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Description

Sur le mouvement janséniste dans le diocèse d’Agde
dans la première moitié du XVIIIe siècle

Xavier AZEMA (article complet)

En abordant, à travers la biographie de Mgr Louis Fouquet, l’étude du mouvement janséniste au XVIIe siècle dans l’Agadès et le Piscénois, nous avions l’intention d’en donner une suite rapide pour le siècle suivant. Faute d’avoir pu encore réaliser ce projet, nous sommes heureux de donner ici une ébauche de la première partie de cette étude, celle qui concerne les épiscopats de Mgr de Feuquières et de la Châtre.

(I) L’ÉPISCOPAT de Monseigneur Philibert-Charles du Pas de Feuquières

Monseigneur Philibert-Charles du Pas de Feuquières aurait eu quelques raisons de rester dans la ligne « Jansénophile » de son prédécesseur : le sang des ARNAULD coulait dans ses veines. Proche cousin d’ARNAULD d’Andilly, il avait été élevé dans la vénération du « bonhomme », illustre solitaire de Port-Royal.

Le père, du futur évêque d’Agde, ambassadeur en Suède puis en Espagne ne put veiller de près sur son éducation, qui parait avoir été assez mouvementée, mais, Dieu merci, le brillant garçon n’avait pas besoin d’être poussé au travail. En sorte qu’il passe avec brio sa thèse de docteur en Sorbonne ; Monseigneur ARNAULD de Pomponne, ministre d’état est au premier rang de l’assistance(1). Vers cette même époque, nous voyons le jeune abbé demander au vénérable Nicolas Pavillon de judicieux conseils pour le bon usage de son abbaye et des directives pour sa conduite personnelle(2)

À la mort de Monseigneur Foucquet en 1702, Quesnel se réjouit de la nomination de ce jeune prélat qui promet beaucoup(3). Or, dans son nouveau diocèse, Monseigneur de Feuquières allait trouver bien des esprits qui n’avaient demandé qu’un évêque complaisant pour faire de l’Agadès une Terre Sainte « à la Port- Royal ».

Monseigneur d’Agde ne l’ignorait pas, et de pieuses gens ne manquèrent pas de l’avertir des fonctions qui l’attendaient dans son diocèse. Aussi opta t-il d’emblée pour une politique d’apaisement dont il ne se départit jamais durant tout son épiscopat.

Ainsi aucun incident ne se produisit-il dans son diocèse jusqu’en 1724 date où la bulle Unigenitus allait faire éclater le trouble. Ce calme apparent ne signifie pas cependant  que l’union était réalisée à cette époque. L’esprit du parti se répandait lentement, porté par l’air du temps, mais aussi par les « Réflexions Morales sur le Nouveau Testament » qui étaient fort lues dans le diocèse. Dès le début de son épiscopat, d’ailleurs, Monseigneur de Feuquières avait été alerté en apprenant la part prise par son théologal A. Martelly dans le Cas de Conscience qui devait faire renaître la crise Janséniste au 18éme siècle. Ce chanoine, estimé pour sa science autant que pour la régularité de sa vie sacerdotale, avait pris l’initiative de faire imprimer à Béziers un manuscrit du Cas de Conscience qui venait de se rédiger, sous ses yeux à Paris où il séjournerait. Il l’avait même fait précéder d’une courte lettre d’introduction qui « ne fut pas blâmée » de Monseigneur de Montpellier ni de Monseigneur de Saint-Pons. L’Évêque d’Agde, vite informé de l’affaire sut se taire, confirma ses pouvoirs au théologal, sans rien lui laisser entrevoir de ses sentiments(4).

Il n’en alla plus de même à la parution de la Bulle. Loyalement, Monseigneur d’Agde se soumet aux décisions pontificales, dont il ne paraît pourtant pas approuver tous les termes, mais qu’il juge préférables à toutes les discussions. A vrai dire, comme la presque totalité de l’Épiscopat français, il accueille avec grande joie « l’Instruction Pastorale » explicative dite « des quarante ». Il pensa d’abord y adhérer par une simple signature, et il la fit imprimer sous son nom le 9 Avril 1714, puis se décida, pour imiter ses confrères, à publier un mandement d’acceptation, en des termes, d’ailleurs très modérés, le 20 Mai de la même année(5).

