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Description

La pierre dans le légendaire populaire

Par sa forme, son volume, son emplacement, son abondance, sa texture et aussi en raison de phénomènes connexes, la roche a frappé l’imagination de l’homme, depuis les temps lointains où il s’est installé dans notre région.

Comme il était incapable de donner une explication rationnelle du phénomène qui suscitait son étonnement et, plus souvent encore, sa peur, il l’a attribué à une force de la nature. Avec l’introduction du christianisme, celle-ci fut souvent supplantée par Dieu et le Diable. Nous disons « souvent » car nombre d’explications païennes ont subsisté.

Des pouvoirs de prévention et de guérison ont été octroyés à la roche comme aux végétaux, aux animaux et à des substances diverses. Certaines croyances concernant ces pouvoirs ont perduré jusqu’à nos jours.

Nous allons donner, à titre d’exemples, quelques légendes et pratiques. Les unes traduisent la peur de l’homme, son impuissance face aux forces chtoniennes, les autres son impérieux besoin de les exorciser par l’intermédiaire d’un connaissant que le monothéisme chrétien ne parviendra pas à faire disparaître totalement. Si les mégalithes ont été christianisés par des croix incisées en nombre variable, ils n’ont que rarement fait l’objet de destructions. Au siècle dernier, quelques esprits forts ont employé l’explosif pour se débarrasser d’un menhir situé au milieu d’un champ, ou transformé des dalles de dolmen en encadrements de portails. Ils ont encouru la réprobation des membres de la communauté villageoise et – dit-on – le châtiment de leur acte (décès des intéressés ou d’un de leurs parents). Encore actuellement, certains paysans se refusent à détruire ce qui subsiste d’un mégalithe ruiné estimant qu’un tel acte leur porterait malheur.

Les légendes et pratiques qui suivent ont été recueillies sur un territoire couvrant approximativement les départements de l’Hérault et du Gard. Il nous a semblé préférable, en effet, de ne pas tenir compte de limites administratives à peine deux fois séculaires et d’envisager le contexte millénaire allant du massif cévenol à la Méditerranée.

La roche inspiratrice de légendes : La roche brute

Lorsqu’elle est omniprésente, la roche suscite une interrogation. Il en va ainsi tout particulièrement en Crau et sur les Causses. Pour la première, le responsable n’est autre qu’Hercule. En route vers le jardin des Hespérides, après avoir délivré Prométhée, il arrive au cœur de cette région où il se trouve affronté aux fils de Neptune. Ayant épuisé ses flèches, il serait vaincu si Jupiter ne lui envoyait une fantastique grêle de pierres qui, depuis, sont toujours là. Pour les seconds, c’est que Dieu n’y est passé que de nuit ou encore que Gargantua y a porté, ainsi qu’en Cévennes, tout ce qu’il avait amassé en épierrant les terres de la région de Saint-Chaptes, à l’ouest d’Uzès.

Passons aux étrangetés du relief. En des temps très reculés, le pic Saint-Loup et le massif de l’Hortus faisaient bloc. La courbe du mas de Rigaud, qui les sépare, est l’œuvre du Géant, auquel Hercule a été préféré par suite de la contamination gréco-latine. Lui seul détient le pouvoir de les réunir le jour où il voudra.

Puisque nous évoquons le pic Saint-Loup, arrêtons-nous un instant sur le culte dont lui-même et certains autres sommets, ont été l’objet. Attesté par diverses découvertes telles que poteries et monnaies, ce culte s’adressait à la Terre Mère. La pierre s’y trouvait associée au soleil et à l’eau, comme en témoignent les traditions que l’on peut encore observer, malgré l’interdit prononcé par l’Église. L’empreinte du christianisme se traduit par leur dénomination contemporaine. Ici le pic est dédié à Saint-Loup. A Sète, le bénéficiaire est Saint-Clair, en Cévenne méridionale c’est Saint-Guiral, etc. Comme quelques-uns ne figuraient pas au martyrologe romain ou étaient l’objet de superstitions, les chapelles édifiées au point culminant sont tombées en ruines ou ont changé de vocable. Ainsi, la chapelle où l’on vénérait Saint-Loup est-elle passée à Saint-Joseph.

Étranges aussi les rochers de Maouteylle dans l’Espinouse, des Besses sur le Larzac, du cirque de Mourèze, etc. ; mais les légendes qu’ils avaient suscitées ont sombré dans l’oubli. Par contre, subsistent celles relatives aux blocs qui tournent. Nous retrouvons le pic Saint-Loup. Une grotte située dans ses flancs passait pour contenir un trésor. Durant la nuit de Noël, la « peiro que rodo » et qui en dissimule l’entrée se déplace. Un premier tas de pièces de bronze ne tarde pas à apparaître aux yeux des amateurs. Ceux-ci le dédaignent. Il en est un second, plus avant dans la galerie qui est constitué de pièces d’argent et, tout au fond, un troisième est un amoncellement de « rousselas » (pièces d’or). Mieux vaut donc se hâter d’atteindre ce dernier. Il faut faire très vite car, sinon, au douzième coup, la pierre reprend sa place pour un an. Ainsi, le Diable punit-il la cupidité ! Il en va à peu près de même aux portes de Montpellier avec le rocher de Substantion, entre Aramon et Saze avec un certain « Gravier ». En ce dernier lieu, c’est Gargantua qui est responsable de la présence du bloc insolite.

Fort altéré à la suite d’une longue course sous le soleil estival, il boit à si grandes gorgées qu’il avale non seulement l’eau du Rhône; mais encore quelques bateaux chargés de bois et autres marchandises destinées à la foire de Beaucaire. Sa soif étanchée, avant de reprendre sa promenade, il se débarrasse d’un gravier importun. C’est la « peira que roda », en arrière de laquelle se trouve la caverne au trésor.

A Gargantua sont attribués des blocs volumineux, plus ou moins arrondis et qui, par leur aspect, contrastent avec le paysage environnant. Traversant le Causse de Blandas, et fatigué de porter deux boules, il les abandonne de part et d’autre de l’entrée d’un petit chemin conduisant à l’église de Rogues. Ces deux masses de dolomie bathonienne ont une position curieuse. De telles boules existent un peu partout. Du côté de Saint-Germain de Calberte (Lozère), elles sont en granit et plus sphériques. Il s’en trouverait également deux au voisinage de Générargues qui seraient assez spectaculaires.

Au chapitre des formes susceptibles de créer une légende, peut prendre place celle de blocs dominant la route d’Arboras à la Vacquerie. Cette fois, on a pu penser à des phallus. Ont-ils donné lieu à un culte ? C’est très possible, quand on sait que le christianisme en a fait les « Deux Vierges » autrement dit Albane et Bertrane, sœurs de saint Fulcran… […]

Informations complémentaires

Année de publication

1988

Nombre de pages

8

Auteur(s)

Adrienne DURAND-TULLOU

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf