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Description

La toile de maison ou l’or des Ruffes

L’étude de divers testaments, contrats de mariages et inventaires concernant plusieurs familles du Puech, près de Lodève, du XVIe au XIXe siècle, permet de dégager un certain nombre de constantes, tant sur la forme que sur le contenu de ces actes. L’une de ces constantes a particulièrement retenu mon attention c’est la présence de linge en « toile de maison ».

Le 4 octobre 1609 par exemple, dans un testament de onze pages, François Aussel, du mas des Hémies (aujourd’hui le hameau des Hémies), lègue notamment à sa fille légitime et naturelle « des draps de maison ». Dans un « pacte de mariage conclu en 1638, pour la louange de Dieu et l’augmentation de l’humain lignage », entre Barthélémy Berthomieu et Marguerite Ausselle, du mas de l’On, il est prévu que la future épousée reçoive notamment : « cent vingt livres, trois robbes et deux draps de maison ». Le 9 novembre 1673, Claire Ausselli, veuve de Guillaume Brun du mas de l’On également, lègue notamment à son fils Pierre la somme de vingt livres et « deux linseuls en toile de maison ». Ses deux filles reçoivent, elles aussi, les deux draps de lit tissés dans la même toile.

Particulièrement privilégiés, Antoine Py et Marie Rabejaque (du hameau de Rabejac évidemment), reçoivent par contrat de mariage passé le 4 octobre 1711, notamment « maison, champ, vigne, ginestière et jardin ; un coffre de bois de noyer et deux caisses de bois blanc, le tout fermant à clef… », mais aussi, venant de la famille Rabejac « … un chauderon de cuivre appelé payerolle avec son ance, pouvant tenir une semai d’eau, quatre chèzes garnies de boze, deux pots de fer, une may à pétrir et dix linsols de toile de maison,… à remettre le jour de la consommation du mariage ». Quelques semaines plus tard, le 13 novembre 1711, Pierre Aussel, fils de feu Jean, du mas de l’On, « ordonne les biens que Dieu lui a donné en ce monde ». Parmi les bénéficiaires de ces dispositions, Marguerite, la fille du testateur, recevra « deux cent quarante livres, un coffre en bois de noyer fermé à clef, un habit de serge d’Uzès, six linsols, six serviettes et deux nappes, le tout toile de maison, payables… lorsqu’elle aura atteint l’âge de vingt cinq ans ou qu’elle se mariera… ». Un siècle plus tard, très exactement le 27 mai 1823, l’inventaire de la maison familiale des Aussel du Puech, dressé après le décès du chef de famille Pierre, recèle notamment « dans un grand buffet à la moderne formant deux corps bois blanc.., onze nappes et six serviettes toile de maison, estimées ensemble quatorze francs ».

Cette fameuse toile de maison a continué jusqu’au XXe siècle à servir de parure au lit, à la table et au corps, aussi bien au Puech que dans les villages voisins. Au début de ce siècle, ma propre arrière-grand-mère d’Olmet, fabriquait encore, sinon la toile, du moins le fil qui servait à la tisser. Le carrelage de la « souillarde », de l’ancienne maison familiale de Pierre Dardé d’Olmet gardait encore, il y a quelques années, les traces (fentes et écaillures) des coups de battoir que mon aïeule assénait sur les tiges de genêt pour en extraire les fibres, genêt qu’elle avait au préalable fait rouir dans le bassin que la famille possédait au tènement de « Bérin », sous la ferme de « La Défriche ». La toile de maison était donc bien de la toile de genêt. On en trouve encore, sinon dans des « coffres à noyer fermant à clef », du moins dans le fond des vieilles armoires dans nos villages des Ruffes.

A quel usage était destinée cette toile ? Comment était-elle fabriquée ? Et d’abord, comment le genêt, matière première, était-il cultivé ? Voilà trois questions auxquelles je vais tenter de répondre ; la mémoire familiale, la connaissance du terrain et mes propres découvertes m’y aideront, mais plus encore les études locales menées sur ce sujet.

Issu du latin « genesta », par l’intermédiaire de l’occitan « genesta » ou « ginesta » (dont la finale se prononce « o »), le genêt est un nom commun à soixante-et-dix espèces d’arbustes touffus, épineux ou non, à fleurs jaunes ou, plus rarement, blanches qui poussent en Europe, en Asie occidentale et en Afrique du Nord. Celui qui nous intéresse est le genêt d’Espagne, aux pousses flexibles comme du jonc (« spartum junceum », Linné, Mémoires de l’Académie royale des sciences pour 1778, p. 622, ou « Jonc de Sparte ».

En dehors de l’usage qui en a été fait dans nos régions, le genêt d’Espagne, malgré la difficulté que présente l’extraction de ses fibres, a été utilisé dans l’Antiquité par les Romains et les Carthaginois pour la fabrication des voiles de navires. Sous la Ire République, il a été fabriqué des draps de lit en toile de genêt. Plus près de nous, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les services de sécurité des mines utilisèrent le caractère antistatique de la fibre de genêt pour la réalisation de tapis transporteurs de charbon. L’on se souvient d’ailleurs qu’une usine de fabrication d’une telle toile a fonctionné dans le courant des années cinquante, non loin de la Route Nationale n° 9, entre Paulhan et Clermont-l’Hérault. Mais cette industrie, à la collecte et au transport coûteux, a été abandonnée. […]

Informations complémentaires

Année de publication

1987

Nombre de pages

3

Auteur(s)

Pierre AUSSEL

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf