Catégorie : Étiquette :

Description

Un collège universitaire dans la lignée de son passé : Pézenas (1811-1863)

* Professeur honoraire d’Histoire.

Pour juger à sa juste valeur les événements qui ont marqué l’histoire du collège de Pézenas, dans la période que nous avons retenue dans cet article, il convient de bien les replacer dans le cadre général des établissements de ce type. Le contexte de vie en est difficile, car, à cette époque, l’enseignement secondaire ne constitue pas une préoccupation majeure de la société française. Il demeure relativement marginal, sauf pour les « élites » sociales et quelques élèves chanceux.

Nous allons donc retrouver dans cette histoire du collège de Pézenas plusieurs caractéristiques propres à ce type d’établissements qui, ignorées du lecteur, risquent de lui donner, de cette maison, une vision plus noire qu’il ne conviendrait. Quelles sont donc les principales difficultés qu’on y rencontre ?

La plupart de ces collèges municipaux – pour s’en tenir à l’Hérault, outre celui de Pézenas, ceux d’Agde, de Bédarieux, de Clermont, de Lodève et de Lunel – sont installés dans des villes qui n’ont que quelques milliers d’habitants, 5 à 10 000 au plus. Avec la zone d’attraction de ces cités souvent commerçantes, cela fait tout au plus dix à douze mille âmes. C’est alors, très peu pour le recrutement des collèges, au demeurant proches les uns des autres. N’oublions pas, pour en juger sainement, qu’il y a alors, pour une France de 35 millions d’habitants, moins de 100 000 élèves dans les lycées et collèges – ils ne seront encore que 180 000, en 1898, dont plus de la moitié dans le privé.

Leurs effectifs sont donc faibles et les problèmes de recrutement difficiles à régler, encore qu’une grosse partie des élèves – plus de la moitié souvent – soit constituée d’enfants qui fréquentent les classes primaires intégrées dans ces collèges. Les établissements publics voisins et les pensions privées, toutes médiocres qu’elles soient, rendent le recrutement encore plus aléatoire et fragile. L’équilibre financier est donc bien difficile à atteindre et les principaux qui ont ces collèges à leurs comptes ne s’y retrouvent que rarement. Aussi, lorsqu’ils ne font pas de bénéfices, voire s’endettent, ils quittent une maison pour aller chercher fortune ailleurs. Cela explique pourquoi les responsables de ces établissements y demeurent si peu de temps.

Il faut ajouter à cet élément que les principaux n’ont aucune formation, ni comme gestionnaires, ni comme pédagogues, et que cela arrange d’autant moins les choses qu’ils dépendent de conseils municipaux qui ne leur sont pas toujours d’un grand secours, ni même toujours favorables. Entre les maires et les chefs d’établissements, les conflits sont fréquents. Cela peut aller de divergences politiques aux querelles de personnes, en passant par les difficultés financières et les différences d’appréciations sur ce que devrait être ou faire le collège municipal. L’ambition de certains principaux se heurte souvent aux restrictions budgétaires, leur mauvaise gestion, à l’hostilité déclarée des conseils municipaux. L’entente entre les deux pouvoirs est loin d’être toujours bonne.

Nous retrouvons à Pézenas ces trois difficultés majeures : difficultés de recrutement, manque de formation des principaux et mauvaise entente entre eux et les maires en place. C’est pourquoi, les collèges fonctionnent souvent mal. Lorsque les circonstances sont favorables, lorsque le directeur est compétent et habile, lorsqu’il sait attirer une clientèle qui peut venir d’assez loin, grâce à l’internat, sur sa bonne renommée, lorsqu’il y a une entente avec les autorités municipales, lorsque enfin la conjoncture économique est bonne, alors le collège connaît une prospérité, sans lendemain souvent, attisant la jalousie des voisins et favorisant accusations et médisances. C’est ce qui arrivera à Pézenas, avec Lombard, dans les années 1840. Une embellie, passagère il est vrai.

Ce sombre tableau doit-il nous entraîner à nier l’utilité de tels établissements ? Ce serait abusif. Si ces collèges fonctionnent souvent mal, ils ont tout de même permis, même dans ce cas, la formation d’élèves qui ont pu, sur place, commencer des études qui les ont amenés à des carrières intéressantes, libérales surtout. Cette réussite est due au démarrage fait dans la localité. Le collège local n’est, pour les plus doués ou les plus chanceux, qu’un point de départ. Ils vont ensuite se former dans des établissements plus prestigieux et mieux notés – à Montpellier ou, mieux, à Paris, ou encore dans les grands établissements catholiques, ceux des Jésuites à Fribourg ou à Chambéry, ou, après la loi de 1850, à l’Assomption, à Nîmes. Les autres élèves, moins heureux, ont eu, tout au moins, l’occasion d’acquérir une certaine instruction, ce qui n’est pas sans importance dans un monde qui en manque encore cruellement – nous nous plaçons, rappelons-le, avant la fin du Second Empire.

Malgré leurs faiblesses et leurs lacunes, ces maisons ont donc bien leur utilité. Et c’est ce qui explique que, tant bien que mal, les habitants et les responsables communaux s’y accrochent. Ces collèges connaissent de vives tempêtes, qui semblent menacer leur vie, mais finalement bien peu sombrent réellement, comme le fait celui du Vigan, par deux fois.

L’on peut simplement regretter que ces collèges n’aient pas été plus utiles. Cela aurait été possible si l’enseignement donné avait mieux correspondu aux besoins d’une plus large fraction de la population locale. Les échecs de 1863 et 1867 sur lesquels nous terminerons notre article, le montrent bien pour Pézenas, comme nous l’avons aussi montré pour Sète en son temps : entre les désirs et les besoins des gens de la ville et les vues des responsables de l’Instruction Publique, il y a un fossé qui n’a pu être comblé. N’est-ce pas là un des aspects de la trop fréquente inadaptation de l’école à la mission qu’elle devrait remplir pour jouer son rôle social ? A chacun d’en juger, à travers cette histoire. […]

Informations complémentaires

Année de publication

1996

Nombre de pages

9

Auteur(s)

Louis SECONDY

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf