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Le voyage d’une statue, de Prague à Paulhan
Le sujet de cet article n’est pas la biographie de Milan Rastislav Stefanik auquel de nombreux articles ont été consacrés. C’est de l’œuvre le représentant qu’il sera question ici, de sa création par le sculpteur Bohumil Kafka et de son achat par la France. Cependant, pour comprendre la création et les pérégrinations de la statue à travers l’Europe, depuis Prague jusqu’au village de Paulhan, il convient d’abord de revenir sur la période que Milan Stéfanik passa en France au début du XXe siècle et évoquer le réseau de relations et d’amitiés dont il sut s’entourer à Paris. Ce sont essentiellement les documents conservés aux Archives Nationales qui nous permettent, à l’aide de différentes pièces administratives et de lettres, en particulier celles de Madame de Jouvenel et de Bohumil Kafka, de novembre 1933, de reconstituer l’histoire de l’acquisition de la statue par la France, au sculpteur tchèque à travers l’intervention de personnalités connues du monde culturel et politique parisien du début du siècle, telles qu’Anatole de Monzie et Mme Boas de Jouvenel. Pour comprendre le destin de cette œuvre, il nous faut essayer de comprendre les relations qui s’établirent entre ces trois personnalités et revenir sur les premières années du héros slovaque, son séjour en France et particulièrement à Paris.
Né en Slovaquie le 21 juillet 1880, alors que cette région était sous la domination austro-hongroise, c’est à Prague qu’il décidât de poursuivre des études d’ingénieur, plutôt qu’à Budapest. Il y entreprit des études d’astronomie et de mathématiques. Tout en poursuivant brillamment ces études qu’il validera par une thèse en astronomie, il participa activement à une association des étudiants slovaques afin de faire connaître la culture Slovaque.
C’est encore à Prague qu’il fit la connaissance de Masaryk dont il suivit le cours de philosophie. Dès cette époque, il aurait adhéré, sur la suggestion de ce dernier, à l’idée d’une coopération tchèque et slovaque.
En 1904, Stéfanik arriva à Paris où il obtint un travail à l’observatoire de Paris-Meudon où il restera jusqu’en 1907. Jules Janssen, fondateur et directeur de l’observatoire, sut reconnaître le grand talent du jeune ingénieur qui devint alors l’un de ses collaborateurs et fit partie de l’équipe d’astronomes qui effectuèrent d’importantes observations à partir de la station installée au sommet du Mont Blanc ; lui même réussit à s’y maintenir treize jours, consacrés à l’observation et à l’enregistrement des spectres des atmosphères planétaires et ainsi qu’à une tentative de photographie de la couronne solaire. D’après l’auteur anonyme de la biographie de Stéfanik dans Wikipédia, c’est à Janssen et à un autre astronome célèbre, Camille Flammarion, que Stéfanik dut sa carrière sociale, scientifique et politique. C’est sans doute pendant ces premières années du XXe siècle qui précédèrent la première guerre mondiale, qu’il fut introduit dans le cercle des amis de madame Boas de Jouvenel dont le rôle fut décisif dans l’achat par la France de la statue que nous voyons aujourd’hui à Paulhan.
Claire Boas de Jouvenel était la fille d’un riche industriel, Alfred Boas, et fut la première femme d’Henry de Jouvenel, directeur du journal Le Matin. Dans son salon se rencontraient avant la première guerre mondiale les personnalités les plus brillantes et les plus influentes du monde politique, scientifique et artistique ; on peut citer entre autres Poincaré, Bergson ou Claudel ainsi que Louise Weiss pour laquelle Stéfanik eut une profonde amitié. On a une idée de ce milieu grâce au fils de la maison, Bertrand de Jouvenel, qui l’évoqua beaucoup plus tard dans ses souvenirs. où il consacra tout un chapitre à « La conception de la Tchécoslovaquie ». D’après lui, ce serait chez sa mère que Philippe Berthelot, secrétaire général du Quai d’Orsay, puis Briand « rencontrèrent Milan Stéfanik le Slovaque et Benes le Tchèque, et qu’ils se décidèrent à prendre position pour l’indépendance d’une Tchécoslovaquie dont le nom surprit à l’époque ». C’est Anatole de Monzie, alors sous-secrétaire d’État à la Marine marchande, qui introduisit Stéfanik dans ce cercle parisien ainsi que le rappelle Madame de Jouvenel en novembre 1933 dans la lettre qu’elle envoie au ministre pour appuyer la proposition du sculpteur : « Je vous serais d’ailleurs reconnaissante toute ma vie, de m’avoir donné cette admirable amitié, cet extraordinaire exemple. Je n’oublierais jamais que c’est à vous que je dois de l’avoir eu dans mon intimité ». [...]