Force était donc aux curés de publier ce mandement dans leurs paroisses. La plupart le firent, « volens nolens » dans le courant des années 1715. Le livre des « Réflexions Morales » est effectivement remis aux autorités hiérarchiques, souvent à contre-cœur, tant sa lecture quotidienne dans de nombreuses familles chrétiennes apparaissait comme la lecture de l’Évangile lui-même.

La mort du Roi, et les libertés nouvelles de la Régence allaient permettre à tous ceux qui n’avaient donné à la Bulle qu’une adhésion contrainte, de protester de leurs véritables sentiments. Plusieurs en profitèrent, dans le diocèse d’Agde.

Le 24 Janvier 1717, Monseigneur de Feuquières eut la douleur de recevoir une lettre de rétractation signée de huit curés et d’un secondaire ; le rédacteur de la lettre était Monsieur Paris Prieur de Saint-Sever, ancien curé d’Olargues où il se trouvait encore en 1713(6). L’évêque était alors absent, mais à son retour, il essaya d’agir rapidement. Par la persuasion, il obtint d’abord la rétractation de « deux pieux imbéciles » ; deux autres curés, dont Monsieur Paris, écrivirent au prélat une lettre où, sans se déjuger, ils lui donnaient quelques apaisements. Quant au secondaire de Pézenas, nommé Millau, il fut bel et bien interdit, mais resta dans le diocèse. Le théologal Martelly qui, malgré ses opinions nettement anticonstitutionnaires, parlait librement à son évêque, essaya de parer le coup, mais en vain.

Vers ce même temps, l’Oratoire fut secoué lui aussi par une fièvre de rétractation. À Agde, le père supérieur désavoua son adhésion à la Bulle, devant la communauté rassemblée. Monseigneur d’Agde dut l’interdire, mais ne put empêcher que les oratoriens d’Agde et de Pézenas gardent dans leur ensemble une attitude pro janséniste.

Pourtant l’acte le plus éclatant en faveur de l’appel devait venir du clergé diocésain. Après plusieurs mois de tergiversations, de conseils demandés aux uns et aux autres, à Soannen comme à Quesnel, le chanoine Antoine Martelly se décida, en juillet 1717, à se joindre à l’appel de Monseigneur de Montpellier(7).

Le 2 septembre, l’Évêque avertissait le Régent de ces évènements. Dans cette lettre émouvante, l’indignation du prélat se fait tantôt douloureusement attristée, tantôt franchement combattive. On sent qu’il aurait tout fait pour garder son diocèse dans la paix, n’ayant manifesté son attachement à la constitution Unigenitus que dans la stricte mesure où sa loyauté le lui commandant. Il pense à un arrangement général encore possible, et si les quesnelistes voulaient bien céder quelque peu, il se montrerait quant à lui « le plus traitable de tous les évêques appelants ». Le 2 octobre, le Régent adressait directement à l’évêque, une lettre de cachet, le laissant libre d’en user ou non(8). Monseigneur de Feuquières se contenta, en effet, de montrer cette lettre au théologal qui resta dans la ville épiscopale et poursuivit ses sermons hebdomadaires. D’autres se seraient estimés trop heureux d’une pareille mansuétude, mais en convaincu, Martelly cherche encore à ramener à la « Vérité » janséniste son pieux évêque. C’est pourtant en vain qu’il recommande le prélat aux prières de Quesnel, qu’il invoque « le sang des Arnauld »(9). Monseigneur d’Agde ne se départ pas de sa fidélité à la constitution, fidélité tenace encore que sans éclats. Il ne cache pas ses sentiments à son cousin Arnauld  de Pomponne, Abbé de Saint Médard de Soissons « quasi-évêque ayant une quasi-église, et jouissant de droits quasi-épiscopaux » qui se permit de « prendre la circonstance d’une grande fête pour publier son appel » véritable « déclaration de guerre »… faite au pape et à tous ceux qui ont reçu la Bulle… »(10). Toutefois, sa fidélité n’est pas provocante, elle veut être accommodante : avec sept autres prélats languedociens, Monseigneur d’Agde propose à S.A.R. la constitution d’une assemblée d’évêques composée par 1/3 de jansénistes déclarés, de modérés, de constitutionnaires Hichès(11). Ce projet n’eut pas de suite. Du moins, Monseigneur de Feuquires s’empressa-t-il l’année suivante 1720 d’adhérer à l’Accommodement du Cardinal Dubois encore qu’il ne se fasse point d’illusion sur ses chances de succès ; il « dépendra beaucoup de la droiture et de la bonne foi qu’on doit supposer dans tous ceux qui y sont entrés » mais si « d’un côté on a fait ce que l’on a pu », il eut été souhaitable « que de l’autre l’on eut fait un peu plus »(12).

Si par la netteté de sa position, l’évêque d’Agde imposait à l’esprit anticonstitutionnaire une prudente discrétion, le feu ne cessait cependant de couver. Aucun des curés « rétractateurs » n’avait été interdit, l’un des plus remarquables se trouvait être curé de l’unique paroisse de Pézenas, la cité la plus vivante du diocèse : il ne pouvait manquer d’exercer une influence considérable sur ses fidèles.

Un autre personnage typique de l’époque est le curé de Vias, Mr Tournus, qui ne va pas tarder à abandonner la charge pastorale dont il se sent indigne, converti qu’il a été par la lecture des ouvrages de Mr de Saint-Pons. Au début de 1719, Martelly le décrit en ces termes au père Quesnel : « Il s’est interdit lui-même et ne fait plus aucune fonction, il veut quitter sa cure et rester avec son successeur à qui il veut servir de clerc ; il a été jésuite, il a des scrupules qui le désolent d’être sorti après ses vœux, sans juste cause ; il croit qu’il ne peut jouir d’aucun bénéfice… dans la paroisse où il est, il fait beaucoup de bien, il doit partir bientôt, il a un grand zèle pour répandre l’Évangile… il me paraît qu’il porte les choses sur ce point un peu trop loin, il prétend que tout autre emploi des biens ecclésiastiques doit céder à celui-là l’évangile est fort comme dans ce diocèse mais il y est comme ailleurs mal appliqué »(13).

Monsieur Tournus, devait, en effet, quitter bientôt le diocèse pour Paris. Sa vie pénitente et mortifiée attira vite un jeune diacre qui se joignit à lui, suivit à son exemple la discipline la plus austère, mourut entre ses bras : ce disciple n’était autre que « le Saint du party », le bienheureux Diacre Paris. Sans doute le nom du disciple a éclipsé celui du maître ; mais les jansénistes agathois pouvaient revendiquer ce devoir comme un des leurs(14).

Monseigneur de Feuquières mourut en 1726, après avoir renouvelé dans son testament ses sentiments d’attachement à la Constitution Unigenitus. Le jugement d’un de ses adversaires est le plus bel éloge que l’on peut rendre à son épiscopat et un résumé vigoureux de sa vie simple : « Il n’a jamais eu de relation avec les sulpliciens, moins encore avec les jésuites, il sait bien la religion ; il lit toujours Saint-Augustin ; il parle poliment de tout et fait bien tout ce qu’il fait ; il n’y eut jamais meilleur cœur ; il n’est sorti de son caractère que contre moy ; et aussi m’a t-il dit que je lui avais donné le plus grand déplaisir qu’il eut de sa vie »(15).

(II) L’ÉPISCOPAT de Monseigneur Claude Louis de la Châtre

Des débuts prometteurs pour le « parti »

À un Évêque élevé pour le jansénisme, mais devenu très loyal constitutionnaire, succédait un prélat sur lequel le parti fondait de réels espoirs. N’avait-il pas été formé au séminaire de Saint-Malgoire, l’Alma Mater des oratoriens, n’y avait-il pas eu pour maître et confesseur le pire Foucquet, l’ancien grand vicaire d’Agde ? À ce collège encore il avait fait la connaissance de l’abbé de Descheraux « pour qui son amitié ne se démentit point »(16), ainsi que de Mr Martelly qui faisait de la maison oratorienne sa résidence ordinaire, lors de ses voyages parisiens.

Monseigneur J.B. Colbert, évêque de Montpellier, n’était pas le moins intéressé par la venue de Monsieur l’abbé de la Châtre dans le voisinage de son diocèse ; il en espérait un appui solide ; aussi, se réjouit-il avec Mr de Serres de sa nomination. Plus précisément, dans l’immédiat, Mgr Colbert espérait voir Mr de la Châtre adhérer à la protestation adressée au Roi au sujet du concile d’Embrun (Mars 1728). Cependant, l’évêque d’Agde s’excusa. Dans sa réponse à Mr de Montpellier il reconnaît que la protestation est très belle, bien écrite, mais « malgré l’ennui » qu’il aurait de joindre son nom à celui de ces illustres prélats, il croit que ne faisant que d’arriver dans son diocèse, il convenait de garder le silence et de ne point encore paraître »(17). Très compréhensif, Colbert ne se fâche pas de ce refus, assurant Monsieur de la Châtre qu’il comprenait fort bien ses raisons ; d’ailleurs ajoute-t-il : « les occasions de vous déclarer, Mgr, ne vous manqueront pas »(18).

Un mois plus tard, on put croire justement que l’occasion était venue. Les cordeliers de Pézenas avaient préparé quatre thèses qu’ils comptaient faire soutenir ; ils avaient dédié à leur évêque la première de ces thèses qui soutenait la constitution comme règle de foi(19). Monseigneur de la Châtre fit supprimer cette thèse. Cette décision fit quelque bruit, puisque le beau-père de son frère ainé Jean-Aymard Nicolay, premier président de la Cour des Comptes(20) jugea prudent d’alerter l’évêque d’Agde. Le 12 Juin 1728 celui-ci répondait que sa conduite était motivée par le souci de ne pas « allumer le feu de la division dans le diocèse au sujet des affaires du temps »… aussi bien ne tourmenta-t-il personne… n’étant « point du tout homme de parti ».

Cependant pour tranquilliser son parent, il lui assure qu’il fait signer très exactement le formulaire dont il a « trouvé ici la signature établie ». Il ajoute il est vrai « qu’aucun évêque ne puisse être contraint à le faire signer »(21). Dieu merci, car nous pensons bien que l’évêque d’Agde tranquillisa son parent au prix d’un pieux mensonge(22).

Constitutionnaire malgré lui – 1728-1731

Mgr de la Châtre dut pourtant se résigner à une déclaration officielle d’adhésion à la Constitution. L’inquiétude des milieux gouvernementaux sur le loyalisme du jeune prélat n’avait pas été entièrement apaisée par la réponse au premier président Nicolay. En avril 1728, c’était l’affaire des thèses « cordelières » mais en même temps la police interceptait à Cette deux ballots de livres jansénistes, venant de Hollande. L’intentant prenant l’affaire à cœur, envoya un rapport en haut lieu(23).

L’année suivante, l’on apprenait que Monsieur Martelly, qui avait retrouvé auprès du nouvel évêque, la confiance dont il jouissait auprès de Mgr Foucquet, venait d’être nommé à la charge de syndic du chapitre. Presque aussitôt, le cardinal de Bissy exigea de Mr d’Agde le désaveu de cette nomination et la « mise en quarantaine » du trop fougueux appelant. Martelly résista ; il reçut en réponse un ordre d’exil à Mirepoix. Cette lettre de cachet du 31 Juillet 1729, ne fut pas communiquée à Mr de la Châtre, seulement averti « post eventum » par l’intendant de Bernage !

Martelly partit presque aussitôt pour Mirepoix, dont l’évêque devait lui réserver un accueil poli, mais un peu froid(24). Cet événement fut douloureusement ressenti par tous les jansénistes du diocèse d’Agde, dont Martelly s’était révélé le porte-parole le plus accompli, l’évêque plus encore se sentit visé, à travers son théologal. Aussi comprend-t-on mieux qu’il n’eut pas la fermeté d’âme nécessaire pour résister aux pressions dont il était l’objet.

Au cours des États du Languedoc, tenus à Nismes, il rend publique une lettre pastorale datée du 12 octobre à Pézenas, dans laquelle il confirme son adhésion sans réserve à la Constitution Unigenitus, tout en s’étonnant que son silence n’ait pas paru une confirmation suffisante de l’attitude de son prédécesseur ; il termine en assurant « Nous n’aurons pas moins d’attention à faire toujours signer le Formulaire… dont vous savez que nous avons exigé, jusques en la souscription pure et simple »(25).

Si dans sa brièveté, la formule est claire, elle ne doit pas nous faire illusion sur les véritables sentiments de Mgr de la Châtre. Le 13 octobre encore il se déclare contre l’adhésion récente de Mr de Rodez à la Bulle devant Mgr Colbert qu’il venait visiter(26) ; il attend plus d’un an avant de faire recevoir la constitution par le chapitre ; encore trouve t-il le moyen de provoquer ce jour-là, l’absence opposant le père ARRAZAT de l’Oratoire. Ce père voulant lui remettre ces pouvoirs, l’évêque lui enjoignit de les conserver(27).

On comprend que la cour reste vigilante en face d’un constitutionnaire aussi peu zélé. Veut-il obtenir la sacristie d’Agde pour un de ses parents, on y fait nommer le jeune Nigon de Berti, zélé pour l’Unigenitus « jusqu’au fanatisme ». Son séjour n’y sera que de courte durée, car il doit bientôt quitter son bénéfice « ne pouvant s’accommoder de l’air du pays »(28-29).

En 1731, un janséniste en fuite est arrêté entre Pézenas et Béziers. La police prend soin de bien lui faire préciser ses étapes et il avoue qu’il avait été fort aise de voir « les pères de l’Oratoire du diocèse d’Agde ». Les religieux de Saint Thibéry ont reçu également sa visite(30).

Autant d’évènements qui entretiennent la ferveur des uns, qui se colore déjà d’une nuance de martyr et la colère des autres qui ne peuvent que voir avec regret s’entretenir l’esprit du parti, en dépit de toutes les déclarations officielles.

Le temps des miracles – 1732-1737

En ce milieu de l’Épiscopat de Mgr de la Châtre, nous aimerions pouvoir passer une revue complète des factions en présence. Mais, nous avons sur les milieux jansénistes que des renseignements fragmentaires. Comment la campagne, du moins ces bourgs importants de la vallée de l’Hérault, qui ne peuvent cependant rivaliser en vitalité avec Pézenas et Agde. Nous savons seulement, comme nous l’avons dit plus haut, que les bénédictions de Saint Thibéry étaient suspectes.

Dans les deux villes principales, le parti a des positions solides autour des bastions oratoriens. À Agde, ils tiennent la paroisse Saint André avec un séminaire. À Saint-Étienne, Mr Frairet le curé, n’est pas un chaud constitutionnaire ; Mr de Charleval l’interdira en 1741. Mais c’est surtout à Pézenas que nous sentons les jansénistes fervents et groupés autour de leur unique pasteur, Mr Gontier, aussi convaincu que son vicaire Calvisol. Le curé exerce son influence sur ses fidèles de multiples manières dont la confrérie n’est pas la moindre. Est-ce en vain que Mr Gontier est prieur des Pénitents Noirs, et qu’en 1737, par exemple, nous trouvons comme prieur d’honneur CH. Louis Auguste Foucquet, comte de Belle-Isle, lieutenant général des armées du Roy, et parmi les « officiers », Etienne Quentin, chevalier de Saint Louis, sous-prieur, J.A. Quintin procureur du roi, grand maître des cérémonies et Joseph Decourt, visiteur des malades(31).

Ce sont ces fervents qui vont être témoins d’un des « miracles », et du diacre Paris, qui vont l’accueillir comme une bénédiction céleste.

