Catégorie : Étiquette :

Description

Anthropologie culturelle et politiques publiques territoriales

Au moment où la dimension ethnique est invoquée dans des conflits nationaux ou des revendications régionalistes, il n’est peut être pas inutile de revenir un moment sur un autre rapport aux cultures locales, non sans lien conjoncturel avec ce premier contexte : celui qu’établissent ou tentent d’organiser les institutions publiques investies de la mission de traiter de l’anthropologie et extérieures au champ de la Formation Universitaire et de la Recherche. Cette relation est originale comme peut l’être toute proximité entre le Politique et l’Anthropologie, car elle s’inscrit nécessairement dans le registre de l’Action ; elle en est aussi sans doute beaucoup plus délicate. Car elle signifie au fond que l’Anthropologie devient un moyen de l’action publique et du service public, au moment où ce dernier devient de plus en plus menacé. Cette innovation peut donc interroger plus d’un anthropologue d’autant que dans le passé la discipline a concouru moins que d’autres à la science de l’Expertise et à l’aide à la décision. Et d’abord probablement sur le statut ontologique de ce savoir ; et que l’on peut traduire en termes radicaux peut-il y avoir un autre sens à l’anthropologie que celui de la connaissance et de la recherche scientifique ?

En réalité, pour comprendre comment l’anthropologie a pu devenir l’outil de politiques publiques, il faut nécessairement replacer cette demande sociale dans la conjoncture historique qui l’a vu naître et tenter de situer son émergence comme le produit d’un mouvement de long terme et dans une comparaison relative avec d’autres situations chronologiques.

1. La production sociale du fait anthropologique :

Thierry Gasnier montre par exemple que Diversité culturelle de la France et Unité Territoriale Nationale ont constitué depuis la Révolution deux « mouvements quasiment dogmatiques du fait national », l’une se construisant probablement à travers l’autre, les divisions et particularités locales de l’espace participant et même accentuant par leur vitalité, la force d’une unité territoriale nationale.

Le couple Unité/Diversité reste donc, rétrospectivement, au principe même du sentiment national ; et leur contradiction n’est qu’apparente en tout cas quand on l’analyse au niveau de la société globale et « sur la longue durée ». En réalité tout se passe comme si, la résurgence régulière du local et du particulier versus le national et le global, s’organisait au moment même où l’unité, le territoire national voyait sa légitimité ébranlée. Cette « remontée » des « cultures locales » est donc alors à interpréter comme une menace potentielle à l’unité du territoire national en même temps qu’une tentative des sociétés locales pour trouver de nouveaux fondements tout aussi légitimes, qui peuvent servir ultérieurement par récupération, de relance et d’appui au retour du fait national ; c’est en tout cas ce que dévoilent les mouvements révolutionnaires décrits par Mona Ozouf et leur contestations régionalistes fédéralistes des dernières décennies de l’ancien régime (1793).

Dans un premier moment en effet, les Révolutionnaires conçoivent la Nation comme contrainte d’unité, d’homogénéité culturelle et d’égalité contre un passé rétrograde qui associait l’archaïsme des particularités locales à un ordre politique dépassé. Mais la fusion des singularités localisées dans l’ordre révolutionnaire constituera une représentation très momentanée. Par un effet de retour sur la scène publique, les récits de voyage en France viennent ainsi facilement contrecarrer les sages et systématiques découpages de l’hexagone en départements homogènes. Les représentations politiques des cultures locales vont progressivement donner un autre sens aux particularismes ethnographiques. Ceux-ci accèdent à un statut politique au moment même où commencent à s’organiser les premières expéditions anthropologiques dans les colonies. Une nette distance exotique marque le rapport aux deux terrains. Cette promotion institutionnelle a des effets par ailleurs : les provinces de l’ancien régime condamnées dans un premier temps comme résidus et symboles d’une période dépassée, seront retenues comme base de découpages des nouveaux départements. […]

Informations complémentaires

Année de publication

1993

Nombre de pages

6

Auteur(s)

Richard LAURAIRE

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf