel des réfugiés de Belgique et des Français vivant auparavant en Allemagne. S’ajoute l’accueil des blessés dès le mois d’août 1914, pour lesquels l’hôpital local est insuffisant : ils sont alors soignés dans les locaux disponibles, c’est-à-dire les écoles. Comment accueillir les élèves à la rentrée du 1er octobre 1914, alors que l’école des garçons est devenue l’hôpital militaire provisoire n° 26 ? (fig. 1 15)

L’école laïque de garçons transformée en hôpital militaire ; hôpital 26. [1916]
Fig. 1 - L’école laïque de garçons transformée en hôpital militaire ; hôpital 26. [1916]

Nous pouvons mesurer cet accroissement des responsabilités et des coûts induits avec un tableau des thèmes abordés, ayant fait l’objet de décisions financières ou de décisions de fonctionnement (voir tableau 2).

Tableau 2
Tableau 2

La guerre était-elle pressentie ? Rien dans les délibérations ne le laisse supposer. Et cependant la tension était perceptible, ne serait-ce qu’au travers de la commémoration de la fête nationale du 14 juillet 1914. Ainsi, lors du conseil du 15 novembre 1914 :

« M. le Maire expose au Conseil que la Commission des fêtes, dans le but de donner plus d’éclat et de solennité aux réjouissances publiques organisées à l’occasion de la fête nationale a engagé des dépenses supérieures à celles prévues au budget… » (DC p. 166).

Le déclenchement du conflit, le lundi 3 août 1914, ne semble pas prendre les conseillers au dépourvu : immédiatement, une “session extraordinaire” les réunit dès le jeudi 6. Ils sont peu nombreux ce jour-là, les premiers mobilisés étant déjà partis, d’autres étant sur le point de les suivre et restant alors en famille. Sans qu’ils en aient été conscients, l’ordre du jour de ce conseil résume de façon significative ce que vont être les préoccupations futures.

Ce conseil s’ouvre sur deux décisions de « Secours ». La première, parce qu’elle donne une image saisissante de la réalité du moment, méritait d’être citée quasi in extenso :

« Secours au Bureau de Bienfaisance à l’occasion de la guerre.

Le Conseil, considérant que par suite de la Guerre avec l’Allemagne la plupart des familles ont été privées de leur chef appelé sous les drapeaux pour défendre notre chère France menacée,

Qu’il convient à l’heure actuelle de pourvoir à la nourriture des familles nécessiteuses dont les seuls moyens d’existence ont été momentanément supprimés, Décide à l’unanimité d’allouer une somme de six mille francs au Bureau de Bienfaisance de Lunel pour être distribuée en secours en nature.

Cette somme sera prise sur les ressources disponibles de la Commune. Le Conseil décide en outre que cette somme sera employée à l’organisation de soupes populaires sous la direction d’une commission ainsi composée […] » [suit la composition de cette commission] (DC p. 77).

La seconde est une aide personnalisée aux femmes des réservistes qui viennent d’accomplir une période de 17 jours.

S’accumulent ainsi au cours des mois la gestion de problèmes que le conflit va complexifier. Je prendrai un exemple significatif : le problème anecdotique de la « Tuerie aux cochons » devient représentatif car il déborde sur la période de la guerre, qui en amplifie l’impact et entraîne des décisions différentes de celles qui auraient été prises en temps de paix.

Le conseil municipal est bien agité, depuis la fin de l’année 1913, par ce casse-tête de l’abattoir spécifique pour cet animal, dont la consommation paraît très importante en ce début du XXe s. Rappelons que, en dépit de la dureté du travail et de la modicité des salaires, la Belle Époque est un moment de mieux vivre, d’augmentation du niveau de vie, pour une grande partie de la population. Laquelle consomme plus de viande qu’autrefois, la viande de porc étant plus souvent choisie du fait de la modicité de son coût liée à la facilité et à l’excellente rentabilité de l’élevage et de la reproduction de cet animal omnivore, qui “fait ventre de tout”. Que se passe-t-il à Lunel, en ce début de 1914, à la « Tuerie aux cochons » ? La chose est simple : elle fonctionne mal. D’où la nomination d’une commission d’enquête pour examiner le bien fondé de sa mise en régie. Cette commission rend son rapport lors du conseil du 17 juin 1914 :

« M. le Maire donne connaissance au Conseil du rapport de M. le Receveur d’Octroi relatif au projet de la mise en régie de la tuerie aux cochons, des documents recueillis dans les villes voisines et du décompte provisoire des frais d’aménagement. Le Conseil […], considérant que la mise en régie de l’exploitation de la tuerie aux cochons ne paraît pas être pour la ville une opération avantageuse, décide de maintenir le statu quo » (DC p. 134).

C’est-à-dire l’exploitation de cet abattoir en fermage, par adjudication. Le coût de cette étude est modeste (30 F.) mais il est évidemment noté au budget. Las, lors du conseil du jeudi 6 août :

« Le Maire expose au Conseil que M. C… O…, adjudicataire de la ferme de la tuerie aux cochons, jusqu’au 30 septembre 1914, a été rappelé sous les drapeaux. Qu’il n’a pas laissé de représentant ni de famille à Lunel, et qu’il se trouve malgré lui dans l’impossibilité d’assurer son service. Il fait connaître que M. C… E… s’engage à terminer l’exploitation de cette ferme aux lieu et place de M. C…

Le Conseil […] approuve le traité de gré [à gré] passé avec M. C… pour l’exploitation de la ferme de la tuerie aux cochons du 1er septembre au 31 décembre 1914 » (DC p. 148).

Lors du conseil du 20 décembre 1914, la question devient un problème. L’aborder est d’autant plus intéressant qu’elle est représentative des difficultés qui se posent au conseil depuis août 1914. Que lit-on dans ce compte-rendu du 20 décembre 1914 ?

« La ferme de la tuerie aux cochons expire le 31 décembre courant. Le fermier sortant refuse de renouveler le traité de gré à gré. Dans les circonstances actuelles, la mise en adjudication de cette entreprise n’a aucune chance d’aboutir. Il y aurait lieu de prendre les mesures nécessaires pour l’exploitation en régie de cette ferme.

Le Conseil, ouï l’exposé de M. le Maire, décide d’exploiter l’entreprise de la tuerie aux cochons, en régie, aux conditions suivantes :

La Ville fournira le matériel, l’eau et le charbon ; les propriétaires ou charcutiers feront procéder eux-mêmes à la tuerie et au transport des cochons ; ces opérations auront lieu sous la surveillance du préposé de l’abattoir » (DC p. 170).

Suivent les modalités pratiques et les coûts, l’autorisation faite au Maire de procéder à l’achat du matériel de la « Tuerie aux cochons » auprès de l’ancien fermier, acté lors du conseil du 14 février 1915, pour la somme de 345 F. Et le préposé de l’abattoir ? Nous apprenons que sa charge s’était déjà accrue du fait de la guerre : « M. le Maire propose une gratification à M. P…, préposé de l’abattoir, dont le travail a considérablement augmenté depuis la mobilisation par suite de l’augmentation de la population militaire… » (DC p. 170). Le problème de la « Tuerie aux cochons » semble réglé ; mais les frais demeurent pour son entretien et l’usure des appareils, ainsi qu’il apparaît à plusieurs reprises dans les conseils ultérieurs.

De nombreuses autres décisions sont induites par la guerre. Relevons-en deux, à titre d’exemple.

Concernant les écoles, tout d’abord. Le déménagement des écoles, occupées par les blessés, est géré par le conseil du dimanche 4 octobre 1914. Remarquons que le conseil a attendu, puisque la rentrée des classes avait eu lieu, en théorie, le vendredi 2 octobre. Espérait-il la fin du conflit ?

« Installation provisoire des écoles primaires. Travaux d’aménagement.

M. le Maire expose au Conseil que les locaux ordinaires des écoles de garçons et de filles sont occupés par les blessés militaires ; que les locaux de l’école maternelle sont insuffisants pour pouvoir recevoir toute la population scolaire de la ville.

Il fait connaître qu’il existe dans l’ancien immeuble dit de Manosque (ancien couvent) des appartements susceptibles de servir de classes d’école. Cet immeuble appartient à la ville, mais pour y loger tous ces élèves, il y a lieu de procéder à des travaux d’aménagement indispensables.

Il soumet au Conseil le rapport de l’architecte et les devis des travaux à exécuter ; […]

La dépense totale doit s’élever à dix huit cent quarante cinq francs 16.

Le Conseil, ouï l’exposé de M. le Maire, considérant qu’il y a lieu de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le fonctionnement régulier de l’enseignement primaire, vu les pièces du projet d’aménagement de l’immeuble de Manosque, approuve le rapport et les devis et les traités de gré à gré souscrits […] » (DC p. 160).

L’urgence sanitaire, ensuite. Le conseil du 15 novembre 1914 souligne l’urgence de la vidange des fosses communales, plus vite remplies qu’à l’habitude du fait de l’afflux des réfugiés et du passage fréquent des régiments, et non vidangées en raison de la mobilisation de celui qui en était chargé par un traité de gré à gré : « Ces travaux qui ne peuvent souffrir aucun retard, ont été confiés à… » (DC p. 165). S’ajoute la lutte contre les épidémies, que le passage incessant de troupes et de véhicules pourraient transmettre : en novembre 1916 apparaissent pour la première fois les achats de désinfectants, pour des sommes considérables : 982,90 F, puis 460 F.

Revenons sur les réfugiés.

En dépit de l’aide financière apportée par l’État, leur accueil nécessite des décisions municipales successives. La première apparaît lors du conseil du 4 octobre 1914, pour « la nourriture de réfugiés français » (DC p. 163) ; modeste encore : 151,25 F. Puis les décisions se succèdent, laissant entrevoir les flux et reflux de ces gens : conseil du 15 novembre 1914, 187,50 F. ; conseil du 18 avril 1915 : 937,56 F. ; conseil du 27 juin 1915 : 1 252,22 F. ; conseil du 12 septembre 1915 : 1 254,85 F ; conseil du 28 novembre 1915 : 957,25 F., etc. Du fait de la prise en charge des réfugiés par l’État, ces charges auraient dû disparaître ensuite. Il n’en est rien : jusqu’en janvier 1919, la ville de Lunel est intervenue financièrement dans ce domaine.

A ces réfugiés s’ajoutent des immigrés d’origine espagnole qui viennent pallier le manque de main d’œuvre issu de la mobilisation : aucun ne relève des aides précitées.

Mais ces réfugiés et ces immigrés, ce sont aussi des enfants : recrutement d’une nouvelle institutrice à l’école de garçons (conseil du 20 décembre 1914), impression de « livrets scolaires spéciaux » (300 F.) et achats multiples de fournitures et de livres pour les écoles (665,75 F.), (conseil du 28 novembre 1915).

Le collège est de la même façon fortement impacté : afflux d’élèves et, restons dans l’euphémisme, modification des modalités de la discipline dans le collège du fait d’élèves ne possédant pas les coutumes de vie locale. En témoignent les multiples décisions du conseil du 28 novembre 1915 le concernant :

« Surveillance des élèves du collège.

Le Conseil, considérant que le nombre des élèves du collège de Lunel a fortement augmenté, et que, sur ce nombre, plus de 90 sont soumis à la surveillance, ce qui rend indispensable l‘ouverture d’une troisième étude ; émet le vœu qu’un nouveau poste de surveillant d’externat (à 1 000 F. par an) soit créé immédiatement, la Ville prenant en charge les frais jusqu’au 31 décembre 1915, date après laquelle le surveillant serait payé sur les bons du collège.

Le Conseil propose en outre à M. le Ministre de bien vouloir décider que le cadre permanent de surveillance figurant sur le traité soit constitué définitivement par deux répétiteurs à 1 700 F. et un surveillant d’internat à 1 000 F. à dater du 1er janvier 1916, et cela sans toucher à la somme de 500 F. prévue au traité pour surveillance générale » (DC p. 209).

N’oublions pas que le collège est payant : ces frais doivent dès lors se répercuter :

« Avenant au traité du collège.

M. le Maire expose au Conseil que par délibération du 12 septembre 1915, le Conseil municipal de Lunel a demandé l’augmentation du prix de la pension des élèves du collège.

Cette demande ayant été prise en considération, […] » (DC p. 209).

D’autant que les frais s’alourdissent :

« Achat de lits pour le collège. Traité de gré à gré D… Le Conseil approuve la soumission D…, commerçant à Montpellier, pour la fourniture de 12 lits nécessaires au collège, au prix de 55 F. l’un, soit 660 F. […] » (DC p. 209).

« Mémoire R…

M. le maire soumet au Conseil un mémoire de travaux et fournitures effectués au collège par M. R…, menuisier à Lunel, et s’élevant à la somme de 261,50 F. […] » (DC p. 211).

Mais aussi que ces nouveaux élèves sont plus remuants : « Avenant au traité du collège.

M. le Maire expose au Conseil que par délibération du 28 novembre 1915, le Conseil municipal de Lunel a demandé le remaniement de la surveillance du collège. Cette demande ayant été prise en considération, il donne connaissance de l’avenant à établir pour régulariser cette situation […] » (DC p. 213).

Je terminerai avec une décision qui, loin de l’anecdotique, résume de façon criante ce qui se passe à Lunel et dans son collège dès le début de cette Grande Guerre. Elle date du conseil du 27 juin 1915 :

« Chaire d’espagnol au collège.

Le Conseil, par délibération du bureau d’administration du collège en date du 18 juin 1915,

Tenant compte de l’opinion de nombreux parents et estimant avec eux que dans les sections B et D du 2e cycle, l’étude simultanée de l’allemand et de l’anglais, actuellement obligatoire au Collège de Lunel, exige de la part des élèves de notre région un effort parfois excessif,

Considérant que, dès octobre 1914, tous les élèves de 6e A et B ont été inscrits à la demande des familles, pour l’étude de l’anglais comme 1ère langue,

Considérant que dans bien des cas les anciens élèves du Collège de Lunel sont appelés à avoir des relations d’affaires avec nos voisins du Sud et qu’il y a, dès lors, grand intérêt à ce que la langue espagnole soit enseignée dans le Collège,

Considérant en outre que le professeur d’anglais peut, comme il le fait depuis octobre 1914, assurer l’enseignement de l’allemand pour les élèves qui ont déjà commencé l’étude de cette langue ;

Émet le vœu que la chaire de langues vivantes (allemand) soit transformée en chaire de lettres – espagnol et pourvue d’un professeur titulaire à partir du 1er octobre 1915. […] » (DC pp. 194 et 195).

Tout y est : la désaffection des élèves et de leurs parents pour la langue des “Boches” ; l’arrivée d’immigrés espagnols dans la ville ; l’accentuation des relations commerciales avec l’Espagne du fait des difficultés des approvisionnements en France, relations d’autant plus accrues que Lunel est sur le trajet de ces échanges ; le souci pédagogique pour les enfants déjà engagés dans l’étude de l’allemand.

Parlons chiffres enfin : les surcoûts entraînés par la guerre sont chiffrables, portés au budget de la ville. Sur les 29 mois de juillet 1914 à novembre 1916 inclus, ils se montent au total à 58 655,89 F., soit en moyenne 2 022,62 F. par mois, soit environ 10 % du budget de la commune. Une proportion encore supportable, bien qu’elle atteigne le seuil avant endettement, ce qui est à l’époque impensable, hormis le cas des emprunts nécessaires pour les investissements d’équipement. Progressivement, la volonté de modernisation de la ville s’est effacée courant 1915 : les travaux entrepris ne sont plus désormais que ceux qui relèvent de l’absolue nécessité. En 29 mois, Lunel est passée de la prospérité aux nécessaires économies, de la gestion à long terme à la recherche de palliatifs immédiats.

Ce fardeau devient à terme quasi insupportable. D’autant que cette équipe âgée doit tenir tête aux critiques et assumer des dépenses qui s’envolent.

Le conseil subit la guerre : décembre 1916 – septembre 1918

Avec le conseil du dimanche 24 décembre 1916, nous entrons dans une nouvelle phase. Cette session extraordinaire, à la veille de Noël, est bien celle de l’urgence ; elle préfigure la période des véritables difficultés pour la ville.

Deux faits nouveaux apparaissent, également significatifs d’une évolution imposée des mentalités, d’une véritable mutation en réalité.

Première nouveauté : une délibération sur un traité de gré à gré avec un chef d’entreprise féminin. Les femmes apparaissent pour la première fois en exercice de responsabilités entrepreneuriales :

« Le Conseil émet un avis favorable à la délibération de la Commission administrative de l’hospice adoptant le traité passé avec Mme Vve B. pour la fourniture de viande fraîche nécessaire à cet établissement du 1er janvier au 31 mars 1917 ». (DC p. 247).

D’autres délibérations, en cette même année 1917, permettent de percevoir clairement que le rôle des femmes s’accroît dans la vie économique locale. Il est ainsi fait appel, en juin, à un chef d’entreprise féminin pour des travaux publics, à savoir pour l’entretien des chemins vicinaux ordinaires :

« Le Maire soumet au Conseil : 1° le devis, bordereau des prix et détail estimatif pour fourniture et emploi de matériaux cassés dans toute l’étendue de la Commune ; 2° la soumission par laquelle Mme Marguerite V… Vve D… s’engage à exécuter ces travaux et fournitures […] » (DC p. 254).

Le souci de viabilité de ces chemins vicinaux est à prendre en considération. Ils sont, pour Jean Salducci, la continuité normale des rues de Lunel, toutes pavées, rappelons-le. Rapprochons cette observation de l’état des “chemins de grande communication” gérés par l’État : « Au lendemain de la Grande Guerre de 1914-1918, (…) les voies publiques étaient dans le plus mauvais état : pavés défoncés, empierrement arrachés, ornières, trous, fossés envahis par les eaux et la végétation, le mal était universel » 17. Or, ces chemins vicinaux, ne l’oublions pas, sont fondamentaux pour l’exploitation agricole et viticole, et une source de richesse pour la commune.

Seconde nouveauté : une décision relative à l’« Alimentation et ravitaillement de la population ». Son importance mérite qu’elle soit citée in extenso :

« A la suite de la prolongation de l’état de guerre et de la crise des transports, M. le Maire fait connaître au Conseil qu’il s’est préoccupé de rechercher et de prendre toutes les mesures propres à éviter la pénurie, l’accaparement ou l’élévation du prix des denrées de première nécessité. Pour atteindre ce but, le Maire propose au Conseil le vote d’une somme de dix mille francs pour faire face aux besoins immédiats de la consommation locale en denrées de première nécessité et qui sera prise sur les fonds libres de la Commune.

Il s’agit d’un crédit prévisionnel devant permettre à la Ville de se substituer aux marchands dans le cas où ces denrées seraient mises en vente à des prix déraisonnables ou seraient difficiles à se procurer par suite de la pénurie des transports.

Il va de soi que la dépense ainsi effectuée serait récupérée par suite de la revente de ces denrées ou de leur remise aux détaillants et reversée dans la Caisse municipale après chaque livraison de marchandises.

Dans ces conditions le Maire propose au Conseil le vote, en dépense et en recette, d’une somme provisionnelle de dix mille francs et de lui donner tous pouvoirs nécessaires pour traiter tous achats et ventes de ces denrées au mieux de l’intérêt général.

Le Conseil accepte les propositions du Maire » (DC p. 246).

Pour la première fois, au moins à Lunel, le conseil fait œuvre d’interventionnisme, se substituant aux entreprises privées. Si rien d’autre n’est exprimé dans les comptes-rendus, ne peut-on imaginer le choc de cette évolution des mentalités ? Ce passage du libéralisme à une prise en charge, même partielle, de la vie économique marque la fin d’une époque.

Le tableau des thèmes abordés lors des conseils entre décembre 1916 et décembre 1918 est révélateur de cette implication économique toujours plus grande de la municipalité. (Voir tableau 3)

Tableau 3
Tableau 3

De fait, les difficultés s’accumulent, avec des leitmotive récurrents.

La nourriture de la population et des réfugiés, précédemment évoquée, amène des dépenses continuelles, dans un contexte de hausse constante des prix.

Cette inflation persistante entraîne également le vote de crédits de fonctionnement supplémentaires. Ainsi, l’entretien des aqueducs et pompes devient de plus en plus coûteux du fait de l’usure des pièces, difficilement remplaçables 18. De même, la fourniture de charbon devient d’autant plus un problème vital que le petit combustible local fait progressivement défaut 19. S’ajoute l’usure continuelle des chemins vicinaux : le charroi permanent sur la route de grande communication, par ailleurs en mauvais état, est de plus en plus souvent délesté sur ceux-ci 20.

Cette continuelle inflation induit en outre un relèvement régulier des salaires des employés communaux, assortis d’indemnités diverses. Parmi celles-ci, les indemnités de “cherté de vie”, lesquelles imputent le budget en cours et futur :

« Pour assurer le payement de l’indemnité de cherté de vie aux employés communaux (15 f. par employé et 5 f. pour chaque enfant au dessus de 16 ans), le Conseil vote pour l’année 1918 un crédit de 4 000 f. qui sera porté en première ligne au budget additionnel de cet exercice » (Conseil du 25 novembre 1917, DC p. 267).

Figurent également des indemnités liées à des travaux supplémentaires du fait du manque de main-d’œuvre :

« Sur la proposition de M. le Maire, le Conseil décide d’allouer à M. P… G…, garde-champêtre, pour travaux supplémentaires exécutés en dehors de ses attributions, une indemnité de 150 f., qui sera prise sur l’article 109 du budget de l’exercice courant intitulé “Dépenses imprévues” » (DC p. 262).

A noter que ce manque de main-d’œuvre est pallié par des réfugiés employés à divers travaux, dont la commune assume la nourriture et parfois même le logement :

« Réparations à l’immeuble de Manosque. Logement des réfugiés. M. le Maire expose au Conseil que la ville va être appelée incessamment à recevoir un contingent assez important de nouveaux réfugiés. […] Considérant que la ville […] fera œuvre de solidarité nationale en assurant un logement confortable aux réfugiés, […] décide que la dépense de 14 500 f. occasionnée sera prise sur l’article 116 du budget de l’exercice 1917 et l’article 62 du budget additionnel du même exercice… » (DC pp. 265-266).

Ce manque de main d’œuvre, criant, attire aussi des immigrés tunisiens, ouvriers agricoles et viticulteurs, dont la commune assume l’accueil initial :

« « M. le Maire soumet au Conseil le mémoire de M. A… L…, aubergiste à Lunel, pour nourriture des ouvriers tunisiens à leur arrivée à Lunel et s’élevant à la somme de 148,75 f » (DC p. 261)

Le poids de la guerre se fait particulièrement pesant au cours de cette année 1917, notamment lors du conseil du dimanche 24 juin. C’est en juin que les budgets sont habituellement votés, donnant lieu à de multiples tableaux, détaillant poste par poste recettes et dépenses, couvrant plusieurs pages du registre. Or, au cours de ce conseil du 24 juin, seuls les montants globaux pour les budgets additionnels de 1917 et primitif de 1918 sont donnés, sans aucun détail. Cette absence dans les comptes-rendus des délibérations ne fait l’objet d’aucune remarque, sinon la modification de la formule terminale usuelle : « Le Conseil, après avoir pris connaissance de ce document, l’approuve dans tout son contenu » (DC p. 257), au lieu de la formule habituelle : « Le Conseil, après avoir pris connaissance, article par article, du budget primitif pour l’exercice…, l’approuve dans tout son contenu ».

Nous comprenons mieux ce poids d’une guerre subie avec le compte-rendu du dimanche 14 juillet 1918, où la présentation des budgets rentre dans la norme. La présentation du compte de gestion pour 1917 montre que les dépenses accumulées avaient exigé de puiser dans les réserves financières de la commune. Un choc moral pour ces hommes d’économie formés dans l’état d’esprit de leur époque, pour lesquels l’épargne était une valeur fondamentale. L’émotion d’avoir été obligés de puiser dans les réserves non pour de l’investissement mais pour des dépenses courantes est quasiment palpable. On devine, à cet “oubli” délibéré du vote des articles détaillés du budget annuel, combien ces conseillers ont été désemparés après les mutations financières exigées par la situation : de gestionnaires des fonds publics pour l’administration communale et la modernisation de la cité, ils sont devenus régisseurs de ces fonds pour l’assistance de leurs concitoyens.

La signature de l’armistice efface-t-elle ce malaise que l’accumulation des décisions d’aides, d’augmentations ou d’indemnités, de frais multiples laisse entendre ?

Le conseil entre dans la paix

La dernière année de leur mandature est celle de la lente transition entre les décisions liées à la guerre et celles nées d’une société nouvelle, une société en mutation, fait perceptible au travers de leurs décisions.

Examinons tout d’abord les derniers conseils, depuis celui qui suit immédiatement l’armistice de 11 novembre 1918 jusqu’à celui du 16 octobre 1919, ultime réunion de cette équipe, (voir tableau 4).

Tableau 4
Tableau 4

La signature de l’armistice avec l’Allemagne n’apparaît en rien dans les délibérations. Il semblerait même, au contraire, que le poids de la guerre se fasse encore plus ressentir.

D’abord, les hommes mobilisés ne sont pas encore rentrés. On sait que l’armistice n’est pas la paix 21. On ne sait pas quand « ils » rentreront, quand ce cauchemar se terminera, d’autant que les problèmes de ravitaillement et de coût de la vie sont toujours lancinants.

Ensuite, s’ajoute le problème financier grave posé par les frais de casernement. (fig. 2 22)

Le compte-rendu des débats du 25 novembre 1918 est significatif de l’exaspération de Jean Salducci :

« Frais de casernement. Demande de réduction.

M. le Maire expose au Conseil que la ville de Lunel paie tous les trimestres à l’État la taxe de casernement prévue par la loi.

Aucune difficulté ne s’est élevée en temps de paix sur la perception de cette taxe, mais depuis la guerre les sommes réclamées à la Ville sont tellement élevées que les payements ont dû être suspendus après le versement d’un acompte.

Quartier du 16e Escadron du Train (Alexandre Bardou, photographe éditeur.1914)
Fig. 2 - Quartier du 16e Escadron du Train
(Alexandre Bardou, photographe éditeur.1914).

L’énorme augmentation de cette taxe provient de ce que, depuis le mois d’août 1914 par suite de la mobilisation et de l’état de guerre, la Ville a reçu une très grande quantité de troupes dépassant de beaucoup la modeste garnison habituelle et que l‘intendance a compris dans ses décomptes toutes les troupes ayant séjourné à Lunel » (DC p. 287).

Jean Salducci argumente longuement ensuite, alléguant l’augmentation des charges communales dues à la guerre, le fait que les recettes d’octroi sont moindres du fait des exonérations liées à cette guerre, enfin la mise à disposition gratuite de nombreux immeubles pour les troupes, les frais de remises en état des locaux après le départ de celles-ci.

Il demande de ce fait « le dégrèvement le plus large possible des frais de casernement réclamés à la ville » (DC p. 287).

Le fait que la France soit en guerre depuis plus de quatre ans, le fait que les finances communales aient été mises à mal par celle-ci, sont-ils des arguments suffisants ? Nous l’ignorons, car ce sujet n’apparaît plus dans le registre, même après le changement de conseil en décembre 1919.

Les problèmes évoqués depuis décembre 1916 perdurent encore jusqu’à la fin de 1918.

Ce n’est qu’en février 1919 que nous percevons une nette modification. D’abord, les mobilisés sont rentrés : le conseil est quasiment au complet, hormis ceux qui s’en sont retirés dès 1914 et Henri Yzombard, décédé. Progressivement, les décisions de gestion de la cité prennent le pas sur les préoccupations liées à la guerre : livres pour les écoles, curage des ruisseaux, reprise des travaux pour l’éclairage électrique. Cette sortie graduée de la crise liée à la guerre s’opère entre février et septembre 1919, avec des réunions plus rapprochées, comme autrefois.

C’est surtout le conseil du samedi 13 septembre 1919, long et animé, qui est significatif de nombre des changements. Il présente de fait de multiples facettes, exposées ci-après : la mandature est sur le point de se terminer, mais les finances sont saines ; la guerre est encore présente dans tous les esprits, avec ses mutilés et ses morts ; mais la guerre est finie et les Lunellois font la fête ; enfin, les mentalités changent et le conseil va même jusqu’à voter une résolution contre l’avis du maire.

Ce conseil débute avec l’examen des différents budgets. Nous retrouvons la précision et le détail habituels : la guerre est réellement terminée et les conseillers ont eu le temps et la quiétude nécessaire pour peaufiner les comptes. Mais cette rigueur dans les comptes a aussi une autre signification. A quelques mois de la fin de leur mandat, ils tiennent à prouver que leur gestion fut exemplaire : en dépit de la guerre et des difficultés, la future municipalité héritera d’un bilan financier positif, dans tous les postes :

« Comptes d’Administration et de Gestion du collège […]

D’où un excédent de recettes de 1 883,81 f » (DC p. 304)

« Comptes d’administration et de gestion du Bureau de Bienfaisance […]

D’où un excédent de recettes de 3 926,53 f » (DC p. 305)

« Comptes d’administration et de gestion de l’Hospice […]

D’où un excédent de recettes de 14 251,55 f » (DC p. 305)

« Compte Administratif […]

Il reste pour excédent de recettes la somme de 31 715 f. » (DC p. 308).

Les prêts ont été remboursés, les finances sont saines, des prélèvements nouveaux mais bénins sont mis en place afin d’assurer des rentrées suffisantes pour pallier l’inflation.

Même les opérations liées au ravitaillement, si remplies de tensions, se soldent par des bénéfices, lesquels permettent de clore ce douloureux et difficile dossier, ce qui donne l’occasion d’en rappeler le processus :

« Ravitaillement. M. le Maire donne connaissance au Conseil des opérations effectuées pendant la guerre et jusqu’au 23 juillet 1919 pour le ravitaillement de la population en farine, sucre, soufre et sulfate 23.

Ces opérations ont été effectuées par les soins des bureaux de la mairie, hors budget et sans le concours des fonds communaux. »

S’ajoute enfin à cette occasion un dernier hommage aux victimes :

« M. le Maire invite le Conseil à répartir, conformément aux usages en vigueur, cette somme de 6 625, 14 f entre les œuvres de guerre, de bienfaisance, etc. […] ».

[Le Conseil] décide de répartir comme suit le bénéfice disponible :

1°/ Subvention au bureau de bienfaisance : 1.947 f 75,

2°/ Subvention au comité pour l’érection d’un Monument aux Morts de la Grande Guerre de Lunel : 3 000 f 00,

3°/ Subvention à l’Association des Mutilés de Lunel,

4°/ Gratification aux employés communaux chargés du service du ravitaillement : 1 177 f, 39 » (DC p. 310).

Le souvenir de toutes les victimes de ce drame demeure présent, mais les Lunellois ont dignement fêté la paix 24 retrouvée :

« Fêtes publiques.

M. le Maire soumet au Conseil la soumission par laquelle M. B… P…, chef d’orchestre à Lunel, s’engage à fournir les musiciens nécessaires à la Ville pour les fêtes données en l’honneur de la signature de la Paix, de la Victoire et du 14 juillet […] ». (DC p. 313).

« Soumission N…

M. le Maire soumet au Conseil la soumission par laquelle M. N… s’engage à fournir à la ville un feu d’artifice et des articles d’illumination pour les fêtes publiques […] ». (DC p. 314)

« Soumission D…

M. le Maire soumet au Conseil la soumission par laquelle M. D… s’engage à fournir à la ville divers articles de décoration et d’illumination pour les fêtes publiques […] ». (DC p. 314).

Sans oublier ce qui est essentiel à Lunel pour marquer la fête :

« Soumission G…

M. le Maire soumet au Conseil la soumission par laquelle M. G… s’engage à fournir à la ville trois courses de taureaux et de vaches à l’occasion de la fête nationale […] ». (DC p. 314).

Pour conclure, je m’attacherai à cinq remarques, très dissemblables.

Le registre, source principale de cette recherche. Admirablement conservé, admirablement tenu, sans une seule faute d’orthographe, ce document encore peu exploité se révèle être une abondante mine de renseignements sur la vie locale, sur le travail des élus, sur les conditions de vie de la population. Croisé avec les autres documents aujourd’hui ouverts, comme les dénombrements de la population, il devient un témoin précieux de la vie locale.

La guerre. Ni le déclenchement de la guerre, ni sa durée ne sont perçus initialement. Rien dans les délibérations du 29 juin 1914 ne laisse présager de l’imminence du conflit. Rien non plus à la fin de 1918 ne témoigne de la joie de la victoire. La guerre a usé les conseillers municipaux : ils l’ont assumée à Lunel comme les hommes au Front, avec courage.

Les budgets. La vue à long terme en matière financière, témoignage de la prudence de la gestion, est progressivement mais brutalement mise à mal. Mais qui aurait pu prévoir le choc financier de cette guerre interminable, de l’inflation incompréhensible après un siècle de stabilité monétaire ? L’évolution de ces budgets, la recherche de solutions de fortune afin de pallier l’accroissement de la dépense, ne sont-elles pas significatives de la fin de la France riche et sûre d’elle-même ?

L’interventionnisme. Le rôle accru de la commune dans le domaine économique est clairement perceptible, surtout après le virage de l’hiver 1916-1917. Est-il le marqueur de la fin du libéralisme de la Belle Époque ?

Les femmes. Initialement, elles sont comme absentes, n’apparaissent dans les délibérations qu’au travers de quelques métiers « féminins », n’existent semble-t-il que comme assistées. Certes les modalités de la démocratie les rendent mineures en matière politique. Les usages du temps en font de même dans la vie économique. La gestion municipale, comme les entreprises, sont des affaires d’hommes : aucune femme n’apparaît initialement dans les “mémoires” présentés par les artisans et commerçants. Puis, à partir de 1917, les comptes-rendus démontrent l’émergence du rôle de la femme dans la vie économique, à Lunel, comme cela fut le cas ailleurs.

Un constat, pour finir. Au travers des délibérations du conseil municipal de Lunel, nous retrouvons les analyses et les conclusions de François Caron, Jean Bouvier, Pierre Barral, entre autres, qu’il s’agisse des difficultés monétaires, des pénuries, des doubles emplois, de la “vie chère”, des responsabilités nouvelles de femmes, etc. 25 De fait, au travers de ce registre, la ville de Lunel n’apparaît-elle pas comme un microcosme de l’effort et des mutations imposés à la France par cette Grande Guerre ?

Sources

— Archives de la défense, Vincennes, Service historique de l’armée, Journaux des marches et opérations 1914-1918, cotes 26 N 321, 26 N 664, 26 N 908, 34 E 279-302.

— Archives départementales de l’Hérault, Pierre-Vives : Délibérations consulaires et Communales : Délibérations communales 1912-1922, cote 101PUB52.

— Archives départementales de l’Hérault, Pierre-Vives : Dénombrement de 1911, Liste nominative, cote 6M453-1911.

— Archives départementales de l’Hérault, Pierre-Vives : Dénombrement de 1922, Liste nominative, cote 6M453-1922.

— Base nominative des Morts pour la France : https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/

— Enquête orale, effectuée du 2 au 22 décembre 2013 à Lunel et dans les communes voisines, auprès de six personnes ayant connu directement ou indirectement plusieurs des conseillers municipaux de cette mandature.

Bibliographie

— Billard, Yves, « Le Conseil général de l’Hérault de 1901 à 1913 », dans Les assemblées représentatives (XVIe-XXe siècles), Liame, 23-2011, Centre de recherches Interdisciplinaires en Sciences humaines et Sociales de Montpellier, Université Paul Valéry, Montpellier.

— Braudel, Fernand et Labrousse, Ernest (dir.), Histoire économique et sociale de la France, tome IV/2, Des années 1880 à nos jours, Paris, P.U.F., 1980.

— Brunel, Max et Menteyne, François, Lunel hier, aujourd’hui et demain, Castries, Ed. du Mistral, 2004.

— Brunel, Max, Gens et histoires de Lunel, vol. 4, Castries, Ed. du Mistral, 2004.

— Cavaillès, Henri, La route française, son histoire, sa fonction, Paris, Armand Colin, 1946.

— Daumas, Max, Le Lunellois, Arts helio, Montpellier, 2007.

— Jolly, Jean, Dictionnaire des Parlementaires français, notices biographiques sur les ministres, députés et sénateurs français de 1889 à 1940, Paris, P.U.F, 1977.

— Labrusse, Olivier de, Géohistoire du foncier en Garrigues du Gard et de l’Hérault, Conférence débat du Collectif des Garrigues, Association des Urbanistes du Languedoc-Roussillon, Montpellier, 27 février 2014.

— Ledru-Rollin, Journal du Palais, recueil le plus complet de la jurisprudence française, Paris, Patris, 1841.

— Lefranc, Georges, Histoire du travail et des travailleurs, Paris, Flammarion, 1957.

— Raynaud, Claude, Du Vidourle à l’étang de l’or, une histoire du Lunellois, Archéologie et Histoire du pays de Lunel et de Mauguio, publié avec l’aide du Département de l’Hérault et du Pays de Lunel, Lunel-Viel, 2013.

— Renouvin, Pierre, La crise européenne et la Première Guerre Mondiale, Paris, P.U.F., Coll. Peuples et civilisations, 1934.

— Schor, Ralph, Histoire de la société française au XXe siècle, Paris, Belin, 2005.

— Védrines, Jean-Pierre, Chroniques rouges. Lunel et son canal au début du XXe siècle (1904-1922), Aubais, Ed. Mémoire d’Oc, 2003.

NOTES

1. Archives départementales de l’Hérault : Délibérations communales 1912-1922.

2. Arch. dép. Hérault : Dénombrement de 1911, Liste nominative, cote 6M453-1911.

3. Les renseignements personnels sur les conseillers, présentés en un bref tableau, sont issus du Dénombrement de 1911, op. cité. Les âges donnés sont ceux de 1912, la “situation de famille en 1912” est une “photographie” de leur environnement familial direct à cette date.

4. Au retour de la guerre, ruiné, Charles Jullian devient « ouvrier cultivateur » (Dénombrement de 1922, op.cité).

5. Professeur émérite à l’Université Via Domitia de Perpignan.

6. Anecdote relatée par Yves Billard dans « Le conseil général de l’Hérault de 1901 à 1913 », Liame, 23-2011, p. 9.7.

7. Selon la Base nominative des Morts pour la France, aucun de ces conseillers municipaux n’a péri dans ce conflit.

8. Le registre porte L. Vaissière « absent excusé » dans un premier temps ; puis son nom apparaît dans la liste des présents ; l’écriture, légèrement différente, ne laissa aucun doute sur cet ajout après le début du conseil (DC p. 130).

9. Billard, Yves, op. cité, p. 10.

10. Celui-là même que Pagnol évoque dans ses Mémoires.

11. Surell, Alexandre, Mémoire sur le barrage du Petit Rhône, pour servir à l’irrigation et au dessèchement d’une partie du delta, Nîmes, Ballivet et Fabre, 1847, 48 p.

12. La crise du phylloxéra a laissé des traces dans les mémoires : la submersion des vignes fut l’un des traitements efficaces ; d’où cette idée de canal au début du XXe siècle. Source : enquête orale, effectuée du 2 au 22 décembre 2013 à Lunel et dans les communes voisines, auprès de six personnes ayant connu directement ou indirectement plusieurs des conseillers municipaux de cette mandature.

13. 50 F chacun ; Conseil municipal du 29 juin 1914, DC page 73. Cette subvention est régulièrement reconduite.

14. Le 2 novembre 1892, la IIIe République crée le Corps des Inspecteurs du Travail devant en théorie faire respecter les nouvelles limitations du travail pour les moins de 18 ans et les femmes (11 h au maximum par jour ; et 10 heures pour les 13 à 16 ans). Selon G. Lefranc (Histoire du travail et des travailleurs, Paris, 1957), la durée moyenne du travail pour les hommes de plus de 18 ans serait de 12 heures par jour avant 1914, soit 72 heures par semaine ; mais les dépassements étaient nombreux et non sanctionnés.

15. Carte sans nom d’auteur. Source : Archives départementales de l’Hérault.

16. Rappelons que le salaire moyen d’un ouvrier était d’environ 140 F par mois ouvré (5 à 6 F par jour).

17. Cavaillès, Henri, La route française, son histoire, sa fonction, Paris, Armand Colin, 1946, p. 297.

18. La “machine des eaux” provenait de Liège (Belgique), occupée depuis août 1914. Pour la réparer, en septembre 1919, il est fait appel à un “fondeur” de Montpellier, qui fabrique les pièces devenues introuvables (DC p. 309).

19. Avant la guerre, il était d’autant plus coutumier d’aller chercher du “petit bois” dans les garrigues au nord de la ville que ceci contribuait à entretenir les pâturages ovins de brachypode rameux. Ce système agro-sylvo-pastoral en équilibre est rompu par les surdéfrichements, dès 1915, lesquels amènent la raréfaction de cette ressource (sources : témoignage oral précité et travaux d’O. de Labrusse, cf. bibliographie). Des reboisements partiels, dans l’Entre Deux Guerres, pallieront ce problème.

20. Source : témoignage oral lors de l’enquête précitée. Les chemins vicinaux situés au nord et au sud de la ville étaient d’autant plus empruntés par le trafic de transit qu’ils permettaient d’éviter les longues files d’attente aux octrois de Lunel. Mais ce transit importunait les cultivateurs et viticulteurs dont les parcelles bordaient ces chemins. D’où ce fait resté dans les mémoires.

21. « L’armistice ? Bien sûr qu’ils ont été contents, sûrement […]. Mais je m’en souviens pas bien parce que chez nous mon grand père [conseiller municipal] disait qu’ils n’y croyaient pas vraiment à la paix, que les Boches n’étaient pas vraiment battus, qu’ils nous préparaient encore un coup en traîtres [suivent des jugements de valeur qui n’ont plus leur place de nos jours]. Nous on a fait la fête que l’année d’après, en été. Ah ! ç’a été des belles fêtes, ça je m’en souviens bien ! ». Source : témoignage oral (12 décembre 2013), op. cité.

22. Source : Archives départementales de l’Hérault. Notons l’absence de revêtement sur ce qui est pourtant un chemin de grande communication (puis N 113), alors que les rues de Lunel étaient toutes pavées et les chemins vicinaux tous bien entretenus, ce qui corrobore les propos d’H. Cavaillès, précités.

23. Notons, dans cet espace viticole, que le soufre et le sulfate destinés au traitement des vignes font partie des produits de “première nécessité”. Les prix avaient d’autant plus augmenté que ces substances étaient utilisées pour l’industrie de guerre (poudres et explosifs). De ce fait, soufre et sulfate étaient préachetés et stockés par la municipalité en fonction de la commande ferme des viticulteurs, qui venaient ensuite retirer leurs réservations.

24. Ce n’est qu’après la signature du Traité de Versailles que la ville de Lunel est réellement entrée dans les manifestations de joie. Rien n’indique dans les délibérations que la signature de l’armistice de Rethondes avec l’Allemagne ait été fêtée ; aucune allusion non plus pour les précédents armistices de Thessalonique, Moudros, Villa Giusti.

25. Dans Histoire économique et sociale de la France, tome IV/2, Livre II, I ; Livre III, I, I ; Livre IV, I.