Ambrussum (commune de Villetelle) :
quatre décennies de recherches Archéologiques

* Directeur de recherche au CNRS, UNIR 5140, Lattes.

Pour la première fois depuis dix-huit ans, il n’y pas eu de fouilles à Ambrussum, en 2010. Il ne s’agit pas d’une simple pause pour étude comme c’est arrivé dans le passé mais d’un arrêt sans doute beaucoup plus long. Le moment est donc bien choisi pour présenter le bilan des recherches que j’ai conduites avec une équipe plusieurs fois renouvelée et particulièrement étoffée ces dernières années, mais aussi grâce à l’apport de plusieurs centaines de bénévoles recrutés, dès 1968, par le biais des petites annonces d’Archeologia et qui ont bénéficié d’un chantier-école par lequel sont passés des dizaines d’archéologues aujourd’hui professionnels.

Comme on le verra, ce bilan est d’abord intéressant pour la connaissance du site lui-même qui, grâce à cette recherche programmée, est devenu plus qu’un nom : un nom porté sur les documents routiers antiques – vases de Vicarello, Itinéraire d’Antonin, Table de Peutinger et Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem – qui ont permis depuis longtemps, grâce aux distances portées sur ces itinéraires, de localiser la station ; un nom conservé, dans les temps médiévaux et modernes, par les vestiges du pont Ambroix qui permettait à la voie Domitienne de franchir le Vidourle, dès le début de l’empire. Ce bilan est aussi l’occasion de rappeler le rôle joué, quatre décennies durant, par les recherches sur Ambrussum dans la dynamique et les orientations de la recherche programmée de la région Languedoc-Roussillon, ainsi que dans la valorisation de son patrimoine historique. Il est présenté en deux volets, le premier évoquant les étapes de l’exploration et des découvertes, le second offrant une synthèse des résultats obtenus pour tracer de nouvelles perspectives de recherche.

Les étapes d’une recherche :

Un contexte favorable

Ambrussum, en effet, a connu une activité régulière depuis quarante ans puisqu’en dehors d’une courte période d’arrêt volontaire (1986-1992) des fouilles s’y sont déroulées chaque année, depuis les sondages préliminaires de novembre 1967 et juillet 1968. Dans plusieurs domaines ce fut un laboratoire dont les expériences furent rapidement appliquées ailleurs. Ainsi, en 1973 et 1974, le dégagement du parcours extérieur du rempart avec des engins mécaniques inaugurait une série d’entreprises semblables qui ont beaucoup apporté à la connaissance de l’évolution des fortifications protohistoriques dans le Midi ; par ailleurs, le sauvetage programmé, conduit dans le relais routier entre 1980 et 1983 a été l’un des deux ou trois chantiers de la région sur lesquels a été préparé et expérimenté le système d’enregistrement mis en place à Lattes en 1983, plusieurs cadres de l’équipe lattoise venant alors d’Ambrussum.

Cette permanence des activités de recherche tient à des conditions particulièrement favorables dont l’accessibilité des terrains sur l’ensemble de la zone archéologique (Fig. 1) ne fut pas la moindre.

Ambrussum vu de l’est : le pont sur le Vidourle, l’oppidum à gauche
Fig. 1 - Ambrussum vu de l’est : le pont sur le Vidourle, l’oppidum à gauche, l’agglomération routière à droite (cl. Chr. Landes, mars 2005).

En effet, il n’aurait pas été possible de faire tout cela si le site n’avait pas appartenu au même propriétaire, M. André Jacques Bénédite de Villetelle, et si celui-ci n’avait apporté un soutien inconditionnel à la recherche, mettant à disposition un dépôt de fouille et des locaux d’hébergement (1973), acceptant le classement de l’oppidum au titre des Monuments historiques (1974), donnant l’oppidum et vingt hectares de garrigue à la Ville de Lunel (1984), acceptant au même moment d’abandonner définitivement deux hectares de vignes aux archéologues, signant enfin une convention avec la Communauté de communes du pays de Lunel (janvier 2010) pour que celle-ci assure dans les meilleures conditions la promotion et la mise en valeur du site.

Au cours de ces quatre décennies, la recherche a connu deux temps forts au cours desquels les moyens financiers ont été à la hauteur des besoins de la recherche. Ce fut d’abord en 1980-1983, lorsqu’on est intervenu après l’arrachage d’une vigne dont il était prévu le sous-solage et la replantation : l’État (ministère de la Culture, sous-direction de l’archéologie) a financé ce que l’on appelait alors un « sauvetage programmé ». Ces quinze dernières années, les moyens accordés à la fouille ont été également importants grâce à un partenariat entre l’État et les collectivités locales : les communes de Lunel, Villetelle et Gallargues-le-Montueux relayées, en 2005, par la Communauté de communes du Pays de Lunel, très ponctuellement soutenue par le Département de l’Hérault. Mais c’est surtout la richesse des problématiques scientifiques à traiter sur un site qui fut un centre d’importance régionale durant près d’un millénaire qui explique la durée des investigations. Ambrussum demeure, en effet, l’un des oppida du second âge du Fer de la région entièrement accessible aux archéologues ; c’est aussi la seule station de la voie Domitienne disponible dans son ensemble pour des investigations programmées. Le site archéologique se développe sur huit hectares au moins dans une zone verte inconstructible, encadrée par le Vidourle aux crues redoutables, l’autoroute A9 et bientôt la ligne TGV (Fig. 2).

Ambrussum et les grands axes de circulation en Lunellois, au cours du temps
Fig. 2 - Ambrussum et les grands axes de circulation en Lunellois, au cours du temps (J.-L. Fiches, V. Mathieu).

Un site depuis longtemps reconnu

À n’en pas douter, ce sont les ruines du pont Ambroix qui ont d’abord attiré l’attention : vers 1625, Anne de Rulman, avocat auprès du présidial de Nîmes qui préparait un ouvrage resté inédit sur les monuments de la Narbonnaise, consigna dans ses manuscrits une description du pont accompagnée d’un dessin (Fig. 3) ; un siècle plus tard, le marquis d’Aubais, qui possédait dans sa bibliothèque l’un des manuscrits de Rulman, fit connaître l’ouvrage aux savants de son temps et en particulier à l’historien de Nîmes Léon Ménard. C’est ce dernier qui signale, sur la colline, la présence d’habitations romaines avec des débris de tuiles et d’urnes, imaginant que l’agglomération avait péri par le feu en raison de la présence de pierres calcinées.

Le pont Ambroix vers 1625 (A. de Rulman), vue d’amont depuis la rive gauche
Fig. 3 - Le pont Ambroix vers 1625 (A. de Rulman), vue d’amont depuis la rive gauche. L’arche plus basse, à gauche, correspond sans doute à une restauration médiévale, disparue au XVIIIe siècle ; l’arche voisine a été emportée par une crue, en 1745 et la suivante en 1933.

Au XIXe siècle, alors que le pont était classé par les soins de Mérimée (1840), c’est l’oppidum et sa fortification qui ont attiré les chercheurs : un pasteur de Gallargues-le-Montueux y effectua un sondage (1835) ; la Société archéologique de Montpellier fit lever un plan du rempart dans lequel on distinguait deux tours (1857). Des trouvailles diverses sont alors régulièrement signalées, en particulier des armes et des monnaies, mais aussi un tuyau portant l’estampille du plombier T. ( ?) Aemilius Helius (musée Languedocien) ainsi que des urnes funéraires.

Dans les années 1910-1920, Messieurs Grand de Gallargues et leur cousin, le Dr Marignan, préhistorien de la basse vallée du Vidourle, font effectuer des fouilles grâce à une subvention de la Société pour l’avancement des sciences. Leur ouvrier, qui travailla principalement dans la partie sud de l’enceinte, le long du rempart, trouva, au-dessus de témoins du Néolithique, neuf cases gauloises aux murs de pierre et à la toiture faite d’un clayonnage et d’argile. Des sondages ont été pratiqués par ailleurs dans trois maisons romaines ; l’une comportait une boutique qui fournit une balance, des poinçons, des spatules et des cuillères ; une autre comptait une pièce à mosaïque ornée d’un damier noir et blanc ; quant à la troisième, il s’agit sans doute, non pas d’une habitation privée, mais d’un édifice public qu’on est tenté de localiser aujourd’hui sur la terrasse située derrière l’entrée sud où un portique a été mis au jour depuis : on y a trouvé, en effet, des fûts de colonnes, un morceau de chapiteau corinthien et des fragments de corniche à rinceaux et palmettes. Comme le montre un plan que Marignan a fait dresser à partir de celui de 1857 et qui est conservé par la Société archéologique de Montpellier (Fig. 4), celui-ci a également mis au jour, en contrebas, un collecteur des eaux pluviales de grandes dimensions, et, au pied de la colline, une habitation médiévale. Dans les deux comptes rendus qu’il a fait de ses recherches, le Dr Marignan fait la liste d’une quantité importante de matériel du second âge du Fer et de l’époque romaine (dont plus de trois cents monnaies), mais l’essentiel de la collection est resté dans la famille Grand et le musée Languedocien n’en conserve que la petite partie qu’avait dû recevoir Marignan, membre de la Société archéologique de Montpellier.

Localisation des fouilles du Dr Marignan sur l’oppidum d’après un plan conservé par la Société archéologique de Montpellier
Fig. 4 - Localisation des fouilles du Dr Marignan sur l’oppidum d’après un plan conservé par la Société archéologique de Montpellier.
La porte mentionnée à l’ouest n’est pas antique.

Les recherches récentes

Ces vestiges ayant été à nouveau enfouis, le site fut abandonné pour un demi-siècle. Au milieu des années 1960, des prospections, effectuées par Marc Fenouillet, s’avérèrent fructueuses non seulement sur l’oppidum mais aussi dans le quartier du Sablas où l’on imaginait qu’une villa avait pris le relais de l’habitat de hauteur. Mais c’est à partir de l’automne 1967 que reprirent les fouilles. D’abord et jusqu’en 1970, ce furent des sondages à l’intérieur et à l’extérieur du mur d’enceinte : ainsi, des quartiers hors les murs furent repérés au sud, sur la colline du Moulin où le Dr Marignan situait sans doute à tort la nécropole, et au nord-est sous les vignes du Sablas où l’on repérait ce que l’on pensait être une extension de l’oppidum dès les environs de la conquête romaine. Jusqu’en 1974, cependant, l’essentiel des efforts porta sur un secteur situé au nord-ouest de l’enceinte (Fig. 5) : c’était, en effet, un point d’accès facile pour atteindre le parement interne du rempart et dater ses fondations, les habitations du Ier siècle ap. J-C. qu’on y voit aujourd’hui ont révélé parallèlement que l’oppidum n’avait pas été abandonné à l’époque augustéenne, terme admis alors pour la civilisation des oppida, mais au moins un siècle après.

ue aérienne du secteur fouillé entre 1968 et 1974
Fig. 5 - Vue aérienne du secteur fouillé entre 1968 et 1974. L’habitat contemporain du rempart a été masqué par des maisons à cour portiquée, occupées dans la seconde moitié du Ier siècle ap. J.-C. (cl. L. Monguilan, 1981).
Découverte de la voie pavée qui traverse l’oppidum, durant l’été 1975
Fig. 6 - Découverte de la voie pavée qui traverse l’oppidum,
durant l’été 1975 (cl. J.-L. Fiches).

Le dégagement du parcours extérieur du rempart, mais aussi, dès 1973, des sondages auprès du pont qui localisaient la culée et révélaient la présence de deux piles sur la rive droite du fleuve, ouvraient de nouvelles perspectives, en particulier pour reconnaître le tracé de la via Domitia dans la traversée d’Ambrussum ; les fouilles se développèrent notamment derrière l’entrée sud, où fut identifié un édifice public ouvert sur une place, et l’on rechercha au-delà dans l’enceinte l’équivalent de la voie pavée qui avait été mise au jour au franchissement du rempart ; c’est ainsi que l’artère principale de l’agglomération, devenue rapidement une image emblématique de la voie romaine, fut dégagée en 1975 (Fig. 6).

D’autres sondages, au sommet de la colline, permirent de retrouver le niveau néolithique (culture de Ferrières) déjà observé par Marignan et d’étudier l’évolution du quartier depuis le IIIe siècle av. J.-C. L’un d’eux, pratiqué à l’extérieur de l’enceinte contre la tour 18, révéla la présence d’un culte de hauteur (autels et vases votifs) dont cette partie de l’enceinte, alors ruinée, fut l’objet à l’époque d’Auguste et de Tibère. C’est également dans la partie la plus haute de l’oppidum qu’une habitation gallo-romaine à cour portiquée fut entièrement dégagée (1975-1980), montrant que les maisons de ce type étaient courantes à Ambrussum dans la seconde moitié du Ier siècle ap. J-C.

Entre l’automne 1979 et l’été 1985, le chantier de fouille s’est déplacé au pied de l’oppidum, sur la terrasse du Vidourle, bénéficiant d’une première opération d’arrachage des vignes et de l’enlèvement des terres labourées. C’est alors qu’on a pris conscience que le quartier n’était pas une extension urbaine appelée à supplanter l’oppidum après le Ier siècle ap. J-C., mais était organisé autour d’un axe de circulation avec un îlot que l’on qualifiait alors de « ferme-auberge ». C’est encore aujourd’hui la zone du quartier qui a été la plus profondément excavée dans la mesure où le premier objectif de cette fouille était de caractériser l’origine et les différentes phases de l’occupation de la terrasse du Vidourle ; c’est ainsi qu’avant l’installation du relais vers 30 av. J.-C., on a reconnu par sondages une occupation du IIIe siècle av. J.-C. qui s’est révélé correspondre à une partie de la nécropole à incinération de l’oppidum. Mais cette fouille stratigraphique conduite de façon extensive a également permis d’observer comment avait évolué cette zone inondable à la fois en fonction du régime du Vidourle et des aménagements de protection régulièrement effectués par l’Homme.

Entre 1993 et 2009, la recherche s’est développée dans l’agglomération routière, après le dégagement, au printemps 1994, de plus d’un hectare de vestiges grâce à la mobilisation de crédits européens d’abord destinés à compléter l’équipement touristique du site. Le décapage des terres arables a ainsi révélé, après un simple nettoyage des murs découverts par les scrapers, le plan de la partie septentrionale du quartier (Fig. 7), dans un secteur où la présence d’un abrupt rocheux a imposé une implantation dans la zone inondable, ce qui a contraint ses occupants à se protéger des crues en effectuant à plusieurs reprises de gros travaux de remblaiement. La partie du quartier qui occupait le piémont au sud, jusqu’à la tête du pont demeure masquée par la garrigue, mais on estime que la voie Domitienne était bordée de bâtiments sur plus de 300 m et que le quartier couvrait deux hectares. La traversée de l’oppidum présentait, en effet, un double inconvénient : une forte pente et une voie unique qui rendait impossible le croisement des véhicules sur une longueur de 200 m. C’est donc certainement pour faciliter le charroi qu’a été réalisé ce contournement nord de l’oppidum le long duquel s’est développé, au pied de celui-ci, un quartier spécialisé dans le relais routier.

La fouille y a concerné surtout les îlots situés entre la route antique et le Vidourle, ceux de l’autre côté étant en partie inaccessibles en raison de la présence du chemin moderne trois correspondent à des auberges caractérisés par la présence d’une grande cour derrière une porte charretière le dernier est occupé par une maison à cour portiquée dont la forge accueillait les véhicules à réparer.

Plan et équipements de la station routière
Fig. 7 - Plan et équipements de la station routière : auberges (1, 4 et 5) ; galerie devant les auberges 4 et 5 (7) ; thermes (8) ; maison à la forge (9) ; terrasse réoccupée au IVe ap. J.- C. (10) ; enclos cultuel (11) ; établissement du cursus publicus (12/20) ; bâtiment non fouillé (14) ; zone fouillée de la nécropole du IIIe s. av. J.-C. (17).

On a reconnu, par ailleurs, l’emplacement de bains publics et, à proximité de la berge, d’un lieu de culte : un enclos fossoyé (début du Ier s. av. J.-C.) qui a reçu, lors de l’installation du relais, un mur d’enceinte et un autel maçonné, destiné à recevoir des offrandes (gobelets. monnaies, fibules et lampes).

A la périphérie nord-ouest de cet habitat, à l’endroit où la voie change d’orientation pour négocier la montée en garrigue, les recherches les plus récentes ont révélé la présence d’un grand établissement à galerie de façade, organisé autour de deux cours ouvertes chacune, par une porte charretière, dans l’axe d’un tronçon de la Domitienne. Il s’agit certainement d’une hôtellerie réservée aux agents du transport d’État et en particulier au service de la poste impériale. Mise en place au début de l’Empire ou peu après, elle a été utilisée jusqu’au IVe siècle alors que l’agglomération routière était déjà abandonnée par ailleurs. Elle a alors été remplacée par un grand bâtiment flanqué de deux unités d’habitation qui a prolongé la vocation du lieu comme relais jusqu’au cours du Ve siècle.

On a également repris, entre 1999 et 2003 l’exploration d’une partie de la nécropole préromaine en profitant des facilités d’accès offertes par la cour de l’auberge fouillée dans les années 1980 et dégagée dans son état augustéen. De plus, la question de la gestion de l’eau a été explorée dans trois directions. En 1998, une tranchée profonde de 5,50 m, établie, à proximité du pont, entre l’habitat et la levée de terre qui borde le Vidourle, a permis de caractériser l’évolution de la berge et celle du régime fluvial depuis l’antiquité. C’est ainsi que dix phases de dérèglement hydrologique ont été mises en évidence, entre le IVe siècle av. et le VIIIe siècle ap. J-C., d’ampleur et d’intensité inégales.

Caisson en plomb (pour répartir ou chauffer l’eau) orné de deux Amours portant une amphore
Fig. 8 - Caisson en plomb (pour répartir ou chauffer l’eau) orné de deux Amours portant une amphore (cl. J.-L. Fiches).

Entre 2005 et 2007, la fouille des quatre puits découverts dans le relais a montré, par ailleurs, comment les habitants avaient su exploiter une nappe phréatique facile d’accès à moins de 7 m de profondeur. Dans trois d’entre eux, le puisage s’effectuait à l’aide d’un seau accroché à un système de levage en bois. Un seul était utilisé avec des cruches dont certaines se sont brisées dans le fond.

Enfin, la découverte d’un caisson de plomb décoré qui a conservé le raccordement d’un tuyau (Fig. 8) a été l’occasion de recenser les plombs hydrauliques découverts dans l’agglomération routière d’Ambrussum. Pour n’avoir pas été trouvés en position fonctionnelle, ces documents, qui ont échappé à la récupération du métal dès l’Antiquité, sont d’une interprétation délicate. Si un des tuyaux provient des thermes publics, la plupart des éléments et notamment le caisson ont été mis au jour dans les niveaux d’abandon, au cours du IVe siècle, de l’hôtellerie réservée au transport d’État.

Un patrimoine à mettre en valeur

Ambrussum est un lieu traditionnel de promenade pour les gens de la région, un lieu d’excursion pour les randonneurs et les vacanciers, mais aussi un lieu de mémoire en tant qu’agglomération la plus ancienne du pays de Lunel et de la basse vallée du Vidourle. Très vite le développement des fouilles a pris en compte cette dimension patrimoniale comme en témoigne le rapport que j’ai rédigé à ce sujet en 1982 pour la Direction régionale des Antiquités sous le titre : Projet de mise en valeur et d’ouverture au public du site archéologique d’Ambrussum (Villetelle, Hérault).

Lorsque Philippe Lamour créa en 1985 l’association via Domitia pour que la route antique devienne le symbole et la ligne conductrice du tourisme culturel en Languedoc- Roussillon, il voyait dans Ambrussum l’un des fleurons de cet itinéraire ; quelques années plus tard, Pierre A. Clément écrivait d’ailleurs dans son ouvrage sur La voie Domitienne qu’« avec ses 30 000 visiteurs recensés pendant l’été 1990, la réhabilitation du site d’Ambrussum demeure l’opération-pilote » de cette initiative. Mais il n’est pas facile de concrétiser rapidement de tels projets qui impliquent la motivation et l’engagement de partenaires divers. Rappelons, par exemple, que le pont Ambroix est la propriété des communes de Gallargues dans le Gard et de Villetelle dans l’Hérault que, depuis 1984, l’oppidum appartient à la ville de Lunel sur la commune de Villetelle, suite au legs consenti par M. Bénédite, alors que les fouilles du Sablas sont dans la propriété de celui-ci. Il est également délicat de concilier les exigences de la conservation des vestiges et l’ouverture d’un circuit de visite qui attire aussi bien les promeneurs et les cavaliers que les adeptes du vélo ou de la moto tout-terrain. La partie la plus spectaculaire du rempart, classé au titre des Monuments historiques en 1974, a fait l’objet de deux campagnes de restauration conduites par Dominique Larpin, architecte en chef des Monuments historiques, en 1987 et 2002. Au cours de la dernière, la voie pavée qui traverse l’oppidum a également été consolidée. Cependant, le programme établi en 1995 pour l’ensemble du rempart avait prévu neuf tranches de travaux dont une seule a été réalisée.

Peut-être verra-t-on enfin en 2011 l’ouverture des équipements prévus depuis longtemps pour l’accueil du public. En 1994 en effet, la Communauté de communes du pays de Lune! (CCPL) a pris en charge le dossier de l’aménagement du site. Il a fallu quelques années pour fixer l’emplacement du bâtiment d’accueil avec l’accord de tous les usagers du site (les chasseurs notamment). Un concours d’architecte a eu lieu en mai 1999 le lauréat, Yvan Goroneskoul, a vu sa réalisation achevée dix ans après (Fig. 9). Mais, alors que le projet initial se justifiait principalement par l’installation sur place d’un gardien pour mieux assurer la surveillance de lieux isolés, le bâtiment a été réalisé sans cet équipement en raison de l’opposition des services de l’État à la présence d’un logement aux abords d’une zone inondable particulièrement affectée le 9 septembre 2002. Cet espace architectural a été conçu et réalisé avant l’élaboration des programmes d’accueil, de découverte et d’interprétation. Il comporte un patio équipé de panneaux d’information, un lieu de détente, un hall d’accueil, d’information et de vente qui présente le site au travers d’une maquette et qui peut accueillir des expositions temporaires, une salle d’exposition permanente de 240 m² organisée en quatre séquences (la voie Domitienne, le relais routier, le pont et l’oppidum) une salle audiovisuelle pour la projection d’un film sur la fouille, l’accueil des scolaires ou de conférences.

Le bâtiment d’accueil vu depuis le chantier de fouille
Fig. 9 - Le bâtiment d’accueil vu depuis le chantier de fouille
(cl. J.-L. Fiches, novembre 2009).

En juillet 2008, l’agence Présence a établi le programme muséographique et scénographique en lien étroit avec J.-L. Fiches et V. Mathieu (CNRS). Mais la réalisation de ce programme dont le terme était initialement prévu à l’automne 2009 n’est pas encore achevée en janvier 2011 bien que les archéologues aient fourni, avec la liste des objets à exposer (deux cents environ), tous les textes et les illustrations qui leur étaient demandés dès que la convention entre la CCPL et M. Bénédite a été signée, soit il y a près d’un an. De toute manière, l’équipement ne sera ouvert qu’après la réalisation d’une première tranche de travaux extérieurs. Dans ce domaine, l’étude d’aménagement global du site archéologique dans son environnement naturel qui avait été réalisée par l’agence Paysages d’Avignon, en 2002 n’a pas été suivie d’effet. Certes, un nouveau parking a été créé en 2010 mais ce n’est que le 20 octobre dernier que la CCPL a lancé une consultation pour disposer « d’un schéma directeur » d’aménagement, de mise en valeur du site et d’accueil du public, et faire réaliser cette première phase des travaux (aménagements paysagers et signalétiques).

L'histoire d'Ambrussum

L'oppidum préromain

La création de l’oppidum d’Ambrussum remonte à la fin du IVe ou au début du IIIe siècle av. J.-C. sur un site occupé au Néolithique récent et fréquenté durant l’âge du Bronze et le 1er âge du Fer. Cette première agglomération, dont on a fouillé une seule habitation, était vraisemblablement dotée d’un rempart à tours quadrangulaires dont on trouve la trace dans le noyau de certains bastions plus récents, et qui équipaient les fortifications datées, dans le Midi, des Ve et IVe siècles. Dans l’habitat, le mobilier est essentiellement composé de vases culinaires, de table et de stockage en céramique modelée, peut-être de fabrication locale. La vaisselle fine, plus rare, compte des productions tournées de la région et des importations à vernis noir en provenance d’Italie. La presque totalité des amphores est d’origine marseillaise. Le mobilier métallique est rare, mais on rencontre des chenets en terre cuite à tête d’animal.

L'évolution de l'enceinte

Dans la seconde moitié du IIIe siècle, une nouvelle enceinte à bastions arrondis a inclus des éléments du premier rempart (Fig. 10). La partie la plus haute de cette enceinte de 5,60 ha a été dotée d’un ensemble monumental qui comporte, d’après des blocs découverts devant la tour 18, une construction en appareil pseudo-isodome, comparable à la tour de la colline de Mauressip (Saint-Côme-et-Maruéjols, Gard). Un parallèle avec l’enceinte contemporaine de l’oppidum des Castels à Nages (Gard), qui comporte aussi une tour monumentale, permet d’avancer que le rempart d’Ambrussum n’était alors équipé que de tours à angles arrondis, espacées de plus de 20 m.

De l’habitat de cette époque, on n’a conservé que des traces lacunaires, rencontrées à l’occasion de sondages. Mais des sondages profonds, pratiqués en 1998 à proximité du pont, ont montré qu’alors l’habitat ne se limitait pas à l’enceinte. La présence, vers le milieu du IIIe siècle, d’un mur appareillé, de fosses et de sols d’occupation indiquent que l’implantation dans le lit du Vidourle n’était pas négligeable et qu’elle s’est produite à un moment où les lits fluviaux étaient très encaissés, sans doute de manière plus marquée encore qu’aujourd’hui. La plaine présentait à cette époque un drainage naturel et une stabilité importants qui ont favorisé la colonisation des berges du Vidourle.

La courtine ouest du rempart dans la partie qui a fait l’objet de restaurations
Fig. 10 - La courtine ouest du rempart dans la partie
qui a fait l’objet de restaurations (cl. P. Salles).

Le cimetière du IIIe siècle av. J.-C.

Ces conditions ont également permis l’implantation, dans la zone inondable, d’un cimetière qui a été partiellement fouillé au Sablas, à 200 m de cet habitat et à 220 m de l’extrémité nord du rempart. D’abord repéré par des sondages pratiqués sous l’auberge fouillée entre 1980 et 1985, il a pu être exploré plus largement, entre 1999 et 2003, grâce à une fouille extensive sous la cour de cette auberge. Au total vingt-cinq sépultures ont été découvertes ainsi qu’une aire de crémation alimentée avec du bois de chêne et qui a servi à plusieurs reprises puisque les déterminations ostéologiques y ont montré la présence d’au moins quatre sujets. Les tombes se présentent sous la forme de petites fosses plus ou moins profondes (Fig. 11) dans lesquelles on a déposé en vrac une petite partie du bûcher, ce sédiment contenant : terre charbonneuse, os humains incinérés, fragments d’objets brisés sur l’aire de crémation, os d’animaux non brûlés. Les tessons appartenant aux récipients mis en œuvre dans le rituel et les objets métalliques, en fer ou en bronze, permettent de les dater de la seconde moitié du IIIe siècle av. J.-C. Dans certains cas, la présence d’armes signale des tombes masculines alors que des objets tels que fusaïoles ou bracelets à tige mince distinguent quelques sépultures féminines. Il est apparu que presque toutes les fosses étaient individuelles et que la grande majorité des défunts étaient des adultes, les jeunes enfants n’étant que rarement attestés.

Deux tombes en cours de fouille : au centre, la tombe d’un jeune enfant ; au fond, celle d’un adulte
Fig. 11 - Deux tombes en cours de fouille : au centre, la tombe d’un jeune enfant ; au fond, celle d’un adulte pourvu d’un mobilier à connotation féminine (cl. B. Dedet).

Cette fouille permet de combler une grande lacune dans nos connaissances des rites et pratiques funéraires protohistoriques du Languedoc oriental, car dans cette région, les sépultures attestées entre le milieu du Ve et le Ier siècle av. J.-C. sont actuellement très rares et le plus souvent illustrées, pour les IIIe et IIe siècles, par des découvertes fortuites de tombes endommagées. Le dépôt en ossuaire y est presque exclusif. Le dépôt en vrac dans une fosse n’était attesté Jusqu’ici, en Languedoc oriental, que dans une tombe du milieu du Ve siècle av. J-C. alors que c’est une pratique courante dès la fin du VIe siècle en Languedoc occidental ; Ambrussum montre donc la prolongation de cette pratique au milieu du 2e âge du Fer.

Très rares également sont les sites de cette période où l’on peut établir la relation entre habitat et nécropole. Il reste que la fouille n’a intéressé qu’une partie de ce cimetière. Même si l’on n’en connaît pas les limites, qui ont dû évoluer avec le temps, celui-ci pouvait s’étendre jusqu’au pied de l’oppidum comme le laisse supposer la découverte ancienne d’armes gauloises près du pont. En tout cas, force est de constater que les terrains de la plaine les plus proches d’Ambrussum n’ont pas alors été voués aux cultures, malgré leur déboisement précoce.

Les signes de changements (milieu IIe - milieu Ier siècle av. J.-C.)

On ne connaît précisément ni la date ni les causes de l’abandon de la nécropole du Sablas. Les dépôts d’alluvions ont pu contribuer à effacer rapidement son souvenir. En tout cas, le dérèglement hydrologique qu’a connu le Vidourle au cours du IIe siècle av. J.-C. a dû jouer un rôle car le sol de la nécropole a été creusé, parallèlement au fleuve, par un chenal fluviatile large de 4 à 5 m (Fig. 12). Il a été suivi d’une phase d’exploitation agricole puisque un paléosol contenant du mobilier de la première moitié du Ier siècle av. J.-C., des cendres et des charbons signe une conquête de la végétation et un amendement par brûlis de cultures céréalières. Ce développement de l’agriculture autour de l’oppidum est également marqué, dès le IIe siècle av. J.-C. et plus nettement encore au siècle suivant, par les traces d’installations rurales reconnues par prospection alentour.

C’est aussi dans la première moitié du Ier siècle av. J.-C., qu’un enclos cultuel prend place sur la berge du Vidourle ; des foyers successifs, séparés par des dépôts de crue y témoignent d’une fréquentation régulière qui s’accommodait de nombreuses inondations pour un culte qui devait concerner le fleuve, mais peut-être aussi son franchissement. Le pont romain, en effet, a pu être implanté en un point différent du passage antérieur notamment pour permettre d’ancrer la culée de la rive droite dans le substrat rocheux, ce qui n’était pas possible plus au nord sans conséquence sur la longueur d’un ouvrage déjà imposant.

Sur la colline, le IIe siècle av. J.-C. a vu sans doute la fortification bénéficier de deux campagnes de restauration : d’abord l’adjonction de petites tours qui complètent le dispositif antérieur puis le recours au grand appareil pour le ravalement du parement extérieur de la courtine et de certains bastions et pour le remaniement du complexe sommital avec la construction d’une nouvelle tour monumentale (tour 17). L’évolution de l’habitat dans l’enceinte est mal connue pour cette période : dans tous les secteurs explorés, les niveaux du IIe siècle ont été généralement retrouvés en position remaniée en raison de transformations ultérieures. Au sommet de la colline, ces transformations se traduisent par la mise en place, au début du Ier siècle av. J.-C., d’un nouvel urbanisme qui se fonde sur la création de terrasses. L’une d’elles comporte deux îlots allongés, desservis par deux passages étroits qui évoquent l’organisation de l’oppidum voisin de Nages ou celle de la ville protohistorique de Lattes. Le mobilier est encore largement dominé par les céramiques modelées, mais les amphores de Marseille ont fait place aux importations d’Italie. Les objets métalliques sont plus nombreux mais peu caractéristiques. C’est à ce niveau qu’on a rencontré les premières monnaies livrées par la fouille de l’habitat (obole en argent et bronzes de Marseille).

Des sondages profonds dans la zone inondable ont révélé la présence d’un chenal creusé dans le sol de la nécropole du IIIe s. av. J.-C.
Fig. 12 - Des sondages profonds dans la zone inondable ont révélé la présence d’un chenal creusé dans le sol de la nécropole du IIIe s. av. J.-C., mais aussi l’existence, après la construction du quartier, d’épais remblais destinés à le protéger des crues (cl. J.-L. Fiches).

Cette rationalisation de l’urbanisme s’inscrit donc dans un processus d’appréhension nouvelle du territoire qui s’est développé entre le milieu du IIe et le milieu du Ier siècle av. J-C. On ne dispose pas d’éléments précis pour juger des causes, certainement complexes, de ce processus. On pense, bien entendu, à la pression démographique, qui aurait imposé un nouvel habitat sur l’oppidum et peut-être des installations extérieures. On ne peut pas non plus faire abstraction des données historiques sur la conquête romaine, bien que rien ne permette d’en mesurer l’impact immédiat. C’est au plus tôt dans cette période qu’il faut placer le mur partiellement reconnu dès le XIXe s. en avant de la courtine ouest du rempart (Fig. 4) et dont un sondage a montré qu’il avait été bâti alors que les bastions étaient déjà endommagés.

Ambrussum au moment de la création de la station routière

La mise en place du relais routier d’Ambrussum dans le troisième quart du Ier siècle av. J-C. s’inscrit dans une période de renouveau qui modifie profondément la physionomie de l’oppidum arécomique : dans l’habitat, se développe alors une architecture domestique qui préfigure les maisons à cour portiquée de la seconde moitié dit Ier s. ap. J-C. ; le pavage de la rue principale et la restauration de la porte sud du rempart (Fig. 13), qui est largement ruiné par ailleurs, accompagnent la création d’un centre civique autour d’une place située à l’arrière de cette porte. En bordure sud de cette place s’élevait un portique à deux nefs et pièces annexes dont l’exèdre axiale s’apparente aux tribunaux de basiliques. Ambrussum est ainsi l’une des agglomérations de la région nîmoise qui se dotent, dès le troisième quart du Ier siècle et à l’époque augustéenne, d’équipements à caractère civique ou cultuel, comme le Castellas de Murviel-lès-Montpellier où sont mis au jour les vestiges d’un centre monumental, Saint-Vincent de Gaujac où sont connus un temple carré, une aire portiquée et le Camp de César de Laudun où le forum est flanqué d’un édifice de plan basilical. Tout cela plaide pour ranger Ambrussum parmi les communautés qui bénéficièrent de l’octroi du droit latin par César, d’autant plus que, peu après, Ambrussum bat monnaie : une obole dont le revers, qui porte les quatre lettres latines AMBR dans les cantons d’une roue, fait référence au monnayage des Volques Arécomiques alors que la tête casquée du droit renvoie aux monnaies que la colonie de Nîmes a émises vers 40 av. J.-C. (Fig. 14).

L’entrée sud de l’oppidum et son pavement, des aménagements de la seconde moitié du Ier s. av. J.-C
Fig. 13 - L’entrée sud de l’oppidum et son pavement, des aménagements de la seconde moitié du Ier s. av. J.-C. alors que le rempart était ailleurs en ruine (cl. J.-L. Fiches).
Deux oboles en argent fourré au nom d’Ambrussum
Fig. 14 - Deux oboles en argent fourré au nom d’Ambrussum. Grossissement : x 3,33 (cl. J.-C. Richard).
Les vestiges du pont romain sur le Vidourle vus d’aval, rive droite
Fig. 15 - Les vestiges du pont romain sur le Vidourle vus d’aval, rive droite (cl. J. Andrès).

L’importance de cette période dans la transformation du site est peut-être aussi renforcée par la création d’un pont de pierre de grande envergure (onze arches au moins) sur le Vidourle (Fig. 15). En effet, le plus souvent datée de l’époque augustéenne, la construction du pont Ambroix peut très bien être antérieure au début du Principat et reliée au lotissement du relais routier dont l’organisation a été commandée par une centuriation développée à partir du tracé rectiligne de la Domitienne entre Sextantio et Ambrussum. Il est possible, en effet, que la conception des grandes lignes du réseau routier des Gaules, en particulier dans la Transalpine, ait été initiée par Agrippa dès son premier séjour dans ces provinces, en 40-38 av. J-C.

Certes, on ne trouve pas le nom d’Ambrussum sur la liste des communautés de la province de Narbonnaise que nous a transmise Pline l’Ancien dans les années 70 ap. J.-C. (Histoire Naturelle, III, 37) à moins qu’on l’identifie, comme certains n’hésitent pas à le faire, avec le chef-lieu des Umbranici portés sur cette liste, et à un territoire, l’Umbranicia, que la Table de Peutinger situe à l’ouest du Rhône. Mais on observe que, de part et d’autre d’Ambrussum, les agglomérations routières de la voie Domitienne Ugernum (Beaucaire) à l’est, Sextantio (Castelnau-le-Lez) et Forum Domitii (Montbazin) à l’ouest, n’apparaissent pas non plus sur la liste plinienne, alors que sont mentionnées plus loin, d’un côté les Tarusconienses et de l’autre Cessero. Il est donc probable que les agglomérations ignorées par le Naturaliste appartenaient à cité des Volques Arécomiques comme d’autres dont on connaît aussi le nom antique et dont l’identification ne pose pas problème : Andusia (Anduze), Briginno (Brignon), Lattara (Lattes) ou Ucetia (Uzès).

Il est donc vraisemblable qu’Ambrussum comptait au nombre des vingt-quatre oppida ignobilia (ne méritant pas d’être cités) qui furent rattachés à Nîmes selon Pline l’Ancien et que Strabon (Géographie, IV, 1, 12) désigne comme des kômai (bourgs) de même appartenance ethnique qu’elle. C’est quelques années après le séjour d’Auguste en Gaule (27 av. J.-C.) et le début d’un programme monumental autour de la source de la Fontaine à Nîmes que ce rattachement eut certainement lieu avec pour conséquence que l’obtention de la citoyenneté romaine ne se faisait plus par l’exercice d’une magistrature sur place mais à Nîmes.

Ce changement institutionnel n’affecte pas cependant le relais de la Domitienne (Fig. 16) où les échanges sont particulièrement actifs durant la période augustéenne, sans doute stimulés par le rôle accru de la route ; c’est l’époque où, dans l’auberge, le volume des amphores est le plus important c’est aussi celle où l’on rencontre la plus grande quantité de métal, même si ce mobilier, où dominent les parures, témoigne d’habitudes et de goûts traditionnels. Les documents relatifs au harnachement des montures et aux véhicules, encore rares, représentent ensuite 11 à 24 % des objets métalliques : frettes de moyeu et clavettes, ornements de char, anneau de joug et éléments de harnais. Ces objets sont significatifs de la vocation particulière du quartier : ainsi, les hipposandales en fer retrouvées dans le relais constituent la série la plus nombreuse, connue à ce jour en Gaule méridionale.

Auberge organisée autour d’une cour ouverte sur la voie Domitienne par une porte charretière (état augustéen)
Fig. 16 - Auberge organisée autour d’une cour ouverte sur la voie Domitienne par une porte charretière (état augustéen) ; la hauteur des murs s’explique par des reconstructions consécutives à l’apport de remblais destinés à limiter l’impact des crues (cl. J.-L. Fiches).

La ville gallo-romaine (Ier siècle ap. J.-C.)

Ambrussum connaît sa plus grande extension dès le troisième quart du Ier siècle av. J.-C. et au cours du siècle suivant, malgré les difficultés rencontrées dans le relais où de gros travaux de terrassement sont imposés, tous les quarts de siècle environ, par les crues répétées du Vidourle.

De grandes maisons sur le modèle romain

La maison à la forge de l’agglomération routière constitue l’exemple le plus ancien à Ambrussum (deuxième quart du Ier siècle) d’un type d’habitation désormais bien connu dans les villes gallo-romaines (Fig. 17) : des maisons dont le plan s’articule autour d’un espace central marqué par une cour portiquée et selon un axe de symétrie matérialisé par une pièce privilégiée. Couvrant à l’origine une superficie d’environ 420 m², elle n’est pas cependant aussi vaste ni aussi bien équipée que bon nombre de domus de la ville voisine de Nîmes qui constituaient sans doute des références. Elle est caractérisée par une grande pièce de réception qui occupe le centre de l’aile nord et qui est flanquée de deux pièces plus petites et par une petite cour centrale, entourée d’une galerie qui se développait, à l’origine, sur les quatre côtés et dont la couverture était supportée par quatre colonnes d’angle. L’accès principal se trouvait au sud, où la porte d’entrée donnait sur une première cour.

Ce type d’habitat se rencontre également sur l’oppidum où s’élèvent, à partir du milieu du Ier siècle, dans les deux quartiers fouillés, des maisons à cour intérieure qui s’inspirent du modèle de la domus urbaine et qui illustrent la dernière étape du processus d’urbanisation qu’a connu l’agglomération à l’intérieur de ses murs. Ces vastes maisons ont cependant conservé des traits qui rappellent encore l’architecture du temps de l’indépendance.

La maison à la forge restituée dans son état initial
Fig. 17 - La maison à la forge restituée dans son état initial
(deuxième quart du Ier s. ap. J.-C.).

Le contexte socio-économique

La structure sociale de l’agglomération apparaît comme fortement hiérarchisée à l’analyse des maisons à cour intérieure du Devès : on a émis l’hypothèse qu’un groupe d’esclaves occupait la pièce située près de l’entrée alors que les maîtres vivaient autour de la cour. Il faut également considérer que ces maisons occupaient la même superficie qu’une dizaine d’habitations à pièce unique du type de celles qui existaient un siècle auparavant. On pense au témoignage de Strabon qui notait, dans les communautés de la région de Nîmes, la présence d’une « population remarquablement nombreuse ». Il n’est malheureusement pas possible de l’évaluer.

Quant à la structure économique, elle s’avère diversifiée le poids des importations d’Italie et d’Espagne qui caractérisait le matériel amphorique d’époque augustéenne est désormais largement contrebalancé par celui des productions régionales ; celles-ci dominent également dans la vaisselle fine, notamment les sigillées, et dans les céramiques communes, dont le répertoire se renouvelle la diversification du mobilier métallique et le développement de la tabletterie ainsi que de la vaisselle en verre témoignent de l’intégration au mode de vie gallo-romain les monnaies diffusent l’effigie des empereurs, mais, dans le troisième quart du Ier siècle en particulier, ce sont les émissions nîmoises au palmier et au crocodile qui dominent encore largement. Dans cette économie, l’artisanat local demeure peu connu. Peuvent témoigner de l’activité de bronziers sur l’oppidum ; deux fibules vraisemblablement abandonnées en cours de fabrication. Pour cette période, la métallurgie du fer n’est attestée que dans la maison du relais qui abritait une forge spécialisée alors dans la charronnerie (Fig. 18). L’économie de la ville, ouverte aux échanges par la voie Domitienne, est fondée sur les productions rurales le territoire d’Ambrussum reste exploité à partir de l’agglomération ; les prospections y révèlent, certes, de petits habitats, mais point de villa.

Foyer de forge d’appoint creusé à l’extérieur de la maison, près de l’entrée
Fig. 18 - Foyer de forge d’appoint creusé à l’extérieur de la maison,
près de l’entrée (cl. Y. Manniez).

La place du relais

Le relais routier participe de ce développement important de l’Ambrussum gallo-romain. On peut cependant considérer que ce lieu d’étape jouissait d’un statut particulier. En effet, l’étude de ce quartier spécialisé a montré que ses îlots étaient le résultat d’un lotissement réglé sur la centuriation SextantioAmbrussum ; il apparaît également que l’ampleur du chantier de surélévation de l’ensemble et l’organisation qu’il nécessite (arrêt pur et simple de l’exploitation des structures d’accueil durant les travaux, mise à niveau de la voirie dans le même temps où l’on reconstruit les îlots…), suppose une autorité capable d’organiser et de coordonner des équipes locales pour mettre en œuvre, à plusieurs reprises, le remblaiement général du quartier. Compte tenu que tous ces aménagements conditionnaient la circulation sur une via publica, on peut concevoir que le relais aurait été davantage soumis à l’autorité de représentants de l’administration impériale qu’à un sénat local, à l’instar des voies publiques d’Italie placées, au témoignage de Siculus Flaccus, sous la responsabilité de curateurs.

Ambrussum réduit à une agglomération routière

La ville haute d’Ambrussum a été abandonnée vers le début du IIe siècle. Dans le relais cet abandon n’a touché que momentanément certains îlots et les bâtiments réservés au cursus publicus sont restés actifs. Mais Ambrussum connaît alors le sort d’autres agglomérations de la région correspondant, pour la plupart, à des oppida préromains ; en effet, au cours du IIe siècle, certaines et non des moindres sont plus ou moins rapidement désertées comme le Castellas de Murviel-lès-Montpellier, Villevieille, Brignon et Gaujac alors que d’autres connaissent une nette récession : Forum Domitii, Nages et La Jouffe à Montmirat, puis les villes d’Ugernum (Beaucaire), de Lattara et d’Espeyran bien que, dans ces deux derniers cas, le pôle urbain se soit déplacé (vers Maguelone et vers Saint-Gilles). Cette période où l’occupation rurale se caractérise, dans la cité, par une concentration de l’habitat au détriment des petits établissements, correspond sans doute à l’essoufflement du dynamisme économique qui avait caractérisé le siècle précédent. En outre, si Nîmes a indiscutablement joué un rôle attractif par son rayonnement institutionnel, économique, religieux, par les monuments dont elle s’est parée à partir de l’époque augustéenne dans sa vaste enceinte, on y observe également, dès la fin du Ier siècle, que certains quartiers, occupés par un habitat de même type que celui des oppida contemporains, notamment sur la pente du Mont-Cavalier, sont délaissés. Le IIe siècle voit donc la fin, dans cette cité de droit latin où le fond de la population avait des origines volques, d’un mode d’habitat (et de l’organisation sociale qu’il suppose) particulièrement vigoureux depuis plusieurs siècles.

L’agglomération routière qui hérite du nom d’Ambrussum, entre le début du IIe et le milieu du IIIe siècle, n’a donc plus rien à voir avec l’ancien oppidum ; elle est moins étendue, moins peuplée et peut, sans doute, se comparer davantage avec sa voisine de Lunel-Viel, créée vers le milieu du Ier siècle ap. J.-C. Toutefois, si Lunel-Viel abrite, comme en témoignent plusieurs monuments épigraphiques, des familles de notables dont l’un a brigué les charges les plus hautes à Nîmes, le relais d’Ambrussum n’offre pas une telle image. L’abandon de la maison à la forge dans la seconde moitié du IIe s. avant l’abandon des auberges voisines vers milieu du IIIe siècle indique sans doute qu’ici le processus de rétraction de l’habitat s’est régulièrement poursuivi.

Le fait d’ailleurs que la forge ait diversifié ses productions au IIe siècle montre qu’elle se charge plus volontiers de répondre aux besoins de l’agglomération et des campagnes environnantes. On l’a qualifiée de forge villageoise. Cette évolution traduit le fait que localement la via Domitia n’est plus le vecteur économique principal, elle est déjà supplantée par l’itinéraire de plaine qui deviendra au Moyen Âge le camin Romieu et sur lequel s’est développé justement Lunel-Viel.

La mutatio de l'Antiquité tardive

Lorsque l‘itinéraire de Bordeaux à Jérusalem qualifie Ambrussum de mutatio en 333, l’agglomération routière est en grande partie ruinée. Les bâtiments qui subsistent se limitent à des constructions qui prolongent la vocation du lieu comme relais, et en particulier d’étape pour le transport d’État. L’hôtellerie qui, durant le Haut-Empire, a participé de ces fonctions officielles (Fig. 19), a été détruite dans le premier quart du IVème siècle. La continuité de l’occupation n’est assurée, à proximité, que par un petit bâtiment à trois pièces ouvert sur une avant-cour qui a été réaménagé vers 325. En effet, ce n’est que peu après le milieu du IVème siècle qu’un nouveau programme de construction a concerné cette partie du quartier. On a commencé à bâtir sur les ruines de l’hôtellerie un édifice à deux nefs que ses dimensions (35,50 x 11 m) désignent comme un bâtiment public mais il est vraisemblable que la construction n’a pas été menée à son terme, autant qu’on puisse en juger, vu que les sols ont été détruits par les labours et que l’emplacement des accès y demeure hypothétique. Des constructions plus rustiques terminent le chantier, créant au nord de l’édifice allongé, deux unités d’habitation de superficie sensiblement égale, qui présentent le même plan avec une ouverture au sud et une division en deux pièces.

Édifice du cursus publicus, l’hôtellerie réservée aux personnes détentrices de l’autorisation d’utiliser le service de transport
Fig. 19 - Édifice du cursus publicus, l’hôtellerie réservée aux personnes détentrices de l’autorisation d’utiliser le service de transport : au-delà d’une galerie de façade deux corps de bâtiment encadrent une cour pavée (cl. J.-L. Fiches).

Si la Domitienne a perdu de son importance économique au cours du haut Empire, elle a cependant conservé son statut de voie publique comme en témoigne la borne de Galère (298-305) trouvée à Sextantio : celle-ci rend compte, en effet, d’un jalonnement rigoureux depuis Nîmes puisqu’au lieu des XXX milles indiqués sur les grands itinéraires, elle porte la mention de XXXI milles, enregistrant sans doute l’abandon du passage par l’oppidum d’Ambrussum (plus court) au profit exclusif du contournement nord par le relais. En témoignent aussi les bâtiments d’accueil du cursus publicus qui font l’objet d’une reconstruction au IVe s. et qui justifient l’appellation de mutatio alors que l’agglomération est abandonnée par ailleurs. En témoigne enfin le milliaire de Julien qui a sans doute été placé sur le pont Ambroix en 363.

De nouvelles perspectives de recherche ?

Pendant toutes les années durant lesquelles a mûri le programme d’aménagement du site, il était bien entendu que l’intérêt des publics serait d’autant plus soutenu que les fouilles continueraient à se développer. Il suffit de se souvenir du succès des soirées portes ouvertes organisées à un rythme hebdomadaire pendant les campagnes d’été pour s’en convaincre. On ne peut donc que regretter que les conditions ne soient pas remplies aujourd’hui pour que les recherches de terrain se poursuivent. Il est certain cependant que l’aména-gement du site imposera des interventions archéologiques.

Le déplacement du parking va entraîner, par exemple, une requalification de l’espace proche du pont. Or, le visiteur ne peut se rendre compte aujourd’hui des dimensions importantes que cet ouvrage d’art présentait à l’origine. La réhabilitation des abords du monument sur la rive droite et l’opportunité pour réaliser des fouilles, offerte sur la rive gauche, par la politique d’acquisitions foncières de la commune de Gallargues, permettent d’envisager la programmation d’opérations qui complèteraient l’étude du monument et contribueraient à la mise en valeur des parties mises au jour ou peu lisibles actuellement comme la culée de la rive droite et son mur d’aile. Ces opérations revêtent à la fois un intérêt scientifique, patrimonial et touristique. Elles devraient être l’occasion notamment de relancer la réflexion sur l’opportunité qu’il y aurait ou non à reconstruire une partie du pont et, par ailleurs, d’approfondir l’étude du franchissement piétonnier du Vidourle qui a été un temps envisagé dans le plan d’aménagement du site.

Le dégagement de la tête du pont devrait permettre, en outre, de mettre en évidence la terrasse sur laquelle se rejoignaient la voie pavée de l’oppidum et le contournement nord rencontré dans les fouilles du relais. Le déclassement du chemin vicinal depuis le bâtiment d’accueil pourrait permettre de rétablir la voie antique entre le pont et la clôture de la fouille, et de dégager l’ensemble de l’établissement de bains qui n’a été que très partiellement exploré et dont les salles chauffées doivent être particulièrement bien conservées sous la route moderne.

Par ailleurs, l’étude réalisée par l’agence Paysages pour la valorisation du site a préconisé de faciliter la circulation sur l’oppidum et d’étendre pour cela le dégagement des vestiges, en particulier au sud, entre la place au portique et la maison du sommet de la colline. Or, ce secteur a déjà été fouillé au début du XXe s., il pourrait donc faire l’objet d’un dégagement des architectures en surface et d’un diagnostic qui permettrait de reconnaître exactement les parties déjà fouillées et le potentiel archéologique subsistant. Ce type de dégagement pourrait être étendu à l’ensemble de la place au portique (Fig. 20) qui, malgré les fortes destructions qu’elle a subies après son abandon, est susceptible d’avoir conservé les traces d’autres édifices publics dont la mise au jour permettrait de mieux appréhender l’organisation du centre civique gallo-romain d’Ambrussum.

Enfin, on a pu localiser l’occupation médiévale révélée par les fouilles du début du XXe s. au pied de l’oppidum, à moins de 200 m au sud du pont, en bordure du chemin de la Monnaie. Les textes médiévaux ne fournissent que peu d’indications sur Ambrussum et la voie Domitienne à cette époque. Le cartulaire de Nîmes renferme cependant une bulle du pape Adrien IV qui cite, parmi les possessions du chapitre en 1156, la chapelle Sancte Marie de Ponte Ambrosio. En 1254, celle-ci devient la propriété des moniales de Saint-Geniès-des-Mourgues à condition que quatre d’entre elles y établissent leur résidence dont le Dr Marignan a retrouvé les vestiges au niveau de l’épi qui barre le cours du Vidourle en aval du pont romain (Fig. 4).

Ambrussum est aujourd’hui connu par son occupation et ses monuments antiques. Mettre en valeur sa destinée médiévale pourrait nourrir à la fois un nouvel axe de recherche et le développement d’un nouveau centre d’intérêt dans la visite du site.

Portique ouvert sur une place de l’oppidum
Fig. 20 - Portique ouvert sur une place de l’oppidum ; la présence d’une exèdre axiale fait supposer qu’il s’agissait d’une basilique civile
(restitution : J.-M. Gassend).

Bibliographie

Les recherches archéologiques sur Ambrussum ont donné lieu à de nombreuses études et en particulier à quatre ouvrages consacrés à la publication des fouilles ainsi qu’un livre-guide destiné à de larges publics (2007) dont cet article reprend certaines parties. Trois autres volumes, dont la préparation est aujourd’hui bien avancée, concernent les monnaies (M-L. Berdeaux Le Brazidec dir.), la nécropole pré-romaine (B. Dedet) et les puits (J.-L. Fiches dir.). On trouvera une bibliographie complète du site dans les publications ci-dessous, qui sont les plus récentes :

— FICHES (J.-L.)Ambrussum. Une étape de la voie Domitienne en Lunéllois, Montpellier, Les Nouvelles Presses du Languedoc, 2007. 128 p. (2e éd. revue et augmentée).

— FICHES (J.-L.) et alii – Un enclos cultuel sur la berge du Vidourle à Ambrussum (Villetelle, Hérault), Revue archéologique de Narbonnaise, 40, 2007. p. 47-116.

— FICHES (J.-L.) dir.Une maison des Ier et IIe s. ap J.-C. dans l’agglomération routière d’Ambrussum (Villetelle, Hérault). Fouille de la zone 9, 1995-1999. Monographie d’Archéologie Méditerranéenne, 26. Lattes, ADAL, 2009, 370 p.

— FICHES (J.-L.) et REBIERE (J.) collab. – Caisson décoré et tuyaux de plomb découverts à Ambrussum : questions d’adduction d’eau dans l’agglomération routière, Revue archéologique de Narbonnaise, 43, 2010 (à paraître).