Soutenances de thèses de doctorat :

César, Flore, Collectionnisme et curiosité à Montpellier, de la Renaissance à l’aube de la Révolution.

Le jeudi 5 décembre 2013, à l’Université Paul Valéry – Montpellier 3, devant un jury composé de M. Pascal Julien, professeur à l’Université de Toulouse – Le Mirail, président du jury, de Mme Michèle-Caroline Heck, professeur à l’Université Paul Valéry – Montpellier 3 et directrice de la présente thèse, de M. Alain Chevalier, conservateur en chef du musée de la Révolution à Vizille, de M. Pascal Griener, professeur à l’Université de Neuchâtel, et de M. Thierry Verdier, professeur à l’Université Paul Valéry – Montpellier 3, Mme Flore César s’est présentée au titre de docteur en histoire de l’art moderne. Sa thèse, intitulée Collectionnisme et curiosité à Montpellier de la Renaissance à l’aube de la Révolution, s’attaque à un vaste sujet mêlant à la fois histoire des collections, histoire du goût, historiographie de l’art mais aussi appréhension des savoirs à travers, notamment, la confrontation à l’objet collectionné.

Pascal Julien, président du jury, ouvre la soutenance et présente les différents membres du jury tout en indiquant l’ordre de passage de chacun ; puis il cède la parole à la candidate qui débute son intervention par les remerciements d’usage à l’attention de sa directrice et du jury. Flore César expose ensuite la genèse de ses travaux, qu’elle inscrit dans la continuité de son master soutenu sous la direction de Mme Laure Pellicer (2007 – Université Paul Valéry – Montpellier 3). Elle évoque également ses expériences professionnelles en lien direct avec son parcours universitaire, comme son poste de chargée de mission au sein du service des collections de l’Université des Sciences et Techniques – Montpellier 2, son implication à la refonte de la base de données Auteurs d’écrits sur l’art en France (XVIe-XVIIIe siècles) mise en ligne par l’Institut National d’Histoire de l’Art sur sa plateforme AGORHA en avril 2013, ou encore en tant que Conservateur délégué des Antiquités et Objets d’Art (CAOA) de l’Hérault. Des expériences qui, comme le souligne l’intéressée, ont pleinement participé à sa réflexion tout au long de son doctorat.

Ce préambule posé, la candidate poursuit sa présentation en précisant les limites chronologiques de son sujet. Le XIXe siècle a en effet été écarté car la Révolution et, à sa suite, la mise en place d’une politique de conservation, opère une rupture en matière de collectionnisme. Le large spectre chronologique de l’étude couvrant trois siècles a néanmoins permis un travail sur le temps long, tout en présentant une difficulté de par la multitude et la variété des sources. Parallèlement, la définition des termes de collection et collectionneur a représenté un enjeu majeur. La littérature scientifique, abondante sur ce sujet, a dû être rassemblée et étudiée pour pouvoir à travers ces définitions récentes d’une part, et les sources d’autre part, élaborer un recensement de collectionneurs cohérent et pertinent. D’un point de vue méthodologique, ce corpus a fait l’objet d’une base de données qui a permis de constituer le volume deux de la thèse, sous la forme de près de 80 notices personnes. L’autre difficulté du travail consistait à proposer une étude du phénomène à travers le prisme d’un territoire – Montpellier – pôle scientifique de renom : la cité « moderne » occupait néanmoins une place singulière dans le monde de la curiosité face à ses voisines antiques comme Nîmes ou Narbonne ; elle n’en a pas pour autant délaissé la pratique de la collection. L’enjeu de la thèse reposait donc sur une interaction constante entre un phénomène perçu et examiné au sein d’un même espace et l’étude de cas de collectionneurs et collections pluriels, tout en conservant la perspective plus large d’un phénomène européen.

La première partie de l’étude traite de ces problématiques à travers une présentation croisée de la ville, de ses institutions liées à l’enseignement et de ses sociétés savantes pour ensuite dégager les typologies et caractéristiques des collections montpelliéraines. Les cabinets de curiosités, collections à vocation encyclopédique et encore collections dédiées aux naturalia occupent ainsi une place de choix, témoignant du lien intime qui s’est opéré entre les acteurs de la communauté scientifique et le collectionnisme montpelliérain. Cet état de fait n’a pas pour autant privé la ville d’autres types de collections spécialisées, comme les collections d’antiquités et les collections d’art représentées par des figures emblématiques, telles que Bon de Saint-Hilaire (1678-1761). Ce panorama des collections montpelliéraines dressé, une deuxième partie de la thèse s’est portée sur la pratique du collectionnisme en elle-même et sur une étude approfondie de ses tenants et aboutissants. Les réseaux d’échanges, récoltes d’objet, notions de loisirs, de plaisirs et encore de passion sont ici traitées. Puis les ressors cachés de l’acte de la collection sont ensuite révélés et analysés : la collection en tant que pratique sociale où l’ostentation et la quantité apparaissent comme des enjeux majeurs d’une part, puis la collection en tant qu’outil de connaissance d’autre part, débouchant par là sur l’examen de la disposition des collections, sur la recherche d’utilité, et sur l’étude et la distinction des notions de curieux, d’amateur et de savant. Pour parachever son propos, dans une dernière partie intitulée La fabrique du regard, Flore César montre comment le regard et l’expérience du sensible induisent un mode de pensée et conduisent à la genèse d’une science fondée sur l’observation de l’objet, lui conférant, au-delà, un statut nouveau d’objet de savoir, mais aussi d’objet de mémoire.

Après cette présentation, la candidate cède la parole au jury et plus précisément à sa directrice de thèse. Michèle-Caroline Heck salue tout d’abord un travail de qualité, proposant une réflexion stimulante qui dépasse largement le cadre régional et s’appuie sur une documentation abondante, en grande partie inédite. Avant de s’attaquer aux remarques de fond, elle déplore une forme trop compacte et une typographie dense, qui auraient mérité d’être plus aérées. Les références bibliographiques présentes dans les notices personnes du volume d’annexes doivent par ailleurs être ajoutées à la bibliographie générale, notamment les manuscrits régulièrement cités tout au long de l’étude. Mme Heck repasse ensuite en revue les différentes parties de la thèse, elle souligne le choix judicieux d’un plan thématique et d’une approche conceptuelle jalonnée d’exemples très concrets. La réflexion approfondie permet ainsi une attitude réflexive sur notre discipline et la candidate est félicitée pour cette prise de risque et approche affirmée.

En réponse, Flore César indique que le problème de forme est imputable à un incident informatique et non à une présentation délibérée : la présence des images au sein même du texte n’a en effet pas été supportée par le logiciel de texte, et le problème, survenu en dernière minute, n’a pu être solutionné à temps. Elle prend note des remarques concernant les références bibliographiques du volume d’annexes et rappelle que le caractère parfois inégal des notices personnes – certaines étant très abondantes, d’autres au contraire, plus réduites – correspond au travail de documentation et aux aléas de la recherche sur des périodes reculées. Flore César souligne que l’historiographie du collectionnisme pourrait être en soi un sujet de thèse, aussi a-t-elle pris le parti de ne faire figurer qu’un état de la question lié à son approche. Elle conclut ce premier échange en réaffirmant le choix d’une approche où les objets – et donc la recherche des œuvres – tout en demeurant importants, n’ont pas pris le pas sur les enjeux du sujet – qui eux, ont été privilégiés tout au long de l’étude.

Pascal Griener prend ensuite la parole. Avant d’aborder des points plus précis, il expose ses remarques générales et rend hommage à la candidate et à un travail documentaire et technique impressionnant ; les notions d’otium et de negotium traitées dans le cadre de la pratique de la collection lui paraissent très intéressantes, tout comme les parties prosopographiques. Il fait également valoir une partie conceptuelle importante et riche tout en attirant l’attention de la candidate sur l’utilisation des définitions de Krzysztof Pomian : la communauté scientifique, notamment allemande, a aujourd’hui montré la nécessité d’éviter une définition catégorielle du collectionnisme, lui substituant une vision plus fonctionnelle. L’idée, énoncée par Pomian, d’un objet retiré du monde est donc désormais à nuancer, l’objet de collection étant également un objet de partage, inséré dans une économie, même symbolique. Pour clore son propos, M. Griener rejoint la position de Mme Heck jugeant le choix de Montpellier très judicieux et pertinent ; une ville qui pourrait au-delà de la thèse faire l’objet d’une comparaison intéressante avec celle de Bâle dont on mesure l’intérêt ne serait-ce qu’à travers les références des frères Platter. À ce titre il ajoute que le rôle et l’impact des médecins, ainsi que la prise en compte de la collection en tant que facteur d’ascension sociale, sont autant d’éléments intéressants.

La candidate reprend ces différents points et exerce son droit de réponse. Elle rappelle que Montpellier demeurait une ville à part du fait de sa fondation médiévale et passait pour une ville où l’intérêt pour les antiquités était plus limité. Ce présupposé trop rapide a en effet été écarté et l’étude a montré que la curiosité pour le passé tenait également une place importante au sein du collectionnisme montpelliérain. Elle ajoute que la référence aux travaux et définitions de Krzysztof Pomian, bien qu’ancienne et à nuancer, était néanmoins incontournable. Dans cette perspective, l’exemple des médecins était effectivement opportun tant la recherche de l’invisible trouvait un écho dans l’étude de l’anatomie et de la recherche de « ce qui ne se voit pas » dans le corps humain.

Après une courte pause, c’est au tour d’Alain Chevalier de prendre la parole pour une intervention plus succincte. Le conservateur se félicite de voir son travail, effectué à la fin des années 80 sous la direction d’Antoine Schnapper, largement poursuivi et parachevé. Il s’incline face à cette thèse qui offre et exploite beaucoup de sources nouvelles et mène à une étude ambitieuse. Il regrette cependant que la dimension spirituelle et notamment le contexte de la Réforme n’aient pas été plus abordés dans l’étude ; Flore César le remercie pour ses quelques mots et répond notamment que, bien que fort intéressante, la place de la religion dans l’analyse prosopographique des collectionneurs ne peut être que difficilement menée au regard des sources lacunaires conservées aujourd’hui à ce sujet.

Thierry Verdier salue à son tour un travail remarquable qui replace parfaitement la collection en tant que « théâtre du monde » et révèle des personnalités des plus intéressantes à l’image de Bon de Saint-Hilaire. Il explique avoir apprécié la prudence de la candidate face aux notions à la fois proches et complexes de collection, collectionnisme, et rappelle l’apport d’auteurs comme Baldinucci (1624-v. 1696), Félibien (1619-1695), ou encore Richardson (1665-1745) sur les notions d’amateurs et de connaisseurs, et leur distinction. Il insiste à ce titre sur l’intérêt du catalogue qui offre les réponses et nuances nécessaires à ces questions. En guise de critique et points à approfondir, M. Verdier mentionne le rôle de Bernard de Montfaucon (1655-1741) qui pourrait être davantage exploité, avec à l’appui les travaux récents d’Élisabeth Décultot et de Véronique Krings. Il achève son intervention en vantant un travail d’une grande valeur.

À sa suite, le président du jury, Pascal Julien, expose son avis sur le travail fourni par Flore César. Il revient sur les défauts de forme qui, selon lui, desservent l’étude de fond et la qualité de la démarche ; démarche appréciée aussi bien pour ses données factuelles, que pour la réflexion qu’elle propose. Tout en revenant sur quelques points de détail et de formulation, il engage la candidate à poursuivre certains points comme la notion de plaisir, l’impact de la connaissance scientifique sur le collectionnisme et le lien qui s’opère entre la compréhension du corps et la compréhension du monde. Enfin, il rappelle que la galerie des illustres mentionnée dans le texte n’est pas une collection, au même titre que les rassemblements de l’Académie. En conclusion, il tempère ses quelques critiques en remerciant Flore César pour cette étude dense et intéressante, à l’image de sa troisième partie, qui renouvelle profondément cette thématique, par ailleurs si amplement étudiée.

Celle-ci reprend alors la parole pour un dernier droit de réponse, en précisant au sujet de la galerie des illustres qu’elle a été citée non pas en tant que collection mais comme acte de mémoire à l’initiative d’un collectionneur, François Ranchin (1560-1641). Dans cette même perspective, l’Académie a été prise en compte afin de témoigner de la présence des institutions et de la collectivité, au-delà des collectionneurs compris en tant qu’individus.

Sur ces derniers mots, l’assistance se retire alors de la salle, laissant le jury délibérer durant une quinzaine de minutes à la suite desquelles il décerne, à l’unanimité, le titre de docteur en histoire de l’art à Flore César, avec la mention très honorable et les félicitations.

[Marianne Freyssinet]

Stéphane Le Bras, Négoce et négociants en vins dans l’Hérault.

Pratiques, influences, trajectoires (1900-1970)

La soutenance se déroule sur le site Saint-Charles de l’Université Paul Valéry Montpellier III, le 28 novembre 2013. Le jury est présidé par Laurent Jalabert, professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour et comporte Geneviève Gavignaud-Fontaine, professeur à l’Université Paul Valéry, directrice de la recherche, Serge Wolikow, professeur émérite à l’Université de Bourgogne, Jean-Marc Olivier, professeur à l’Université de Toulouse-Le Mirail, rapporteurs, et Jocelyne Pérard, professeur émérite de géographie à l’Université de Bourgogne et fondatrice de la chaire UNESCO « Cultures et traditions du vin ».

Le candidat retrace son parcours de chercheur effectué à Montpellier, depuis son master d’histoire il y a quinze ans, et déjà sous la direction de Mme Gavignaud-Fontaine. Il évoque aussi son éducation au sein d’une famille de vignerons coopérateurs. Il a pu vivre la mutation spectaculaire des vins héraultais, qui ont longtemps souffert d’un déficit de prestige, pour être enfin réhabilités au cours des dernières décennies. Le négoce local est évidemment entaché par l’ancienne et mauvaise réputation, les accusations de fraudes, d’égoïsme et d’agiotage stigmatisant le commerce aux yeux des vignerons désemparés par les crises récurrentes. À ce commun discrédit répond le discours des négociants en faveur de la qualité et de l’organisation du marché. Ainsi se noue la problématique de la recherche.

Stéphane Le Bras a étudié des sources dispersées et souvent arides : sources officielles très administratives, sources privées souffrant de destructions massives. Des sources financières, judiciaires, bancaires et fiscales, une presse abondante, et quelques fonds privés rescapés, dont la comptabilité d’une maison de commerce suivie sur une longue période, lui ont permis de pallier ces carences et de découvrir le caractère national (incluant l’Algérie coloniale) d’une problématique irréductible au seul cadre local. Il replace son travail dans une histoire entrepreneuriale plus large et récemment renouvelée, dont il maîtrise parfaitement les acquis.

Il présente ensuite son plan, dont il justifie l’audace diachronique par l’hétérogénéité des sources et l’impossibilité de tracer un plan strictement chronologique.

Il souligne les trois éclairages qui constituent, pour lui, l’apport essentiel de sa recherche :

— une grande diversité des maisons de commerce, dont les réseaux et pratiques se recoupent sans jamais se mouler sur un modèle commun.

— une réhabilitation méritée de la figure du négociant, vecteur de modernité, par la publicité et l’agencement des magasins, et de qualité par la sélection des types de vins.

— une remise en question de la périodisation d’un déclin, dont l’aboutissement a longtemps masqué les péripéties, et notamment une entre-deux-guerres assez brillante pour les négociants héraultais.

Le candidat manifeste quelque regret d’avoir insuffisamment cerné la réalité de certaines stratégies commerciales des négociants.

Il termine son propos en traçant un ambitieux programme de nouvelles recherches, où les auxiliaires du négoce (courtiers), la sociabilité des chefs d’entreprise ainsi que leur rôle syndical et politique tiendront leur place.

Geneviève Gavignaud-Fontaine souligne d’emblée l’intégration de ce travail dans une recherche collective conduite depuis des années sur le devenir du vignoble du Languedoc et du Roussillon. Elle approuve et justifie les limites spatiales et chronologiques de la recherche et marque son entière satisfaction devant les résultats obtenus :

— analyse d’une filière complexe, concurrentielle mais qui se définit et agit comme une profession, soudée par le marché du vin lui-même, longtemps assez homogène.

— mise en évidence d’une lutte syndicale permanente pour éviter les empiètements de l’administration, puis limiter la concurrence des coopératives. La CGV offre une possibilité d’action corporative mais les syndicats de négociants gardent leur autonomie.

— portrait réaliste d’un type de notable inséré dans l’économie locale mais ayant affaire à un négoce extérieur à la région dont on n’a pas encore saisi tous les ressorts.

Le rôle de la justice, dont S. Le Bras a bien mobilisé les archives, est signalé mais la fraude ne se réduit pas à ses aspects pénaux. Il faudra fouiller davantage le problème du transfert à l’État de la répression des fraudes et celui du surgissement des coopératives, a priori mieux contrôlées que les chais des négociants.

S. Le Bras, dans sa réponse, met en évidence le laminage des marges par la fixation étatique des prix par le biais des stockages et distillations mis en place par le Statut viticole, les coopératives protégées par l’État venant à l’appui de ce transfert du contrôle du marché.

Serge Wolikow salue le volume de l’ouvrage (1 200 pages dont 900 de texte) mais surtout la qualité d’un « travail scientifique exceptionnel ». Il souligne le courage consistant à autopsier une catégorie presque éteinte, celle des négociants départementaux, qu’il juge difficile à isoler des autres négociants languedociens. Il note l’importance des analyses d’histoire sociale, regrettant seulement que l’analyse des conflits internes à la viticulture tarde à venir dans un découpage qu’il souhaiterait voir retouché, dans un sens chronologique, lors d’une publication ardemment souhaitée. S. Le Bras a délibérément centré son analyse sur l’Hérault, département dominant, privilégiant les comparaisons avec les autres régions viticoles au regard sur le négoce audois ou catalan qui pourront être étudiés à l’aide de sa méthodologie.

Jean-Marc Olivier, à son tour, est impressionné par le volume « hors normes » de cette thèse qui vient combler une lacune importante, les recherches sur le négoce des vins à l’époque contemporaine étant relativement rares. De son point de vue, la description d’un métier évoluant entre la collecte du vin et sa distribution, puis l’analyse de la construction, et ensuite de la défense d’une position hégémonique est exemplaire. L’innovation a été ralentie mais n’a pas été étouffée par cette domination, ni par la présence encombrante ou protectrice de l’État mais l’analyse des réseaux socioculturels et politiques n’est pas totalement aboutie. Dans sa réponse, S. Le Bras regrette la destruction des archives ferroviaires qui auraient permis de mieux mesurer les phases offensives ou défensives de cette catégorie d’entrepreneurs. Il retient la suggestion de travailler en liaison avec le Labex de l’Université de Toulouse orienté vers l’histoire des entreprises et fait part de son intention de reprendre et intensifier la pratique de l’histoire orale, déjà largement amorcée mais rendue urgente par le disparition des derniers témoins et acteurs des périodes étudiées.

Jocelyne Pérard un peu déconcertée par le plan, qui occasionne quelques redites, loue le contenu et la présentation très soignée du troisième volume (annexes, biographies et index). Elle insiste sur les apports concernant les fortunes des négociants et leur évolution, et regrette que le rôle des femmes apparaisse peu, ainsi que les conflits du travail dans la dernière décennie. S. Le Bras justifie le choix de son plan, à fins essentiellement pédagogiques ; il projette d’approfondir l’étude des femmes, agents de transmission et de transition lors des veuvages, et met l’accent sur le conflit des négociants avec les Comités d’action viticoles, qui supplante largement les conflits internes avec le personnel, dans la phase finale du déclin.

Laurent Jalabert loue la densité et la profondeur d’un travail qui touche à plusieurs domaines de l’histoire, économique, sociale, des médias, des infrastructures commerciales et des transports. Il suggère de porter l’analyse des maisons de commerce à l’échelle européenne, et de mieux définir la notion d’élites, que S. Le Bras justifie par une longue prépondérance économique.

Les membres du jury ont unanimement salué la très bonne qualité de la rédaction, l’exhaustivité des références, la clarté et la cohérence des développements, toujours bien amenés et reliés aux parties suivantes, le grand nombre des diagrammes et des tableaux statistiques reflétant une maîtrise parfaite de l’informatique et de la pédagogie. La publication rapide de cet ouvrage est impatiemment attendue.

Après une très brève délibération, le titre de docteur, assorti de la mention Très honorable avec félicitations, est décerné au candidat.

Qu’il me soit permis d’ajouter, à ces appréciations absolument méritées, mes compliments personnels et d’exprimer l’émotion, la profonde satisfaction que j’ai éprouvées à la lecture d’une thèse et à sa soutenance, et ma sincère admiration pour mon jeune collègue qui a su mener à son terme, sans préjuger des prolongements annoncés, une recherche que j’avais seulement esquissée il y a près d’un demi-siècle.

[Rémy Pech
Professeur émérite, Université de Toulouse – Jean Jaurès]

Ouvrages :

Max Daumas, Un siècle d’histoire à Marsillargues (1814-1914),

Nîmes, Lacour, 2011, 2 vol., 533 p.

Max Daumas présente dans son ouvrage en deux volumes, Un siècle d’histoire à Marsillargues, la vie de ce bourg rural, de la chute de l’Empire à la veille de la Grande Guerre. Avec son vaste territoire et ses 3 000 habitants, il s’étend à l’est du département de l’Hérault, le long du Vidourle. L’auteur déroule son étude en une dizaine de chapitres, du territoire à l’agglomération, et met à mal la représentation d’une société rurale uniforme. La société villageoise est décrite comme « très hétérogène » et « inégalitaire » et la vie politique en porte effectivement la marque sous la IIIe République, du fait du suffrage universel. Le terroir est vaste et complexe, avec ses grands mas dispersés aux nombreux ouvriers agricoles, bien souvent saisonniers, et ses petites parcelles cultivées près du village. La stratification sociale est perçue à travers les niveaux de fortune mais ce n’est pas le seul clivage rencontré puisque la population est constituée de 75 % de protestants et de 25 % de catholiques au milieu du XIXe siècle. L’auteur entrecroise habilement ses analyses en fonction des divers paramètres utilisés. Par volonté didactique, il indique être soucieux de relier l’histoire locale à celle du pays. L’ouvrage offre également la possibilité de s’intéresser à la spécificité de Marsillargues et de le situer dans le cadre géographique du Bas-Languedoc.

Le territoire de cette commune a été délimité au début du siècle avec celui de sa voisine gardoise Saint-Laurent-d’Aigouze. Des mas ont été échangés, qui se situaient de part et d’autre du Vidourle, uniformisant de ce fait les limites communales et départementales. Le Vidourle est craint par les riverains pour les vidourlades, des crues qui peuvent ouvrir des brèches dans les levées de terre qui le bordent depuis des siècles. Il faut aussi franchir ce fleuve côtier. Le bac est d’usage courant et les possibilités de passage restent encore peu nombreuses. Le finage comprend deux terroirs bien différents : au nord, les cultures, au sud-ouest, des terres amphibies. Ces zones humides, aux ressources propres de chasse, pêche et récolte de bois, sont parcourues par le bétail, principalement ovin. N’y a-t-il pas soixante bergers professionnels recensés vers 1850 dans la commune ? L’auteur développe longuement l’évolution économique au cours du siècle. L’agriculture est devenue quasiment la seule activité, Marsillargues ayant perdu depuis le fin de l’Ancien Régime ses fonctions administratives et son statut de petite ville languedocienne. A la fin du XVIIIe siècle, on cultivait des céréales et du sainfoin, le célèbre esparcet (ou esparcette) des textes, en alternance avec la jachère. La vigne, qui alimentait alors la production d’eau-de-vie par distillation, y tenait une place mineure. Le changement majeur, ici comme ailleurs en Bas-Languedoc, vient du chemin de fer qui permet de relier la région au reste de la France, au cours de la seconde moitié du siècle. Les surfaces cultivées en vigne augmentent par abandon progressif des autres cultures. L’auteur détaille les « terribles maladies » qui ont affecté le vignoble, depuis l’oïdium de 1852 au mildiou de 1884, tandis que le phylloxera est longuement étudié. Celui-ci franchit le Vidourle très tôt, en 1870, et la production de vin peut reprendre quand les vignes sont submergées et que le greffage se développe. Max Daumas s’arrête sur l’action des viticulteurs et de la municipalité lors de la crise de mévente viticole de 1907 et évoque la reprise de la prospérité quelques années plus tard, pour les vignerons. La viticulture était plus rentable que l’ancienne polyculture, conclut-il pour expliquer le développement de cette monoculture. Le compte d’exploitation d’un mas fournit la preuve de cette prospérité, une fois la crise du phylloxera surmontée (p. 192).

La population est comparée à la population rurale de l’Hérault. L’auteur n’enlève à la population totale du département que celle des douze villes et non l’ensemble des agglomérations de plus de 2 000 habitants. Dans un intéressant graphique, la croissance de Marsillargues, avec environ 3 000 habitants, apparaît comme évoluant en parallèle à celle de la population rurale languedocienne ainsi redéfinie, une croissance visible jusqu’au recensement de 1901. Dans ce contexte d’expansion, l’agrandissement et les constructions nouvelles de Marsillargues se conçoivent mieux, comme celles d’autres villages, quand la prospérité pousse à bâtir de nouvelles maisons où sera logé le matériel vinaire. Max Daumas étudie finement la société qu’il subdivise en classes riches, classe moyenne et classe pauvre. Les prolétaires forment les trois-quarts de la population, ont souvent un deuxième métier, leurs femmes travaillent, de même que leurs enfants. Il propose un tableau des salaires journaliers et mensuels des ouvriers agricoles en 1892, hommes, femmes et enfants (p. 245). Il remarque que leur logement a souvent seulement deux ouvertures, une porte et une fenêtre. Ce groupe largement majoritaire amène à la tête de la commune en 1896 une municipalité socialiste. En 1904, il soutient une grève, exceptionnelle par sa durée dans le département, pour des augmentations de salaires ; elle butte sur le refus, ici comme ailleurs, de renoncer au forfait et d’employer de préférence des ouvriers marsillarguois, ou sinon au tarif marsillarguois. En 1911, année où le vin se vend cher, une action dure, qui voit les chômeurs aller travailler dans les vignes puis demander un salaire au propriétaire, s’achève par des arrestations et des sanctions, après appel aux gendarmes qui se déploient dans le terroir. A la même époque, était inaugurée la cave coopérative qui est ainsi une des plus anciennes de la région.

L’auteur met en valeur des éléments pour une histoire culturelle en Bas-Languedoc. On glanera quelques données sur les écoles et les enseignants d’avant les lois de Jules Ferry, sujet mal documenté dans nombre de communes (fig. 1). La vie religieuse est marquée par la scission entre protestants méthodistes et réformés. On évite les conflits religieux par l’absence de processions catholiques par les rues, comme en Vaunage voisine. Le cimetière devient unique et laïque à la fin du siècle. En 1903, parmi les associations qui se déclarent, apparaît une société de la libre pensée, favorable au mariage civil. Les Marsillarguois ont un engouement pour la poésie et pour le théâtre lyrique, avec un concert mensuel et un kiosque inauguré en 1900. Marsillargues n’a-t-il pas quatre professeurs de musique en 1900 et une professeure de piano, dont le nom n’est pas indiqué, qui a exercé pendant plusieurs décennies ? Les femmes sont peu présentes dans l’ouvrage. Une photographie de la Maison « Bourely-Encontre » montre un « atelier de boutures américaines » ; des femmes posent en train de mettre en fagots des plants de vigne (fig. 2). Une autre photo de groupe montre des jeunes femmes en train de fabriquer des chapeaux de feutre dans l’unique fabrique industrielle du lieu, vers 1885. Une association d’anciennes élèves, comme on en rencontrait à la même époque, l’Association amicale des Jeunes Filles, organisait « conférences, concerts, soirées dansantes et séances de lecture commentée qui n’ont pas laissé de trace » (p. 425). L’auteur dresse le portrait de plusieurs Marsillarguois, dont le maire socialiste Louis Amphoux. Citons Germain Encontre, félibre et militant républicain, un des créateur du Club de la Montagne local, Emile Marignan, médecin, préhistorien et autre félibre, Fernand Janin architecte, sans oublier Louis Uni, dit Apollon, athlète professionnel.

Marsillargues, École de garçons vers 1900
Fig. 1 - Marsillargues, École de garçons vers 1900
(carte postale ancienne, éd. Granier et Piton, Nîmes)
Marsillargues, Maison Bourely-Encontre, atelier de boutures américaines, fin XIXe siècle
Fig. 2 - Marsillargues, Maison Bourely-Encontre, atelier de boutures américaines,
fin XIXe siècle (photographie F. Itier, Nîmes)

L’art de vivre ensemble se cultive aussi dans les distractions. Les cercles, si fréquents à l’époque, réunissent les hommes par affinités. Max Daumas a pu utiliser les archives privées du Cercle Moderne, qui regroupait à sa fondation des protestants de la bourgeoisie et de la classe moyenne. En ayant payé sa cotisation, « on pouvait y lire des périodiques, le Torero, l’Illustration, Science et Vie, Le progrès agricole, etc. » (p. 425-426). La course libre ou course camarguaise est un des éléments de la culture de la commune, à l’instar de la Petite Camargue gardoise. Il s’agit, précise l’auteur pour des lecteurs lointains, de « décrocher une cocarde placée entre les cornes des taureaux. C’est là un jeu dangereux » (p. 456). Il repère dans la première moitié du siècle l’existence des chevaux-Camargue, encore utilisés pour le dépiquage des céréales, et des taureaux noirs, des « animaux dits sauvages, de race noire d’origine obscure, assez petits, destinés surtout à la boucherie, accessoirement aux courses de taureaux » (p. 81-82). Il analyse l’augmentation des primes et du nombre des spectacles taurins, la constitution des sociétés taurines à la fin du siècle et les aménagements qui étaient devenus nécessaires dans l’espace de la bourgade.

Max Daumas connaît bien le bourg et cet ouvrage est un moment essentiel dans les études qu’il conduit. Agrégé de géographie, ancien professeur d’Université, ayant publié sur la vie rurale dans le Haut-Aragon oriental, qui est son sujet de thèse, il voue une partie de ses loisirs de retraité à faire connaître sa petite région natale, dans son histoire et sa complexité. Il a utilisé de multiples ressources, notamment les délibérations municipales, les recensements, journaux locaux, registres notariés, dossiers de l’administration préfectorale, tous documents patiemment dépouillés. Il a pu y adjoindre archives privées et souvenirs de famille. On peut regretter que, dans cette édition, il n’ait pas été possible de mettre à la disposition des lecteurs une part plus substantielle de l’abondante documentation réunie. À cette réserve près, l’ouvrage est de grande importance, d’une lecture aisée et d’un style agréable, avec des cartes et graphiques d’accès facile. Max Daumas compare Marsillargues à des bourgades du département de l’Hérault et également aux régions gardoises voisines de Vaunage et de Petite Camargue, entre Vidourle, garrigues, littoral et Nîmes. L’ouvrage complète les informations fournies par des monographies qui construisent peu à peu une meilleure connaissance du Languedoc oriental, tant par les traits que ses communes partagent que par ceux qui les différencient.

[Danielle Bertrand-Fabre]

Bèges, Alex, Pech, Jacqueline,
Un siècle de spectacles, de divertissements et de plaisirs à Béziers 1860-1960

Un siècle de spectacles présente la vie artistique de Béziers, sous-préfecture de province qui accueillit une quarantaine de lieux dédiés aux spectacles.

Autour de 1900, les concerts d’art lyrique de la « Bayreuth française » connaissent un grand succès. Cette capitale lyrique compte aussi des personnalités de premier plan comme Fernand Castelbon de Beauxhostes (1859-1934) qui a œuvré pour le rayonnement du Théâtre des Arènes, Gustave Fayet (1865-1925), mécène et grand collectionneur d’œuvres d’art, le sculpteur Antonin Injalbert (1845-1933)…

Un siècle de spectacles retrace principalement l’historique du Théâtre des Variétés, même si d’autres salles de spectacles sont également présentées. Le décor du Théâtre des Variétés est Art nouveau et « Louis XVI rajeuni ». Depuis 2003, l’édifice est classé au titre des Monuments historiques. Ce même lieu a été café-concert, théâtre, music-hall, cinéma-théâtre, cinéma…

L’ouvrage rappelle l’importance des cafés, lieux clés de la vie sociale. En 1900, ils sont une trentaine tout autour des Allées Paul Riquet et traduisent un art de vivre hors de chez soi : repas, services de journaux et de courrier, téléphone, concerts. La période des cinémas est aussi valorisée. Une séance de cinéma se composait d’un film, avec en première partie la projection d’un documentaire et une présentation des Actualités. Jusqu’en 1927, les films étaient muets, les « salles de spectacles cinématographiques » s’entouraient d’un rituel : un bruiteur se plaçait à l’arrière de l’écran, des cartons explicatifs défilaient entre les scènes, et un orchestre accompagnait le déroulement de la séance.

La Musique, détail du plafond de l’ancien Grand Café Glacier
La Musique, détail du plafond de l’ancien Grand Café Glacier.
Crédit photo : Fatma Alilate

De la Libération aux années 60, c’est le Jazz qui prédomine sur la scène musicale avec de nombreux concerts donnés dans la ville. Il s’agit de créations d’artistes biterrois qui vont bientôt laisser place à la Variété. Un siècle s’achève avec comme fil conducteur la musique, il aura connu son apogée à la Belle Époque. Mais l’épopée lyrique reste forte dans la mémoire de la ville, et la jeunesse se montre de nouveau inspirée. Depuis quatre ans, le Festival Fabrique de Béziers fait découvrir des manifestations artistiques : arts du cirque, théâtre, concerts, expositions… Sans aucune subvention, de jeunes Biterrois animent de nouveau les rues de la vieille ville, et s’inscrivent ainsi dans la continuité d’un siècle de spectacles.

[Fatma Alilate]

Natacha Abriat, Alix Audurier-Cros, Dominique Ganibenc, Lionel Rodriguez, Gustave Fayet.
Châteaux, vignobles et mécénat en Languedoc,

Éditions Lieux Dits, Collection Focus Patrimoine Languedoc-Roussillon, 140 p., 175 images.

Cette publication des Éditions Lieux Dits rappelle le mode de vie d’une élite argentée, la haute-bourgeoisie de province, de la fin du Second Empire aux Années Folles. Des œuvres réalisées par Gustave Fayet (1865-1925) sont représentées au fil des pages : peintures à l’huile de jeunesse, aquarelles, céramiques, décors, tapis… Les illustrations parmi une importante iconographie valorisent l’artiste et rendent très intéressante cette personnalité atypique.

Gustave Fayet aurait pu se contenter de vivre de ses rentes, de quelques placements, d’une vie oisive ; il n’en est rien. Ce riche propriétaire terrien fut mécène, collectionneur d’œuvres d’art avant-gardistes mais aussi artiste. Il partagea principalement sa vie entre ses différentes propriétés du Languedoc, de la Côte d’Azur et de l’Île-de-France, au milieu des toiles que sa famille collectionnait et peignait depuis une génération. Il doit en effet ses goûts d’esthète à son père Gabriel Fayet (1832-1899), et à son oncle Léon Fayet (1826-1880), qui l’initièrent à l’art.

Gustave Fayet sut mener de front ses nombreuses occupations professionnelles et ses passions pour les arts et les artistes. Par ses choix audacieux et son dynamisme, il fut en avance sur son temps et transgressif pour son milieu social. Malgré une existence ouverte sur le monde et de nombreuses rencontres, il resta fidèle à Béziers, sa ville natale, dont il contribua au rayonnement.

Salle du Musée Fayet, portrait du sculpteur Antonin Injalbert
Salle du Musée Fayet, portrait du sculpteur Antonin Injalbert. Crédit photo : Fatma Alilate
Vue de Béziers par Gabriel Fayet, Musée Fayet
Vue de Béziers par Gabriel Fayet, Musée Fayet.
Crédit photo : Fatma Alilate
Vue de Saint-Mandrier près de Toulon par Gustave Fayet, Musée Fayet
Vue de Saint-Mandrier près de Toulon par Gustave Fayet, Musée Fayet. Crédit photo : Fatma Alilate

En 1899, déjà marié à Madeleine d’Andoque qui était également issue d’une illustre famille biterroise, il hérite des propriétés viticoles de son père. Disposant de nouveaux moyens financiers, il s’offre, pour 20 000 francs, des tableaux modernes signés Renoir, Degas, Pissarro… Ce sont ses débuts de collectionneur éclairé.

En 1900, il est nommé Conservateur du Musée des Beaux-Arts de Béziers et il organise l’Exposition de 1901. Les œuvres d’artistes qui vont marquer l’histoire de l’art sont proposées : Rodin, Lautrec, Maurice Denis… Il y a aussi un tableau de Pablo Picasso qui connaît là sa première exposition avant la rétrospective d’Ambroise Vollard la même année.

Gustave Fayet fréquente assidûment les galeries et agrandit sa collection : Redon, Cézanne, Bonnard, Van Gogh…. Il posséda jusqu’à soixante-dix Gauguin (tableaux mais aussi sculptures et céramiques). Il s’intéresse à cet artiste de son vivant et un lien privilégié s’établit par des échanges de correspondances.

La collection Fayet est désormais répartie dans les plus grands musées : Orsay, l’Ermitage, National Gallery de Washington, Metropolitan Museum of Art de New-York…

L’ouvrage sur Gustave Fayet ne se limite pas à la présentation du grand collectionneur. Les différents chapitres sont complémentaires et donnent un éclairage nouveau sur la complexité de l’homme et ses activités. Gustave Fayet au tournant des deux siècles s’inscrit dans la modernité et vit intensément. Nous découvrons aussi l’artiste et ses œuvres. C’est par son atelier de créations de tapis d’inspiration symboliste qu’il connaît la consécration ; ses tapis font l’objet d’expositions et d’articles de journaux.

L’Abbaye de Fontfroide à Narbonne devient son chef-d’œuvre symboliste et probablement aussi le portrait-miroir de sa personnalité et de ses aspirations. Dès son achat en 1908, il s’y consacre pleinement et vend certains de ses tableaux pour restaurer l’édifice. Pour le décor, il fait appel à Odilon Redon et à Richard Burgsthal.

Cet ouvrage consacré à Gustave Fayet permet de mieux connaître la place qu’il occupa dans l’histoire de l’art, une place injustement oubliée. Une exposition rendant hommage à ce grand amateur d’art qui finit par s’affirmer en tant qu’artiste serait la bienvenue et s’inscrirait en complément à cette publication.

En 1966, la famille de Gustave Fayet à légué l’hôtel de la rue du Capus à la Municipalité de Béziers. Le Musée Fayet est ouvert à la visite et offre un bel écrin aux collections de la Ville. L’Abbaye de Fontfroide à Narbonne, toujours propriété de ses descendants, est également ouverte au public et propose des manifestations culturelles.

[Fatma Alilate]

« Le Musée Fabre, visite privée »

Cette collection donne la parole à des personnalités sur le Musée Fabre et ses œuvres. La générosité des auteurs est égale à la charge affective qui les lie à ce Monument de la ville de Montpellier. Paul Valéry lors de sa dernière visite confiait : « Je le revois tout autre et il me voit autre… » Par cette initiative des Éditions méridianes, nous entrons en toute intimité au Musée Fabre de la fin du XIXe siècle à la décennie 80. Nous devinons le lieu, l’imaginons et le visitons autrement. Cette collection peut être comparée à une rétrospective car les témoignages proposés favorisent un travail sur la mémoire du musée, un des plus prestigieux de province qui a toujours bénéficié de donations importantes depuis son ouverture en 1828. Récemment, l’édifice a été modernisé, des travaux de rénovation et d’extension ont été conduits de 2003 à fin 2006. De même, de nouveaux tableaux ont été acquis pour la période ancienne (Poussin, Fabre, Bazille…) et contemporaine (Soulages, Bioulès, Hantaï…).

Regards sur le Musée Fabre est un recueil de textes de Camille Descossy (1904-1980), peintre et ancien directeur de l’École des Beaux-Arts de Montpellier et de Paul Valéry (1871-1945), célèbre poète.

Cette publication révèle la forte personnalité de Camille Descossy. Liberté de ton et humour caractérisent ses propos, il décrit l’œuvre comme il la ressent, de façon directe avec ses mots d’homme du Sud.

Camille Descossy a écrit un ouvrage sur le Musée Fabre, comme d’autres témoins de la collection très attachés au musée, il n’hésite pas à être critique : « …dans le fatras, mal éclairé, qui s’accrocha au petit bonheur sur les murs des galeries du musée, l’étranger à la ville découvre péniblement des chefs-d’œuvre rassemblés par le baron, signés des plus grands noms (…). Loin d’être distinguées dans l’amas des médiocrités qui s’efforcent vainement de servir de repoussoir, ces raretés sont submergées par le voisinage copieux. »

Galerie Bruyas, vers 1910
Galerie Bruyas, vers 1910. Crédit photo : Fatma Alilate
Salle des Colonnes
Salle des Colonnes. Crédit photo : Fatma Alilate
Salle des Griffons
Salle des Griffons. Crédit photo : Fatma Alilate

Les textes de Paul Valéry ont été publiés pendant les années 60, mais certains étaient restés inédits. Ils sont accompagnés de la retranscription de sa dernière visite du musée en 1942 ; ce passage de l’ouvrage est émouvant : on « voit » Paul Valéry revenir dans ce lieu dans lequel il a passé tant de temps. Le musée est vieillot, les salles désertes mais son charme est là. Paul Valéry étonne par ses remarques ; s’il reconnaît des tableaux, il ne peut s’empêcher de se référer à Manet, peintre qu’il vénère.

Paul Valéry a d’abord eu des relations difficiles avec le Musée Fabre. Il le découvre dès sa venue à Montpellier. Il vient de quitter Sète qu’il adorait et il vit très mal ce déménagement associé à la fin de son enfance. Le Musée Fabre représente d’une certaine façon cette rupture douloureuse. Scolarisé dans le bâtiment voisin, il s’y réfugie par la suite de longues heures.

Regards sur le Musée Fabre est probablement la pépite de cette collection avec l’ouvrage Allons au Musée Fabre… signé Vincent Bioulès.

Vincent Bioulès (né en 1938) est allé au musée vers l’âge de douze ans, comme pour Paul Valéry, les œuvres du Musée Fabre ont éduqué sa sensibilité artistique. Dès sa première venue, il est dans son univers : « Le musée est merveilleusement désert ; les gardiens, vêtus comme des amiraux, dorment à poings fermés et, dans le jour tombant des plafonds, les tableaux se montrent peu à peu, un à un, comme arrachés à la nuit, brûlant chacun d’un feu singulier et qui me semble encore aujourd’hui, à plus de soixante ans de distance, l’envers mystérieux de l’éternelle après-midi que nous avions laissée à la porte du musée… »

Les leçons de peinture de Vincent Bioulès se basent sur de profondes réflexions ; dans ce livre, l’artiste s’est impliqué. Remarquons aussi le choix des œuvres qui montre son courage et un esprit indépendant.

Le peintre montpelliérain a légué en 2011 au musée de sa ville natale un ensemble de 741 dessins (principalement des aquarelles), 46 portraits au fusain de grand format et 515 carnets. Cette donation a fait l’objet d’une exposition et complète ses grandes toiles déjà présentes au Musée Fabre.

Une Cythère infinie de René Pons (né en 1932, écrivain et ancien professeur aux Beaux-Arts de Montpellier) traite du corps nu et de sa charge érotique. L’Éros est analysé à travers différentes œuvres. René Pons souligne ainsi l’ambiguïté de certains tableaux à caractère religieux dont le corps est exalté ou en extase. Il revient sur ses troubles de jeune homme lorsqu’il découvrait des détails sensuels. Durant les décennies 40 et 50, la nudité est visible au musée mais son image reste porteuse d’interdits.

Cet ouvrage est d’actualité au regard des remous suscités par l’exposition du Musée d’Orsay sur le nu masculin. Le tableau final de l’ouvrage, Vue de Village de Frédéric Bazille, un des tableaux emblématiques du Musée Fabre, n’est pas présenté pour son érotisme supposé. Une forte émotion est d’emblée palpable, ce tableau occupe une place particulière dans l’histoire personnelle de René Pons car il y reconnaît la maison de son enfance. De la terrasse de Méric, la fenêtre de cette maison apparaît dans le village de Castelnau et reviennent à lui ses souvenirs, les saveurs de son passé.

L’ouvrage de Régine Detambel (née en 1963), Le Musée Fabre par 4 chemins, suit son propre cheminement avec les thèmes auxquels la femme écrivain est sensibilisée : la vieillesse, le corps, le toucher, la création… L’approche du musée est plus distanciée mais le sujet est intéressant : une évocation indirecte des œuvres suscite des souvenirs qu’elle rappelle par des « chemins » qui s’ouvrent vers d’autres idées. La déambulation de Régine Detambel se fait non pas devant les œuvres du musée mais selon des images, sensations et souvenirs. Elle a laissé le choix des illustrations à l’éditeur qui a reproduit uniquement des dessins pour préserver l’intimité du texte. Les dessins sont d’une matière plus fragile presque volatile puisque nous les voyons rarement voire jamais, ils existent dans notre mémoire comme de brèves lueurs.

Les œuvres choisies reflètent les goûts et les sensibilités des auteurs ; certaines réapparaissent, ce sont souvent les œuvres majeures du musée mais d’autres sont plus confidentielles et sont alors mises en lumière.

Les analyses font écho, si l’on connaît ce musée, à nos propres souvenirs et ressentis : la lecture peut devenir une lecture miroir. De nouvelles publications sont en préparation et permettront d’autres visites. En raison des sujets développés, les amoureux des musées apprécieront ces publications dont l’intérêt va au-delà du seul Musée Fabre. Cette initiative pourrait être aussi reprise pour d’autres musées.

[Fatma Alilate]

Les titres de la collection Le Musée Fabre, visite privée sont disponibles dans les librairies Sauramps de Montpellier. Possibilité de passer commande auprès des Éditions méridianes avec ajout de trois euros pour les frais de port. Éditions méridianes – 14 rue Aristide Ollivier – 34000 Montpellier. Email : associationmeridiane@voila.fr

Regards sur le Musée Fabre – Camille Descossy / Paul Valéry : ISBN : 978-2-917452-11-0 126 pages – Prix : 14 euros.

Allons au Musée Fabre… – Vincent Bioulès ISBN : 978-2-917452-07-3 ; 61 pages – Prix : 14 euros.

Une Cythère infinie – René Pons : ISBN : 978-2-917452-03-5 ; 70 pages – Prix : 18 euros.

Le Musée Fabre par 4 chemins – Régine Detambel ISBN : 978-2-917452-08-0 ; 63 pages – Prix : 14 euros.

Line Fromental, Brins d’enfance

Villeveyrac, Le Papillon Rouge Éditeur, 2009, 224 p.

La couverture choisie par l’éditeur, un dessin d’enfant représentant une petite fille qui joue, pourrait induire en erreur. Ce livre de souvenirs, agrémenté de dessins de l’auteur, n’est pas destiné aux plus jeunes. Il se place du point de vue d’une enfant de cinq ans, vers 1955, au cœur de l’Hérault. De l’éveil matinal au chemin qu’on doit suivre sans jamais l’oublier, l’auteur raconte en trente courtes nouvelles quelques temps forts à la campagne, il y a cinquante ans. Elle est accueillie en vacances chez sa grand-mère et son oncle, au Mas de Londres. Elle découvre les animaux de la ferme, les bêtes sauvages, la vie et la mort, le milieu méditerranéen à l’eau rare et aux nuits d’été étoilées. Avec son arrosoir, elle aide à l’arrosage, l’été :

« – Tonton, je commence par quoi ?

Les rampantes, courgettes et surtout courges, je n’ai pas le droit d’y toucher. Je le sais. C’est trop difficile de faire tomber l’eau juste au pied.

— Par les haricots verts, et s’il vous plaît, sans en mouiller les feuilles ! […]

Et j’arrive au carré des carottes. Avant de déverser mon eau, je chuchote :

— Tonton, je voudrais bien goûter une carotte, s’il vous plaît, merci…

C’est un code entre nous, dans le dos de ma grand-mère. Je crois dur comme fer qu’elle ne nous voit pas. »

Pour survivre, il faut savoir faire du feu, tuer le coq, ramasser des champignons et récolter les fruits à maturité. Après avoir tué et plumé le coq, il faut encore le flamber :

« Nous investissons la cuisine. Tonton tient le coq dénudé par les pattes et les ailes, suspendu au-dessus de la flamme. Il le flambe. Ça grésille. Une odeur de corne brûlée envahit l’espace. Le coq est ensuite allongé sur la table de la cuisine comme un bébé qu’on va langer.

Poulida bestia (belle bête) ! Maintenant, il nous faut enlever les canons. Tu vas m’aider : tes doigts sont plus fins et plus agiles que les miens ! »

Exister, c’est connaître le nom occitan de toute chose et jouer consiste à faire comme les adultes. L’oncle viticulteur a des loisirs d’homme qui intéressent la petite : la chasse, la pêche et le Tour de France avec Bobet (fig. 1). Elle passe la majeure partie de son temps avec la grand-mère qui va à la messe le dimanche et brode chez elle des bas de soie à façon. L’enfant la regarde broder. Les deux adultes transmettent des savoirs mais aussi le partage sexué des activités dans les sociétés rurales d’autrefois, et ses interdits. La fillette se rebelle quelque peu et apprendra seule à siffler ! Line Fromental, l’auteur de cette autobiographie, est devenue pharmacienne, s’étant donc affranchie d’une stricte reproduction des rôles. La nostalgie est absente de l’ouvrage où l’émotion affleure. Ce témoignage est précieux. Dans un Bas-Languedoc en mutation qui commence à découvrir de nouvelles formes de tourisme et de loisirs, la période des Trente Glorieuses, décrite plus tard par Jean Fourastié, y apparaît dans ses débuts entre pénurie de l’après-guerre et prémices d’un confort moderne.

[Danielle Bertrand-Fabre]

Louison Bobet ou le Tour de France dans l’Hérault (dessin de Line Fromental)
Fig. 1 Louison Bobet ou le Tour de France dans l’Hérault (dessin de Line Fromental)

Sagnes, Jean, Secondy, Louis, Ils ont parlé à la jeunesse.

Discours de distribution des prix (XIXe-XXe siècles).
Jean Jaurès, Paul Valéry, Léon Blum, Jean moulin, Jean de Lattre de Tassigny,
Sète Nouvelles Presses du Languedoc, 2013, 229 p.

C’est à un rituel tombé en désuétude dans les années 1960 que Jean Sagnes et Louis Secondy, spécialistes du Midi Rouge et de l’histoire de l’enseignement, consacrent leur dernier ouvrage. Présentée à la veille de la Seconde Guerre mondiale par le professeur de sciences du lycée Henri IV de Béziers, M. Eck, comme « la dernière classe qui se défend d’en être une », la cérémonie de distribution des prix, qui remonterait à la naissance des universités, trouve sa forme classique sous l’Ancien régime dans les collèges jésuites. Après une éclipse au lendemain de la Révolution Française, la pratique renaît dans les Écoles centrales sous le Consulat, se développe au XIXe siècle et est institutionnalisée, sous la IIIe République, par le règlement scolaire du 18 janvier 1887. Chaque année, au début du mois de juillet, le rituel, solennel, rassemble les parents endimanchés, les professeurs en toge et un certain nombre de notables locaux dans les collèges ou lycées afin de distinguer les élèves méritants. L’occasion est alors donnée à des personnalités agréées par le recteur de laisser libre cours à leurs réflexions sur les sujets les plus variés mais aussi de prodiguer quelques conseils aux futurs vacanciers. Ces discours, recensés par les auteurs dans les établissements de la région (Gard, Aude, Hérault, Tarn, Aveyron et Gers) entre le Second Empire et la Seconde Guerre mondiale, forment la matière première de l’ouvrage qui est divisé en deux parties.

Dans la première partie, Louis Secondy et Jean Sagnes montrent la diversité des thèmes abordés par les intervenants : défense des disciplines, rôle de la famille et de l’école dans la formation des hommes et des citoyens, exaltation de l’identité occitane mais aussi, à la veille de la guerre, discours de mobilisation en direction de la jeunesse. A travers la reproduction d’extraits de ces discours, les deux auteurs nous replongent dans l’ambiance d’une époque où la rhétorique, sous sa forme la plus classique, occupait une place centrale dans le dispositif d’enseignement. Ils nous dressent le portrait de certaines personnalités marquantes du monde régional de l’enseignement. Ainsi rappellent-ils le parcours d’Antoine Moulin, le père de Jean, qui, né à Saint-Andiol dans les Bouches-du-Rhône en 1857, enseigne d’abord le latin et le français au collège de Bédarieux avant d’être nommé au collège Henri IV de Béziers où il fait toute sa carrière en tant que professeur d’histoire-géographie. Conseiller municipal et adjoint à la mairie de Béziers, il siège au Conseil général de l’Hérault de 1913 à 1932. Les auteurs s’attardent aussi sur la biographie de deux « occitanistes » célèbres : Bernard Sarrieu, né à Montauban en 1875, professeur agrégé de philosophie qui enseigne à l’Institut catholique de Toulouse ; Charles Camproux, né en 1908 et professeur à Mende puis à Narbonne. La présentation critique des discours pousse aussi Jean Sagnes et Louis Secondy à faire d’utiles mises au point en matière d’histoire de l’éducation. Ils retracent ainsi les étapes de la lente introduction des langues vivantes dans les établissements à partir de la Monarchie de Juillet ; évoquent la tentative de « modernisation » du système scolaire initiée par Victor Duruy en 1865 avec la création d’un enseignement secondaire spécial ; ils font état des craintes que suscitent parmi les défenseurs des humanités la réforme de 1902…

Dans la deuxième partie, les auteurs donnent la parole à cinq orateurs parmi les plus prestigieux. Avec Jean Jaurès et Léon Blum, c’est le socialisme et la politique qui font irruption dans les cérémonies de distribution des prix. Au demeurant, si Jean Jaurès, dans son discours du 30 juillet 1903 au lycée d’Albi, célèbre l’union de la république, du socialisme, de la paix et du courage, Léon Blum, au collège Victor Hugo de Narbonne le 12 juillet 1931, n’hésite pas à revendiquer son statut de « révolutionnaire » pour introduire un discours centré, de manière plus surprenante, sur la querelle des « Anciens » et des « Modernes ». C’est au collège de Sète, qu’il a fréquenté pendant six années de 1878 à 1884, que Paul Valéry, entré à l’Académie française en 1925, utilise pour la première fois la formule « L’île singulière » pour définir sa ville natale, Sète, le 13 juillet 1935. Le romancier et poète se livre dans son discours à une réflexion, qui lui est chère, sur l’incertitude des temps à venir. Préfet d’une région fortement marquée à droite, l’Aveyron, le futur héros de la résistance, Jean Moulin, profite du discours qu’il prononce au lycée Ferdinand Foch de Rodez le 13 juillet 1938 pour rappeler l’importance qu’il accorde aux humanités et à la culture antique dans la formation de la jeunesse. Quant au discours de Jean de Lattre de Tassigny, prononcé au lycée de garçons de Montpellier en pleine guerre (14 juillet 1942), Jean Sagnes et Louis Secondy se plaisent à souligner son ambiguïté. L’évocation du culte du chef, l’exaltation du rôle de l’armée et de la jeunesse renvoient nettement à la culture « vichyste ». Mais la mise en avant, comme modèles, de deux généraux détestés par le maréchal Pétain – le maréchal Lyautey, le maréchal Franchet d’Esperey – annonce le ralliement à la France Libre du général de corps d’armée, commandant de la 16ème division militaire de Montpellier.

Comme on peut le voir dans ce dernier exemple, les discours, reproduits en intégralité, occupent une place centrale dans cette deuxième partie ; ils sont néanmoins accompagnés d’un appareil critique souvent éclairant pour le lecteur et de commentaires dans lesquels les historiens, au-delà de l’analyse des interventions, relèvent les approximations et les arrière-pensées des orateurs. Ainsi soulignent-ils le paternalisme d’un Léon Blum qui, député de 1929 à 1940 d’une circonscription narbonnaise dans laquelle il ne fait que de rares apparitions, reprend dans son discours les poncifs habituels utilisés sur les rives de la Seine pour louer « la chaleur méridionale » et « l’accent » chantant des hommes du Midi tout en regrettant « leur agitation factice tenant à la loquacité, au geste, à l’accent ».

Si l’on peut regretter que la réflexion des auteurs n’ait pas été plus poussée quant à la fonction, la portée et l’évolution de la structure de ces discours, l’ouvrage demeure un excellent moyen pour le lecteur de se familiariser avec la rhétorique, la culture, l’imaginaire et les finalités d’une école « pré-soixante-huitarde » encore largement façonnée par son héritage classique et humaniste.

[Philippe Lacombrade]

L’Hérault dans les Annales du Midi (année 2013)

Comme chaque année, les Annales du Midi ont publié en 2013 quatre fascicules trimestriels (numérotés 281 à 284) correspondant au tome 125, pour un total de 600 pages. Les articles en question englobent un espace géographique couvrant un large Midi, jusqu’à l’Espagne et l’Italie même quelquefois. Cette recension ne prétend en aucun cas en présenter l’exhaustivité mais vise seulement à mettre en exergue les textes abordant, dans leur globalité ou seulement pour partie, le département de l’Hérault. Le lecteur trouvera ailleurs dans une prochaine livraison d’Études héraultaises la table des matières complète de cette revue, et il voudra bien pardonner les partis-pris de l’auteur de cette recension, probablement trop orientés par ses propres centres d’intérêt.

Le n° 281 est sans conteste celui des quatre volumes le plus largement consacré à notre département. Ce dossier sur l’histoire des cours des vins, qui a le mérite de remettre sur le devant de la scène un objet d’étude qui a pu être parfois négligé, est dirigé par Geneviève Gavignaud-Fontaine. Le premier article, celui de Gilbert Larguier sur « Les prix du vin, XVIe-XVIIIe siècle. Le Midi et les grandes aires de production françaises » concerne en partie l’Hérault : il insiste notamment sur les différences de prix du vin entre les terroirs du Montpelliérais, où la production de Saint-Georges-d’Orques est la plus prisée sous l’Ancien Régime. Il montre en outre tout l’intérêt qu’il y a à étudier les mercuriales, en les soumettant à de nouveaux questionnements. Dans « Édouard Barthe, les parlementaires de l’Hérault et la question du prix du vin durant l’entre-deux-guerres », Jean-Marc Bagnol aborde les prix en temps de crise viticole à travers l’action et la participation de parlementaires héraultais au débat et à la prise de décision politique. L’article de Stéphane Le Bras, « Les négociants et les commissions de cotation de l’Hérault dans les années 1920-1930 », insiste surtout sur la partie occidentale du département, la plus viticole, soulignant les stratégies des négociants pour s’imposer dans les organes institutionnels qui régulent le marché des vins. Philippe Lacombrade et Claude Raynaud jouent sur les échelles dans « Le prix du vin au XXe siècle dans l’Hérault, du domaine au marché (1886-1970) » : ils confrontent les cours sur le marché de Montpellier, consignés sur la longue durée dans le périodique Le Progrès Agricole et Viticole, avec ce qui en ressort au niveau local dans les archives privées du château de Lunel-Viel, propriété de la famille Manse. Enfin, Jacques Lauze signe un article sur l’évolution récente des prix des AOP du Languedoc et Geneviève Gavignaud-Fontaine aborde « Le prix, vecteur d’injustice ou de justice sociale ».

Le n° 282 des Annales du Midi consiste en un hommage au professeur Daniel Le Blévec, dont la relation avec notre département et, en particulier, la carrière à l’université Paul-Valéry Montpellier III est soulignée dans l’« Avant-propos » rédigé par Thomas Granier et Julien Théry. Ensuite, l’Hérault n’est pas au centre du propos, sauf dans un remarquable article sur le Biterrois : « Temps, lieux et supplices : les mémoires paysannes à l’épreuve de l’enquête (Vendres, fin du XIIIe siècle) », par Monique Bourin et Vincent Challet. Les deux auteurs s’appuient sur l’une des plus anciennes enquêtes testimoniales conservées en original pour le Languedoc pour aborder une question de conflit de limites territoriales entre des villages. Ils commencent par résumer l’évolution du réseau d’habitat et les rebondissements de l’histoire des seigneuries sur la moyenne durée, dans le finage devenu à présent celui de Vendres et aux alentours, l’événement « politique » majeur du XIIIe siècle étant le passage sous influence royale à la suite de la croisade. Dans ce secteur où le littoral comme les embouchures de l’Orb et de l’Aude ont énormément varié, les quinze témoins dont on a conservé trace de la parole sont interrogés sur une suite d’articles, à l’initiative d’une juridiction qui pourrait être la cour du viguier de Béziers. Il s’agit d’attester la jouissance de terrains incultes interstitiels, ce qui permet aux historiens de dessiner les contours d’une mémoire villageoise quant aux espaces fréquentés. Au passage, une certaine historiographie hyper critique contre l’utilisation des enquêtes judiciaires est remise en cause : les villageois de Vendres s’avèrent capables d’instrumentaliser les enquêteurs à leur propre profit. En effet, la défense du saltus en ce temps de défrichements intéresse tout autant le souverain (pour alimenter le four royal du village) que les habitants (pour la dépaissance et le bois). Le but de l’enquête est de tracer les limites entre Vendres, Sauvian et Sérignan. Compoix et cadastre « napoléonien » sont mobilisés pour mieux appréhender un espace « neutre » dans les garrigues, qui accueille les troupeaux mais qui a aussi une fonction matrimoniale, c’est-à-dire un rôle de médiation sociale dans les relations parfois conflictuelles entre Vendres et Sérignan. En parallèle, les bandiers, agents seigneuriaux obéissant au bayle de Vendres, veillent à ce que les limites du finage ne soient pas transgressées. Les témoins se souviennent ainsi de saisies de productions ou d’outils pour contravention aux usages agraires s’étant produits plusieurs décennies avant l’enquête. La mémoire des supplices en ce même lieu apparaît aussi, mais elle est loin d’éclipser celle des usages des terres, autrement plus vivace. On apprend au passage le déplacement des fourches patibulaires royales, peut-être à cause du défrichement de l’ancien site qui les accueillait.

Le n° 283 des Annales du Midi est le seul dossier de varia de l’année 2013. Dans « Échanges et relations commerciales entre Rouergue et Bas-Languedoc au XIIe siècle », Alain Douzou centre le propos sur le sud de l’actuel département de l’Aveyron et le nord de l’Hérault. Il insiste sur l’essor économique de cette époque, lié à l’ouverture commerciale sur le monde méditerranéen. Il n’y a pas de séparation entre Rouergue et Bas-Languedoc : les monastères comme Gellone et Valmagne possèdent droits et terres – en particulier des pâturages – à la « montagne ». Inversement, des Rouergats détiennent d’importantes fonctions religieuses dans le « bas pays ». L’aristocratie rouergate étend également son aire d’influence vers le sud. Sur le plan commercial, l’axe majeur va de Saint-Thibéry à Millau, en passant par Lodève. Ces deux dernières villes forment chacune – et surtout Lodève d’ailleurs – un important croisement de routes, avec un autre axe joignant le Toulousain et, au-delà, l’Atlantique à la région de Nîmes. Il existe aussi la voie entre le Biterrois et le sud-Rouergue par la vallée de l’Orb, sur les terres des Trencavel. Dans ce secteur où existent plusieurs foires et marchés, on perçoit des péages et leudes (dont l’auteur fournit des tarifs en annexe de l’article), notamment à Lodève, à Montpaon, sur les terres de Faugères ou encore sur la route empruntant la côte de Montpeyroux. La montagne vend des animaux destinés au bas pays et à l’exportation vers le monde méditerranéen, mais aussi des salaisons, du bois, du métal, de la laine brute, etc. En retour, le Rouergue reçoit du sel, du poisson, des figues, des dattes, ou encore des épices. Parmi les activités locales, l’auteur insiste aussi sur l’importance de la peausserie et du textile en général.

Un second article concerne épisodiquement l’Hérault dans ce numéro : « Monde savant et ventes de bibliothèques en France méridionale dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », par Emmanuelle Chapron. L’étude aborde les catalogues produits lors des ventes publiques de livres et l’attitude du monde savant dans ce contexte. Pour notre département, il est notamment question de la vente de la bibliothèque du collège jésuite de Montpellier après l’expulsion de l’ordre.

Enfin, les articles du n° 284, dirigé par Corinne Marache et Nadine Vivier, ne concernent pas spécialement l’Hérault. Ce volume est entièrement consacré aux enquêtes agricoles de l’époque contemporaine. Il ne s’agit plus, comme c’était encore le cas il y a quelques années, d’utiliser ces documents en tant que sources qualitatives et quantitatives pour l’histoire des campagnes, mais plutôt de s’interroger sur les objectifs de ces enquêtes, leur mode d’élaboration et leurs acteurs, aussi bien que sur les rapports entre enquêteurs et enquêtés. Ce dossier dépasse donc largement les enjeux de l’histoire rurale et de l’histoire économique en général, pour s’inscrire dans les courants historiographiques actuels sur l’État et l’opinion publique. Cette démarche est portée par un groupe de recherche européen dont plusieurs membres ont eu l’occasion de publier une partie de leurs travaux dans les Annales du Midi. On relèvera surtout la très intéressante synthèse de Nadine Vivier sur l’âge d’or des enquêtes agricoles en France au XIXe siècle, qui remonte en réalité largement sur le siècle des Lumières et dresse un bilan historiographique sur la question.

Outre ces articles, la revue continue à fournir de très utiles comptes rendus d’ouvrages et de soutenances de thèses, ainsi que la chronique des archives départementales de l’aire méridionale (cette dernière n’abordant pas l’Hérault cette année).

Dans le n° 281, est recensé (par Sandrine Lavaud) le livre contenant les mélanges offerts à Henri Michel, publié sous la direction de Joël Fouilleron et de Roland Andréani. Outre des éléments bibliographiques et biographiques sur ce professeur émérite d’histoire moderne à l’université Paul Valéry (Emmanuel Le Roy Ladurie, entre autres), la vingtaine de contributions intéresse souvent l’Hérault. Signalons, pêle-mêle, des articles sur les conflits d’identité entre Nîmes et Montpellier (Robert Sauzet), le contrôle de l’espace par la police montpelliéraine (Nicolas Vidoni), les carabins montpelliérains (Hélène Berlan), les loges maçonniques sétoises (Jean-Jacques Vidal), la franc-maçonnerie montpelliéraine (Pierre-Yves Beaurepaire),la typologie et l’armature urbaine languedocienne (Élie Pélaquier et Stéphane Durand), les historiens modernistes montpelliérains des deux premiers tiers du XXe siècle (Roland Andréani), ou encore sur l’inventaire après-décès du père du créateur du Musée Fabre de Montpellier (Laure Pellicer) et sur les rapports entre les États de Languedoc et l’intendant (Arlette Jouanna). Ironie du hasard et risque de confusion, quelques pages plus loin se trouve le compte rendu d’un livre contenant les mémoires de sa propre enfance rédigés autrefois par l’autre Henri Michel, celui qui a beaucoup publié en son temps sur la Seconde Guerre mondiale.

Le n° 283 fournit un intéressant compte rendu (par Pierre-Joan Bernard) du recueil en forme d’hommage contenant des articles sur les débuts de Montpellier au temps des Guilhem écrits par Henri Vidal, ancien professeur d’histoire du droit, récemment disparu.

Les trois seules soutenances de thèses dont il a été rendu compte en 2013 concernent entièrement ou partiellement l’Hérault. Il y a d’abord celle de Bruno Jaudon (université Montpellier III) sur les compoix (par moi-même, dans le n° 281), ces registres fiscaux étant étudiés du Gévaudan au littoral héraultais selon un transect nord-sud. Ensuite, dans le n° 284, le lecteur de notre département trouvera le compte rendu (par Marc Conesa) de ma soutenance de thèse (université de Caen-Basse-Normandie), laquelle concerne essentiellement le Lodévois et l’exploitation du genêt, ainsi que le compte rendu (par Françoise Durand-Dol) de la soutenance de thèse de Lucie Laumonier sur un thème pionnier : Vivre seul à Montpellier à la fin du Moyen Âge (en cotutelle entre les universités de Sherbrooke et Montpellier III).

[Sylvain Olivier]