Le 28 Mai 1733, par devant Maître Guillaume Fressinet, notaire royal de Pézenas, le nommé Pierre Gautier, fils de Guillaume maître boulanger et de feue Françoise Issac, habitants Pézenas, se déclare guéri d’une cécité complète de l’œil droit et partielle du gauche, à la suite de trois neuvaines en l’honneur du bienheureux François de Paris ; de nombreux parents témoignent dans le détail des circonstances de la guérison. Grand-père et grand-mère maternelle, Marâtre, tante, oncle, voisins et voisines. Tous affirment la réalité de la guérison, des notabilités confirment de leur autorité ces déclarations : François Pons, ancien capitaine, Benjamin Magret, Ch. A. Escral – Saint-Hypoly, L.C. de la Serre, Joseph Dupré, Decourt et J.A. Quintin(32).

Cette déclaration est faite un peu à l’insu du curé qui aurait désiré avertir d’abord son évêque, alors à Paris, avant que l’affaire devienne publique. C’eut été plus sage, en effet : « Vous comprenez, Monseigneur », écrit-il à Colbert, le 27 Mai, c’est-à-dire au lendemain de la déclaration de P. Gautier « que j’ai des raisons de ménager mon supérieur et que sans blesser jamais la vérité, je ne dois rien faire qui puisse me faire perdre sa confiance ». En l’occurrence, Monsieur de la Châtre ne se départit pas de la réserve qu’il doit s’imposer, s’il veut éviter tout incident. Il envoie son grand vicaire à. Pézenas, celui-ci n’en dit guère plus, et écoute les explications sans s’engager. Ce silence est interprété comme une approbation par les jansénistes piscénois : « Ils sentent l’un et l’autre (Mgr d’Agde et son grand vicaire) que le fait peut être certain sans oser s’expliquer clairement ; ils ne s’appliquent qu’à empêcher le bruit et le tumulte qui ne se trouve pas ici ; je comprends bien qu’on n’a pas envie de constater le miracle, il suffit que cela déplaise à certaines gens pour baisser pavillon ». De fait Mgr de la Châtre ne bougea pas, il s’ingénia même à ne voir jamais le « miraculé » qui fut reçu en revanche, en grande pompe, par Mgr Colbert(33). On laissa donc à ce prélat le soin d’orchestrer l’affaire puisque l’évêque d’Agde gardait le silence(34). Le notaire Fressinet reçut une lettre de cachet lui interdisant les fonctions de notaire. Sentant le danger, P. Gautier s’en fut à l’armée d’Italie où son père était appelé, il n’en revint que dix huit mois plus tard, en décembre 1734.

Son arrivée à Pézenas, à peine connue de la police, il fut enlevé, après un jeu de cache-cache assez cocasse, et conduit à Montpellier où on lui fit rétracter sa déclaration du 26 Mai 1733. Cependant, son père et les prêtres de Pézenas, persistèrent à affirmer la réalité de la guérison, n’attribuant qu’aux menaces les contradictions de l’enfant.

Tous les témoignages nous ont révélé l’agitation que causa cet évènement à Pézenas et dans l’ensemble du diocèse(35) ; il ne pouvait pas manquer, à vrai dire, de faire impression sur les âmes simples, car même si les circonstances en restaient douteuses, le « miracle » avait la caution de personnages dont la droiture était hors de doute un Decourt, un Quintin ; on le savait discrètement appuyé par le saint curé de Pézenas, dont les adversaires mêmes de l’appel font les plus grands éloges.

Il en résulta certainement un renforcement du parti, vers la fin de l’épiscopat de Mgr de la Châtre, qui va lui donner plusieurs signes équivoques de sa sympathie.

Le Diocèse-Refuge – (1735-1740)

Dans les dernières années de la vie de Colbert, les relations avaient repris entre les deux prélats d’Agde et de Montpellier. Dès 1734, Mgr de la Châtre se propose d’appuyer Colbert en conflit avec l’archevêque de Narbonne(36). Il soutient publiquement l’évêque janséniste à l’assemblée de Narbonne du 30 Mars 1735(37).

Quelques mois plus tard, il recevait dans son diocèse le père Peyro, oratorien de Saint Denis de Montpellier, qui est inquiété pour ses catéchismes tendancieux(38). Après la mort de Colbert, le diocèse allait s’enrichir de jansénistes de marque.

Deux prêtres appartenant au diocèse de Senez et résidant à Montpellier, sont accueillis les bras ouverts par Mgr de la Châtre qui « aurait bien voulu pouvoir… en attirer davantage, dans un temps où les bons ministres sont si rares »(39).

Les prêtres jansénistes n’étaient pas les seuls à trouver refuge dans l’Agadès. Plusieurs laïcs exilés y entretenaient aussi le « feu sacré ». Telle Mme de Casseneuve, une jeune veuve et sa famille, deux petites-filles et un cousin proche, Mr Garus(40). À Pézenas, Mme Decourt tient salon pour tout de petit monde qui reçoit, parfois un autre provençal, Mr J.P. Berluc, exilé à Montpellier entre 1735 et 1742(41).

Ces réunions étaient d’autant plus ferventes qu’elles pouvaient se flatter de l’appui de l’évêque. Nous devons à Mr Decourt un témoignage formel de l’attachement de Mgr de la Châtre pour le jansénisme dans les dernières années de sa vie. Le dévot piscénois écrit à Mgr Soannen : « J’ai eu l’honneur le jour des Grandeurs de Jésus (il s’agit d’une fête propre à la congrégation de l’Oratoire) de diner avec mon fils chez Mgr l’Évêque d’Agde que je fus voir, ayant la bonté de m’en prier quelques temps avant, à Pézenas ; on vint à parler des miracles, il convint que tous les appelants étaient réunis à les soutenir et il me fit la grâce de me dire qu’il croyait les miracles du Bienheureux Mr de Paris, ce qui me fit un très grand plaisir ; il me montra sa bibliothèque qui est assez considérable pour un jeune évêque… il a presque tous les ouvrages sur les affaires de l’Église, nous  sommes heureux de l’avoir et nous en devons rendre grâces à Dieu et lui demander que sa grâce achève ce qu’elle a commencé »(42).

Les nouvelles ecclésiastiques ajoutent même que Mgr d’Agde tenait de Mr Tournus, l’ancien curé de Vias, qui revenait parfois dans le diocèse, des reliques du Bienheureux Paris… Quelques jours avant sa mort, l’évêque les confia à un de ses intimes : « Ainsi parlait et agissait Mgr de la Châtre lorsqu’il était sûr de ne pas s’attirer les disgrâces de la Cour »(43).

Nous serions assez tentés de souscrire au jugement du Nouvelliste. Il ne semble guère possible en effet de penser que les sentiments profonds de Mgr de la Châtre aient sensiblement évolués du début à la fin de son épiscopat. Dès lors, il faut supposer qu’il a trompé quelqu’un ; le pouvoir civil et ses confrères, dans l’épiscopat, plus vraisemblablement que les « bonnes gens » de son diocèse. Le parti janséniste n’y était pas négligeable, sans soute, mais les constitutionnaires zélés y étaient aussi suffisamment nombreux pour que leur évêque ait pu se montrer moins complaisant pour leur adversaire. Par ailleurs, son zèle à répandre la doctrine chrétienne(44) autant que sa charité inlassable ne permettent pas de penser qu’il ait laissé se propager l’hérésie par indifférence.

Il paraît bien plutôt que, querelliste convaincu, Monseigneur de la Châtre ne voulut pas s’affirmer à la fois par une timidité naturelle qu’il couvre du prétexte de sa jeunesse – il meurt à 42 ans, est évêque à 26 – et par souci de se maintenir, à la fois face aux pouvoirs civils et face à l’opposition locale.

Ces divers sentiments firent de notre évêque un janséniste honteux, et peut-être l’un des types les plus représentatifs de ce tiers-parti qui eut de nombreux représentants parmi les évêques du Languedoc(45).

Abbé Xavier AZÉMA

Informations complémentaires

Année de publication

1970

Nombre de pages

12

Auteur(s)

Xavier AZEMA

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf