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Description

Les paysages antiques : le territoire d’Agde et les sédimentations cadastrales

En présentant des travaux en cours * qui posent souvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses, j’aborderai essentiellement les problèmes du territoire d’Agde dans les campagnes du Biterrois à partir de l’étude des cadastres ruraux. Le plus grand nombre de ces réseaux connus dans notre région, comme ailleurs dans le monde méditerranéen, sont postérieurs à la conquête romaine. Mais à Agde il est plus évident encore que sur d’autres sites que les Romains ne sont pas partis d’une table rase. En construisant ces grilles qui ont enserré fortement les campagnes, ils ont partout incorporé un savoir paysan déjà millénaire, profondément investi dans les sols et les paysages.

Car l’analyse des cadastres ruraux n’est ni un jeu gratuit de construction, ni un puzzle plus ou moins compliqué et largement imaginaire, une rêverie des historiens. Menée à partir des photographies aériennes, des cartes IGN et maintenant des images de satellites, documents auxquels on applique des traitements de plus en plus sophistiqués pour les faire parler au-delà des évidences lisibles à l’œil nu, cette étude débouche sur des questions essentielles d’histoire, c’est ce que je voudrais essayer de montrer. L’archéomorphologie des paysages doit conduire à partir des résidus actuels à mieux saisir l’agencement des paysages et leurs formes, l’aménagement de l’espace rural et ses étapes, les données juridiques et économiques.

Si, pour les besoins de la cause, de la clarté de l’exposé, je les aborde successivement, il va de soi que les hommes hier comme aujourd’hui ont eu à les affronter ensemble et à tenter de les résoudre en fonction de leurs capacités techniques, de leur outillage technologique et conceptuel, en même temps que de leurs besoins sociaux. Il est évident aussi que ces données ont évolué au cours des quelque 10 siècles d’histoire régionale.

Or les cadastres, parce qu’ils sont une mémoire condensée des terroirs – avec des trous parfois béants -, nous parlent de tout cela à la fois, des problèmes ruraux bien sûr, mais plus largement des problèmes économiques et des équilibres historico-politiques qu’ils expriment à leur façon. La restitution de l’histoire cadastrale, avec toutes ses imperfections, à contribué à produire une image beaucoup plus complexe qu’on ne l’avait cru des campagnes antiques. En cela elle a constitué un véritable choc.

D’autant que la recherche avance et que je serai amenée à revenir sur certaines hypothèses et à modifier sur plusieurs points ce qui avait été proposé – par moi-même ou par d’autres – dans un débat qui reste toujours très largement ouvert.

I. Les problèmes ruraux et l’aménagement des terroirs

Les problèmes d’organisation de l’espace rural, d’aménagement des territoires et d’agencement des sols ne sont pas une invention contemporaine. C’est une très longue histoire dans le Midi où très tôt le développement des cultures : céréalières (jusqu’à la fin de l’Antiquité) et arboricoles surtout (notamment la vigne dans ces régions et l’olivier que les Marseillais ont « appris aux Gaulois » à cultiver) a contribué à fixer le réseau des champs et des chemins, à stabiliser des limites, à assurer progressivement une répartition des paysages, une complémentarité des terroirs en fonction de leurs qualités et des ressources naturelles (problème du sel et de son exploitation sur le littoral par exemple), en fonction de l’équilibre de toutes les activités : agro-pastorales bien sûr – importance de l’élevage et très tôt du mouton dans la moyenne vallée de l’Hérault -, de la pêche, ressource essentielle sur les étangs, avec toutes les activités de transformation et d’extraction (mines de la haute vallée de l’Orb, calcaire plus basalte à Agde). La circulation des produits n’a donc pas été non plus indifférente aux modes d’organisation du territoire qui ont été mis successivement en place et dont des lambeaux plus ou moins importants sont encore accessibles aujourd’hui. Le développement d’une production céramique indigène et d’une production d’imitation des Grecs – ainsi à Béziers où des fours sont datés entre mi-VIe et mi-Ve – permettait de produire selon l’évolution du goût local, des habitants et des communautés. On le verra précisément pour la vallée de l’Hérault et le rôle qu’Agde a pu y jouer en longue durée.

Aux marges du Midi gaulois les gravures rupestres de la vallée des merveilles, du mont Bego, montrent, depuis le milieu du IIe millénaire, l’existence de processus de dégagement d’espaces ruraux spécialisés : on y voit la représentation des champs voués aux cultures – avec figuration d’araires attelés à des bovidés – et d’enclos réservés aux pâtures, si l’on en croit la représentation de grands cornus qui y symboliseraient les troupeaux. Ainsi jusqu’à l’âge du bronze, donc en gros sur un millénaire, sont résumées en images les avancées de la régularisation rationnelle des terroirs. On a vu – à juste titre – dans ces réticulés, des prototypes de cadastres ultérieurs.

Ailleurs en Gaule on connaît maintenant l’existence d’une organisation géométrique des champs antérieure aux Romains. Dans certaines régions cela remonte sans doute au début du fer où ces parcellaires dits « champs celtiques » ont développé – comme en certains secteurs de Franche-Comté – d’authentiques cadastres liés à des habitats ils sont installés sur des sols légers et souvent en bordure de forêts. On n’a rien repéré dans le Midi de comparable, peut-être pour des raisons climato-pédologiques, peut-être parce qu’on n’a pas cherché autour des oppida indigènes. Mais les choses bougent, car on commence à repérer des structures légères et isolées dans la moyenne vallée de l’Hérault, rapprocher de ces aedificia dont parle César et si bien connus dans le Nord de la France grâce à la sécheresse de 1976. […]

Informations complémentaires

Année de publication

1990

Nombre de pages

8

Auteur(s)

Monique CLAVEL-L’EVEQUE

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf