Premiers résultats de la fouille partielle du cimetière médiéval
du prieuré de Cassan (Roujan - Hérault)

Katia TURREL 1
avec la collaboration de Delphine LOPEZ,
Johanna TERROM et Serge SOTOS

Cet article présente les résultats de la fouille d’une partie du cimetière du prieuré de Cassan. Le projet de mise en sécurité de l’axe départemental RD 13 est à l’origine de cette opération. Les conclusions exposées ici reprennent les données de la fouille archéologique préventive menée sur la commune de Roujan (Fig. 1), face au prieuré de Cassan au printemps 2011 par le Service Patrimoine et Archéologie de la Communauté de Communes Nord du Bassin de Thau 2, opérateur public.

Localisation du prieuré de Cassan.
Fig. 1 - Localisation du prieuré de Cassan.

Introduction

L’espace ouvert, aux abords immédiats de la route départementale 13, couvre une surface assez réduite d’environ 550 m2, organisée sur une longue bande parallèle à la route mesurant 92 mètres de long pour 4 à 7 mètres de large. L’intervention a permis de mettre au jour pour la période XIe-XIIIsiècles, outre les vestiges du cimetière du prieuré, au nord-ouest de la zone ouverte, un bâtiment contemporain de celui-ci. À partir du XIIIsiècle, trois types d’aménagements ont été observés. Premièrement, un mur terrasse ainsi que des aménagements liés à la circulation viennent s’appuyer contre le premier bâtiment. Deuxièmement, en partie centrale de l’emprise fouillée, un four à chaux a été mis en place, coupant les sépultures de ce secteur. Enfin, les vestiges d’un chemin creux ont été découverts dans la partie sud-est de la zone. Tous ces aménagements sont probablement liés à la vie du prieuré de Cassan.

Le prieuré, situé entre les agglomérations de Roujan et de Gabian se trouve dans un col, entre les collines Saint-Hilaire au nord, et Sainte-Marthe au sud. Il est immédiatement bâti à proximité de l’actuelle RD 13, axe ancien qui a probablement glissé de quelques centaines de mètres en fond du vallon selon les périodes 3. Quoi qu’il en soit, un axe de circulation depuis l’antiquité occupe ce secteur, le long duquel viennent se positionner deux établissements antiques, auxquels est venu se substituer le prieuré de Cassan à partir du XIsiècle. Le site est implanté en bas de pente, à un point de jonction entre les derniers massifs de la Montagne Noire que composent les monts de Faugères et de Cabrières et le bassin de l’Hérault, sur une voie pénétrante depuis la plaine. Il est propice aux échanges et à la fixation d’un lieu de culte, dont la renommée n’ira que grandissant durant le Moyen Âge, ce qu’évoque son statut d’étape jacquaire. Le cimetière est implanté sur le versant sud de la colline Saint-Hilaire et présente un double pendage d’une part vers l’ouest, fortement marqué, et d’autre part vers le sud, plus léger. Le substrat, composé d’une alternance de marnes, de bandes sableuses et de niveaux calco-grésodolomitiques se trouve à une profondeur variant de 0,40 m à plus de 2,80 m sous le sol actuel.

Le prieuré de Cassan

Un contexte archéologique dense

Le prieuré de Cassan est un édifice médiéval, bien daté, dont la première occupation par des chanoines remonte au XIsiècle. Implanté dans un contexte archéologiquement dense et ancien, le prieuré de Cassan est entouré de nombreux sites d’occupation antique. Au-delà de l’Antiquité tardive, et durant le haut Moyen Âge, quatre sites majeurs perdurent et se développent. Au sommet de la colline Sainte-Marthe, à 400 mètres au sud-est du prieuré, une église, accompagnée d’un bâtiment, s’implante dès le haut Moyen Âge et subsiste jusqu’à l’époque moderne. Le site de Peilhan, occupé depuis l’Antiquité, dispose alors d’un cimetière. Il semble être une possession des évêques de Béziers 4, déjà propriétaire d’une bonne partie des terres de Gabian. L’église Saint-Laurent, immédiatement au nord du castrum de Roujan, se développe et devient également un pôle funéraire. Le XIsiècle voit l’émergence du castrum de Roujan et du prieuré de Cassan, impliquant une restructuration du paysage religieux et une nouvelle répartition des pouvoirs politiques et religieux.

Le prieuré a fait l’objet de nombreuses campagnes de sondages et de diagnostics archéologiques 5. Les résultats archéologiques ont permis de mieux comprendre l’évolution des bâtiments composant le prieuré depuis le Moyen Age jusqu’au XIXsiècle. Liliane Tarrou (INRAP) a notamment sondé et fouillé, en mars 2006, les structures arasées dans l’enceinte du « château » de Cassan, mettant au jour un probable moulin a huile, et divers aménagements des XVIIe, XVIIIe, et XIXsiècles au sud-est des bâtiments existants mais dont les fonctions ne sont pas connues. En avril 2008, une intervention programmée au sein de la cour d’honneur met au jour une partie du cloitre et les bâtiments conventuels (cuisine, sols) du prieuré médiéval (XIIet XIVsiècle), ainsi que plusieurs sépultures. Enfin l’église romane avait également fait l’objet de sondages archéologiques dans les années 1985-1986 par Laurent Vidal. Les résultats ont montré la présence de sépultures des XIet XIIsiècles, mais également les fondations d’une abside contrefortée, flanquée de deux absidioles latérales, interprétées comme les vestiges de l’édifice consacré en 1115. Enfin, le dernier diagnostic mené par Laurent Vidal en 2010, préalablement A la fouille préventive que nous avons conduite en 2011, a mis en évidence une partie du cimetière du prieuré, et des indices d’habitat. Nous allons nous attacher présenter les résultats de l’opération de fouille qui a fait suite à ce diagnostic.

Rappel historique 6

En 1066, dans le cadre du renouveau canonial, cinq chanoines quittent le chapitre cathédral de Saint-Nazaire de Béziers alors en décadence et se retirent entre Gabian et Roujan, auprès de l’église paroissiale de Cassan dédiée A la Vierge Marie. Les débuts sont difficiles, et enfin, le 12 mars 1080, Guilhem Alquier, son épouse et leurs enfants, membres d’un lignage aristocratique du Biterrois, leur cèdent cette église et une pièce de terre attenante 7. Des lors, l’établissement canonial se développe considérablement. Les donations nombreuses affluent de toutes parts et constituent rapidement un temporel imposant. C’est toutefois sous la direction du second prieur, Guiraud (1106-1121), que le prieuré va connaitre sa plus grande renommée. Il fait édifier un nouveau monastère et une nouvelle église prieurale qui est consacrée le 6 octobre 1115 8. Cette période voit l’augmentation des richesses et de la renommée du prieuré, qui devient un important centre de prières, et l’un des phares de la spiritualité en Bas Languedoc.

Le prieur Guiraud fait aussi bâtir en 1118 un hôpital-hôtellerie pour les pauvres, les malades, les nombreux pèlerins et voyageurs de passage 9 sur la voie contiguë, dite Chemin public de Faugères, importante voie de pénétration du littoral languedocien vers l’arrière-pays, via le Biterrois. Sainte-Marie de Cassan devient également une nécropole qui accueille de grands seigneurs laïcs, a l’image des Trencavel, lignage vicomtal de Béziers : les vicomtes Raimond Trencavel en 1167 et Roger II Trencavel en 1194, père et fils, ainsi que l’épouse du second, Adalaïs de Toulouse, y sont ensevelis. Le XIIIsiècle marque un tournant tout A fait décisif pour le prieuré. Au niveau religieux, le pape Innocent III (1198-1216), promulgue en 1216 une bulle d’exemption à l’ égard du prieuré conventuel, et ainsi le soumet directement au Saint-Siège. Cassan devient donc indépendant vis-à-vis des évêques de Béziers, et n’a plus de comptes à rendre qu’au pape à Rome 10. Au niveau politique, Cassan se place, des 1268, dans la vassalité du roi de France, ce qui lui confère une protection supplémentaire, laquelle sera largement confortée en 1335 lorsque le roi Philippe VI de Valois accorde au prieuré, a ses possessions et à ses membres, privilège de protection et sauvegarde royales 11.

La communauté canoniale de Cassan subit durement les contrecoups de la Grande Peste Noire (1348) et de la Guerre de Cent ans (Routiers) et entre lentement, mais surement, en décadence, des la deuxième moitié du XIVsiècle. Le monastère roman est presque entièrement rasé durant le troisième quart du XVIIIsiècle par le prieur-commendataire François Pas de Beaulieu (1750-1790), pour laisser la place à de splendides bâtiments conventuels, que l’on admire encore largement aujourd’hui. Les cinq derniers chanoines sont chassés en 1790, le prieuré et ses terres proches sont vendues en 1791 à Marc Antoine Thomas Mérigeaux, avocat piscénois, député du Tiers-État aux États Généraux de 1789, puis de la Convention. Au XIXsiècle, tant par voie successorale que par acquisition, le « château » de Cassan passe ensuite entre les mains de plusieurs familles. Il est vendu à l’État peu avant la Seconde guerre mondiale avant de repasser dans le domaine privé à partir de 1994.

Le cimetière

Le cimetière de Cassan n’a été étudié que partiellement puisque l’emprise de la fouille n’en couvre qu’une zone très limitée. Il a donc été nécessaire de compléter ces observations par les résultats des autres campagnes de fouilles et de sondages menées à proximité du prieuré, antérieurement à cette opération.

Le recrutement

Les premières observations ont montré que nous sommes en présence d’une population variée. Hommes et femmes sont représentés, jeunes et adultes. Ces données apportent des informations sur le recrutement funéraire de ce cimetière. Concernant les immatures, la courbe de mortalité du cimetière de Cassan comparée aux normes d’espérance de vie à 25 et 35 ans pour une population pré-jennérienne montre un large déficit des très jeunes enfants et un sureffectif des immatures de la classe 10-14 ans. Une telle répartition du recrutement laisse supposer l’existence d’une population laïque sédentaire à proximité.

Plusieurs pathologies ont été observées. Tout d’abord, l’arthrose, pathologie dégénérative, est largement représentée au niveau des vertèbres et de l’articulation des genoux. De façon plus anecdotique, notons un cas d’amputation ante mortem au niveau de la jambe droite et un individu, âgé entre 15 et 19 ans, montrant un cas d’ostéomyélite, dû probablement à un staphylocoque doré, qui a largement atteint le tibia gauche. De manière générale, l’étude archéo-anthropologique des individus identifie un recrutement mixte, majoritairement adulte, sans distinction de sexe dans cette partie du cimetière. Le recrutement funéraire des immatures met en exergue une incohérence concernant les très jeunes enfants. Ce type de phénomène se rencontre fréquemment lors de la fouille des cimetières médiévaux. Cela est dû notamment au fait que le baptême est une condition primordiale pour être enseveli en terre consacrée. Or les très jeunes enfants n’ont pas forcément encore reçu ce sacrement au moment de leur décès. Il est alors possible que ces jeunes enfants aient été inhumés ailleurs hors de l’emprise de la fouille. Cela est d’autant plus envisageable que ces individus étaient le plus souvent inhumés au plus près de l’église ou bien hors de l’enceinte du cimetière. Les mort-nés étaient la plupart du temps exclus de la sphère chrétienne et déposés dans un lieu non consacré, le Limbe des enfants. Ces lieux de répit apparaissent à la fin du XIsiècle pour se développer massivement au cours des XIIet XIIIsiècles. Ici, le seul individu identifié ayant moins de 4 ans se trouve inhumé dans une phase antérieure à la seconde moitié du XIIsiècle.

Parmi l’ensemble funéraire étudié, six tombes présentent un intérêt particulier notamment dû à la présence de coquilles dites de Saint-Jacques. Il semble que nous ayons donc affaire à des sépultures de pèlerins sur le chemin vers ou de retour de Saint-Jacques de Compostelle. Elles sont réparties sur toute la durée de fonctionnement du cimetière, entre le XIeet le XIIesiècle. Cependant, tous n’ont pas reçu le même traitement certains sont en linceul, d’autres en contenant rigide, la majorité ayant cependant reçu une couverture de dalles (Fig. 2). Ce ne sont pas les premiers individus présentant des coquilles les accompagnant pour leur dernier voyage. En effet, lors de fouilles plus anciennes, près du chevet de la prieurale, deux sépultures ont été découvertes, contenant des individus arborant chacun une coquille, enseigne de pèlerinage 12. Il semble donc que le prieuré ait bien été une étape sur le chemin de pèlerinage menant à Saint-Jacques de Compostelle. En effet, le nombre de défunts présentant les attributs de pèlerins est désormais significatif. Ils restent cependant suffisamment peu nombreux au sein des inhumations pour être considérés comme des exceptions.

Le cimetière de Cassan apparaît donc comme un espace funéraire dédié à une population laborieuse, et modeste majoritairement. Les pathologies, notamment les cas d’arthrose (52,6 % des individus), et de fractures dites de fatigue (17 individus au total) montrent qu’il s’agit d’une population ayant exercé des activités physiques intenses et répétées, tant chez les hommes que chez les femmes. La grande majorité des sépultures se compose d’un simple contenant rigide ou seulement d’un linceul. Nous ne comptons qu’une minorité de sépultures architecturées, ce qui tend à montrer que la majorité de la population inhumée dans ce secteur du cimetière n’appartient pas à la classe aisée, tout aménagement par le fossoyeur étant en effet payant.

Sépulture de pèlerin.
Fig. 2 - Sépulture de pèlerin.

Typologie des sépultures

L’état de conservation des sépultures est assez disparate. Les nombreux recoupements et le faible recouvrement pédologique dans une large partie est de la zone de fouille ont eu raison des niveaux de circulation et des niveaux supérieurs des architectures des sépultures. Toutefois, leur étude exhaustive a permis de mettre en évidence des pratiques funéraires et des modes d’inhumations bien identifiés.

Les défunts sont inhumés majoritairement dans des contenants souples ou rigides en matériaux périssables, c’est-à-dire soit enveloppés dans un linceul, soit mis en terre dans un coffre de bois, soit mixte. Les architectures bâties sont minoritaires, seulement 3 sépultures sont maçonnées, 9 sépultures présentent un coffrage de pierre, et 38 ont reçu une simple couverture de dalle scellant la fosse. La très grosse majorité des inhumations sont de facture simple, en fosse, renfermant le défunt déposé dans un linceul, ou un contenant rigide ou les deux, mais sans couverture de dalle. Sept sépultures seulement présentent des « dépôts secondaires ». Aucun sarcophage n’a été découvert. Cela tend à soutenir encore une fois l’hypothèse d’une population plutôt besogneuse, n’ayant pas les moyens d’offrir à ses morts des tombes appareillées tant il est vrai que tout aménagement par le fossoyeur a un coût.

Malgré l’état de conservation des architectures, souvent assez malmenées par les recoupements successifs et les arasements liés aux aménagements agraires ultérieurs, les sépultures avec architecture (maçonnées, coffres, dalles) représentent 34,5 % des inhumations mises au jour. Trois sépultures au total, ont conservé l’ensemble de leurs niveaux de couvertures complètes, du fond de fosse jusqu’au probable niveau de fonctionnement. Elles présentent alors une fosse, préalablement creusée à environ 60 centimètres de profondeur. Celle-ci est composée d’un coffrage de dalles verticales au sein duquel le défunt, dans son linceul ou son coffre de bois, est déposé. Il est ensuite recouvert d’une première couverture de dalles de schistes afin de fermer la sépulture. Une seconde assise de dalles liées au mortier de chaux couvre alors l’ensemble qui scelle la tombe. Enfin, une troisième et dernière assise de couverture est présente : souvent elle ne recouvre que partiellement la sépulture. Située au niveau des membres inférieurs, elle est également liée au mortier de chaux, et pourrait s’apparenter à une signalisation de surface (Fig. 3).

Radier de signalisation de la sépulture SP3062
Fig. 3 - Radier de signalisation de la sépulture SP3062.

Ce type de dispositif n’est pas sans rappeler certaines tombes fouillées sur le site du village abandonné de Vilarnau 13. Certaines sépultures présentent là aussi des radiers maçonnés, repérés uniquement pour la période XIe– milieu XIIIe siècle de fonctionnement de ce cimetière. Renfermant également des tombes individuelles, ils sont interprétés comme des massifs signalant des emplacements particuliers, probablement à vocation familiale.

La signalisation des sépultures en surface peut prendre plusieurs formes. Deux types de marquages de surface ont été reconnus de manière certaine. Le premier s’apparente à un massif de signalisation bâti comme on vient de le voir. Le second correspond plus certainement à des stèles. Malheureusement aucune stèle debout n’a été identifiée puisque le site était trop arasé. Toutefois, une possible stèle anépigraphe disposée aux pieds d’un défunt a été découverte sur une sépulture. Pour d’autres tombes, des dalles posées de chant et parfois liées au mortier et à la terre ont été interprétées comme de possibles stèles. Cependant, la faible quantité de ces marquages de surface résulte probablement aussi de l’emploi de matériaux périssables. De possibles trous de poteaux signalent l’éventuelle présence de croix de bois. Enfin, il n’est pas impossible que le marquage des tombes ait pu également prendre la forme de simples tertres de terre. Ces éléments, non durables pourraient expliquer une partie des nombreux recoupements présents au sein de ce cimetière. Quoi qu’il en soit, nous remarquons que les marqueurs possibles de sépultures se trouvent majoritairement aux pieds des défunts, et non à la tête.

D’autres dispositifs ont été observés. Certaines sépultures sont séparées par un aménagement de pierres (Fig. 4). Des blocs de calcaire sont placés contre la partie supérieure de l’individu, mais ne faisant pas partie d’un coffrage, ils semblent plutôt servir de séparation entre les deux sépultures. Ces dalles de séparation pouvaient être visibles en surface et servir également de marquage de signalisation des deux sépultures. Ces dispositifs pourraient être utilisés lors de creusements de sépultures à proximité de fosses creusées précédemment. Ainsi elles peuvent tout autant servir de séparation (réparer une sépulture endommagée par le creusement récent de sa voisine) que de marquage en surface.

Dalles de séparations des sépultures SP3002 et SP3047
Fig. 4 - Dalles de séparations des sépultures
SP3002 et SP3047

Organisation spatiale et phasage du cimetière

Afin de comprendre et mieux interpréter l’organisation de l’espace funéraire, nous avons également pris en compte les résultats des opérations de fouilles, de sondages et de diagnostics antérieurs 14, réalisés à proximité de l’église prieurale. Ils ont montré la présence de sépultures au plus près de l’édifice. Il est donc fort probable que l’implantation des inhumations ne s’interrompt pas entre le mur nord de la prieurale et la parcelle fouillée. Aucune structure n’a été identifiée comme clôture ou limite de la zone funéraire. En revanche on constate qu’aucune sépulture n’a été implantée à l’ouest d’une ligne sud-ouest/nord-est à proximité des bâtiments A et B. Cette constatation nous permet donc de supposer que nous avons probablement atteint l’extension ouest maximale de la zone sépulcrale marquée par les sépultures implantées sur un axe sud-ouest/nord-est au plus près de l’habitat. Toutefois, au regard du nombre de tombes filant sous la berme nord de la fouille, il est évident que le cimetière s’étend encore vers le nord. Enfin, si la limite orientale n’est pas atteinte, les observations menées au diagnostic préalable à la présente opération permettent de supposer qu’elle n’est qu’à quelques mètres à l’est de la zone de fouille.

L’établissement de la chronologie relative, basée sur les recoupements de fosses, a permis d’établir 3 grandes phases d’implantations de sépultures. La confrontation de ces phases aux données radiocarbone et au mobilier issu des sépultures montre une datation large de l’occupation du cimetière dans cette zone, entre le XIsiècle et l’extrême fin du XIIsiècle, voire le tout début du XIIIsiècle. Ce qui correspond au moment de montée en puissance et en renommée du prieuré de Cassan.

L’étude du plan d’implantation des sépultures nous indique plusieurs périodes d’expansion et de régression de l’espace funéraire. Une première phase, antérieure aux autres, s’est rapidement dégagée de la stratigraphie. Nous avons remarqué que l’orientation majoritaire de ces sépultures varie entre O 5° S et O 10° S (plus ou moins 5°). Aucune analyse 14C n’a été effectuée pour les sépultures appartenant à cette phase, toutefois la chronologie relative permet de proposer une datation de mise en place antérieure aux années 1030/1050 (datation 14C des sépultures de la phase suivante), probablement donc dès la première moitié du XIsiècle. Si l’on prend comme référence la porte des morts, sur la face nord de l’édifice, elles se trouvent étendues jusqu’à environ 45 mètres au droit de l’église. Toutefois, rappelons que l’emplacement actuel de l’église prieurale correspond à l’édifice élevé au XIIsiècle. Or nous ne connaissons pas l’emplacement de l’édifice de culte antérieur. Ce constat est donc ici purement circonstanciel, et l’on ne peut pas préjuger de l’étendue réelle de l’aire funéraire avant les constructions menées par les chanoines à partir du XIIesiècle. Notons cependant que les sépultures appartenant à cette première strate d’inhumations couvrent une zone de 45 mètres de large pour 51 mètres de long observés. Ce qui donne une extension minimale potentielle de ce cimetière de plus de 2200 m2. Les inhumations sont trop espacées les unes des autres pour pouvoir affirmer qu’il existe une organisation interne ; cependant, les fosses sont parallèles, ce qui tend à montrer que si aucun plan interne n’est identifiable, il n’en demeure pas moins qu’une implantation ordonnée a été mise en place durant cette phase.

Plans par phase du cimetière du prieuré de Cassan : états XIe - première moitié XIIe siècles
Fig. 5 - Plans par phase du cimetière du prieuré de Cassan : états XIe - première moitié XIIe siècles.

La seconde phase d’implantation de sépultures montre une toute autre organisation (Fig. 5). Tout d’abord nous avons remarqué qu’elle se compose de deux groupes orientés légèrement différemment mais comptabilisant 65 sépultures. Leur orientation générale est de O 10° NL et O 25° NL (variant de – + 5°). Nous estimons que les sépultures du groupe A orientée O 10° NL sont légèrement antérieures à celles du groupe B orientées O 25° NL car aucune sépulture du groupe A ne coupe de sépultures du groupe B. Par ailleurs, les résultats des analyses radiocarbone viennent confirmer cette chronologie. Les sépultures analysées pour datation par AMS montrent que ces deux groupes de sépultures ont été mis en place majoritairement entre 1030 et 1080 et sont installés probablement jusque dans les années 1130.

Si nous ne pouvons pas mettre en évidence des passages de circulation, faute de vestiges archéologiques, il est néanmoins évident qu’une organisation existe car le plan montre des alignements visiblement ordonnés et de probables rangées. En effet, nous observons des rangées de sépultures, parfois doubles, installées parallèlement les unes aux autres. Ainsi nous proposons de voir un aménagement en alignement double sur une largeur d’environ 5 mètres, avec des passages laissés à la circulation d’une largeur d’environ 2 à 3 mètres, sans sépulture nouvelle. Ce rythme fonctionne, sauf au centre de la fouille au droit de la porte des morts de l’église, où la concentration des sépultures est toujours maximale. Cette zone présente des alignements, mais les remaniements ultérieurs sont trop importants pour confirmer que des rangées et des passages existaient ici. Il faut néanmoins rester prudent car l’état général de conservation des structures est moyen et nous supposons qu’une bonne partie des sépultures a disparu. L’ensemble de ces axes fonctionnent avec les deux groupes A et B composant cette phase. Ce qui tend à confirmer que les deux groupes ont coexisté et étaient visibles bien que mis en place sur un période assez longue.

Cette période d’utilisation montre une extension du cimetière. En effet, les inhumations s’étendent sur une large surface jusqu’à plus de 47 mètres au nord de l’église, sur au moins 80 mètres de long observés. L’aire funéraire potentielle passe dès lors à plus de 3 700 m2au nord de l’église prieurale actuelle. Les chanoines entrent en possession de l’église paroissiale Sainte-Marie de Cassan dans les années 1080, ce qui coïncide avec cette seconde période d’extension du cimetière. Peut-être peut-on associer les aménagements internes du cimetière avec l’arrivée des chanoines et un effort d’organisation du cimetière paroissial ? La population recrutée est majoritairement locale et laborieuse, résidant vraisemblablement sur le territoire de la paroisse de Sainte-Marie de Cassan. La paroisse préexistant à l’arrivée des chanoines, il n’y a donc rien d’anormal à observer la mise en place de sépultures antérieurement à la seconde moitié du XIsiècle.

Vient ensuite s’ajouter une troisième phase de mise en place de sépultures, brouillant grandement la lecture générale. Cette phase se compose de 51 sépultures. Elle semble ne pas tenir compte de l’organisation interne du cimetière existant antérieurement. L’orientation exclusive est plein ouest (variant de – + 5°). Les recoupements avec des sépultures des phases antérieures sont très nombreux. Des datations par radiocarbone, affinées grâce au mobilier, permettent d’avancer une datation située vers la seconde moitié du XIIsiècle, dans les années 1130/1150, et qui pourrait perdurer jusqu’à la fin du XIIsiècle. Quoi qu’il en soit, le four (abandonné au début du XIIIsiècle) s’implante sur plusieurs sépultures de cette phase, ce qui implique que le cimetière, en totalité ou partiellement, n’est plus en fonction dès le fin du XIIsiècle. Il s’agit de la période d’extension maximale du cimetière, s’étendant sur une aire de plus de 3 800 m2, période où la densité de sépultures est la plus importante. Les anciens lieux de passage sont oubliés et nous n’observons pas d’organisation particulière.

Enfin, 9 sépultures composent la dernière phase (Fig. 6). L’orientation est différente, variant de O 10° S à O 15° S (variant de – + 5°) majoritairement. Cette ultime phase, semble marquer une régression du périmètre du cimetière, rayonnant entre 40 et 50 mètres au nord de l’église. Toutefois cette constatation doit être modérée par le fait qu’il s’agit là des sépultures les plus hautes en stratigraphie, et l’érosion de la parcelle a pu largement amputer le cimetière d’une partie de ses inhumations les plus hautes. Un indice nous permettant d’aller en ce sens est la présence de nombreux ossements fragmentés dans l’US de décapage. Les datations par AMS montrent que cette phase n’intervient pas avant le milieu du XIIsiècle, dans les années 1160, avec une datation probable vers 1210. Cela montre que le cimetière est toujours utilise au moins à la fin du XIIsiècle, voir au tout début du XIIIsiècle, mais plutôt de manière marginale. L’implantation des bâtiments, comme celle du four, n’ont pas stoppé l’utilisation épisodique de l’espace funéraire. Nous ne pouvons pas affirmer que les sépultures composant cette dernière phase soient contemporaines les unes des autres. Nous pouvons seulement constater qu’elles viennent s’implanter après les autres, partir de la seconde moitié du XIIsiècle, et avant la deuxième décennie du XIIIsiècle.

Plans par phase du cimetière du prieuré de Cassan : états XIIe - XIIIe siècles.
Fig. 6 - Plans par phase du cimetière du prieuré de Cassan : états XIIe - XIIIe siècles.

Étude des données cumulées portant sur le cimetière de Cassan

Comme l’a montré la fouille réalisée 15 à l’intérieur de l’actuelle église prieurale, un édifice de culte antérieur à l’église romane (située sous l’actuelle église en élévation) semble exister puisque certaines des sépultures retrouvées A l’intérieur de l’édifice sont coupées par les fondations de l’édifice roman. D’autres en revanche sont contemporaines de l’église romane et creusées en son sein. Lors du diagnostic archéologique réalisé à l’intérieur du prieuré quelques sépultures ont été mises au jour dans la galerie du cloitre, bâti sous le priorat de Saint Guiraud au début du XIIsiècle, et ne semblent pas avoir été perturbées ultérieurement. D’autres travaux plus anciens dans le château de Cassan ont permis la découverte de sépultures de pèlerins au nord-est du chevet de l’église. A l’inverse, les sondages menés à plus de 90 mètres au sud-est de l’église ne présentent aucune sépulture. Enfin, le diagnostic réalisé en 2010 sur les parcelles limitrophes de la RD 13, au nord du prieuré montre que seule la parcelle AK202 concernée par la fouille a livré des sépultures.

Aussi, il est possible d’envisager que le cimetière paroissial, dont nous avons établi qu’il s’était étendu en quelques décennies, se soit développe sur un espace de 47 mètres au minimum depuis la façade nord de l’édifice jusqu’aux bâtiments clôturant l’enceinte régulière, réservée aux chanoines, probablement localisée au nord-ouest dans le prolongement du chevet de l’église, sur une largeur minimum observée de 80 A 85 mètres. L’intérieur de l’église prieurale, tout comme le cloitre, était vraisemblablement réservé aux sépultures de personnages importants, au moins à partir de la construction de l’église romane consacrée en 1115. Ce cimetière pourrait donc couvrir une surface totale minimale d’un peu plus de 3 800 m2à son apogée dans les années couvrant la seconde moitié du XIIsiècle, avant de se recentrer de manière plus restreinte probablement entre l’église et le fossé mis en place au début du XIIIsiècle. Ces surfaces sont particulièrement étendues. En effet, à titre de comparaison, le cimetière de Vilarnau 16 ne s’étend pas au-delà d’une superficie couvrant un espace maximal de 29 mètres par 18 au sud du sanctuaire, soit une extension d’un peu plus de 520 m2pour la même période. It n’est donc pas impossible que pour atteindre une telle extension de son aire funéraire, le prieuré de Cassan ait subi une pression particulière. En effet, il devait accueillir pour leur dernière demeure, outre les paroissiens, toute sorte de demandes émanant tout autant de l’aristocratie locale, que des pèlerins de passage, et probablement des patients de l’hôpital qui trépassaient sur place. Toutes ces obligations ont du contraindre les chanoines à étendre de plus en plus l’espace consacré aux défunts.

Il ne fait aucun doute qu’un bâtiment antérieur A l’édifice roman consacré en 1115 existe, cependant son emplacement n’est à ce jour pas connu. Les fondations de cette église bâtie au XIIsiècle ont été mises au jour sous le sol de l’édifice encore en élévation. Le chœur est alors plus étroit et se compose d’une abside contrefortée flanquée de deux absidioles. En revanche, la nef ne parait pas avoir subi de modification. L’édifice actuel fait suite à l’église romane mentionnée en 1115. Plus tardivement, tors des travaux réalisés aux XVIIe-XVIIIsiècles sur le bâtiment, le chœur de l’église est remplacé par une abside ajustée à la largeur de la nef préexistante 17.

Parmi les sépultures étudiées à l’intérieur de l’édifice (Fig. 5), quatre sont antérieures à l’église romane de 1115. Si l’on étudie le plan des vestiges mis au jour lors de cette opération, nous remarquons que parmi ces quatre sépultures antérieures au XIIsiècle, trois sont orientées nord-ouest/sud-est, auxquelles il est possible de joindre trois autres sépultures implantées hors du chevet, mais d’orientation identique. Il est donc probable que ces sépultures soient contemporaines de la seconde phase du cimetière, dont l’organisation semble fonctionner entre la seconde moitié du XIsiècle, et la première moitié du XIIsiècle. Parmi les sépultures antérieures A la prieurale de 1115, notons une fosse orientée sud-ouest/nord-est. Elle pourrait éventuellement participer de la première phase d’inhumations antérieure, pour laquelle nous avons déjà établi que ce type d’orientation existait. Quoi qu’il en soit, il apparaît qu’une partie des sépultures des deux premières phases participent de l’implantation du cimetière lié à l’église primitive, celle, aujourd’hui disparue ; mentionnée dans les chartes de donations de 1080.

Cet état perdure au moins jusqu’au début du XIIsiècle, voire jusque dans les années 1120/1130 où l’on assiste a une nouvelle période d’extension de la zone funéraire conjointement A une nouvelle réorganisation de cet espace qui aura cours jusqu’à l’abandon d’une partie du cimetière dans la seconde moitié du XIIesiècle. Le sol de la nouvelle prieurale, consacrée en 1115, est quant a lui creusé d’au moins trois inhumations. Probablement des individus d’un statut particulier au regard des parures découvertes dans une des sépultures. N’oublions pas que le prieuré de Cassan a servi de nécropole à nombre de membres de l’aristocratie et de la bourgeoisie biterroise. Ces sépultures mises au jour sont orientées sud-ouest/nord-est, parallèlement aux murs de la nouvelle église. Ces orientations rappellent celles observées dans la dernière phase très lacunaire de fonctionnement du cimetière. Elles sont donc probablement installées après 1115, possiblement même au-delà de la seconde moitié du XIIsiècle. En tout état de cause le cimetière semble se réorganiser au nord autour de l’église, hors de la clôture régulière, à partir de la seconde moitié du XIIsiècle et se trouve, au moins dans le secteur qui nous occupe, scellé entre la fin du XIIsiècle et le début du XIIIsiècle.

En conclusion, la fouille du cimetière de l’abbaye de Cassan a mis au jour un grand nombre de sépultures qui semblent s’échelonner de manière continue entre le XIsiècle et l’extrême fin du XIIsiècle. Une première phase est mise en place, suivie d’une longue deuxième phase échelonnées entre le XIsiècle et le début de XIIsiècle, avant le dernier grand groupe montrant une nouvelle organisation générale de l’espace sépulcral au XIIsiècle. Même si la fouille du cimetière n’est pas exhaustive, l’étude anthropologique a permis de caractériser certains aspects de la population. Les sépultures sont majoritairement simples, composées de fosses creusées sans aménagement particulier, le défunt étant déposé en linceul ou en contenant rigide en matériaux périssables, sans autre aménagement, parfois on constate la mise en place de couvertures de dalles. Les probables inhumations de pèlerins ne font pas exception à cette règle. Il s’agit ici d’un espace funéraire dédié à une population laborieuse et nécessiteuse. Les inhumations architecturées restent minoritaires ce qui tend à montrer que la majorité de la population inhumée dans ce secteur du cimetière participe de la classe modeste. Les pathologies, et notamment les cas d’arthrose et de fractures, montrent qu’il s’agit d’une population ayant exercé des activités physiques intenses et répétées. La densité des inhumations est très grande au centre de la zone de fouille, secteur immédiatement au droit de la porte des morts de l’église prieurale. Il s’agit probablement d’un lieu privilégié où chacun souhaite être inhumé, à proximité d’un personnage particulier ? Volonté de se trouver au centre de l’aire consacrée de l’espace funéraire ? Éviter les zones périphériques où souvent sont inhumés les excommuniés, malades, parias ? La période maximale d’occupation du cimetière de situe entre le milieu du XIsiècle et la fin du XIIsiècle, correspondant au moment de montée en puissance et en renommée du prieuré de Cassan. Mais le cimetière continue probablement d’être utilisé au XIIIe, voire au XIVsiècle, dans une proportion moindre, probablement au plus proche de l’église.

L'environnement du cimetière

Au sud-ouest de la zone de fouille, la mise au jour d’un important bâtiment a été une surprise. Sa fouille bien que partielle, a permis d’identifier deux phases d’utilisations datées, par le mobilier céramique et les 14C, entre le XIs et la fin du XIIs.

Le bâtiment

Le premier bâtiment mesure au minimum 12 m de long et a été observé sur 1,35 m de large. Toutefois, ses limites s’étendent aussi bien vers le nord que vers l’ouest, hors de l’emprise de la zone de fouille. Sa maçonnerie se compose de deux puissants murs formant l’angle sud-est du bâtiment. Le mur sud est implanté contre une rupture de pente du terrain naturel et se compose d’une puissante semelle de fondation filante et débordante surmontée d’une élévation. Cette élévation, conservée sur environ 0,45 m de haut, possède deux à trois assises. Elle est appareillée à l’aide de petits blocs grossièrement équarris ou de moellons liés à la terre. Ces derniers sont positionnés à plat, de chant, ou en épis. Le mur est, chaîné au mur sud, est visible sur 1,35 mètres de long mais se poursuit au nord sous la berme. Il est conservé sur deux assises. De même constitution que le mur sud, il est fondé dans le paléosol.

Ce premier bâtiment comporte un niveau de circulation en terre battue (Fig. 7), disposé sur un radier de pierres. Malheureusement ces niveaux sont pauvres en mobilier, néanmoins, les analyses radiocarbone proposent une chronologie large entre les années 1020 et 1160. Datation affinée par l’étude du mobilier céramique qui situe ce premier édifice entre l’extrême fin du XIsiècle et la première moitié du XIIsiècle. Il est difficile de proposer une fonction précise à ce bâtiment. Malgré cela, sa position en rupture de pente, les dimensions imposantes de ses murs et sa puissante architecture laissent penser qu’il s’agissait d’un bâtiment important, très vraisemblablement visible de loin, attaché aux édifices constituant le prieuré de Cassan, potentiellement hors de la clôture.

La surface fouillée de ce bâtiment ne représentant qu’une faible partie de son étendue potentielle, il est trop hasardeux de pousser plus loin les hypothèses sur la fonction de ce bâti. Cependant, la présence de vaisselle de cuisine et de service et celle de déchets alimentaires orienteraient vers un édifice d’accueil de type auberge. Seule une fouille de plus grande ampleur permettrait sans doute d’envisager sa fonction réelle. A l’évidence, ce bâtiment se met en place alors que le cimetière est déjà existant depuis plusieurs décennies. Il vient s’implanter en bordure de celui-ci, probablement hors de la zone consacrée. En tout état de cause, la zone funéraire est à son apogée lorsqu’on vient bâtir au tournant du XIIsiècle.

Vue prise de l'ouest sur le bâtiment à et son niveau de sol en terre battue.
Fig. 7 - Vue prise de l'ouest sur le bâtiment à et son niveau de sol en terre battue.

Le bâtiment B

Le bâtiment est donc rapidement réaménagé, au bâtiment A succède ainsi le bâtiment B (Fig. 8). Il mesure 5,2 m de long sur 1,35 m minimum de large. Reprenant les murs sud et est, il s’étend vers le nord, hors de la zone de fouille. S’y développe alors un local à usage d’habitation de petite dimension. Le changement notable intervient avec la mise en place d’un mur ouest, fondé sur un merlon de terre (une ancienne cloison intérieure ?) et scindant l’ancien bâtiment en deux parties. Ainsi logé dans l’angle sud-ouest de l’ancien bâtiment, il s’agit d’un local de 5,2 m de long, présentant un sol en terre battue scellé par l’effondrement de sa toiture. On trouve l’ouest du bâtiment, en extérieur donc, une canalisation récupérant les eaux pluviales de la toiture. La mise en place de cette canalisation distante d’1,20 m du mur ouest de l’habitat, semble directement liée à l’évacuation des eaux de ruissellement. On peut raisonnablement l’interpréter comme un caniveau permettant de mettre le bâtiment hors d’eau. Sa position extérieure éloignée de plus d’un mètre du mur laisse envisager deux hypothèses.

Relevé en plan du bâtiment B : niveaux de toiture effondrée du bâtiment B et canalisation d'évacuation des eaux pluviales
Fig. 8 - Relevé en plan du bâtiment B : niveaux de toiture effondrée du bâtiment B
et canalisation d'évacuation des eaux pluviales.

La première consiste à considérer que la toiture du bâtiment formait une saillie débordant largement de l’aplomb du mur permettant aussi a l’eau de couler directement dans le caniveau et de protéger les murs qui ne sont pas enduits. Cette saillie de la toiture pouvait éventuellement être soutenue par des poteaux, à la manière d’un préau, mais aucun élément allant dans ce sens n’a été décelé à la fouille. La seconde hypothèse consiste à interpréter cette structure comme le simple caniveau central d’une ruelle ou d’un passage longeant le bâti.

L’ensemble de ces éléments permet d’identifier le bâtiment B comme une habitation. Interprétation confortée par la présence dans le sol de fonctionnement de vaisselle de type pots globulaires, poêlons ou jattes, et par celle de déchets alimentaires liés à la préparation de repas comme des os de caprinés, de porcs ou de volaille, mais également par la présence d’un foyer. À l’intérieur du bâtiment B, sur les trois murs visibles, des traces d’enduits muraux de mortier blanc ont été observées. Ceci marque le niveau de fonctionnement de ce bâtiment. Ce sol est scellé par deux couches liées à la destruction de la structure, composées de niveaux de tuiles courbes posées à plat mêlées de pierres, de terre et de fragments de mortier. La position des tuiles illustre bien l’effondrement de la toiture (Fig. 9).

Détail du niveau d'effondrement de la toiture du bâtiment B.
Fig. 9 - Détail du niveau d'effondrement de la toiture du bâtiment B.

Le bâtiment B est date par les céramiques du XIIs. Les analyses 14C le positionnent entre le 2eme quart du XIs. et le 1erquart du XIIIs. La fourchette chronologique établie pour le cimetière se situant autour du XIet XIIs, ces éléments vont donc dans le sens d’un fonctionnement synchrone. Si la présence d’un cimetière situé au nord de l’église paroissiale de Cassan n’est pas une surprise, on ne peut pas en dire autant de celle d’un édifice imposant en ce lieu. Bien qu’il soit actuellement impossible de lui attribuer une fonction (annexes ?, étable ?, pigeonnier ?, cellier de dépôt ? auberge ?…), les deux bâtiments successifs ont fonctionné autour des XIet XIIsiècles et s’inscrivent sans nul doute dans la vie du prieuré dès ses premières décennies d’installation.

Un four a chaux

L’implantation d’un four a chaux vient sceller le niveau de fonctionnement du cimetière. Sa situation à flanc de colline rappelle fortement la disposition de nombreux autres fours à chaux 18. Creusé directement dans la roche sur plus d’un mètre cinquante de profondeur, pour une amplitude de 5 mètres de diamètre, il est possible que le four ait été bâti de manière temporaire et opportuniste, lors d’une campagne de travaux directement lies aux bâtiments du prieuré. En effet, il ne semble pas avoir été longtemps en fonction. Quoi qu’il en soit son scellement intervient entre les années 1246 et 1260 19.

Le four A chaux illustre une activité artisanale ponctuelle, probablement liée aux travaux réalisés dans ou pour le prieuré de Cassan. Il semble avoir été implanté à la fin du XIIsiècle, mais avant les premières décennies du XIIIsiècle comme les datations radiocarbone de son comblement le montrent. Notons qu’en 1173 de grands travaux sont lancés pour la construction de la léproserie du prieuré. Le four pourrait tout à fait avoir été réalisé opportunément pour cette période d’aménagement du prieuré. Scellé presque aussitôt après avoir servi, il semble donc antérieur aux aménagements en terrasses qui modifient totalement la topographie du secteur à partir du XIIIsiècle et transforment la zone en aire à vocation plutôt agricole.

Vue prise de l'ouest sur le mur de terrasse prolongeant le mur sud du bâtiment B.
Fig. 10 - Vue prise de l'ouest sur le mur de terrasse prolongeant le mur sud du bâtiment B.

Les aménagements du XIIIe siècle

Au XIIIs. on assiste à une restructuration du paysage qui s’observe dans la création d’un puissant mur de terrasse, s’appuyant contre le mur sud du bâtiment B et le prolongeant vers l’est (Fig. 10). Cet aménagement est complété au sud par une série de remblais de nivellement caractérisés par un fort pendage nord-sud et soutenus au sud par des blocs de grand calibre. Ces niveaux sont scellés par des niveaux de cailloutis extrêmement compacts.

Deux structures se présentent sous la forme d’un profond creusement de profil en « U » ou en « escalier ». Leurs comblements sont sensiblement identiques. Une vue d’ensemble depuis le mur de terrasse, suivi de ces remblais, associés à ces fossés, évoque une structuration de l’espace en palier. Il est fort probable que nous soyons en présence d’un mur de terrasse puissamment soutenu, dont les aménagements au sud épousent les lignes de courbes naturelles du terrain afin de permettre le drainage de la dépression au bas des aménagements. Le glacis est alors destiné au maintien de cette terrasse supérieure. Les céramiques retrouvées dans les comblements des fossés indiquent qu’ils ont été comblés entre le XIIIet le début du XIVsiècle.

Nous ne pouvons cependant pas exclure que la mise en place des fossés et remblais ait également servi d’espace de circulation. La présence de nombreux tessons posés à plats en serait un indice. Il pourrait s’agir éventuellement du tracé initial de l’actuel Chemin de la montagne. Depuis cette période, la zone située au sud du mur de terrasse ne cessera pas d’être entretenue, entraînant une migration progressive du chemin vers le sud.

Conclusion

L’objectif de cette opération de fouille préventive menée au nord de l’église prieurale de Cassan, sur l’emplacement de l’ancien cimetière du prieuré, était de comprendre l’organisation de la zone sépulcrale, son étendue, mais également sa chronologie. Bien qu’une zone d’habitat fût pressentie lors du diagnostic archéologique, la surprise à l’ouverture fut la découverte d’un bâtiment important, dont les dimensions totales n’ont malheureusement pas pu être appréhendées. Le cimetière quant à lui, bien que fouillé exhaustivement dans l’emprise de la fouille, n’a pu livrer l’ensemble de son étendue puisque les limites nord et est se trouvent en dehors. L’espace funéraire de Cassan étudié se développe donc du XIau XIIsiècle. Si les premières sépultures sont éparses, en revanche, elles sont probablement contemporaines du premier édifice cultuel aujourd’hui disparu et ne montrent pas d’organisation particulière. L’accroissement démographique, la réorganisation paroissiale ou plus probablement l’arrivée des chanoines dans l’église paroissiale va bouleverser le cimetière, mais également l’urbanisation du secteur.

En effet, à partir de second quart du XIsiècle, plus certainement dans la seconde moitié, le cimetière connaît une période d’extension importante. Se dessine alors une organisation nette dans la gestion de l’espace sépulcral. C’est probablement dans les première décennies du XIIsiècle, à partir des années 1120/1130, que le cimetière connaît une seconde réorganisation. Les aménagements internes précédents sont oubliés et les inhumations sont alors implantées souvent sur des sépultures antérieures.

Parallèlement, un premier bâtiment est construit au bas de la colline Saint-Hilaire, à une cinquantaine de mètres au nord-ouest du portail de l’église prieurale. Ce bâtiment apparemment imposant s’implante en limite nord-ouest du cimetière entre le début du XIIsiècle et les années 1130. La mention en 1118 de la construction d’un « hospitali », ajouté au constat de la présence significative de vaisselle de préparation et de service dans le sol de fonctionnement du bâtiment fouillé pourrait lier le bâtiment A à cet établissement d’accueil qu’est l’hostellerie. Néanmoins, sans connaissance extensive de ce bâtiment, nous ne pouvons affirmer sa destination, et il pourrait – pourquoi pas ? -, s’agir du logis des chanoinesses, bâti hors de la clôture du prieuré au XIIsiècle, comme d’un tout autre établissement lié au fonctionnement du prieuré.

Les limites est et ouest du cimetière sont alors étendues au-delà de 63 mètres de la porte dite des morts de la nouvelle prieurale, bâtie quelques années plus tôt, et consacrée en 1115. Cette phase de fonctionnement du cimetière perdure au moins jusque dans les années 1160/1170, où il semble à nouveau réorganisé, ce secteur perdant alors sa vocation funéraire. Le grand bâtiment A est alors transformé à partir des années 1150/1160 pour être converti en habitation plus modeste (bâtiment B). En effet, dans cette seconde partie du XIIsiècle, la majeure partie du cimetière semble être reformée et le bâtiment effondré. Quelques sépultures paraissent encore avoir été implantées au-delà des années 1160, possiblement jusque dans les années 1210, mais cela reste marginal. Nous sommes des lors, peut être, dans les zones périphériques de l’espace funéraire, réservées à des inhumations particulières ?

Au scellement du cimetière succède immédiatement d’autres installations. Le four à chaux semble abandonné a partir de l’extrême fin du XIIsiècle, et sert de dépotoir à de possibles autres structures de chauffe jusque dans les années 1280. Le cimetière se retire pour se concentrer probablement au plus prés de la prieurale. Les travaux terminés, de vastes aménagements sont réalisés au nord du prieuré avec l’implantation de mur de terrasse, renforcé d’un puissant glacis fortifiant la pente du terrain naturel, dont les eaux de ruissellement sont drainées à l’aide d’un long fossé longeant les aménagements ainsi installés. Il n’est pas impossible en outre que ce grand fosse puisse avoir également servi de chemin creux ? Quoi qu’il en soit, un axe de circulation semble prendre place en contrebas de parcelles désormais mises en culture.

La fenêtre ouverte sur le cimetière du prieuré de Cassan, bien que partielle, s’est avérée riche d’enseignement sur les pratiques funéraires, le recrutement et l’organisation de l’espace sépulcral. On regrettera de ne pas connaitre la forme et l’extension des structures funéraire et des bâtiments au-delà de l’emprise nord de cette opération de fouille. Quant aux bâtiments, sont-ils les vestiges du bourg prieural avorté ?, ou de simples édifices liés au fonctionnement du prieuré ? La question reste ouverte.

Notes

1. Katia TURREL et Delphine LOPEZ, archéologues au Service Patrimoine et Archéologie de la Communauté de Communes Nord du Bassin de Thau. Johanna TERROM, archéologue contractuelle au Service Patrimoine et Archéologie de la Communauté de Communes Nord du Bassin de Thau. Serge SOTOS, historien, spécialiste du prieuré de Cassan.

2. Nous tenons ici à remercier pour leurs avis, visites et collaborations, M. Jean-Claude Maillé et M. Jean-Claude Rivière.

3. Serge SOTOS, La route de la Montagne. Histoire d’un grand axe de communication entre Bas et Haut Languedoc (Chemin de Faugères, médiéval, modernise en Grand chemin de l’Albigeois, puis Route n° 7 d’Agde à Castres), en cours.

4. Laurent SCHNEIDER et alii, « Roujan-Medilianum ( ?), de l’Antiquité au Moyen Age. De la fouille du quartier des sanctuaires l’identification d’une nouvelle agglomération de la cite de Béziers ». Revue Archéologique de Narbonnaise, n°40, 2007, p. 117 a 193.

5. Voir au sujet des opérations archéologiques menées dans et autour du prieuré de Cassan : Liliane TARROU, « Abbaye de Cassan a Roujan (Hérault), Rapport final d’opération de diagnostic archéologique », INRAP, mars 2006, 36 pages. – Liliane TARROU, « Abbaye de Cassan II a Roujan (Hérault), Rapport final d’opération de diagnostic archéologique », INRAP, mars 2008, 57 pages. – Laurent VIDAL, « Rectification du virage de Cassan RD 13, Hérault, Roujan, Cassan », INRAP Méditerranée, février 2010, 52 p.

6. Serge SOTOS, « Données historiques », in Katia TURREL, Delphine LOPEZ, RD 13, Rectification du virage de Cassan, commune de Roujan (Hérault), Rapport final d’opération de fouille archéologique, t. 1, p. 53 a 86.

7. Les Alquier de Corneilhan, d’ascendance comtale ou vicomtale carolingienne selon Duhamel-Amado Cl., 2007b, n° 10 : Corneilhan, p. 85-86.

8. Publication partielle du texte dans Devic (Dom Cl.) et Vaissette (Dom J.), « Histoire Générale de Languedoc », 2emeédition revue et augmentée, Privat, Toulouse, 1872-1879, t. V, col. 850-851.

9. N. de Cilly, Mémoire pour servir a la vie de saint Guiraud, second prieur de Cassan et évêque de Béziers, manuscrit du début du XVIIIsiècle, ed. abbé Soupairac, archiviste diocésain, 1884, sur l’ordre de Mgr. de Cabrières.1884, p. 42-43.

10. Arch. dép. Hérault, 12 H 2.

11. Serge Sotos, a paraitre.

12. Information transmise par Serge Sotos, historien. Serge SOTOS, « Données historiques : des coquilles Saint-Jacques dans la nécropole de Cassan ». In Katia TURREL, Delphine LOPEZ – RD 13 – Rectification du virage de Cassan, commune de Roujan (Hérault), Rapport final d’opération de fouille archéologique, t. 1, p. 66.

13. Olivier PASSARRIUS et alii, « L’église et le cimetière du village médiéval déserté de Vilarnau à Perpignan (Pyrénées-Orientales) ». Archéologie du Midi Médiéval, t. 28, 2010, p.219-237.

14. Voir note 5 et informations orales de Jean-Pierre Mailhé.

15. Ibidem. et Laurent VIDAL et alii, Église prieurale de Sainte Marie de Cassan, commune de Roujan (Hérault), Rapport de fouille de sauvetage urgent, 1986, 16 pages et planches, dactylographié.

16. Olivier PASSARRIUS et alii, « L’église et le cimetière du village médiéval déserté de Vilarnau à Perpignan (Pyrénées-Orientales) ». Archéologie du Midi Médiéval, t. 28, 2010, p.230-230.

17. Laurent VIDAL et alii, « Église prieurale de Sainte Marie de Cassan, commune de Roujan (Hérault), Rapport de fouille de sauvetage urgent », 1986, dactylographié, p. 13-16.

18. L’ensemble de l’étude du four a chaux a été menée en collaboration avec Christophe Vaschalde doctorant en archéologie-ATER Aix-Marseille Université / Laboratoire d’archéologie médiévale et moderne en Méditerranée UMR 7298.

19. Le comblement du four a livré un denier coronat, en argent de Charles d’Anjou (1246-1285) aimablement identifié par Francis Dieulafait. Cette monnaie aurait été frappée durant la période où Charles d’Anjou était roi de Sicile et de Jérusalem, entre 1277 et 1285. L’ensemble des éléments étudiés pour cette structure nous a amené à proposer une date de scellement de son fonctionnement dans la seconde moitié du XIIIsiècle, entre les années 1246 et 1260.